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Date : 19980916


Dossier : IMM-2591-97

Entre :

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-

ROMAN EDOMSKY

KRISTINA EDOMSKY

VALENTINA EDOMSKY

VLADIMIR EDOMSKI

EMMA EDOMSKY


Demandeurs


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


Défendeur




MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


JUGE BLAIS


[1]      Demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 30 janvier 1997, dans les dossiers numéros M96-00053/00054/00055/00872/00874 par Mme Dominique Leclerc et M. Jean-Marc Demers, membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, conformément à l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration.

[2]      Les cinq demandeurs sont citoyens d'Israël et revendiquent le statut de réfugiés alléguant avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de leur nationalité, de leur religion et de leur appartenance à un groupe social.

     La Section du statut de réfugié a rendu une décision rejetant leur revendication.

     Le tribunal s'exprime d'ailleurs de la façon suivante:

Après avoir analysé toute la preuve, tant testimoniale que documentaire, le tribunal en est arrivé à la conclusion que les revendicateurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention pour les raisons suivantes:

La présomption qui se dégage de l'abondante preuve documentaire émanant de sources diverses et fiables produite par l'agent chargé de la revendication n'a pas été entamée par les revendicateurs.

Leur témoignage nous est apparu dénué de crédibilité.

     Par la suite les membres du tribunal expliquent en donnant plusieurs raisons pourquoi, à leur avis, ils ne pouvaient accorder de la crédibilité aux témoignages des revendicateurs.

     Le procureur des demandeurs a repris de façon éloquente plusieurs éléments tendant à démontrer que les membres du tribunal avaient mal interprété la preuve qui était devant eux quant à la crédibilité des demandeurs alléguant entre autres que la preuve documentaire qui avait été déposée par l'agent chargé de leurs revendications semblait créer un déséquilibre quant à l'appréciation de la preuve et qui rendait extrêmement difficile pour les demandeurs de renverser cette preuve documentaire.

     Avec tout le respect, je considère que, bien que en effet la preuve documentaire qui avait été déposée lors de l'audition était considérable, cela ne justifie en rien les membres du tribunal et encore moins le soussigné de ne pas évaluer la preuve à son mérite.

     La conclusion à laquelle en arrive le tribunal n'est manifestement pas déraisonnable.

     Voyons à cet effet le commentaire du juge Décary dans le dossier Clément Aguebor c. M.E.I., (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.):

Il ne fait pas de doute que le Tribunal spécialisé qu'est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui en effet mieux que lui est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent dans la mesure ou les inférences que le Tribunal tirent ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention ces conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

     Le tribunal peut très bien décider de préférer aux témoignages subjectifs des demandeurs la preuve documentaire objective:

The Board is entitled to rely on documentary evidence in preference to that of the claimant1

I do not see any legal error in the panel's assessment of the documentary evidence or in the fact that it preferred the documentary evidence over that of the applicant.2

     Il était également loisible au tribunal d'appuyer sa décision sur la preuve documentaire qu'il juge la plus appropriée:

There was contrary evidence which the applicant's counsel had argued before the Board, but the Board has the right to decide which documentary evidence it prefers.3

     Quant à savoir si l'État d'Israël est en mesure de protéger ses citoyens, le tribunal mentionne dans son analyse:

La preuve documentaire, émanant de trois sources différentes et non gouvernementales est claire à l'effet que la police traite toutes les plaintes de la même façon.

Par conséquent, aucune preuve "claire et convaincante" n'a non plus été apportée par les revendicateurs à l'encontre de la présomption qui se dégage de la preuve documentaire produite par l'ACR en ce qui concerne la protection de ses citoyens par l'État d'Israël.

Le Tribunal est d'avis qu'aucun élément de preuve crédible ou digne de foi ne lui a été présenté qui puisse lui permettre d'accorder aux revendicateurs le statut de réfugiés, et les éléments de preuve qui lui ont été soumis sont insuffisants pour établir qu'en cas de retour en Israël, les revendicateurs auraient une "possibilité raisonnable" de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei4. 5

     Le procureur de la partie défenderesse nous a soumis une abondante jurisprudence.

     Il a paru utile à cet effet de rappeler la citation du juge Décary dans le dossier Kadenko et al v. Canada, (1997) 206 N.R. 272 (C.A.F.) et je cite:

En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique et dans la mesure où un État possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d'intervenir est-il suffisant pour démontrer que l'État en question est incapable ou refuse de protéger ses ressortissants?

...

Telle que formulée, cette question ne peut à notre avis qu'entraîner une réponse négative. Dès lors, en effet, qu'il est tenu pour acquis que l'État (en l'espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l'institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d'assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.

     Plus loin le juge Décary continue:

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser le recours qui s'offrent à lui.

     Dans le cas présent, il est manifeste que les demandeurs n'ont pas cherché à épuiser tous les recours qui s'offraient à eux et, à cet effet, la décision du tribunal n'est manifestement pas déraisonnable.

     Dans une autre décision soit celle de Sagharichi v. Minister of Employment and Immigration (1993), 182 N.R. 398, le juge Marceau précise:

Larisa Garmash claims persecution on the basis of a visit to an ultra-orthodox area in the city where she resided where she was insulted and pushed which caused her to fall. She states she complained to the police who did nothing except to tell her not to go to that area.

What could the police have done? There is no evidence that she knew the individuals who allegedly insulted her or pushed her down. There is no evidence she gave the police the necessary information to cause an arrest to take place."

     Cette citation s'applique particulièrement à la plainte portée par l'un des demandeurs à la police alors que le demandeur n'était pas en mesure d'identifier la personne qui l'avait poussé.

     Dans un autre dossier, dans l'affaire Levkovicz et al c. Secrétaire d'État du Canada, IMM-599-94, 13 mars 1995, M. le juge Nadon précise qu'une preuve de l'inaction de quelques policiers n'est pas suffisante, dans un pays démocratique comme Israël, pour en arriver à la conclusion que le système judiciaire n'est pas en mesure de protéger un demandeur.

Cette preuve à mon avis, n'est pas suffisante pour conclure que l'État d'Israël est incapable de protéger les requérants. Ce n'est pas parce que quelques policiers négligent ou refusent, si tel est le cas, d'accomplir le devoir que la loi leur impose, que l'on doive nécessairement conclure que l'État d'Israël ne peut offrir sa protection. À mon avis, afin de démontrer que l'État n'est pas en mesure de protéger ses ressortissants, il faut une preuve qui va au-delà de la preuve fournie par les requérants dans le présent dossier.

     Dans l'arrêt Ward c. Canada [1993] 2 R.C.S. 689 (C.S.C.), il a été établi que l'on devait présumer qu'un État était en mesure de protéger ses citoyens et que, par conséquent, le demandeur devait fournir une preuve "claire et convaincante" pour démontrer l'incapacité de l'État. Aux pages 724 et 725, le juge Laforest s'exprime comme suit:

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.



     Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

     Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.











                         Pierre Blais

                         Juge



OTTAWA, ONTARIO

Le 16 septembre 1998

__________________

1      Zhou c. M.E.I., A-492-91, 18 juillet 1994 (C.A.F.).

2      Omorogbe v. S.S. Canada, IMM-2724-93, 9mai 1994.

3      Singh c. M.C.I., IBM-4256-94, 23 juin 1995 (C.F. 1ère instance).

4      ;Adjei c. M.E.I. [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.).

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