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Date : 20210408


Dossier : IMM-92-20

Référence : 2021 CF 288

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

REAJ HAMID ET NADIR HAMID

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 décembre 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAI] a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de l’immigration [la SI] du même tribunal.

[2] La SAI a souscris à la conclusion de la SI selon laquelle les défendeurs ne sont pas des personnes interdites de territoire au Canada et ne sont pas des personnes visées à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27 [la LIPR]).

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Contexte

[4] Les défendeurs, deux frères, sont des citoyens du Bangladesh. Le 23 décembre 2016, ils sont entrés au Canada en tant que visiteurs et, le 3 février 2017, ils ont demandé l’asile.

[5] Dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile, les défendeurs ont affirmé craindre les [traduction] « bandits » affiliés à la Ligue Awami [la LA], qui cherchent à se venger d’eux sur le plan politique. Dans l’exposé circonstancié joint à leurs formulaires, ils déclarent avoir été membres du Jatiyatabadi Chhatra Dal [le JCD] (une branche ou une aile étudiante du Parti national du Bangladesh [le PNB]) de décembre 2008 à mars 2010. Ils mentionnent également avoir été, respectivement, un partisan et un fervent partisan du PNB d’avril 2010 jusqu’à leur départ pour le Canada en décembre 2016. Ils affirment avoir participé à des rassemblements organisés par le PNB et ses alliés en 2011, 2013 et 2016. Ils confirment également qu’ils étaient des partisans du PNB de 2010 à 2016 dans leurs formulaires de l’annexe A.

[6] Le 3 avril 2017, un agent de l’immigration a signé des rapports fondés sur le paragraphe 44(1) de la LIPR dans lesquels il affirmait que les défendeurs étaient interdits de territoire au Canada en application des alinéas 34(1)f), 34(1)b), 34(1)b.1) (subversion) et 34(1)c) (terrorisme) de la LIPR. Le 13 avril 2017, le ministre a déféré l’affaire à la SI pour enquête conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR.

[7] Le ministre a demandé à la SI de statuer que les défendeurs sont interdits de territoire au Canada parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils étaient membres du JCD et du PNB, organisations dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles se livrent, se sont livrées ou se livreront au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f), qui renvoie à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR. Le ministre a également demandé qu’une mesure d’expulsion soit prise en application du paragraphe 229(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227).

[8] Les défendeurs ont affirmé que le ministre n’avait pas établi, en s’appuyant sur des motifs raisonnables, que le PNB était [traduction] « une organisation qui s’est livrée au terrorisme » et que, par conséquent, la prise d’une mesure de renvoi n’était pas justifiée.

[9] Le 19 juin 2018, la SI a tenu une audience et, le 2 octobre 2018, elle a rendu deux décisions distinctes, mais similaires, soit une pour chaque frère.

[10] En ce qui concerne la subversion, à savoir l’alinéa 34(1)f), qui renvoie aux alinéas 34(1)b) et b.1) de la LIPR, la SI a souligné que le conseil du ministre n’avait présenté aucun argument et ne s’était appuyé sur aucun élément de preuve. Par conséquent, la SI a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre l’appartenance des défendeurs au JCD et ces motifs d’interdiction.

[11] Pour ce qui est du terrorisme, à savoir l’alinéa 34(1)f), qui renvoie à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, la SI a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le PNB et son aile étudiante, le JCD, se sont livrés à des actes de terrorisme, plus particulièrement depuis 2012 et pendant la période qui a suivi les élections de janvier 2014.

[12] La SI a relevé que, dans leurs formulaires et leur témoignage, les frères avaient admis être membres du JCD, et elle a donc conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’ils étaient membres soit du JDC, soit du PNB de décembre 2008 à mars 2010. La SI a toutefois fait remarquer que, bien que les frères aient déclaré dans leurs formulaires de demande d’asile qu’ils étaient des partisans du PNB, rien ne démontrait qu’ils étaient membres du PNB pendant la période en cause, soit de 2012 à 2016. La SI a déclaré que, selon elle, leur soutien au PNB était minime. Par conséquent, la SI a conclu qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que les frères étaient membres de ces organisations pendant la période en cause, c’est-à-dire après 2012, et que le lien entre leur appartenance et les activités terroristes, exigé par la décision El Werfalli c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612, n’avait pas été établi.

[13] La SI a conclu que les défendeurs n’étaient pas des personnes interdites de territoire au Canada, puisqu’ils ne sont pas visés par l’alinéa 34(1)f), qui renvoie aux alinéas 34(1)b), b.1) ou c) de la LIPR.

[14] Le ministre a interjeté appel de la décision de la SI auprès de la SAI.

III. La décision de la SAI

[15] Devant la SAI, le ministre s’est appuyé sur les arguments écrits figurant dans le dossier d’appel remis à la SI le 27 juillet 2018 et y a ajouté d’autres observations le 30 mai 2019.

[16] Le ministre a reconnu qu’il devait satisfaire à la norme des « motifs raisonnables de croire », conformément à l’article 33 de la LIPR et comme l’a confirmé l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC40, au paragraphe 114 [Mugesera].

[17] Le ministre a fait référence à la définition du terrorisme énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 98. Il a présenté des éléments de preuve documentaires à l’appui de l’argument selon lequel le PNB était une organisation terroriste par définition et que les actes énumérés dans la preuve documentaire répondaient à la définition de l’expression « se livrer au terrorisme ». Le ministre a fait valoir que la violence exercée par le PNB avait pour but précis de causer la mort ou des dommages corporels graves à des civils, et que le JCD est aussi violent que le PNB.

[18] Le ministre a ajouté que les défendeurs étaient membres du JCD et du PNB au sens de la notion d’appartenance, qui comprend l’appartenance formelle et informelle (invoquant B074 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1146, au para 29 [B074]). Il a mis en évidence l’incompatibilité du témoignage que les défendeurs ont fourni à l’enquête avec les renseignements qu’ils ont fournis à l’appui de leurs demandes d’asile. Le ministre a fait valoir que les défendeurs ont minimisé leur participation au sein du PNB, après la période où ils ont déclaré être membres du JCD, et qu’il est impossible d’établir qu’avant 2012, aucun acte de violence commis par le PNB ne correspond à la définition du terrorisme.

[19] Devant la SAI, les défendeurs se sont également appuyés sur les déclarations qu’ils ont formulées devant la SI. Ils ont ajouté qu’ils n’ont pas minimisé leur participation au PNB, qu’ils étaient investis à temps plein dans leur entreprise après avoir terminé leurs études et que les questions de crédibilité soulevées par le ministre n’étaient pas justifiées.

[20] Le 16 décembre 2019, la SAI a rendu sa décision et a conclu que les défendeurs n’étaient pas interdits de territoire au Canada aux termes des alinéas 34(1)f) et 34(1)c) de la LIPR. La SAI a rendu une seule décision concernant les deux défendeurs.

[21] La SAI a présenté l’essentiel de la décision de la SI, les arguments des parties et le contexte factuel concernant les défendeurs.

[22] Au paragraphe 6 de sa décision, et avant de poursuivre son analyse, la SAI a formulé un commentaire général sur les divergences entre les renseignements figurant dans les formulaires Fondement de la demande d’asile, présentés aux fins de la demande d’asile, et les renseignements fournis dans des procédures d’exclusion comme celle dont était saisie la SAI. La SAI a précisé que, sans égard aux fausses déclarations, aux tromperies et aux mensonges, il est permis d’imaginer que les gens, d’une part, embellissent quelque peu leur rôle politique et la façon dont leurs opposants politiques les perçoivent afin d’accroître leurs chances d’être reconnus comme réfugiés et, d’autre part, tentent de minimiser l’importance de leur rôle politique dans le cadre d’une procédure d’interdiction de territoire.

[23] Dans le même ordre d’idées, la SAI a affirmé plus loin ce qui suit : [L]e tribunal est prêt, dans une certaine mesure, à accorder le bénéfice du doute aux [défendeurs], compte tenu, d’une part, du genre d’impasse auquel font face les personnes qui doivent montrer, dans le cadre d’une demande d’asile, qu’elles sont des membres très importants d’un parti politique et, d’autre part, de la nécessité, dans le cadre d’une procédure comme en l’espèce, de minimiser l’importance de cette affiliation. Il est permis de supposer que la vérité réside habituellement entre les deux versions. »

[24] La SAI a accepté une version modifiée des faits, différente de celle que les défendeurs avaient présentée dans leurs demandes d’asile. Dans cette version modifiée, les défendeurs ont minimisé leur participation politique et ont modifié les motifs qu’ils avaient initialement invoqués pour avoir fui leur pays et demandé l’asile au Canada. La SAI a admis que les faits exposés pouvaient différer selon le type de demandes dont ils font l’objet. À l’audience, la SAI a même demandé aux défendeurs s’ils souhaitaient modifier leurs formulaires Fondement de la demande d’asile.

[25] Au paragraphe 7 de sa décision, la SAI a fait remarquer que les défendeurs étaient des partisans de l’un des deux principaux partis politiques du Bangladesh, le PNB, pendant la période en cause (de 2012 à 2016). La SAI a ajouté que le fait d’appuyer l’un des deux principaux partis politiques du Bangladesh ne suffit pas pour invoquer une possibilité sérieuse que l’alinéa 34(1)f) s’applique, car sinon, des milliers de Bangladais seraient interdits de territoire au motif qu’ils sont membres ou partisans de l’un de ces deux principaux partis politiques. La SAI a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les défendeurs étaient des hommes d’affaires relativement prospères.

[26] La SAI a ajouté qu’elle considérait le témoignage des défendeurs comme crédible et a ensuite exposé les éléments de leur témoignage concernant leurs activités entre 2010 et 2016, à savoir que leur participation politique était minime entre 2010 et 2016 et qu’ils étaient la cible d’attaques pour d’autres raisons (notamment des raisons politiques combinées à d’autres raisons).

[27] En fin de compte, la SAI a conclu qu’il était plausible que les défendeurs aient été la cible d’attaques pour des motifs qu’ils n’avaient pas mentionnés dans leur demande d’asile, mais qu’ils avaient invoqués dans le cadre de la procédure d’interdiction de territoire; des motifs qui n’étaient pas, du moins en partie, liés à leur participation politique.

IV. Norme de contrôle

[28] Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute la présomption en l’espèce.

[29] Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable est appliquée, il incombe « à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue (Vavilov, au para 99).

[30] Je suis consciente que le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la preuve et qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de la crédibilité des défendeurs qu’a effectuée la SAI.

V. Cadre juridique applicable

[31] Les alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR prévoient ce qui suit :

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[...]

...

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[...]

...

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

[Non souligné dans l’original.]

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[32] La norme de preuve applicable pour déterminer si un étranger est ou était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme, comme le prévoient les alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR, n’est pas élevée. En général, les éléments de preuve doivent établir « davantage qu’un simple soupçon, mais [...] moins [...] que [ce qui est exigé par] la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » (Mugesera). Il sera satisfait à ce critère si la croyance selon laquelle (i) l’intéressé est ou était effectivement membre de l’organisation et (ii) cette organisation se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme est objectivement fondée sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera; Kanapathy c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 459, aux para 32‑34 [Kanapathy]).

[33] Les tribunaux ont reconnu qu’une participation informelle ou un appui en faveur à un groupe soutenant un parti, par opposition à l’appartenance formelle à ce groupe, peut suffire à répondre à la définition de membre pour l’application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR (Kanapathy; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 397, aux para 28‑30 [Khan]).

[34] Bien que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ne définisse pas le terme « membre », il est bien établi que ce terme doit recevoir une interprétation large et que l’appartenance réelle ou officielle à une organisation n’est pas toujours requise. Au contraire, la participation ou le soutien à l’organisation peut suffire selon la nature de cette participation ou de ce soutien (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, au para 27 [Poshteh]; Helal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 37, au para 27; Aboubakar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 181).

[35] Selon la jurisprudence, pour déterminer si un étranger est membre d’une organisation décrite à l’alinéa 34(1)f), il faut évaluer sa participation au sein de l’organisation en question. À cet égard, les trois critères suivants doivent être pris en considération : 1) la nature de la participation de la personne au sein de l’organisation; 2) la durée de cette participation; et 3) le degré d’engagement de la personne envers les buts et les objectifs de l’organisation (TK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 327, au para 105). Lorsque certains facteurs donnent à penser que l’étranger était effectivement membre de l’organisation et que d’autres facteurs indiquent le contraire, ces facteurs doivent être raisonnablement examinés et soupesés (B074).

VI. Observations des parties

[36] Le ministre affirme que dans sa décision, la SAI n’a pas analysé si le fait que les défendeurs se soient déclarés partisans du PNB de 2012 à 2016 pourrait signifier qu’ils sont membres de l’organisation au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et, par conséquent, mettre en jeu l’activité terroriste du PNB entre 2012 et 2016.

[37] Le ministre fait valoir qu’il est bien établi en droit qu’une participation informelle ou un appui en faveur à un groupe soutenant un parti, par opposition à l’appartenance formelle à ce groupe, peut suffire à répondre à la définition de « membre » pour l’application de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR (invoquant notamment Kanapathy, au para 34; Khan, aux para 28‑30).

[38] Le ministre fait remarquer la contradiction entre le témoignage des défendeurs, lors duquel ils ont déclaré que leur soutien signifiait voter pour le PNB, et les renseignements qu’ils ont fournis dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile et dans leur témoignage, qui indiquent qu’ils ont participé à plusieurs rassemblements et manifestations et qu’ils ont été victimes de multiples tentatives d’extorsion de la part de la LA pour cette raison.

[39] Le ministre estime que les conclusions de la SAI selon lesquelles les défendeurs ont été ciblés par la LA pour des motifs politiques et financiers et qu’ils n’étaient pas membres du PNB parce qu’ils étaient trop occupés par leurs entreprises sont déraisonnables.

[40] Le ministre ajoute que la SAI semble conclure que les défendeurs étaient effectivement des partisans du PNB pendant la période où la SI a conclu que des actes terroristes avaient été commis (après 2012), mais que d’être un partisan ne suffit pas à conclure que la personne est membre du parti et à la déclarer interdite de territoire. Sinon, des milliers de Bangladais seraient interdits de territoire pour avoir soutenu l’un des deux principaux partis politiques de leur pays. Le ministre affirme que cette conclusion contient deux erreurs. D’abord, le nombre de membres ou de partisans d’une organisation n’est pas pertinent, un facteur qui a été retenu par la SAI lorsqu’elle s’est penchée sur l’interdiction de territoire attribuable à l’appartenance à une organisation qui s’est livrée au terrorisme (Gazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94, au para 26). Ensuite, la SAI n’a pas examiné si le fait que les défendeurs se soient eux‑mêmes déclarés partisans du PNB de 2010 à 2016 pouvait mener à la conclusion qu’ils sont membres au sens large de ce terme énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Poshteh.

[41] Les défendeurs répondent qu’une lecture attentive des motifs de la SAI (aux paragraphes 7 à 14) montre que cette dernière n’a pas omis d’examiner si leur statut de partisans du PNB pouvait être assimilé à celui de membres au sens de la LIPR. Ils soutiennent que la SAI, aux paragraphes 7 et 20 de ses motifs, a souscrit à l’évaluation de la SI selon laquelle le fait d’être un partisan n’équivaut pas à être un membre, ce qui, selon les défendeurs, est une application correcte des directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Poshteh.

[42] Les défendeurs soutiennent en outre que la SAI a répété l’évaluation de la SI concernant leur participation à des rassemblements et à des réunions et a jugé leur témoignage crédible. Elle a également expliqué qu’ils étaient principalement axés sur leur entreprise, que leur participation était minimale et que les attaques dont ils ont été victimes pouvaient découler d’une combinaison de leurs opinions politiques, de leur participation antérieure au JCD et de leur entreprise prospère. Les défendeurs soutiennent que cette analyse de la SAI était contextuelle et suffisante conformément à l’arrêt Poshteh.

VII. Analyse et décision

[43] Le ministre a soulevé plusieurs problèmes. Cependant, je n’ai pas besoin de tous les examiner, car un seul suffit pour annuler la décision. Je suis convaincue que la SAI n’a pas analysé correctement si le fait que les défendeurs se soient eux‑mêmes respectivement déclarés partisan et fervent partisan du PNB, au cours de la période jugée en cause par la SAI, c’est‑à‑dire de 2012 à 2016, pouvait vouloir dire qu’ils sont membres de l’organisation au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[44] Il est clair, d’après l’exposé circonstancié et les déclarations que les défendeurs ont présentés à l’appui de leur demande d’asile, que ces derniers étaient, respectivement, partisan et fervent partisan du PNB et qu’ils craignaient la violence et l’extorsion de la part des bandits de la LA en raison de leur participation politique au sein du PNB. Ce n’est qu’une fois que leur dossier a été renvoyé à la SI pour enquête, précisément afin d’examiner leur participation au sein du PNB, que les défendeurs ont minimisé leur participation politique et ont invoqué d’autres motifs pour expliquer la violence et l’extorsion dont ils ont fait l’objet de la part des bandits de la LA.

[45] La SAI a brièvement analysé les activités des défendeurs entre 2010 et 2016. Or, elle n’a pas procédé à une analyse adéquate, comme l’exige la jurisprudence de la Cour, pour déterminer si ces activités signifiaient qu’ils sont membres au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[46] En présence des différentes versions des frères concernant leur participation politique, la SAI n’a évalué leur crédibilité qu’après avoir reconnu et approuvé qu’il était possible pour les personnes en général de modifier leur témoignage en fonction de leur objectif dans une procédure en particulier. Je conviens avec le ministre que cette approche n’est ni raisonnable ni fondée en droit. Je suis convaincue que cette approche a gravement entaché l’évaluation de la crédibilité des défendeurs effectuée par la SAI, ainsi que son analyse de leurs activités et de leur participation politique de 2012 à 2016.

[47] Par ailleurs, la SAI a notamment reconnu que les défendeurs avaient effectivement soutenu le PNB tout au long de la période en cause, c’est‑à‑dire de 2012 à 2016. Toutefois, elle a estimé que le fait d’appuyer le PNB, l’un des deux principaux partis politiques du Bangladesh, n’était pas suffisant pour invoquer une possibilité sérieuse que l’alinéa 34(1)f) s’applique, car « [a]utrement, des milliers de Bangladais seraient interdits de territoire au motif qu’ils sont membres ou partisans d’un de ces deux principaux partis politiques» [non souligné dans l’original], concluant ainsi que même les membres officiels du parti pouvaient échapper à l’application de l’article 34 uniquement en raison de leur nombre. Cela va à l’encontre des décisions de notre Cour (voir p. ex. Intisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1128; Gazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94.

VIII. Conclusion

[48] Le ministre s’est acquitté du fardeau de démontrer que la décision était déraisonnable. Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et le dossier sera renvoyé à un autre décideur pour nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM-92-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. Le dossier est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-92-20

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET REAJ HAMID ET NADIR HAMID

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Me Daniel Latulippe

POUR LE DEMANDEUR

Me Viken G. Artinian

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Me Viken G. Artinian

Allen et Associés

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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