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Date : 20210304


Dossier : IMM‑2185‑20

Référence : 2021 CF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

HUMAYON MALIK

MALIK NOMAN AKHTAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, M. Humayon Malik et M. Malik Noman Akhtar, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui a confirmé le rejet de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] au Pakistan. Les demandeurs font valoir que la SAR a mal interprété ou négligé des éléments de preuve pertinents, rendant déraisonnables ses conclusions sur l’existence d’une PRI viable. De plus, ils affirment que la SAR a omis d’analyser leur demande d’asile sur place.

[2] À mon avis, les conclusions de la SAR étaient raisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[3] Les demandeurs sont des frères, tous deux des citoyens du Pakistan et des musulmans sunnites. Après avoir vendu une parcelle de terre à un musulman chiite local, M. Malik a été pris pour cible par de nombreux groupes extrémistes sunnites et a été appelé à comparaître devant un tribunal religieux du Lashkar‑e‑Jhangvi [le LeJ], une organisation terroriste anti‑chiite. M. Malik ne s’est pas présenté à l’audience du LeJ et s’est enfui au Canada, où il a demandé l’asile en janvier 2017. Après le refus de M. Malik de comparaître devant son tribunal, le LeJ a émis une fatwa ordonnant à ses adeptes de le tuer.

[4] Les membres de la famille de M. Malik ont ensuite été la cible de diverses agressions et menaces de mort de la part d’individus qui, selon eux, étaient liés à un des groupes extrémistes sunnites. M. Akhtar a été agressé et menacé par les membres d’un de ces groupes et s’est enfui au Canada, où il a demandé l’asile en mai 2017.

[5] La SPR a analysé conjointement les demandes d’asile des demandeurs. Malgré les problèmes concernant leurs antécédents de voyage, la SPR a jugé que leurs principales allégations étaient crédibles. Elle a conclu qu’ils disposaient d’une PRI viable à Hyderabad et, par conséquent, a rejeté leur demande d’asile. La SPR n’a pas examiné la question de savoir si les demandeurs pouvaient réclamer l’asile sur place, bien qu’ils eussent soulevé cette question relativement à leur participation à des manifestations politiques publiques au Canada.

[6] Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la SAR. Ils ont présenté de nombreux éléments de preuve nouveaux, dont la plupart ont été jugés inadmissibles par la SAR parce qu’ils dataient d’avant la décision de la SPR, qu’ils concernaient des faits non liés aux demandes d’asile des demandeurs ou qu’ils figuraient déjà dans le cartable national de documentation à la disposition de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[7] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande d’asile sur place des demandeurs, et a ensuite rendu sa propre décision. Elle a jugé que la participation des demandeurs à des manifestations politiques ne constituait pas un fondement objectif à leur demande d’asile. De plus, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une PRI viable à Hyderabad, et a établi que cette question était déterminante pour l’appel. Par conséquent, la demande d’asile des demandeurs a été rejetée.

[8] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Analyse

[9] L’argument central des demandeurs concerne l’appréciation par la SAR d’une PRI viable à Hyderabad. Ils font également valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de leur demande d’asile sur place.

A. La viabilité de la PRI

[10] Les demandeurs contestent le caractère raisonnable d’une PRI viable à Hyderabad sur la base des deux volets du critère bien établi qui a été énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) au paragraphe 10. Pour établir l’existence d’une PRI, les éléments suivants doivent être satisfaits :

1. La Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI.

2. La situation dans la partie du pays que l’on estime constituer une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la situation particulière du demandeur d’asile.

[11] Les demandeurs contestent le premier volet du critère en faisant valoir qu’il n’y a aucun fondement à la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont pas le type de profil qui motiverait le LeJ à les pourchasser partout au Pakistan. Ils soutiennent également qu’il y a des éléments de preuve documentaire clairs qui étayent l’existence d’un [traduction] « bastion » des talibans à Hyderabad ayant des liens avec le LeJ et l’augmentation du nombre d’assassinats ciblés qui auraient une incidence sur les demandeurs en raison de leur appartenance à l’ethnie pendjabi. Ils estiment en outre que les groupes extrémistes pourraient facilement les repérer au moyen du système d’enregistrement des locataires géré par la police.

[12] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, les demandeurs affirment que la SAR a négligé des éléments de preuve importants attestant la violence ethnique et sectaire à Hyderabad, y compris contre des personnes appartenant à l’ethnie pendjabi. Lors de l’audience, l’avocat des demandeurs a souligné que, puisqu’ils sont des Pendjabis parlant le pendjabi, leur profil ferait d’eux des cibles identifiables par les groupes militants sunnites.

[13] En contestant les conclusions de la SAR, les demandeurs tentent essentiellement de déplacer sur les épaules du défendeur le fardeau d’établir la viabilité d’une PRI. Toutefois, il incombe aux demandeurs de démontrer une possibilité sérieuse de persécution à Hyderabad : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) au paragraphe 6. Les demandeurs n’ont attiré mon attention sur aucun élément de preuve négligé ou mal interprété par la SAR, ou qui contredirait ses conclusions.

[14] Dans sa décision, la SAR mentionne qu’elle a examiné [traduction] « la volumineuse couverture médiatique, non gouvernementale et universitaire » fournie par les demandeurs, mais qu’elle n’a pas trouvé [traduction] « une seule mention d’un individu sunnite ordinaire et discret ayant été suivi d’une région du Pakistan à une autre afin de poursuivre une persécution antérieure ». Elle note également qu’elle n’a trouvé aucun élément de preuve étayant le fait que la police collaborerait avec des groupes terroristes, en communiquant les données du registre des locataires. De plus, bien que la SAR ait bel et bien conclu que le LeJ était un groupe extrémiste notoire ayant des liens avec les talibans, elle n’a trouvé aucun élément de preuve appuyant l’allégation selon laquelle les demandeurs seraient persécutés par les talibans en raison des liens de ces derniers avec le LeJ. Elle n’a pas non plus trouvé d’élément de preuve établissant l’existence d’un bastion taliban ou d’une violence ethnique et sectaire importante à Hyderabad.

[15] À la lumière de la preuve au dossier, il était loisible à la SAR de conclure que la poursuite de cibles civiles partout au pays ne faisait pas partie du mode opératoire du LeJ et que celui‑ci n’avait pas la capacité organisationnelle pour le faire dans la PRI proposée.

[16] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, j’estime que la SAR a déjà abordé la question de l’état de violence allégué à Hyderabad, dans son analyse du premier volet de la PRI, et qu’elle n’a pu trouver aucun élément de preuve démontrant que les demandeurs seraient exposés à un risque. La SAR a également examiné l’argument selon lequel les demandeurs seraient ciblés en raison de leur origine ethnique et de leur langue maternelle. Elle a conclu que ces facteurs n’auraient pas d’effet préjudiciable sur les demandeurs à Hyderabad. Étant donné que les demandeurs ne signalent aucune erreur que la SAR aurait commise en tirant cette conclusion, j’estime qu’ils demandent essentiellement une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas permis dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 125. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs ne feraient pas face à des conditions qui mettraient en péril leur vie ou leur sécurité s’ils déménageaient à Hyderabad : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) au paragraphe 15.

B. La demande d’asile sur place

[17] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en n’appréciant pas leur demande d’asile sur place. Je ne suis pas d’accord. En se fondant sur des photos des événements, la SAR a reconnu que les demandeurs avaient participé, depuis leur arrivée au Canada, à des manifestations contre l’extrémisme au Pakistan. Ces photos étaient les seuls éléments de preuve déposés. Les demandeurs n’ont pas fourni de preuve démontrant que ces manifestations étaient surveillées par des agents de persécution potentiels ou couvertes par les médias au Pakistan, ou qu’ils seraient ciblés en raison de leur participation. À la lumière de la preuve, je suis convaincu que la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne subiraient aucun préjudice en raison de leur participation à des manifestations au Canada était raisonnable.

III. Conclusion

[18] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2185‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑2185‑20

 

INTITULÉ :

HUMAYON MALIK ET MALIK NOMAN AKHTAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MARS 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 4 mars 2021

COMPARUTIONS :

Birjinder P. S. Mangat

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Office

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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