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Date : 20020503

Dossier : T-565-01

Référence neutre : 2002 CFPI 506

Ottawa (Ontario), le 3e jour de mai 2002

En présence de : L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                 JEAN CHRÉTIEN

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                               Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La demande de contrôle judiciaire de Jean Chrétien a été entendue en même temps que celle de Claude Chrétien (T-566-01) du consentement des parties car la demande de contrôle judiciaire soulève la même argumentation juridique et les faits sont sensiblement les mêmes.

[2]                 La décision contestée est datée du 9 mars 2001, rendue par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ci-après "la défenderesse").


QUESTION EN LITIGE

[3]                 La défenderesse a t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable en exerçant son pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 152(4.2) de la Loi sur l'impôt sur le revenu (ci-après "la Loi") en refusant au demandeur le droit de déduire les frais qu'il prétend avoir droit pour avoir utilisé son véhicule dans le cadre de son emploi?

[4]                 Je répond par la négative à cette question.

FAITS

[5]                 Le demandeur était à l'emploi du Canadien National (ci-après "l'employeur) de 1989 à 1996, occupant les emplois de journalier, d'opérateur et de commis. Dans le cadre de son emploi, le demandeur devait se servir de son véhicule pour voyager dans les régions du Québec, de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick.

[6]                 Il était protégé par une convention collective et il a reçu une indemnité qui a varié entre 0,115 $ le kilomètre en 1989 jusqu'à 0,1375 $ en 1996. Suite à la décision Yvon Royer c. Sa Majesté la Reine, de la Cour canadienne de l'impôt (dossier 98-707(IT)I), jugement rendu par le juge Lamarre Proulx, le demandeur a fait parvenir à la défenderesse le 17 août 2000 une demande afin que cette dernière lui accorde la déduction pour les années 1989 à 1996 de ses coûts réels pour l'utilisation de son véhicule aux fins de son travail.


[7]                 Le 16 janvier 2001, la défenderesse refuse les déductions. Le demandeur demande le ré-examen de son dossier et par sa décision du 9 mars 2001, la défenderesse confirme la première décision d'où la demande de contrôle judiciaire.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[8]                 Le demandeur allègue qu'il n'avait pas d'autre choix que de se servir de son véhicule alors que dans la décision du 9 mars 2001, la défenderesse justifie sa position indiquant que le choix était possible pour l'utilisation du véhicule personnel du demandeur.

[9]                 Le demandeur soutient que l'article 8(1)h.1), lui permet de déduire les coûts réels de son véhicule pour accomplir les fonctions de son emploi.

[10]            Il énonce que l'article 6(1)b)(vii.1), lui permet la déduction sans incidence fiscale et ceci

en raison des mots "les allocations raisonnables pour l'usage d'un véhicule à moteur...".

[11]            Le demandeur ajoute que le bulletin d'interprétation IT-522R annexé à la lettre du 9 mars 2001 prévoit au paragraphe 43:

Ainsi, pour que l'employé puisse déclarer l'allocation pour frais de véhicule à moteur comme étant non imposable en vertu des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi) ou (vii.1), non seulement faut-il que les exigences énoncées au numéro 42 ci-dessus soient respectées, mais aussi que l'allocation soit raisonnable. L'article 7306 du Règlement limite la déduction que le payeur peut demander au total des montants suivants: le produit de 0,31 $ par le nombre de kilomètres parcourus, jusqu'à concurrence de 5 000, et le produit de 0,25 $ par le nombre de kilomètres parcourus en sus de

5 000 [...] [c'est moi qui souligne]


[12]            Le demandeur ajoute qu'au paragraphe 33 du même bulletin d'interprétation, IT-522R, il peut déduire ses frais afférents à son véhicule si leur déduction est par ailleurs permise par l'alinéa 8(1)h.1). Il aurait donc droit à une déduction de 17 909,23 $ après avoir déduit de ses coûts réels l'indemnité payée par son employeur.

[13]            Se basant sur la décision rendue par le juge Lamarre Proulx dans Yvon Royer c. Sa Majesté la Reine citée plus haut, à la page 7, le demandeur prétend que la porte est maintenant ouverte au contribuable de prouver que l'indemnité payée par son employeur est déraisonnable pour pouvoir bénéficier de la déduction des coûts réels de l'usage de son véhicule aux fins de son emploi.

[14]            Enfin, ce dernier conclut qu'une fois que la défenderesse a décidé de rendre une décision discrétionnaire, elle doit le faire de façon équitable et juste et dans le cas particulier sous espèce, une erreur flagrante aurait été commise, soit celle de ne pas donner la chance au demandeur de s'expliquer d'où le caractère déraisonnable de la décision.

PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE

[15]            La défenderesse mentionne que le dossier du demandeur a été considéré en vertu du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 152(4.2) de la Loi et c'est dans ce contexte que la décision du 9 mars 2001 a été prise.


[16]            La défenderesse a demandé à l'employeur du demandeur quelle était sa politique de paiement de dépenses automobile.

[17]            L'employeur a avisé la défenderesse que le demandeur était syndiqué et qu'on lui avait payé une indemnité fixe dans le cadre de la convention collective liant l'employeur à son syndicat.

[18]            La défenderesse ajoute que ce n'est pas à elle d'évaluer toutes les conditions de la convention collective et à moins que l'information reçue de l'employeur soit totalement déraisonnable, ce n'est pas à cette Cour d'intervenir.

[19]            De plus, durant le courant de la négociation d'une convention collective, il est fort probable que le syndicat mette plus d'emphase à certains endroits qu'à d'autres pour l'avantage de ses employés.

[20]            Quant à la décision de Yvon Royer c. Sa Majesté la Reine, citée plus haut, la défenderesse plaide qu'il s'agissait d'une procédure informelle dans un processus contradictoire alors que le contribuable a eu gain de cause à la suite d'une erreur technique.

[21]            Jurisprudence à l'appui, la défenderesse conclut qu'elle n'était pas obligée de rencontrer le demandeur afin qu'il justifie la base de sa réclamation.

ANALYSE

Norme de contrôle

[22]            La norme de contrôle dans les circonstances présentes est celle de l'erreur manifestement déraisonnable. Afin que cette Cour puisse intervenir, il faut qu'elle en vienne à la conclusion que la décision du 9 mars 2001 soit entachée d'une erreur manifestement déraisonnable ou d'une erreur de droit ou qu'elle ait été rendue de mauvaise foi.

[23]            Le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale établit les balises d'intervention de notre Cour lorsqu'une demande de contrôle judiciaire est faite concernant la décision discrétionnaire rendue en vertu de l'article 152(4.2) de la Loi. VoirBarron c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.F. no 175 (C.F.A.), au paragraphe 5:

[TRADUCTION]

Avant d'exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

[24]            La Cour suprême sous la plume du juge McIntyre traite de la déférence que les cours doivent avoir lorsqu'il y a prise de décision sous l'angle d'un pouvoir discrétionnaire. Voir Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7:

[...] C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [...]

[25]            La Cour fédérale d'appel réitère le même principe dans Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 405 (C.A.), à la page 420:

Cela dit, et après avoir examiné le contexte dans lequel l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre doit être analysé, il est bon de répéter que la fonction de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire n'est pas de prêter des intentions au ministre dans son appréciation des besoins et de l'intérêt du public quand il a fixé les quotas de pêche et, ensuite en agissant à sa place, de substituer ses propres vues à celles du ministre. Le Parlement et le gouverneur en conseil avaient l'intention de donner au ministre, dans l'exercice de ses fonctions et de son obligation d'établir et de mettre en oeuvre des quotas de pêche dans l'intérêt du public, « la plus grande marge de manoeuvre possible » [...]

Autrement dit, dans une procédure de contrôle judiciaire, la cour se préoccupe de la légalité de la décision ministérielle résultant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, et non pas de l'opportunité, de la sagesse ou de la justesse de cette décision (voir Assoc. canadienne des importeurs réglementés c. Canada, [1994] 2 C.F. 247 (C.A.), à la page 260). En l'espèce, cela signifie que le tribunal de révision doit examiner la manière dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il a agi de mauvaise foi ou en se fondant sur des facteurs dénués de pertinence, s'il n'a pas tenu compte de facteurs pertinents ou s'il a ignoré des dispositions pertinentes qui peuvent avoir eu un effet ou avoir entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par ailleurs absolu [...]


[26]            Quant à l'argumentation du demandeur sur la question d'équité procédurale, avec respect, je ne peux pas partager ce point de vue car la défenderesse n'avait aucune obligation de rencontrer le demandeur pour qu'il puisse expliquer la base de sa réclamation. Elle a décidé de requérir des informations de l'employeur et ce dernier lui a transmis des sections de la convention collective qui s'appliquent aux paiements des dépenses automobile remboursées par ce dernier.

[27]            Est-ce que la défenderesse devait connaître les tenants et aboutissants des avantages que possédaient les employés? Je ne le crois pas. D'ailleurs en examinant attentivement les sections de la convention collective applicable à l'espèce, je remarque qu'il existait un recours de redressement qu'aurait pu utiliser le demandeur s'il avait considéré que le paiement de l'indemnité fixe pour ses déplacements étaient déraisonnables. Je cite ci-dessous des extraits aux pages 120 et 121 de la convention collective que je considère les plus importants:

Types d'aide

Comme nous l'avons déjà mentionné, il faudra utiliser différents moyens pour aider les employés dans leur déplacements et c'est aux cadres compétents de la Compagnie qu'il appartiendra de les déterminer dans chaque cas. On pourra choisir, par exemple:

1)                    le train;

2)                    les véhicules de la Compagnie;

3)                    le paiement d'une indemnité fixe; [...]

[...] L'utilisation du train comme moyen de transport adéquat peut être une question discutable, car il faut tenir compte de la durée des attentes et du trajet et des autres solutions de rechange disponibles. Les moyens employés doivent être avant tout justes et pratiques, et ils ne doivent ni entraver la bonne marche des travaux ni entraîner des frais excessifs pour les chemins de fer. S'il y a désaccord à cet égard entre l'employé et son supérieur, le représentant local ou le président général du syndicat et le supérieur de l'employé doivent chercher ensemble à résoudre la difficulté. (c'est moi qui souligne)

[28]       Je souscris à l'argumentation de la défenderesse à l'effet que ce n'est pas son rôle de

scruter les avantages de certains employés dans des conventions collectives et c'est pourquoi à juste titre, le procureur de la défenderesse a souligné le paragraphe 41 de la directive IT-522R:


Si le Ministère juge que le montant d'une allocation déclarée comme étant non imposable en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), (vi), (vii) ou (vii.1) est trop élevé, l'employé devra fournir des pièces justificatives ou d'autres preuves acceptables pour établir que l'allocation est d'un montant raisonnable. Si l'employé est incapable de démontrer que l'allocation est raisonnable, il doit, en vertu de l'alinéa 6(1)b), inclure dans le calcul de son revenu le montant total de l'allocation. Par ailleurs, si l'employé remplit les exigences de la Loi, il peut déduire une somme en vertu de l'alinéa 8(1)f), h), h.1) ou j), selon les circonstances, comme il est indiqué aux numéros 31 à 38 ci-dessus. Une allocation pour frais de déplacement n'est pas considérée comme n'étant pas raisonnable du seul fait que le montant total des frais afférents aux voyages d'affaires de l'employé excède le montant total des allocations pour frais de déplacement reçues au cours de l'année. (c'est moi qui souligne)

[29]       Quant à la décision Yvon Royer c. Sa Majesté la Reine, citée plus haut, je suis d'avis que

la défenderesse n'était pas dans l'obligation de l'appliquer à la réclamation du demandeur. Dans cette cause, il s'agissait d'une procédure informelle, à la suite d'un débat contradictoire alors que la décision discrétionnaire du 9 mars 2001 ne revêt pas le même caractère. D'ailleurs, l'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt prévoit que:


Les jugements rendus sur les appels visés à l'article 18 ne constituent pas des précédents jurisprudentiels.

A judgment on an appeal referred to in section 18 shall not be treated as a precedent for any other case.


[30]       Que le demandeur ait ou non le choix de se servir de son véhicule, cet argument n'est pas

déterminant ici car un paiement à titre d'indemnité fixe qu'il n'avait pas à inclure dans son revenu lui a été fait pour ses déplacements.

[31]       Je considère donc que cette décision n'est pas manifestement déraisonnable, entachée

d'erreurs de droit, ou rendue de mauvaise foi.


[32]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée mais compte tenu des faits

particuliers de ce dossier, le tout est sans frais.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    La demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.

     "Michel Beaudry"      

Juge


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-565-01 T-566-01

INTITULE : JEAN CHRETIEN c. SA MAJESTE LA REINE DU CHEF DU CANADA

CLAUDE CHRETIEN c. SA MAJESTE LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE : QUEBEC, QUEBEC

DATE DE L' AUDIENCE : 18 AVRIL, 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE MICHEL BEAUDRY EN DATE: 3 MAI, 2002

COMPARUTIONS

ME PIERRE HEMOND POUR LA DEMANDERESSE

ME GRACIA BITTICHESU POUR LA DEFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

BROCHET DUSSAULT LAROCHELLE POUR LA DEMANDERESSE SAINTE-FOY. QUEBEC

PROCUREUR GENERAL DU CANADA POUR LA DEFENDERESSE BUREAU REGIONAL DE MONTREAL

MONTREAL, QUEBEC

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