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Date : 20060222

Dossier : IMM-847-06

Référence : 2006 CF 240

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 22 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                              Mansil Pathmanath

                                         KAMBURUGAMUWA LOKU ACHARIGE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

Malgré les efforts valables de l'avocat du demandeur afin d'établir que la conclusion de l'agente est déraisonnable, la preuve documentaire n'est pas sans équivoque. Les questions de poids et de crédibilité de la preuve dans un examen des risques relèvent totalement du pouvoir discrétionnaire de l'agent ERAR et, habituellement, la Cour ne doit pas substituer son analyse à celle de l'agent.

Sidhu c. Canada, 2004 CF 39; IMM-3920-03, le juge Martineau, 13 janvier 2004; Kaur c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 1293; Singh c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 1303, le juge Lemieux.


LE CONTEXTE

[1]                Le demandeur, Mansil Pathmanath Kamburugamuwa Loku Acharige (M. Acharige) est un citoyen du Sri Lanka. Il fait l'objet d'une ordonnance exigeant qu'il soit renvoyé du Canada (la mesure de renvoi).

[2]                M. Acharige a déposé une demande d'examen des risques avant renvoi en décembre 2004 (la demande d'ERAR). En septembre 2005, l'agente d'ERAR a conclu qu'il n'y aurait pas de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka (la première décision d'ERAR). M. Acharige a contesté cette décision en Cour fédérale, et a demandé un sursis à son renvoi du Canada en attendant qu'il soit statué sur cette contestation. Cette demande de sursis a été accueillie, la première décision d'ERAR a été annulée du consentement des parties, et la demande d'ERAR de M. Acharige a été réexaminée par une nouvelle agente d'ERAR.

[3]                L'agente d'ERAR qui a procédé au nouvel examen a conclu qu'il n'y aurait pas de menace à la vie de M. Acharige ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka (la deuxième décision d'ERAR). M. Acharige conteste cette décision en Cour fédérale, et encore une fois demande une ordonnance de sursis à son renvoi du Canada en attendant qu'il soit statué sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.


LES FAITS

[4]                M. Acharige est un citoyen du Sri Lanka âgé de 32 ans. Il est arrivé au Canada en septembre 2002 avec un visa d'étudiant et a demandé l'asile en février 2003 (Décision SPR, dossier de requête du demandeur (DRD), onglet 7, pages 47 et 51).

[5]                Le 13 avril 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) a entendu la demande d'asile de M. Acharige. Cette demande était fondée sur son appartenance à l'Alliance populaire (la AP), l'un des deux principaux partis politiques du Sri Lanka. Il affirmait que des membres du Parti national uni (PNU), l'autre principal parti politique du Sri Lanka, l'avaient menacé en raison de ses activités de recrutement pour la AP pendant les élections de 2001. De plus, M. Acharige affirmait qu'il était menacé à la fois par les membres du PNU et par la police du Sri Lanka en raison de sa présumée participation au meurtre d'un cadre du PNU, Olvin Senarathna (Olvin) (Décision SPR, DRD, onglet 7, pages 50 et 51).

[6]                Le 19 avril 2004, la SPR a rejeté la demande d'asile de M. Acharige. Elle a conclu que la demande n'était pas crédible en raison des importantes divergences et contradictions entre son premier formulaire de renseignements personnels (FRP) et la preuve documentaire. La SPR a notamment rejeté l'explication de M. Acharige portant que les contradictions étaient attribuables à une mauvaise communication avec son avocat précédent. La SPR ne croyait donc pas que M. Acharige serait menacé par le PNU ou la police du Sri Lanka (Décision SPR, DRD, onglet 7, pages 51 à 56).


[7]                La SPR a aussi conclu que le laps de cinq mois entre l'arrivée de M. Acharige au Canada et la présentation de sa demande d'asile démontrait une absence de crainte subjective. La SPR n'a pas estimé que l'explication fournie à ce sujet par M. Acharige était raisonnable (Décision SPR, DRD, onglet 7, page 54).

[8]                Le 1er décembre 2004, M. Acharige a déposé sa demande d'ERAR dans laquelle il a soulevé essentiellement les mêmes questions qu'il avait soulevées devant la SPR, à savoir qu'il était menacé par le PNU en raison de sa participation antérieure aux activités de la AP, et menacé à la fois par le PNU et la police en raison de sa participation présumée au meurtre d'Olvin (Première demande d'ERAR, DRD, onglet 9, pages 58 à 68; premières observations pour l'ERAR, DRD, onglet 9, pages 69 à 73).

[9]                Dans sa demande d'ERAR, M. Acharige a aussi déposé de nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pas été présentés à la SPR, notamment une citation à comparaître délivrée par un tribunal du Sri Lanka (la citation à comparaître). Il a dit que la citation à comparaître était une autre preuve du danger que représentaient les autorités sri-lankaises (Premières observations pour l'ERAR, DRD, onglet 9, pages 69 à 73; citation à comparaître, DRD, onglet 14, page 131).


[10]            Le 6 septembre 2005, l'agente d'ERAR a rejeté la demande d'ERAR de M. Acharige. Elle a conclu qu'il n'y aurait pas de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka. Ce faisant, elle a décelé des incohérences dans la citation à comparaître et lui a accordé peu de poids (Première décision d'ERAR, DRD, onglet 10, pages 74 à 84).

[11]            M. Acharige a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire attaquant la première décision d'ERAR, et il a demandé que la Cour fédérale rende une ordonnance suspendant son renvoi du Canada en attendant que sa demande de contrôle judiciaire puisse être examinée. Le 22 septembre 2005, M. le juge Gibson a accordé la requête de sursis (Ordonnance de sursis, DRD, onglet 11, pages 84 à 85).

[12]            Sur consentement des parties, la première décision d'ERAR a été annulée, et la demande d'ERAR de M. Acharige devait être réexaminée par un autre agent (Avis de retrait sur consentement, DRD, onglet 13, page 88).

[13]            Le 4 janvier 2006, M. Acharige a fourni de nouvelles observations pour le réexamen de sa demande d'ERAR. Il alléguait un risque constant pour deux motifs : d'abord, il craignait la police sri-lankaise, qui selon lui le recherchait en lien avec la mort du cadre du PNU, Olvin; ensuite, il continuait de craindre les membres du PNU qui pouvaient vouloir se venger de cet incident. À l'appui de sa demande, il a fourni de nouveaux éléments de preuve dont la SPR n'avait pas été saisie, notamment :

i)           la citation à comparaître devant le tribunal sri-lankais;

ii)          une note d'un inspecteur de police appelé P.C. Gunathilake;

iii)          des lettres confirmant son appartenance à des partis politiques;


iv)         plusieurs articles de journaux sri-lankais;

v)          plusieurs articles de journaux sur les conditions qui règnent au Sri Lanka.

(Deuxièmes observations pour l'ERAR, DRD, onglet 14, pages 89 à 101.)

[14]            De plus, M. Acharige a présenté des éléments de preuve quant à des incidents survenus au Sri Lanka après la première décision d'ERAR. En particulier, M. Acharige allèguait qu'une bande de partisans du PNU avaient attaqué son père, Simil Kamburugamuwa, en novembre 2005, et avaient exigé de lui qu'il le ramène au Sri Lanka. À l'appui de cette allégation, M. Acharige a produit un rapport de police qui avait été établi lorsque son père avait signalé l'incident aux autorités sri-lankaises, un rapport médical qui faisait état des blessures subies par son père et un article de journal qui décrivait en détail l'incident (Deuxièmes observations d'ERAR, DRD, onglet 14, page 97; rapport de police daté du 2005/11/03, DRD, onglet 14, page 102; article d'un journal sri-lankais, DRD, onglet 14, page 104).

[15]            Le 30 janvier 2006, l'agente d'ERAR a examiné la demande ERAR et les nouvelles observations de M. Acharige et a rejeté sa demande. Elle a conclu qu'il n'y aurait pas de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 270 à 285).


[16]            En ce qui a trait à la crainte de la police sri-lankaise que le demandeur allègue, l'agente d'ERAR a constaté qu'il n'y avait aucune preuve indiquant que M. Acharige se trouvait dans une situation semblable à celle des personnes pouvant être menacées par les autorités que décrivent les documents sur les conditions existant dans le pays. Au sujet de la citation à comparaître qu'il avait produite, elle a conclu qu'elle était sans rapport avec les craintes qu'il alléguait relativement à l'incident Olvin. Elle a reconnu que la police sri-lankaise souhaitait communiquer avec lui, mais rien n'indiquait qu'elle le maltraiterait (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 281 à 282).

[17]            Quant à la crainte du demandeur à l'égard des partisans du PNU, l'agente d'ERAR a examiné les documents sur les conditions existant dans le pays et a conclu que les autorités sri-lankaises pouvaient adéquatement protéger M. Acharige contre les membres violents du PNU (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 282 et 283).

[18]            M. Acharige a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire attaquant la décision de l'agente d'ERAR. Il demande maintenant une ordonnance de sursis à son renvoi du Canada en attendant qu'il soit statué sur cette demande.

[19]            M. Acharige doit actuellement être renvoyé du Canada le jeudi 23 février 2006.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]            Dans la présente requête, la Cour doit décider si M. Acharige a satisfait aux trois volets du critère établi pour obtenir une ordonnance de sursis à son renvoi du Canada en démontrant que :

a)          il a soulevé une question grave en ce qui a trait à la deuxième décision d'ERAR;


b)          il subira un préjudice irréparable si son renvoi n'est pas suspendu;

c)          compte tenu de la situation des deux parties dans son ensemble, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du sursis à son renvoi.

Le critère à respecter est global : pour obtenir le sursis qu'il demande, M. Acharige doit satisfaire à chacun des trois volets (Toth c. Canada (M.E.I.) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)).

LES ARGUMENTS

A)         Il n'y a pas de question grave à trancher

[21]            Pour satisfaire au premier volet du critère établi dans Toth, il incombe à M. Acharige de démontrer qu'il y a au moins une cause défendable découlant des questions soulevées dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en instance (Rahman c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 106, paragraphe 15; Molnar c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 325, paragraphe 12).

[22]            M. Acharige plaide que l'agente d'ERAR a commis trois erreurs lorsqu'elle a conclu qu'il n'était pas exposé à un risque au Sri Lanka :

1)          Il dit que l'agente d'ERAR s'est trompée dans son appréciation de la citation à comparaître parce qu'elle n'a pas vérifié si elle était authentique. Il dit que si la citation à comparaître est authentique, cela veut dire qu'il est recherché par la police et qu'il est donc exposé à un risque. Il soutient que l'agente d'ERAR était tenue, afin de déterminer si la citation à comparaître était authentique, de l'interroger, et qu'elle a commis une erreur en omettant de le convoquer à une entrevue.


2)          Il soutient que l'agente d'ERAR n'a pas correctement évalué les risques visés par les articles 96 et 97 de la LIPR qu'il prétendait courir, et que ses motifs ne sont pas valables puisqu'ils ne répondent pas à ses demandes d'asile ou de protection en vertu de ces deux dispositions.

3)          Il soutient que l'agente d'ERAR s'est trompée dans ses conclusions relatives à la protection de l'État parce qu'elle n'a pas tenu compte du témoignage du père de M. Acharige, et parce qu'elle n'a pas tenu compte du fait qu'en raison de la citation à comparaître, M. Acharige est recherché par la police et ne peut se fier à elle pour obtenir une protection.

(Arguments écrits du demandeur, DRD, onglet 17, paragraphe 32.)

[23]            Le ministre soutient qu'aucun de ces arguments ne soulève de question grave à trancher et qu'ils ne sont fondés que sur une lecture étroite de la deuxième décision d'ERAR.

[24]            M. Acharige fait valoir que la citation à comparaître qu'il a présentée constitue une preuve concluante du risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé au Sri Lanka. Plus particulièrement, il plaide que l'agente d'ERAR a commis une erreur en ne disant pas clairement si elle jugeait que la citation à comparaître était frauduleuse. Puisqu'il fallait présumer que la citation à comparaître était valide et que l'agente n'a pas dit clairement qu'elle était frauduleuse, la seule conclusion raisonnable que l'agente pouvait tirer, ajoute M. Acharige, c'est qu'il serait à risque s'il retournait au Sri Lanka (Arguments écrits du demandeur, DRD, onglet 17, paragraphes 40 à 43).


[25]            L'agente d'ERAR a reconnu que la citation à comparaître présentée par M. Acharige était authentique et établissait que les autorités du Sri Lanka cherchaient à communiquer avec lui. Elle n'a pas expressément conclu que la citation à comparaître était frauduleuse. Elle a conclu ainsi :

[TRADUCTION]

Je ne prononcerai pas de jugement sur l'authenticité de la citation à comparaître car cela pourrait être interprété comme un jugement sur la crédibilité. Je vais considérer la citation à comparaître en combinaison avec les autres éléments de preuve présentés par l'avocat du demandeur. Mes recherches et mes commentaires ne visent qu'à démontrer que j'ai pris le temps d'examiner la citation à comparaître très attentivement étant donné l'importance que lui accorde l'avocat du demandeur.

          (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, page 281.)

[26]            Même si l'agente d'ERAR a accepté que la citation à comparaître établissait que M. Acharige était recherché par les autorités sri-lankaises, elle a raisonnablement conclu que ce fait à lui seul n'établissait pas qu'il courait un risque en retournant au Sri Lanka. L'agente d'ERAR a formulé la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

À mon avis, elle fait tout simplement partie de la preuve dont je suis saisie, et je n'estime pas qu'elle établit en elle-même qu'il existe un risque.

          (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, page 281.)


[27]            Contrairement à ce qu'affirme M. Acharige, le simple fait qu'on lui ait ordonné de se présenter à la cour au Sri Lanka ou de communiquer avec la police ne signifie pas nécessairement qu'il risque d'être maltraité par les autorités. D'autant plus que la citation à comparaître devant la cour et la note du policier sri-lankais ne semblent pas se rapporter à l'incident Olvin, qui a poussé M. Acharige à quitter le Sri Lanka en 2002 (Citation à comparaître, DRD, onglet 14, page 131; note de P.C. Gunathilake, DRD, onglet 14, page 135).

[28]            Une véritable citation à comparaître n'est pas nécessairement une preuve établissant hors de tout doute qu'une personne est exposée à un risque, contrairement à une pièce d'identité, par exemple qui, si elle est authentique, établit de manière concluante l'identité d'une personne. M. Acharige affirme que l'agente d'ERAR devait conclure que la citation à comparaître était soit authentique et qu'il était à risque, soit qu'elle était frauduleuse; or, ce ne sont pas là les deux seules conclusions que l'agente pouvait tirer à l'égard de la citation à comparaître. Il y avait aussi au moins une autre conclusion raisonnable, à savoir que la citation à comparaître, tout en étant reconnue comme authentique, n'établissait pas que M. Acharige serait exposé à un risque s'il retournait maintenant au Sri Lanka. Cette conclusion est raisonnable parce que la citation à comparaître n'avait absolument aucun rapport avec les incidents à l'origine de sa demande d'asile, qu'elle ne plaçait pas M. Acharige dans la catégorie des personnes exposées à un risque selon les documents sur les conditions existant dans le pays et que rien n'indiquait qu'il serait maltraité par la police quelle que soit la raison pour laquelle on voulait maintenant communiquer avec lui. C'est la conclusion à laquelle l'agente d'ERAR est arrivée.

[29]            Comme l'agente d'ERAR n'a pas jugé que la citation à comparaître était frauduleuse, elle n'a pas douté de la crédibilité de M. Acharige ou de sa documentation. Elle n'était donc pas tenue de l'interroger lors d'une entrevue et ce n'était pas une erreur de sa part de tirer une conclusion à partir des documents dont elle était saisie.


[30]            En fait, M. Acharige demande à la Cour d'endosser sa position voulant que si la citation à comparaître est authentique, il est automatiquement exposé à un risque au Sri Lanka. Il demande à la Cour de réévaluer la preuve dont était saisie l'agente d'ERAR et de tirer de cette preuve des conclusions qu'elle a refusé de tirer; il est pourtant de droit constant qu'il n'appartient à la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, de réexaminer et de réévaluer la preuve, et cela ne peut constituer le fondement d'une question grave aux fins de la requête de sursis.

[31]            M. Acharige plaide que l'agente d'ERAR n'a pas bien analysé ses allégations de risque au regard des articles 96 et 97 de la LIPR. Il affirme qu'en refusant de dire si la citation à comparaître était frauduleuse, l'agente d'ERAR n'a pas apprécié sa crainte, au regard de l'article 96, d'être persécuté par les autorités sri-lankaises parce qu'il serait mêlé à la mort de M. Olvin. Il dit aussi qu'elle n'a pas compris et n'a pas examiné les risques ou menaces, au regard de l'article 97, provenant des partisans du PNU également en raison de son association avec l'affaire Olvin (Arguments écrits du demandeur, DRD, onglet 17, paragraphes 60 et 61).

[32]            Contrairement aux affirmations de M. Acharige, l'agente d'ERAR a bien évalué ses deux allégations de risque, et a fourni des raisons valables pour rejeter les deux demandes.


[33]            En ce qui a trait à l'allégation de M. Acharige relative au risque d'être persécuté par les autorités sri-lankaises en raison de sa participation au meurtre de Olvin, il s'agit de la même allégation qui a été rejetée par la SPR au motif qu'elle n'était pas crédible. M. Acharige a fourni de nouveaux renseignements à l'appui de cette allégation, à savoir la citation à comparaître et la note d'un policier sri-lankais demandant à M. Acharige de [traduction] « bien vouloir rencontrer P.C. Gunathilake parce qu'il y a une plainte » (Citation à comparaître, DRD, onglet 14, page 131; note de P.C. Gunathilake, DRD, onglet 14, page 135.)

[34]            L'agente d'ERAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve produits par M. Acharige n'établissaient pas qu'il courait un risque face aux autorités sri-lankaises. Comme il est dit plus haut, elle a estimé que la citation à comparaître n'était pas un indicateur de risque pour M. Acharige. Elle ne concernait pas les faits entourant la mort de Olvin ou l'enquête menée à ce sujet, raison pour laquelle M. Acharige craignait les autorités. Elle a aussi estimé que la note du policier sri-lankais n'établissait pas qu'il courait un risque de la part de la police, étant donné qu'elle ne précisait pas la nature de la plainte, n'indiquait pas si la plainte visait M. Acharige ou avait été faite en son nom, ni quel était le sujet de la plainte. À la fin, l'agente d'ERAR a raisonnablement tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

Le demandeur ne m'a rien présenté de nouveau, depuis la décision rendue par la SPR, démontrant que la police chercherait à l'arrêter, le torturer et le tuer comme il l'a allégué. Je ne crois pas qu'il coure un risque face à la police à son retour éventuel au Sri Lanka.

          (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, page 282.)


[35]            Cette conclusion répond correctement aux allégations concernant les autorités sri-lankaises que M. Acharige fondait sur l'article 96 de la LIPR. Les motifs sont clairs, bien articulés, et les conclusions de l'agente d'ERAR sont fondées sur la preuve, même si elles ne sont pas celles que M. Acharige auraient souhaitées.

[36]            Quant à l'allégation selon laquelle M. Acharige continuerait de courir un risque face aux partisans du PNU cherchant à se venger de la mort de Olvin survenue en 2002, il a également produit de nouveaux éléments de preuve dont n'avait pas été saisie la SPR. Il s'agissait d'un rapport de police produit par son père, qui avait allégué avoir été attaqué par des partisans du PNU exigeant que M. Acharige retourne au Sri Lanka, d'un rapport médical concernant les blessures subies par son père lors de l'agression et d'un article de journal relatant l'agression (Arguments écrits du demandeur, DRD, onglet 17, paragraphe 65; rapport de police daté du 2005/11/03, DRD, onglet 14, page 102); article d'un journal sri-lankais, DRD, onglet 14, page 104).

[37]            L'agente d'ERAR a conclu que, s'il retournait au Sri Lanka, M. Acharige pourrait demander la protection de l'État contre tout partisan du PNU qui souhaiterait lui faire du mal. Ses motifs sont clairs : puisqu'il n'avait rien à craindre des autorités sri-lankaises, rien ne l'empêchait de demander leur protection (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 281 à 283).


[38]            L'agente d'ERAR a apprécié la preuve que M. Acharige a présenté relativement à l'agression subie par son père en novembre 2005, mais a conclu que cela n'indiquait pas que l'État ne pouvait pas le protéger. En fait, son père avait eu accès à la protection de l'État lorsqu'il avait été victime de l'agression, indication que cette protection existe et serait également disponible pour M. Acharige. L'agente d'ERAR a aussi estimé que les conditions générale existant dans le pays indiquaient que la police procède à des enquêtes à la suite de plaintes et arrête les suspects. Elle a conclu M. Acharige n'avait pas produit de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption selon laquelle l'État sri-lankais était en mesure de le protéger contre les partisans du PNU (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 282 et 283).

[39]            Cette conclusion au sujet de la protection de l'État a répondu correctement à l'allégation concernant les partisans du PNU que M. Acharige fondait sur l'article 97 de la LIPR. Elle est claire et fondée à la fois sur les documents relatifs aux conditions existant dans le pays et sur la preuve propre à l'espèce.

[40]            L'agente d'ERAR n'a pas commis d'erreur en concluant que M. Acharige n'avait pas réfuté la présomption quant à la protection de l'État. Il plaide que cette conclusion était déraisonnable pour deux motifs :

i)           Il ne peut être demandé à M. Acharige de demander la protection de l'État contre un risque posé par des agents de l'État. Il plaide que la citation à comparaître indique qu'il court un risque face à la police.


ii)          L'article de journal relatant l'agression de novembre 2005 subie par le père de M. Acharige mentionnait que la police n'avait pas encore donné suite à la plainte déposée par celui-ci. Il plaide que cela suffit pour démontrer que la protection de la police n'est pas disponible au Sri Lanka.

[41]            Le premier argument de M. Acharige ne tient pas compte des conclusions que l'agente d'ERAR a effectivement tirées. Comme il a déjà été démontré, elle a conclu que M. Acharige n'avait pas établi qu'il courrait un risque face à la police, parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il serait maltraité par la police. La citation à comparaître en elle-même n'est pas suffisante pour établir que M. Acharige courrait un risque face à la police, et le simple fait que les autorités veulent prendre contact avec lui ne signifie pas qu'il courrait un danger. Surtout que ni la citation à comparaître ni la note de la police sri-lankaise n'indiquent qu'elles sont en lien avec l'un quelconque des faits qui selon M. Acharige seraient à l'origine de ses craintes (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 281 et 282).

[42]            L'agente d'ERAR n'a pas conclu que M. Acharige n'avait pas établi l'existence d'un risque face à la police parce que l'État pouvait le protéger contre ce risque. La jurisprudence qu'il cite à cet égard ne s'applique donc tout simplement pas. Le défendeur concède que si M. Acharige avait établi l'existence d'un risque probable face à la police sri-lankaise, il n'aurait pas dû être tenu de demander la protection de l'État. Mais l'agente d'ERAR a conclu qu'il n'avait pas prouvé qu'il courrait un tel risque face à la police. Sa conclusion relative à la protection de l'État se rapporte uniquement au risque allégué face aux membres du PNU, et non au risque allégué face à la police.

[43]            L'agente d'ERAR a examiné les documents relatifs aux conditions générales existant dans le pays et a conclu que, même si la protection de l'État au Sri Lanka n'était pas parfaite, il n'y avait pas eu d'effondrement total de l'appareil d'État. Elle a constaté que la police donne effectivement suite aux plaintes et procède à des arrestations lorsque nécessaire. Cette conclusion s'appuie sur des documents objectifs. De plus, l'agente d'ERAR a constaté qu'il existait une preuve de la protection de l'État particulière dans le cas de M. Acharige, puisque son père avait porté plainte à la police à la suite de son agression en novembre 2005 et que cette plainte faisait l'objet d'une enquête. Par conséquent, les conclusions de l'agente d'ERAR sur la protection de l'État étaient fondées sur la preuve et étaient raisonnables (Deuxième décision d'ERAR, DRD, onglet 16, pages 282 et 283).

[44]            Au sujet de l'article de journal fourni par M. Acharige et relatant l'agression subie par son père, où il est dit que [traduction] « pour des raisons inconnues la police n'a pas encore donné suite à l'incident » , il faut dire que cet article était daté du 6 novembre 2005, seulement quatre jours après que fut survenu l'agression et trois jours après que le père de M. Acharige n'eut porté plainte à la police. Dans les circonstances, il était raisonnable pour l'agente d'ERAR de conclure que M. Acharige n'avait pas produit de preuve claire et convaincante réfutant la présomption de la protection de l'État (Rapport de police daté du 2005/11/03, DRD, onglet 14, page 102; article d'un journal sri-lankais, DRD, onglet 14, page 104).


B.          Aucun préjudice irréparable causé par le renvoi au Sri Lanka

[45]            Pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans Toth, M. Acharige a le fardeau d'établir l'existence d'un préjudice qui ne relève pas d'hypothèses ou d'une série de possibilités. Il doit convaincre la Cour de la probabilité d'un préjudice si son sursis est refusé (Molnar c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 325, paragraphe 15; Akyol c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 931, paragraphe 7).

[46]            M. Acharige fait valoir qu'il subira un préjudice irréparable de deux façons : premièrement, il dit que sa vie sera menacée s'il est renvoyé au Sri Lanka, en invoquant essentiellement les mêmes arguments qu'il a adressés à l'agente d'ERAR; deuxièmement, il dit que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en instance attaquant la décision d'ERAR perdra sa raison d'être s'il est renvoyé au Sri Lanka. Aucun de ces arguments ne satisfait à l'élément préjudice irréparable (Arguments écrits du demandeur, DRD, onglet 17, paragraphes 78 à 81).

i)           Aucune menace à sa vie au Sri Lanka

[47]            Pour ce qui est du premier argument, les allégations de risque face au PNU et à la police sri-lankaise formulées par M. Acharige ont été examinées deux fois. La SPR et l'agente d'ERAR ont toutes deux conclu qu'il ne serait pas exposé à un risque s'il était renvoyé au Sri Lanka (Akyol c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 931, paragraphe 8).

[48]            De plus, la SPR a conclu que la demande d'asile de M. Acharige ne pouvait pas être accueillie parce que ses éléments de preuve n'étaient pas crédibles. La SPR n'a pas cru que M. Acharige était mêlé à la mort de Olvin ou que la police s'intéressait à lui à cause de cet incident. La conclusion de la SPR est pertinente pour la présente requête de sursis et la question de savoir si M. Acharige subirait un préjudice irréparable s'il retournait au Sri Lanka, parce que la Cour a déjà statué que le récit d'un demandeur qui n'a pas été jugé crédible par la SPR ne peut pas plus tard fonder un argument plaidant le préjudice irréparable. M. Acharige ne peut pas invoquer l'allégation faite antérieurement quant à un risque couru au Sri Lanka pour prouver le préjudice irréparable (Akyol c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 931, paragraphe 8; Saibu c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 103, paragraphe 11).

[49]            De plus, les éléments de preuve que M. Acharige a fourni à l'agente d'ERAR démontrent que sa vie ne serait pas menacée au Sri Lanka. Il ne court pas de risque face à la police sri-lankaise; il a été invité à communiquer avec elle à son retour et il pourrait être tenu de comparaître devant un tribunal sri-lankais, mais rien dans la preuve n'établit autrement que par hypothèse que la police veut lui faire du mal ou le maltraiterait de quelque façon. Selon son propre témoignage, il a été relaxé par la police sans mal après l'enquête qu'elle a menée relativement à la mort de Olvin en 2002.


[50]            La preuve indique aussi que la police sri-lankaise est en mesure de protéger M. Acharige s'il devait éprouver de nouvelles difficultés avec les partisans du PNU. Elle a répondu promptement à la plainte de son père lorsqu'il a été attaqué en novembre 2005, et les documents relatifs aux conditions existant dans le pays indiquent que la police est capable mener une enquête relativement à toute autre plainte que M. Acharige pourrait formuler.

[51]            Relativement au deuxième argument portant que M. Acharige ne pourrait plus contester l'ERAR lors du contrôle judiciaire, le ministre fait valoir que le caractère éventuellement théorique d'un contrôle judiciaire ultérieur ne peut constituer un préjudice irréparable. La Cour d'appel fédérale a rejeté un tel argument dans deux arrêts récents portant sur des demandes de sursis d'une ordonnance de envoi en attendant l'audition d'un appel d'un contrôle judiciaire attaquant une décision d'ERAR. La Cour a suivi ces arrêts dans plusieurs affaires récentes. Rien ne justifie que des principes similaires ne s'appliquent pas aux circonstances de l'espèce (Selliah c. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 261, paragraphe 20; El Ouardi c. Canada (M.C.I.), 2005 CAF 42, paragraphe 8; Kaur c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 16, paragraphe 6; Singh c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 159, paragraphes 39 et 40).


[52]            Le ministre prétend que, en tout état de cause, il est hypothétique de dire que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de M. Acharige perdra sa raison d'être. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d'entendre des affaires qui sont techniquement devenues théoriques et a récemment exercé ce pouvoir afin de connaître de contrôles judiciaires attaquant des décisions ERAR, après que des demandes de sursis eurent été rejetées. L'allégation de M. Acharige selon laquelle le contrôle judiciaire de la décision ERAR effectué après son renvoi perdrait sa raison d'être est donc fondée sur une simple possibilité et ne peut correspondre à un préjudice irréparable (Alfred c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1134; Figurado c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 347).

C.         La prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur

[53]            Les circonstances de la présente affaire sont telles que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre. La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Il est dans l'intérêt public d'exécuter les mesures de renvoi de manière efficace, diligente et équitable. Ce n'est que dans des cas exceptionnels que l'intérêt d'un individu l'emporte sur l'intérêt public (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 48; Akyol c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 931, paragraphe 12; Dugonitsch c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 320 (1re inst.).

[54]            Le simple fait que M. Acharige a collaboré avec les fonctionnaires de l'immigration, qu'il n'a pas commis d'acte criminel et serait disponible pour le renvoi si sa demande de contrôle judiciaire n'était pas accueillie ne signifie que la prépondérance des inconvénients milite en faveur d'un sursis. La Cour d'appel fédérale a récemment rejeté un tel argument, affirmant :

[21] L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.


[22] Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront [...] Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

(Selliah v. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 261, paragraphes 21 et 22.)

[55]            M. Acharige est visé par une mesure de renvoi valide et exécutoire. Il est entré au Canada avec un visa d'étudiant en septembre 2002 et a demandé l'asile en février 2003. M. Acharige a bénéficié d'évaluations indépendantes de ses allégations de risque tant par la SPR que par une agente d'ERAR, qui sont toutes deux arrivées à la conclusion qu'il ne serait pas exposé à un risque s'il retournait au Sri Lanka. Dans les circonstances, l'intérêt public à l'égard de l'administration juste et efficace des lois canadiennes sur l'immigration l'emporte sur la volonté de M. Acharige de retarder son renvoi.

                                       ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1)         La requête en sursis au renvoi du demandeur du Canada est rejetée.

2)         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                     « Michel M. Shore »                      

                                                                                                                              Juge                                   

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-847-06

INTITULÉ :                                                    MANSIL PATHMANATH KAMBURUGAMUWA

LOKU ACHARIGE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 20 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   Le 22 février 2006

COMPARUTIONS :

Nora Ng                                                           POUR LE DEMANDEUR

Jonathan Shapiro                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin Cannon                                                     POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r..                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice - Vancouver

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