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     Date: 20000225

     Dossier: T-721-99


Entre :

     GEORGES ASSELIN

     Demandeur

     - et -


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     (Ministre des Transports)

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Par sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur désire obtenir l'annulation d'une décision du Comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile (le Comité d'appel), rendue le 18 mars 1999, rejetant son appel d'une décision antérieure d'un conseiller du même tribunal qui maintenait l'amende de 250 $ que lui avait imposée le ministre des Transports pour avoir contrevenu au paragraphe 801.01(2) du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433.

[2]      Le 23 avril 1997, le demandeur occupait la position de contrôleur/sol dans la tour de contrôle de Montréal-Dorval. Il fut alors accusé, en vertu de l'article 7.7 de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la Loi), d'avoir contrevenu au paragraphe 801.01(2) du Règlement de l'aviation canadien (le Règlement) :

         Le ou vers le 23 avril 1997, vers 21H15, heure locale, lorsque vous occupiez la position de contrôleur au sol de la tour de contrôle de l'aéroport de Montréal/Dorval, vous avez autorisé le pilote du vol USA 304 à traverser la piste 10 alors que le vol AAQ 187 était autorisé à atterrir sur la même piste, contraire aux Normes de l'espacement du contrôle de la circulation aérienne de l'intérieur canadien, article 821, chapitre 1, para. 2.5(a).


[3]      L'amende imposée n'ayant pas été payée à la date déterminée, l'affaire fut transmise au Tribunal de l'aviation civile qui, suite à une audience en révision présidée par le conseiller Pierre Rivest, a confirmé la décision du ministre des Transports et retenu l'amende de 250 $ imposée au demandeur. L'appel subséquent de cette dernière décision devant le Comité d'appel a été rejeté, d'où le présent recours en contrôle judiciaire.

Les faits

[4]      Les faits suivants, tels qu'énoncés par le Comité d'appel dans sa décision, ne sont pas contestés :

         La preuve déposée au dossier révèle ce qui suit :
         1)      Quelques instants avant l'infraction, la piste en usage, pour les décollages et les atterrissages, était la 06 gauche qui était la responsabilité de monsieur Frank Bisson, occupant ce jour-là la position de contrôleur/air à la tour de contrôle de Montréal-Dorval. La piste 06 gauche intercepte la piste 10/28 qui, au moment de la séquence des événements à venir, n'était pas utilisée pour les décollages et les atterrissages et était donc sous la responsabilité du contrôleur/sol, en l'occurrence l'appelant.
         2)      Après l'atterrissage du vol USA 304 sur la piste 06 gauche ce dernier vol a été transféré sous la responsabilité de l'appelant pour la circulation au sol.
         3)      Au moment où monsieur Bisson remet la responsabilité de USA 304 à l'appelant, monsieur Bisson reçoit de l'unité de contrôle de la circulation aérienne (unité ATC) une demande pour permettre un atterrissage sur la piste 10. Dans l'intervalle l'appelant a autorisé USA 304 à circuler sur la voie de circulation BRAVO, à traverser la piste 28 et à communiquer avec l'aire de stationnement sur une autre fréquence radio; une fois que le pilote eut confirmé qu'il avait bien reçu cette autorisation, l'appelant lui a transmis ses salutations et ils se sont quittés.
         4)      Dans l'intervalle monsieur Bisson autorise le vol AAQ 187 à atterrir sur la piste 10 et c'est quelques minutes plus tard qu'il se rend compte qu'un avion circulant au sol s'apprête à traverser la piste 10 en direction sud; bien entendu il s'agit de USA 304.
         5)      Un ordre a été immédiatement donné par monsieur Bisson à AAQ 187 de remonter pour un nouvel atterrissage.


Prétentions des parties

[5]      Le demandeur soumet que le Comité d'appel a commis une erreur de droit en déterminant qu'il avait enfreint le paragraphe 801.01(2) du Règlement. Il argumente que la norme de contrôle judiciaire applicable en l'instance en est une qui se situe entre celle de la décision "correcte" et de la décision "manifestement déraisonnable". Il conclut que l'application de cette norme, en raison de l'erreur de droit contenue dans la décision, entraîne l'annulation de cette dernière.

[6]      Pour sa part, le défendeur nie que la décision attaquée soit entachée d'une erreur de droit et soumet que de toute façon, la norme de contrôle judiciaire applicable étant celle de la décision "manifestement déraisonnable", l'intervention de cette Cour ne saurait être justifiée.

Analyse

[7]      Les dispositions législatives pertinentes se lisent comme suit :

-      l'article 7.7 de la Loi :

7.7 (1) Where the Minister believes on reasonable grounds that a person has contravened a designated provision, the Minister shall notify the person of the allegations against the person in such form as the Governor in Council may by regulation prescribe, specifying in the notice, in addition to any other information that may be so prescribed,

     (a) subject to any regulations made under paragraph 7.6(1)(b), the amount that is determined by the Minister, in accordance with such guidelines as the Minister may make for the purpose, to be the amount that must be paid to the Minister by the person as the penalty for the contravention in the event that the person does not wish to appear before a member of the Tribunal to make representations in respect of the allegations; and
     (b) the time, being not less than thirty days after the date the notice is served or sent, at or before which and the place at which the amount is required to be paid in the event referred to in paragraph (a).

7.7 (1) Le ministre, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a contrevenu à un texte désigné, l'informe des faits reprochés par un avis établi en la forme et comportant les renseignements que le gouverneur en conseil peut déterminer par règlement et y indique :

     a) sous réserve des règlements d'application de l'alinéa 7.6(1)b), le montant qu'il détermine, conformément aux critères qu'il peut établir à cette fin, et qui doit être payé à titre d'amende pour la contravention lorsque la personne ne désire pas comparaître devant un conseiller pour présenter ses observations sur les faits reprochés;
     b) la date limite, qui suit d'au moins trente jours celle de signification ou d'expédition de l'avis, et le lieu où le montant visé à l'alinéa a) doit être versé.

-      le paragraphe 801.01(2) du Règlement :

801.01 (2) No air traffic controller shall issue an air traffic control clearance or an air traffic control instruction except in accordance with the Canadian Domestic Air Traffic Control Separation Standards.


801.01 (2) Il est interdit au contrôleur de la circulation aérienne d'émettre une autorisation du contrôle de la circulation aérienne ou une instruction du contrôle de la circulation aérienne, à moins que celles-ci ne soient émises conformément aux Normes d'espacement du contrôle de la circulation aérienne de l'intérieur canadien.



-      le paragraphe 2.5 du chapitre 1 de l'article 821 des Normes d'espacement du contrôle de la circulation aérienne de l'intérieur canadien (les Normes d'espacement) :

2.5 Taxiing aircraft shall be held until traffic using the runway has passed the point at which the aircraft is holding:

(a)      at a taxi holding position, if one has been established;
(b)      at least 200 feet from the edge of the runway, unless other holding positions are established by markings or signs; or
(c)      at a sufficient distance from the edge of the runway to ensure that no hazard is created to arriving or departing aircraft, if it is not possible to comply with (a) or (b).

2.5 Les aéronefs en circulation au sol doivent être tenus à l'écart jusqu'à ce que le trafic qui utilise la piste ait franchi le point d'attente de l'aéronef :

a)      à un point d'attente de circulation, si un de ces points a été établi;
b)      à au moins 200 pieds du bord de la piste, à moins que d'autres points d'attente de circulation soient établis par des marques ou des panneaux indicateurs; ou
c)      à une distance suffisante du bord de la piste pour avoir la certitude que les aéronefs à l'arrivée ou au départ ne courent aucun risque s'il n'est pas possible de respecter la condition stipulée en a) ou en b).

[8]      Dans Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, la Cour suprême du Canada nous enseigne que la norme de contrôle judiciaire applicable à un tribunal administratif doit être déterminée en utilisant l'analyse pragmatique et fonctionnelle, ajoutant que la détermination de cette norme est centrée sur l'intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause. À la page 1004, le juge Bastarache précise :

         . . . Plus précisément, la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit se demander: "La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission?" (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers' Compensation Board ), [1997] 2 R.C.S. 890, au par. 18, le juge Sopinka).


[9]      Aux pages 1005 et 1006, la Cour suprême, à la lumière d'un certain nombre d'arrêts qu'elle a rendus, indique les facteurs à prendre en considération pour déterminer la norme de contrôle, les répartissant dans quatre catégories : (1) clauses privatives, (2) expertise, (3) objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause, et (4) nature du problème : question de droit ou de fait?

[10]      Dans le présent cas, utilisant l'analyse pragmatique et fonctionnelle dont parle Pushpanathan, supra, je dois tenir compte des facteurs suivants :

a) le paragraphe 37(9) de la Loi comporte la clause privative suivante :

(9) A decision of the Tribunal on an appeal under this Act is final and binding on the parties to the appeal.



(9) La décision rendue en appel par le Tribunal est définitive.


Bien que cette clause privative n'ait pas une portée aussi large que celle énoncée à l'article 101 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, considérée par la Cour suprême du Canada dans Canada (P.G.) c. AFPC, [1993] 1 R.C.S. 941, il n'en demeure pas moins que le Parlement a voulu que la décision concernée soit définitive, ayant préalablement permis que l'imposition d'une amende par le ministre des Transports puisse être révisée par un conseiller du Tribunal de l'aviation civile dont la décision est appelable devant un Comité d'appel du même tribunal.

b) le Comité d'appel est un tribunal hautement spécialisé, le paragraphe 29(2) de la Loi requérant qu'il soit composé de conseillers nommés en raison de leurs connaissances et de leur expérience en aéronautique :

(2) The Governor in Council shall appoint as members of the Tribunal persons who have knowledge and experience in aeronautics.


(2) Les conseillers sont nommés en raison de leurs connaissances et de leur expérience en aéronautique.


c) l'objet de la Loi est clairement de réglementer la sécurité du trafic commercial aérien pour la plus grande protection du public (voir, à cet égard, les arrêts Aztec Aviation Consulting Ltd. v. Canada (26 février 1990), T-3017-89, à la page 3, et R. v. 264544 Alberta Ltd. et al., 65 A.R. 217, à la page 219); de plus, le Règlement en est un qui est technique et spécialisé, la disposition en cause visant manifestement à permettre un mouvement sécuritaire des avions afin de protéger le public; enfin,

d) la nature du problème, devant le Comité d'appel, consistait à déterminer une question mixte de fait et de droit, l'application du paragraphe 801.01(2) du Règlement devant résulter de son interprétation et devant tenir compte du contexte factuel particulier révélé par la preuve.

[11]      Compte tenu, donc, de l'existence d'une clause privative, de l'expertise du Comité d'appel, de la sécurité du public visée par la Loi et du caractère technique et spécialisé du Règlement, j'estime qu'une norme fondée sur la retenue judiciaire est appropriée. Toutefois, étant donné que la question devant le Comité d'appel impliquait non seulement une question de fait, mais aussi une question de droit relative à l'interprétation et à l'application du paragraphe 801.01(2) du Règlement et de l'article 2.5 du chapitre 1 de l'article 821 des Normes d'espacement, je considère, comme l'a d'ailleurs déjà décidé mon collègue le juge Gibson dans Killen c. Canada (ministre des Transports) (8 juin 1999), T-2410-97, en regard d'une autre décision du même Comité d'appel, que la norme de contrôle applicable se situe entre la norme de la décision correcte et la norme du caractère manifestement déraisonnable, soit la norme de caractère raisonnable simpliciter.

[12]      Selon la preuve, le demandeur a été accusé d'avoir autorisé le pilote du vol USA 304 à traverser la piste 10 "alors que le vol AAQ 187 était autorisé à atterrir sur la même piste". Il est par ailleurs clairement établi qu'au moment où le demandeur a autorisé le pilote du vol USA 304 à traverser la piste 10, le vol AAQ 187 n'avait pas encore été autorisé à atterrir sur cette même piste. Par contre, la preuve révèle aussi qu'au moment de transférer la responsabilité de la piste 10 au contrôleur Bisson, et ce, sans lui signifier qu'il avait lui-même déjà autorisé le pilote du vol US 304 à traverser cette même piste, le demandeur a appris que monsieur Bisson avait déjà autorisé le vol AAQ 187 à atterrir sur la piste 10. Comme la connaissance de cet atterrissage imminent a été acquise par le demandeur plusieurs minutes avant que l'avion du vol USA 304 n'arrive vraisemblablement à la piste 10, le Comité d'appel a reproché au demandeur de ne pas avoir informé le contrôleur Bisson de l'autorisation accordée au pilote du vol USA 304 et de ne pas avoir annulé cette autorisation, alors qu'il aurait pu le faire en temps utile, de façon à tenir à l'écart l'avion USA 304 jusqu'à ce que l'avion AAQ 187 ait eu atterri et franchi le point d'attente mentionné à l'article 2.5 des Normes d'espacement. Le Comité d'appel a donc considéré que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 801.01(2) du Règlement parce que la preuve indiquait clairement qu'il avait ainsi autorisé l'avion USA 304 à traverser une piste d'atterrissage active contrairement aux Normes d'espacement qui requéraient de tenir cet avion à un point d'attente de circulation à l'écart du trafic qui utilisait cette piste.

[13]      À mon avis, compte tenu des circonstances, notamment du bien-fondé en fait des reproches du Comité d'appel à l'endroit du demandeur, il n'était pas déraisonnable pour ce tribunal de ne pas limiter l'application du paragraphe 801.01(2) du Règlement au moment précis de l'autorisation donnée au pilote du vol USA 304 et d'en étendre la portée à toute la période de temps utile pour l'exécution de ce qui avait été autorisé, soit la période de temps requis pour que l'avion du vol USA 304 atteigne la piste 10. Semblable interprétation du Règlement en cause, voulant qu'il vise une autorisation donnée tant et aussi longtemps qu'elle peut, de façon utile, être modifiée ou annulée, afin d'empêcher la violation des normes d'espacement prescrites, m'apparaît tout simplement raisonnable. Sans pour autant décider qu'il s'agit là de l'interprétation "correcte" à donner à la disposition, la norme de contrôle applicable en l'espèce m'empêche d'intervenir.


[14]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.





                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 février 2000


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