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Date : 20210407


Dossier : IMM‑5843‑19

Référence : 2021 CF 299

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 7 avril 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KASHIF RAZA

SANA KASHIF

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Kashif Raza et Sana Kashif, forment un couple marié. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

[2] Citoyens du Pakistan, les demandeurs revendiquent le statut de réfugié, car ils affirment qu’ils courent le risque d’être persécutés par leur famille pour des motifs religieux en raison de leur mariage interconfessionnel. En effet, M. Raza pratique l’islam sunnite, et Mme Kashif, l’islam chiite.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire parce que la décision de la SAR est raisonnable et que l’affaire ne soulève aucune question d’équité procédurale.

Contexte

[4] Les demandeurs ont fait connaissance en 2012 à l’occasion d’un mariage au Pakistan. Ils se sont unis le 15 mai 2016, lors d’une cérémonie de mariage musulmane (Nikah), qui s’est déroulée par Skype.

[5] Avant le mariage des demandeurs, M. Raza vivait en Italie, ayant été parrainé par son frère, Murtaza Ghulam, qui habitait ce pays. M. Raza a résidé en Italie de 2013 jusqu’en février 2018, muni d’un permis de séjour temporaire valide jusqu’en avril 2019.

[6] Le 12 février 2018, M. Raza s’est rendu au Pakistan pour participer à une cérémonie avec sa femme, après quoi Mme Kashif a officiellement quitté le domicile familial.

[7] M. Raza affirme qu’à l’exception de son père, les membres de sa famille désapprouvaient son mariage. Le 14 février 2018, la famille de M. Raza lui a lancé un ultimatum : soit il divorçait, soit Mme Kashif se convertissait à l’islam sunnite.

[8] Selon M. Raza, le 16 février 2018, il aurait été attaqué par des [traduction] « voyous », qui agissaient sur les ordres de sa famille. Il affirme que ces hommes ont menacé de le tuer s’il ne divorçait pas. M. Raza a signalé l’agression aux services de police qui lui auraient répondu que ses assaillants étaient des criminels notoires contre lesquels la police n’était pas en mesure de le protéger. L’incident survenu le 16 février et la dénonciation à la police constituent les piliers de l’allégation des demandeurs voulant qu’ils aient été persécutés par la famille de M. Raza.

[9] À la suite de l’attaque, les demandeurs se sont installés à Islamabad, car ils craignaient pour leur vie. Dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), les demandeurs ont indiqué que la police locale avait torturé le frère de Mme Kashif pour découvrir où ils se trouvaient. Les demandeurs ont également affirmé que le père de M. Raza avait reçu des menaces de la part des autres membres de sa famille, car il les avait aidés à déménager.

[10] Les demandeurs prévoyaient rester à Islamabad jusqu’à ce qu’un visa pour l’Italie soit délivré à Mme Kashif. Toutefois, ils affirment que, confrontés à des menaces croissantes de violence, ils ont finalement décidé de fuir le Pakistan. Bien que M. Raza ait détenu le statut de résident temporaire en Italie jusqu’en 2019, il a affirmé dans son formulaire FDA que les demandeurs ne s’étaient pas installés dans ce pays, car son frère, Murtaza Ghulam, y résidait. Or ce dernier n’approuvait pas le mariage de son frère, et il était un agent de persécution.

[11] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 12 avril 2018 et ils ont présenté une demande d’asile.

La décision de la SPR

[12] L’une des questions déterminantes que la SPR a tranchées lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile était celle de la crédibilité.

[13] La SPR a estimé que la crédibilité des demandeurs avait été minée par les modifications qu’ils avaient apportées au formulaire FDA au sujet du caractère interconfessionnel de leur mariage, qui n’avait pas été expressément mentionné dans le formulaire initial.

[14] De plus, la SPR a également tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité en raison du nom de l’expéditeur apparaissant sur le colis contenant des documents d’identité envoyés à M. Raza depuis l’Italie. En effet, M. Raza a affirmé qu’il n’avait pas eu de contact avec les membres de sa famille, à l’exception de son père. Toutefois, le bordereau d’emballage du colis envoyé à M. Raza indiquait que son frère, Murtaza Ghulam, en était l’expéditeur. Or M. Raza a affirmé que ce n’était pas son frère qui lui avait envoyé les documents, mais bien un autre Murtaza Ghulam, ajoutant que de nombreux Pakistanais résidaient à la même adresse que son frère.

[15] Les demandeurs ont porté en appel la décision de la SPR devant la SAR.

La décision de la SAR

[16] Le 5 septembre 2019, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs. La SAR a souligné que les demandeurs n’avaient pas sollicité l’admission de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR].

[17] Contrairement à la SPR, la SAR a estimé qu’aucune des modifications apportées au formulaire FDA n’avait « donné lieu à des incohérences, des contradictions, des omissions ou des invraisemblances importantes ». La SAR a conclu que les modifications apportées au formulaire FDA ne minaient pas la crédibilité générale des demandeurs au sujet du caractère interconfessionnel de leur mariage et que les incohérences résultaient du fait que M. Raza avait reçu l’aide d’un interprète pour remplir le formulaire.

[18] En revanche, la SAR a estimé que les allégations des demandeurs manquaient de crédibilité sur des questions fondamentales.

[19] La SAR a décelé une contradiction issue de la lettre envoyée aux services de police pour signaler l’incident survenu le 16 février 2018. En effet, la SAR a souligné que M. Raza avait écrit dans sa lettre destinée aux policiers que les agresseurs [traduction] « conduisaient une motocyclette Honda de couleur blanche », alors que son formulaire FDA indiquait plutôt que les agresseurs [traduction] « prenaient place à bord d’une Honda Accord blanche ».

[20] Selon la SAR, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que M. Raza puisse distinguer une berline d’une motocyclette. En outre, la SAR a souligné que c’était M. Raza qui avait rédigé à la fois la lettre destinée aux policiers et le formulaire FDA. La SAR a conclu que cette incohérence était « importante », car l’agression du 16 février se trouvait au cœur des allégations de persécution. La SAR a accordé une importance moindre à la lettre destinée aux services policiers en raison de cette contradiction.

[21] Outre cette conclusion, la SAR a souligné que la crédibilité de la lettre adressée aux services de police avait déjà été remise en question dans les motifs de la SPR. Par conséquent, la SAR a estimé que sa conclusion ne constituait pas une nouvelle question.

[22] S’agissant de l’identité de la personne qui a envoyé les documents depuis l’Italie, la SAR a convenu « qu’il [était] possible que deux Murtaza Ghulam résident à la même adresse en Italie ». Toutefois, selon la SAR, le fait que les demandeurs n’aient pas soumis d’éléments de preuve, pourtant « facilement disponibles », démontrant que l’expéditeur dénommé Murtaza Ghulam n’était pas le frère de M. Raza, constituait une « omission importante ». Comme la question de la persécution orchestrée par la famille de M. Raza touchait au cœur de la revendication des demandeurs, la SAR a estimé que la possibilité que ce soit bel et bien le frère de M. Raza qui ait envoyé les documents donnait à penser que les membres de la famille de M. Raza n’étaient pas des agents de persécution.

[23] La SAR s’est également penchée sur les affidavit présentés en preuve à l’appui de la demande. Selon la SAR, bien que les affidavits de parents et d’un ami « ne soulèvent aucune préoccupation particulière en matière de crédibilité », ils ne l’emportaient pas sur les préoccupations importantes en matière de crédibilité au sujet du contact que les demandeurs ont pu avoir avec leurs prétendusagents de persécution, et de l’incohérence relevée dans la lettre adressée aux services de police.

Questions en litige

[24] Les demandeurs soulèvent deux questions principales :

  1. La SAR a‑t‑elle traité la preuve de manière raisonnable?

  2. Les demandeurs auraient‑ils dû se voir accorder la possibilité de répondre aux preuves contradictoires?

Norme de contrôle

[25] Les parties conviennent que la question du traitement de la preuve par la SAR est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême déclare au paragraphe 99 que « [l]a cour de révision [...] doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci ».

[26] La deuxième question soulevée par les demandeurs est celle de l’équité procédurale. Or, cette question doit être tranchée suivant la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 43 et 44; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

Analyse

A. La SAR a‑t‑elle traité la preuve de manière raisonnable?

[27] Les demandeurs avancent que la SAR a commis une erreur dans son traitement de la preuve et plus particulièrement dans son évaluation des documents envoyés depuis l’Italie et des affidavits présentés à l’appui des demandes d’asile. Je vais aborder chacune de ces questions à tour de rôle.

Les documents envoyés depuis l’Italie

[28] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle il était probable que le nom de Murtaza Ghulam figurant sur le bordereau d’emballage du colis envoyé depuis l’Italie désigne le frère de M. Raza, un prétendu agent de persécution.

[29] Les demandeurs affirment que la SPR a mal interprété les principes applicables aux conclusions quant à la vraisemblance, énoncés dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776. Les demandeurs ont fait valoir les mêmes arguments devant la SAR.

[30] À ce sujet, la SAR a admis qu’il était « possible » que deux Murtaza Ghulam résident à la même adresse en Italie, mais elle a ajouté que « les éléments de preuve corroborant l’existence d’un deuxième Murtaza Ghulam vivant à la même adresse que le frère de M. Raza [auraient dû] être facilement accessibles. Le fait que les appelants n’aient pas soumis à la SAR de preuve de cette nature est donc une omission importante ».

[31] Les demandeurs soutiennent qu’ils risquent d’être persécutés par les membres de la famille de M. Raza, y compris par son frère, Murtaza Ghulam. Le fait que l’expéditeur des documents italiens porte le même nom et vive à la même adresse que le frère de M. Raza a soulevé un doute auprès de la SPR. La capacité de démontrer que ce n’était pas son frère qui avait envoyé les documents relevait entièrement de la volonté du demandeur. Si l’expéditeur avait été une personne autre que son frère, il aurait été facile pour le demandeur de produire des preuves le confirmant, sans s’exposer à des risques.

[32] À mon avis, la SAR n’a pas conclu à l’invraisemblance. En fait, en l’absence de preuves corroborantes, la SAR n’était pas disposée à accepter l’explication du demandeur voulant qu’une personne porte le même nom et réside à la même adresse que son frère. Comme l’a souligné la SAR, si M. Raza connaissait suffisamment l’expéditeur pour compter sur lui afin de lui envoyer des « pièces d’identité cruciales à sa demande d’asile », alors il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur produise une preuve confirmant son identité.

[33] Même s’il est possible d’interpréter la constatation de la SAR sur cette question comme une conclusion d’invraisemblance, selon la décision Valtchev, au paragraphe 7, « [u]n tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables ». À mon avis, il était raisonnable de déduire que les demandeurs auraient été en mesure de produire des preuves attestant de l’identité de l’expéditeur des documents.

[34] Il convient également de souligner qu’il ne s’agit pas d’un dossier où il existait une contradiction entre la preuve documentaire et les affirmations des demandeurs (Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968). La SAR n’a pas non plus exprimé d’opinion ni formulé d’hypothèse au sujet des actions ou des comportements affichés par les agents de persécution des demandeurs ou par d’autres parties. Toutefois, la SAR n’était pas disposée à accepter l’allégation du demandeur voulant qu’une personne autre que son frère porte le même nom et vive à la même adresse que ce dernier.

[35] À mon avis, il était loisible à la SAR d’exiger des preuves corroborant l’identité de Murtaza Ghulam compte tenu des autres contradictions relevées dans le témoignage des demandeurs qui figure au dossier.

[36] En conséquence, la conclusion de la SAR sur cette question est raisonnable.

Les affidavits présentés à l’appui de la demande

[37] Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas convenablement tenu compte des affidavits de leur ami et de membres de leurs familles au sujet du risque qu’ils courent au Pakistan en raison de leur mariage interconfessionnel. Le dossier compte quatre affidavits présentés à l’appui de la demande et souscrits par les personnes suivantes :

  • Salman Nawaz, un ami de M. Raza

  • Bati Khan, le père de M. Raza

  • Shafiq Ahmed, la mère de Mme Kashif

  • Salman Sjafiq Butt, le frère de Mme Kashif.

[38] Selon les demandeurs, qui invoquent la décision Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 [Oranye], étant donné que la SAR a jugé les affidavits crédibles, il était déraisonnable de sa part d’écarter ceux‑ci à titre d’éléments de preuve corroborants.

[39] S’agissant des affidavits, la SPR a souligné ceci :

[TRADUCTION]

[...] la lettre et les affidavits vont à l’encontre des conclusions tirées par le tribunal au sujet des agents de persécution en l’espèce [...] toutefois, le témoignage de vive voix du demandeur ne concorde pas avec son récit, de telle sorte que l’authenticité de la demande est minée [...] le tribunal privilégie les témoignages de vive voix présentés plutôt que les quelques affidavits écrits qui ne peuvent être vérifiés dans le cadre d’un interrogatoire.

[40] La SAR a évalué les affidavits et leur a accordé peu de poids. En effet, selon la SAR, bien que les affidavits « ne soulèvent aucune préoccupation particulière en matière de crédibilité », ils « ne l’emportent pas sur les préoccupations importantes en matière de crédibilité au sujet du contact que les appelants ont pu avoir avec leurs agents de persécution présumés, et de l’incohérence relevée dans la lettre adressée aux services de police ». En conséquence, comme l’avait fait la SPR, la SAR conclut que les affidavits ne permettaient pas de dissiper les autres préoccupations relatives à la crédibilité suscitées par le dossier des demandeurs.

[41] Les demandeurs invoquent la décision Oranye qui ne leur est d’aucun secours. Dans la décision Oranye, la Cour a statué qu’il était déraisonnable pour la SAR de « dissimuler des conclusions relatives à l’authenticité en jugeant simplement que les éléments de preuve ont une “faible valeur probante” » (para 27). En l’espèce, la SAR ne dissimule pas de conclusion de fait en accordant un poids moindre aux affidavits. En effet, selon la SAR, les affidavits ne soulèvent aucune préoccupation en matière de crédibilité ou d’authenticité. Il n’en demeure pas moins que la tâche de la SAR consiste à soupeser ces affidavits dans le contexte de l’ensemble de la preuve produite par les demandeurs. En outre, il est bien établi que « [l]e poids attribué aux éléments de preuve relève du tribunal administratif, et non pas de la Cour au moment du contrôle judiciaire » (Olusola c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 46 au para 19).

[42] Comme l’a souligné la Cour dans la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067 au paragraphe 25 :

Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. [...] la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

[43] C’est précisément ce qu’a fait la SAR en l’espèce. Elle a jugé crédible la preuve issue des affidavits, mais a conclu que celle‑ci ne l’emportait pas sur les contradictions décelées dans la preuve produite par les demandeurs. Il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion. Une fois que la SAR s’était prononcée sur la crédibilité, il était raisonnable de sa part de conclure que la preuve corroborante ne permettait pas de dissiper les préoccupations relatives à la crédibilité suscitées par la preuve directe des demandeurs. En d’autres termes, la preuve corroborante n’était pas suffisante pour établir le bien‑fondé de leur demande.

[44] Essentiellement, les demandeurs contestent l’appréciation de la preuve par la SAR. Toutefois, il ne s’agit pas d’une question qui peut faire l’objet d’un réexamen lors d’un contrôle judiciaire.

B. Les demandeurs auraient‑ils dû se voir accorder la possibilité de répondre aux preuves contradictoires?

[45] Les demandeurs soutiennent que la SAR a soulevé une nouvelle question en tirant une conclusion défavorable au sujet de la divergence entre la mention d’une voiture Honda faite dans le formulaire FDA et d’une motocyclette Honda dans le rapport de police. Les demandeurs avancent qu’ils auraient dû avoir la possibilité de fournir des explications sur cette question.

[46] Au paragraphe 21 de ses motifs, la SAR cite le paragraphe 13 de la décision Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 (Corvil) :

[...] il est maintenant bien établi que lorsque la crédibilité du demandeur d’asile est au cœur de la décision de la SPR et des motifs d’appel devant la SAR, cette dernière est habilitée à tirer des conclusions indépendantes à cet égard, et ce, sans avoir à interroger le demandeur à ce sujet ou encore à lui donner autrement la possibilité de présenter des observations.

[47] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en se fondant sur la décision Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300, car, selon eux, lorsque la SAR a tiré une inférence défavorable des contradictions, elle a, de fait, soulevé une nouvelle question et tiré une nouvelle conclusion. Par conséquent, affirment les demandeurs, la SAR aurait dû leur donner la possibilité de fournir des explications.

[48] Le commissaire de la SAR indique au paragraphe 20 de sa décision : « Je suis conscient du fait que la SAR ne doit pas tirer de conclusions indépendantes en fonction de nouvelles questions sans avoir avisé les parties à l’appel et leur avoir donné la possibilité de répondre. En l’espèce, je ne pense pas que la conclusion précédente constitue une nouvelle question. »

[49] Au paragraphe 22, le commissaire de la SAR conclut ceci : « j’estime que tous les renseignements sur lesquels je me suis appuyé pour tirer la conclusion précédente étaient tirés de la preuve même des appelants et que ceux‑ci devaient donc les connaître. La question de la crédibilité était également au cœur des motifs de la SPR et de l’appel que les appelants ont interjeté devant le présent tribunal ».

[50] De toute évidence, la SAR avait à l’esprit son obligation de permettre aux demandeurs de lui répondre si elle devait se prononcer sur une nouvelle question. Il convient alors de se demander si les contradictions quant au véhicule Honda décrit dans le rapport de police et celui décrit dans le formulaire FDA constituent une nouvelle question.

[51] Aux fins de l’examen de cette question, il est important de souligner que les documents qui contiennent cette contradiction, soit la lettre à la police signalant l’agression du 16 février 2018 et le formulaire FDA, ont tous deux été rédigés par M. Raza. Il s’agit donc des documents versés par les demandeurs eux‑mêmes à l’appui de leurs demandes d’asile. En conséquence, il est fallacieux pour les demandeurs de contester la conclusion de la SAR au sujet des contradictions relevées entre deux documents qu’ils ont eux‑mêmes produits. En outre, la SPR avait déjà mis en doute la fiabilité de la lettre envoyée à la police par les demandeurs et versée en preuve à l’appui de leur demande. Ainsi, la contradiction soulignée par la SAR ne constitue pas une question nouvelle ou inconnue.

[52] En outre, je souligne que les arguments des demandeurs sur cette question négligent largement le fait que les doutes quant à leur crédibilité constituaient la question déterminante en l’espèce selon la SPR et la SAR. Ainsi, la SAR pouvait à bon droit se fonder sur les divergences entre les éléments de preuve produits par les demandeurs sans leur donner la possibilité d’expliquer ces incohérences. Comme le souligne le juge Ahmed dans la décision Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, invoquée par les demandeurs, au paragraphe 24 :

[...] la SAR est habilitée à tirer de façon indépendante des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur, sans lui exposer et sans lui donner la possibilité de présenter des observations, mais cela vaut seulement pour les situations où la SAR n’a pas ignoré les éléments de preuve contradictoires déposés au dossier ou tiré des conclusions supplémentaires au sujet d’éléments que le demandeur ignorait.

[53] Je ne puis convenir avec les demandeurs que la SAR a appliqué des présomptions à la preuve contradictoire. La SAR a plutôt conclu que la preuve produite par les demandeurs eux‑mêmes contenait des contradictions. Pour étayer sa conclusion, la SAR ne s’est pas fondée sur des informations extrinsèques et n’a pas non plus formulé d’hypothèse sur les actions ou les motivations de tiers. La SAR s’est tout simplement penchée avec attention sur les détails importants des documents produits par les demandeurs, lesquels visaient à préciser les éléments clés de l’agression du 16 février 2018. Or cette attaque constitue un événement crucial qui sert de fondement à leur demande d’asile.

[54] Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que son traitement des preuves contradictoires ne constitue pas une nouvelle question. Par conséquent, la SAR a correctement appliqué la décision Corvil et elle n’était pas tenue de fournir aux demandeurs l’occasion d’expliquer les incohérences.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5843‑19

La COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5843‑19

 

INTITULÉ :

KASHIF RAZA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence À TORONTO (ONTARIO) ET À Fredericton (nOUVEAU‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 FÉVRIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 avril 2021

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

POUR LES DEMANDEURS

Bridget A. O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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