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Date : 19990527


IMM-1346-98

E n t r e :


GANESH MAHARAJ,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A. Les faits

[1]      Ganesh Maharaj (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985,) ch. F-7 (modifiée) en vue de faire annuler la décision en date du 25 février 1998 par laquelle Halina Roznawski (l'agent d'immigration) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada qu'il avait présentée sous la catégorie d'immigrant indépendant de coordonnateur de la production.

[2]      Le demandeur est né à Trinidad. Depuis 1993, il travaille aux États-Unis comme coordonnateur de la production chez Acrylics Plus Inc. Il est marié et père de trois fils : deux sont nés à Trinidad, dans les Antilles, et le troisième est né aux États-Unis. Il a complété cinq années d'études secondaires et a suivi un cours de deux ans en gestion des affaires à l'institut technique John S. Donaldson en 1978.

[3]      Il a déposé une demande de résidence permanente le 27 avril 1997 et a été reçu en entrevue à Détroit le 23 février 1998.

[4]      Il ressort de sa demande de résidence permanente qu'au cours des dix dernières années, M. Maharaj a occupé les emplois suivants :

     (1)      depuis le 1er janvier 1993 jusqu'à maintenant, coordonnateur de la production chez Acrylics Plus Inc. en Floride, aux États-Unis ;
     (2)      de septembre 1991 au 1er janvier 1993, gérant chez Mobil, à Coral Springs ;
     (3)      d'avril 1989 à septembre 1991, représentant du service à la clientèle chez Apsco Products Limited, à Agincourt, en Ontario ;
     (4)      entre septembre 1988 et mars 1993, directeur de succursale chez Trinidad Insurance Services, dans les Antilles.

[5]      Au soutien de sa demande de résidence permanente, le demandeur a soumis deux lettres dans lesquelles son employeur canadien confirme sa promotion, au sein de la compagnie, du poste de commis d'entrepôt général à celui de représentant du service à la clientèle et déclare que le demandeur a de l'ambition, qu'il est un bon travailleur, qu'il est fiable, consciencieux, prévenant, courtois et digne de confiance. Le demandeur a entre les mains une lettre analogue de son employeur actuel qui précise en outre la nature de ses fonctions de coordonnateur de la production.

[6]      Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur mentionne aussi qu'il est propriétaire en Floride d'une maison grevée d'une hypothèque et qu'il possède un compte en banque et d'autres éléments d'actif.

[7]      Lors de son séjour au Canada de 1989 à 1991, sa femme travaillait comme secrétaire médicale au Danforth Medical Centre de Toronto. Dans une lettre datée du 18 février 1998, le Danforth Medical Centre a offert à sa femme un poste de secrétaire médicale pour le cas où elle reviendrait au Canada.

[8]      Les départs et les retours au Canada du demandeur entre 1989 et 1991 requièrent quelques observations. Le demandeur et les membres de sa famille immédiate sont arrivés au Canada en 1989. Ils ont revendiqué sans succès le statut de réfugiés. Ils ont quitté le Canada de leur plein gré et sont entrés aux États-Unis sur la foi de passeports qui ne leur appartenaient pas. Le demandeur et les membres de sa famille se sont vus accorder une autorisation de séjour aux États-Unis, où ils ont résidé sans statut. Le demandeur n'a pas avisé le gouvernement canadien du départ de la famille en 1991, ce qui risque de compliquer son entrée au Canada en raison de la mesure d'exclusion dont lui et les membres de sa famille font l'objet.

Décision de l'agent d'immigration

[9]      La lettre de refus de l'agent d'immigration porte la date du 25 février 1998. Voici les résultats de l'évaluation à laquelle l'agent a procédé en fonction des exigences du poste de coordonnateur de la production.

         Âge :                              10
         Demande dans la profession :              01
         Préparation professionnelle spécifique :          15
         Expérience :                          06
         Emploi réservé :                      0

         Facteur démographique :                  08

         Études :                          10
         Anglais :                          09
         Français :                           0
         Personnalité :                      03
                                
                                     62

Il fallait recueillir au moins 70 points en tout. Par ailleurs, le demandeur n'a pas obtenu les cinq points supplémentaires qu'il réclamait du fait de la présence d'un parent au Canada parce que, pour reprendre les propos de l'agent d'immigration, [TRADUCTION] " ces lien de parenté n'ont pas été démontrés ".

[10]      Voici les conclusions qu'a tirées l'agent d'immigration dans sa décision au sujet de la personnalité :

     [TRADUCTION]         
     Vous ne m'avez pas prouvé que vous possédez la motivation ou l'esprit d'initiative nécessaires pour être en mesure de réussir votre installation au Canada. Vous avez admis que votre père avait déposé 9 975 $ dans votre compte en banque un mois avant l'entrevue et qu'il avait payé les frais d'examen de votre demande d'immigration. Sans ce transfert de fonds, votre actif serait peu élevé pour une famille de quatre personnes. Vous avez par ailleurs reconnu que vous et les membres de votre famille étiez entrés aux États-Unis sur la foi de passeports qui ne vous appartenaient pas. Ce fait témoigne d'un manque de respect envers les lois sur l'immigration et mine votre crédibilité. Pour ces motifs, je n'ai pu vous accorder plus que trois points pour le facteur de la personnalité.         

[11]      Le dossier du Tribunal renferme les notes consignées par l'agent d'immigration dans le système informatisé de traitement des cas d'immigration (SITCI) au sujet de ce qui, de son point de vue, s'est passé à l'entrevue. J'ai examiné ces notes et je suis convaincu qu'elles sont compatibles avec les motifs qu'elle a formulés dans sa lettre de refus.

Questions en litige

[12]      La contestation de la décision de refus porte principalement sur l'appréciation de la personnalité. Le demandeur affirme que, sur ce point, l'agent d'immigration a tenu compte d'un facteur non pertinent, en l'occurrence son statut aux États-Unis. Il ajoute que l'appréciation de l'agent d'immigration est déraisonnable. Il conteste également le refus de l'agent de lui accorder des points pour la présence d'un parent au Canada, en l'occurrence sa belle-soeur, qui est citoyenne canadienne. Il accuse également l'agent d'immigration de double comptage et affirme qu'elle a exercé illégalement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration.

Analyse

A) Norme de contrôle

[13]      La norme de contrôle applicable en l'espèce a été définie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chiu Chee To c. Canada, 22 mai 1996, A-172-93, dans lequel la Cour a fait sien le critère posé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, où le juge McIntyre a déclaré :

             C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.             

[14]      a) Personnalité

         (i) Considérations inappropriées

Le Règlement sur l'immigration prévoit les critères suivants en ce qui concerne l'appréciation la personnalité pour laquelle le nombre maximal de points est de dix :

     Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.         

[15]      L'économie générale du régime de sélection a été précisée péremptoirement par le juge Strayer (alors juge à la Section de première instance) dans le jugement Chen c. Canada, qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada à [1995] 1 R.C.S. 725. Analysant les facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement (les normes de sélection), le juge Strayer a fait observer qu'ils " semblent être essentiellement liés à la capacité d'un immigrant de gagner sa vie au Canada ou d'y être soutenu financièrement par d'autres personnes que l'État ".

[16]      Au sujet du facteur précis de la personnalité, voici ce qu'il a dit :

             Bien qu'ils ne soient pas sans quelque lien avec la réussite sociale, ces critères de personnalité énumérés semblent principalement liés à la capacité de subvenir à ses propres besoins. L'expression " et autres qualités semblables " devraient selon moi être interprétés comme visant des critères qui appartiennent à la même catégorie que les précédents.             

Le juge Strayer a conclu que les critères de sélection étaient principalement axés sur des facteurs économiques et qu'ils ne permettaient pas de conclure, pour des raisons non économiques, qu'un immigrant n'a pas de chances de s'établir avec succès au Canada parce que, par exemple, il ne sera pas un bon voisin, un bon résident ou finalement un bon citoyen du Canada ou encore qu'il est une personne mauvaise ou immorale si on le juge à la lumière de son passé.

[17]      Les agents d'immigration ont par le passé tenu compte du fait qu'une personne qui sollicite la résidence permanente se trouve illégalement dans le pays où elle réside au moment de la présentation de sa demande ou ont été influencés par un tel fait. Notre Cour a statué qu'il s'agit là d'une considération non pertinente et a annulé des décisions pour ce motif (voir les jugements B'ghiel c. Canada, IMM-2545-97, 8 juillet 1998, le juge Hugessen, et Mui c. Canada, IMM-1079-97, 20 mars 1998, le juge Reed).

[18]      Il ne fait pas le moindre doute, à mon avis, qu'en l'espèce, l'agent d'immigration a tenu compte de l'entrée et du séjour illégaux de M. Maharaj aux États-Unis ou qu'elle a été sensiblement influencée par ces éléments lorsqu'elle s'est prononcée sur le facteur de la personnalité. Sa décision sur ce point est mal fondée et doit être annulée.

     (ii) Caractère raisonnable

[19]      L'avocate du demandeur fait valoir que je devrais annuler la décision de l'agent d'immigration sur la question de l'appréciation de la personnalité parce que l'agent d'immigration a mal interprété des éléments de preuve pertinents ou n'en a pas tenu compte.

[20]      Voici ce que déclare à ce propos le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Gill c. Canada, 34 Imm. L.R. (2d) 127 :

             Les dispositions législatives confèrent un large pouvoir aux agents des visas pour ce qui est des décisions de cette nature, et il leur incombe tout à fait de se former une opinion concernant les qualités personnelles d'un requérant en fonction de facteurs tels que la capacité d'adaptation, la motivation, l'esprit d'initiative, l'ingéniosité et d'autres qualités. Pourvu que cette opinion soit raisonnable et qu'elle ne soit ni partiale ni arbitraire, l'intervention judiciaire ne se justifie pas.             

Après examen de la preuve, je conclus que l'agent d'immigration n'a pas tenu compte de tous les éléments que comporte le facteur de la personnalité. Elle a ignoré des facteurs comme la capacité d'adaptation et l'ingéniosité et d'autres qualités analogues, ainsi que l'offre d'emploi que Mme Maharaj a reçue comme indices de leur chances de s'établir avec succès au Canada. De plus, sans entrer dans les détails, il me semble qu'il manquait un grand nombre d'éléments pour se faire une idée juste de la valeur nette du demandeur.

     (iii) Double comptage

[21]      Le double comptable n'est pas acceptable. Au paragraphe 8 de son affidavit, l'agent d'immigration considère la faible demande dans la profession du demandeur comme une preuve qu'il aura peut-être du mal à subvenir aux besoins de sa famille. Or, dans l'arrêt B'ghiel, précité, le juge Hugessen a considéré comme un cas patent de double comptage le fait que l'agent des visas avait mentionné que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer qu'il serait en mesure d'obtenir un emploi dans son domaine au Canada (voir aussi les jugement Mou c. Canada, IMM-201-96, 24 janvier 1997, le juge Lutfy, et Barua c. Canada, IMM-3152-97, 22 octobre 1998, le juge Evans).

b) Parent aidé

[22]      La question en litige ici est l'identité de la belle-soeur de M. Maharaj qui est une citoyenne canadienne domiciliée à Toronto. L'agent d'immigration s'est dite préoccupée à cet égard et a déclaré lors de l'entrevue qu'elle n'attribuerait aucun point à ce chapitre [TRADUCTION] " tant qu'on ne m'aura pas soumis d'autres éléments de preuve ". Voici ce qu'elle a déclaré dans sa lettre de refus :

             [TRADUCTION]             
             Ces liens de parenté n'ont cependant pas été démontrés et aucun point supplémentaire n'est attribué à ce chapitre. Qui plus est, je ne crois pas que vous puissiez compter sur ces membres de votre famille pour obtenir de l'aide, étant donné qu'ils ne vous ont pas aidé lors de votre dernier séjour au Canada.             

[23]      Dans ses notes SITCI et dans sa réponse à la question que l'avocate du demandeur lui a posée après l'entrevue, l'agent d'immigration a déclaré : [TRADUCTION] " Même si ces liens de parenté étaient démontrés, le demandeur ne recueillerait toujours pas les 70 points minimum requis ".

[24]      Compte tenu de ces motifs, les conclusions tirées par l'agent d'immigration sur ce point doivent être annulées. La question doit être réexaminée.

c) Paragraphe 11(3) du Règlement

[25]      Cette disposition du Règlement sur l'immigration a été examinée par le juge Strayer dans le jugement Chen, précité. La décision de l'agent d'immigration de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire était biaisée en raison de l'importance qu'elle a accordée au séjour illégal du demandeur aux États-Unis. Elle doit donc être annulée.

Dispositif

[26]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 25 février 1998 par l'agent d'immigration est annulée et la demande de résidence permanente présentée le 21 avril 1997 par le demandeur est renvoyée pour être réexaminée dès que possible par un autre agent d'immigration.

[27]      Il n'y a pas de question certifiée en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration (voir l'arrêt Yuen c. Canada, A-916-97, 15 mai 1998, C.A.F.).

                             " François Lemieux "

    
     Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 27 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :              IMM-1346-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      GANESH MAHARAJ
                     et     
                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

    

DATE DE L'AUDIENCE :      LE MERCREDI 26 MAI 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Lemieux le 27 mai 1999

ONT COMPARU :

                     M e Robin Seligman

                                 pour le demandeur

                                

                     M e Jeremiah Eastman

                                 pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

                     M e Robin L. Seligman
                     Avocat et procureur
                     33, rue Bloor Est, bureau 1000
                     Toronto (Ontario)
                     M4W 3H1
                                 pour le demandeur

                     M e Morris Rosenberg

                     Sous-procureur général du Canada                     

                                 pour le défendeur

                            

                             COUR FÉRÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990527

                        

         IMM-1346-98

                             E n t r e :

                             GANESH MAHARAJ

     demandeur

                             et

                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                        

     défendeur

                    

                            

            

                                            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

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