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Date : 20060117

Dossier : T-2034-91

Référence : 2006 CF 42

Toronto (Ontario), le 17 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN                  

ENTRE :

                             TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                                                                                       (requérante)

                                                                             

                                                                             et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR

                             LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                                                                                             (intimée)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Je suis saisi de l'appel interjeté contre la décision de l'officier taxateur Preston en date du 10 décembre 2005 taxant les dépens totaux de la défenderesse à 9 834,97 $ -6 930 $ d'honoraires et 2 904,97 $ de débours. Le mémoire de frais de la défenderesse s'élevait à 26 461,60 $.

[2]                La demanderesse porte la taxation en appel pour les motifs suivants :

a)          la défenderesse aurait dû déclarer le montant qu'elle avait versé à son avocat plutôt que réclamer le tarif de 110 $ par unité;

b)          c'est à tort que l'officier taxateur s'est fondé sur l'affidavit de la dénommée Karen Hodges pour la preuve du caractère raisonnable et de la nécessité, puisque ce document n'a pas été signifié à la demanderesse;

c)          la défenderesse n'a pas prouvé que les débours réclamés étaient raisonnables et nécessaires;

d)          les unités réclamés à titre d'honoraires n'étaient pas raisonnables.

[3]                Il est bien établi qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur d'allouer des montants particuliers, sauf si ceux-ci sont inappropriés ou si la décision est déraisonnable au point de sembler résulter d'une erreur de principe. Lorsqu'il s'agit d'examiner une telle décision, le rôle de la Cour consiste à déterminer si l'officier a appliqué les bons principes. Si aucune question de principe n'est en cause et que le débat porte simplement sur le montant accordé, la décision de l'officier demeurera inchangée à moins qu'on puisse démontrer que la somme est tellement déraisonnable qu'elle donne à penser que l'officier a commis une erreur de principe (voir IMB Canada Limited c. Xerox Canada Limited, [1977] 1 C.F. 181 (C.A.), par. 7 et 9).

[4]                Au sujet du point a), la demanderesse cite l'arrêt W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Ltd., [1991] 2 C.F. 226 (C.A.), et, plus particulièrement, le passage suivant des motifs du juge Marceau :

[9] La proposition générale voulant qu'une partie ait le droit de recouvrer ses frais à condition d'être tenue de les payer à ses procureurs repose sur le principe selon lequel les dépens entre parties constituent une indemnité ou un dédommagement pour les dépenses qu'a dû subir la partie qui a eu gain de cause dans le litige. Le paiement des dépens à une partie ne doit pas être un cadeau. Il serait inacceptable de laisser une partie percevoir des dépens - qui se rapportent, pour la plupart, à la prestation de services professionnels -si l'avocat qui a fourni ces services n'est pas légalement en mesure de demander à cette partie de lui verser son dû. Il est facile de définir l'obligation qui doit exister pour respecter le principe en cause : c'est l'obligation légale qu'une partie a envers son procureur de payer les services qu'elle a obtenus, et que le procureur peut faire exécuter à tout moment.

[5]                Selon la demanderesse, ce n'est que si l'officier taxateur connaît les honoraires que Sa Majesté verse effectivement à ses avocats qu'il peut être certain que la taxation à 110 $ l'unité indemnise simplement la défenderesse plutôt que de lui permettre de réaliser des profits.

[6]                Cet argument est vicié à plusieurs égards. Premièrement, la règle 407 des Règles des Cours fédérales énonce qu'à moins d'ordonnance contraire, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Deuxièmement, la règle 400(2) prévoit que les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle. Troisièmement, aucun élément de preuve n'établit que la taxation à 110 $ l'unité permettra à la Couronne de réaliser un profit. Enfin, le paragraphe 28(2) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif porte que :

28(2) Les dépens adjugés à l'État ne peuvent être refusés ni réduits lors de la taxation au seul motif que l'avocat pour les services duquel ils sont justifiés ou réclamés était un fonctionnaire salarié de l'État, et à ce titre rémunéré pour les services qu'il fournissait dans le cadre de ses fonctions, ou bien n'était pas, de par son statut ou pour toute autre raison, admis à prélever les dépens sur l'État pour les services ainsi rendus.


[7]                Il faut donc placer l'extrait précité de l'arrêt W.H. Brady, précité, dans le contexte des Règles et des dispositions de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. De toute évidence, des dépens peuvent être attribués à la Couronne sur le fondement de la colonne III du tableau du tarif B, et la défenderesse n'est pas tenue de révéler les honoraires qu'elle verse à ses avocats pour démontrer que la taxation n'excède pas la simple indemnisation.

[8]                En ce qui concerne le point b), voici ce que l'officier taxateur a indiqué dans ses motifs :

[3]      Au début de la taxation, le 14 avril 2005, Me Susin, qui occupe pour la demanderesse, a expliqué qu'il n'avait pas reçu l'affidavit des débours de Karen Hodges. La taxation a été suspendue 45 minutes pour donner à Me Susin la possibilité d'examiner l'affidavit des débours

[4]      À la reprise de la taxation, Me Susin a objecté qu'il n'avait pas tous ses documents avec lui. Il a alors été décidé de poursuivre quand même et que si Me Susin devait découvrir qu'il lui manquait des documents, le dossier de la Cour serait alors mis à sa disposition. Si cette mesure s'avérait insuffisante, la taxation serait alors ajournée.

[9]                Il appert donc que l'officier taxateur a pris toutes les mesures voulues pour que la demanderesse ne subisse pas de préjudice du fait de la prétendue absence de signification (bien qu'il y ait un affidavit de signification au dossier). Comme la demanderesse a acquiescé à cette procédure et n'a pas demandé de remise, les arguments qu'elle invoque maintenant pour contester le processus suivi par l'officier taxateur ou lui reprocher de s'être fondé sur l'affidavit de Karen Hodges ne sauraient être accueillis.

[10]            Concernant le point c), c'est l'affidavit de Karen Hodges qui fournit la preuve tant du caractère raisonnable que de la nécessité des débours. La demanderesse n'a contesté aucune des allégations qui y sont faites et elle n'a pas non plus contre-interrogé la déposante. Qui plus est, l'officier taxateur a examiné chaque élément et il en a écarté quelques-uns jugés superflus. Par conséquent, j'estime que l'affirmation de la demanderesse selon laquelle le caractère raisonnable et la nécessité des débours n'ont pas été prouvés est dépourvue de fondement.

[11]            L'argument invoqué au point d) revient essentiellement à dire que l'officier taxateur n'a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire. Or, l'officier a pris soin d'expliquer comment il avait procédé, et je ne vois aucune erreur dans son raisonnement. La Cour n'a pas à se substituer à l'officier taxateur, et elle n'interviendra dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier que si les montants accordés sont inappropriés ou déraisonnables au point de donner à penser qu'il y a eu erreur de principe. En l'espèce, la décision de l'officier taxateur Preston ne prête pas à une telle conclusion.

[12]            En conséquence, aucun des arguments de la demanderesse n'est accueilli.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté. Afin d'éviter tout litige ultérieur, il n'y aura pas d'adjudication de dépens relativement au présent appel.

                                                                                                                      « K. von Finckenstein »

                                                                                                                                   Juge

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-2034-91

INTITULÉ :                            TREVOR NICHOLAS CONSTRUCTION CO. LIMITED

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                                                                                          (requérante)

et

SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                                                                                                                                               (intimée)

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    16 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE DE :           Monsieur le juge von FINCKENSTEIN

EN DATE DU :                       17 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

John Susin

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Parke

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Susin

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

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