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Date : 19990316


Dossier : IMM-841-98

Ottawa (Ontario), le 16 mars 1999

DEVANT : MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE

MOHSEN ADELI et

LADAN RABBANIAN,


demandeurs,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             " Karen R. Sharlow "

                         ____________________________

                             Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19990316


Dossier : IMM-841-98

ENTRE

MOHSEN ADELI et

LADAN RABBANIAN,

demandeurs,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d"une décision rendue par une formation de la Section du statut de réfugié le 30 janvier 1998.

[2]      Les demandeurs sont des citoyens iraniens. M. Adeli revendique le statut de réfugié au sens de la Convention. Il fonde sa revendication sur le fait qu"il craint avec raison d"être persécuté en Iran du fait de ses opinions politiques. Mme Rabbanian est la conjointe du demandeur et fonde sa revendication sur son appartenance à un groupe social, soit celui de la famille.

[3]      La formation de la SSR ne croyait pas l"histoire de M. Adeli et a rejeté sa revendication. Elle a subsidiairement conclu qu"il y avait pour les demandeurs une possibilité raisonnable de refuge en Iran, soit dans un petit village du nord du pays où les demandeurs avaient vécu en sécurité pendant un an avant de quitter l"Iran.

[4]      Les deux demandeurs ont assisté à l"audience tenue par la formation de la SSR; ils étaient représentés par un avocat. M. Adeli a témoigné oralement quant au fond par l"entremise d"un interprète. La SSR a également mentionné les formulaires de renseignements personnels des demandeurs, renfermant un exposé essentiellement similaire, une trousse de renseignements de la SSR concernant l"Iran et une trousse de documents se rapportant aux événements du mois d"avril 1995 et à leurs répercussions.

[5]      Devant la SSR, M. Adeli a témoigné qu"il faisait partie d"un groupe de cinq individus dirigé par une personne qui s"appelait le docteur Kofi, qui se rencontraient régulièrement au sous-sol de l"immeuble où il habitait. Ils imprimaient des feuillets antigouvernementaux à l"aide d"une machine à copier appartenant à M. Adeli, que celui-ci gardait au sous-sol.

[6]      M. Adeli a allégué que les membres du groupe distribuaient ces feuillets dans différents quartiers. Il a allégué que cette activité était dangereuse et qu"elle était exercée d"une façon clandestine. Ces activités n"ont pas attiré l"attention des autorités même si elles ont duré dix ans, de 1985 à 1995.

[7]      Quatre familles logeaient dans l"immeuble où les feuillets étaient imprimés; au sous-sol, il y avait l"atelier où M. Adeli exploitait son entreprise d"électricien; on gardait également la machine à copier à cet endroit. Les quatre familles avaient des liens de parenté avec M. Adeli, mais elles avaient chacune leur propre logement, ayant chacun sa propre entrée. Il y avait également une entrée au sous-sol; seul M. Adeli y avait accès. M. Adeli a témoigné qu"aucun membre de sa famille n"était au courant des activités auxquelles il se livrait avec le groupe dirigé par le docteur Kofi.

[8]      Un événement crucial à l"égard de la revendication se rapporte au fait que M. Adeli a censément participé à une manifestation antigouvernementale le 4 avril 1995 à Akerabad. Je suppose qu"il n"est pas contesté que cette manifestation a eu lieu, qu"elle est devenue violente et que les autorités iraniennes ont tué un certain nombre de manifestants (on ne sait apparemment pas combien). Les autorités ont tenté d"effectuer des arrestations après la manifestation, et elles ont détenu certains membres des familles des individus qui, croyait-on, étaient responsables de la manifestation.

[9]      M. Adeli a témoigné avoir participé à la manifestation avec les autres membres du groupe à la demande du docteur Kofi. M. Adeli croyait que des fonctionnaires du gouvernement l"avaient reconnu dans la foule, ou qu"il avait été identifié à l"aide des hélicoptères qui avaient été utilisés pendant la manifestation et qu"il était donc recherché par la police. Il a témoigné qu"un membre de son groupe avait été tué pendant la manifestation. Il croyait également que le docteur Kofi avait été arrêté et qu"il avait peut-être été exécuté.

[10]      M. Adeli et sa conjointe se sont enfuis dans un village situé dans le nord de l"Iran où ils ont habité pendant environ un an. Lorsqu"ils ont eu suffisamment d"argent pour quitter l"Iran, on les a fait passer clandestinement en Turquie, puis au Canada. M. Adeli a dit que c"était la famille de sa conjointe qui s"était procuré les fonds nécessaires étant donné que ses biens avaient été confisqués par le gouvernement iranien.

[11]      M. Adeli a déclaré qu"environ un mois après son départ, sa mère et son frère avaient été arrêtés, ce qu"il attribue au fait qu"il était recherché par la police parce qu"il avait participé à la manifestation. Sa mère a été mise en liberté peu de temps après, mais son frère ne l"a pas été. M. Adeli croit que son frère était encore sous garde trois mois avant l"audience. Il a soutenu que son frère avait peut-être continué à être détenu parce que son père était un sympathisant de Toudeh avant la révolution de 1979. M. Adeli dit que sa mère a été amenée à la prison d"Evin et qu"on l"a autorisée à parler à son frère par téléphone, mais qu"on n"a pas voulu lui dire où celui-ci était gardé. Ces renseignements, au sujet de sa mère et de son frère, ont apparemment été transmis à M. Adeli par l"entremise d"un ami, en Iran. M. Adeli déclare qu"il n"a pas essayé de communiquer directement avec sa mère parce qu"il craignait que les conversations téléphoniques soient surveillées.

[12]      La formation de la SSR a jugé l"histoire de M. Adeli invraisemblable. L"avocat de M. Adeli a soutenu avec véhémence que la conclusion d"invraisemblance était déraisonnable et qu"elle ne pouvait pas être étayée par la preuve.

[13]      La formation a mentionné plusieurs aspects du témoignage de M. Adeli qu"elle jugeait invraisemblables. Voici, selon moi, les aspects les plus importants :

1.      le fait qu"une personne pouvait être membre d"un petit groupe politique actif pendant plus de dix ans sans être en mesure d"énoncer les buts et objectifs politiques du groupe, si ce n"est pour dire simplement qu"ils s"apparentent aux principes humanitaires et islamiques généraux;
2.      le fait que les membres de la famille de M. Adeli n"étaient pas au courant de l"existence du groupe, même s"ils vivaient à proximité;
3.      le fait que les autorités iraniennes auraient pu identifier M. Adeli au cours de la manifestation du mois d"avril 1995 de la façon décrite par celui-ci.

[14]      L"avocat des demandeurs a fortement insisté sur les éléments de preuve se rapportant à chacun des points susmentionnés ainsi que sur d"autres déclarations que la formation avait faites au sujet de la question de la vraisemblance.

[15]      Les critiques que le demandeur a formulées au sujet de certains aspects de la décision de la formation sont fondées. Ainsi, la formation a jugé invraisemblable le fait que le frère de M. Adeli, qui exploitait apparemment une entreprise similaire à celle de M. Adeli, ne soit pas établie dans le même atelier que celui de M. Adeli, mais elle n"explique pas pourquoi cela est invraisemblable.

[16]      À certains égards, la formation n"a pas fait de distinctions entre la preuve factuelle présentée par M. Adeli et certaines hypothèses que ce dernier a émises. Ainsi, le dossier montre que M. Adeli ne sait pas réellement pourquoi son frère a été détenu, mais qu"il suppose que cela a peut-être quelque chose à voir avec sa participation à la manifestation ou aux activités passées de son père. Le dossier montre également que M. Adeli a supposé, sans le savoir vraiment, que les autorités iraniennes l"avaient identifié parce qu"il avait participé à la manifestation du mois d"avril 1995. Je suis d"accord avec l"avocat des demandeurs pour dire que le fait que M. Adeli n"était pas réellement au courant de ces faits ne veut pas nécessairement dire qu"il n"est pas digne de foi. Toutefois, cela montre qu"il n"existait aucun élément de preuve sur ces points.

[17]      Enfin, je remarque une erreur factuelle flagrante dans les motifs de la décision; en effet, la formation dit que M. Adeli était le " présumé chef " de ce groupe. Or, M. Adeli a témoigné que c"était le docteur Kofi qui dirigeait le groupe. Toutefois, cette erreur ne peut pas logiquement avoir influé sur le résultat.

[18]      L"avocat des demandeurs a soutenu que si je conclus que les conclusions d"invraisemblance sont déraisonnables, je devrais infirmer la décision. Je ne suis pas d"accord. Il me semble que je dois tenir compte de la décision dans son ensemble par rapport à toute la preuve dont la formation disposait. Cette approche est conforme à l"obligation qui incombe aux demandeurs. Comme le juge Décary l"a dit dans l"arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire. Dans Giron [(1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)], la Cour n"a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d"une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron , à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d"un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l"être.                 

[19]      J"ai conclu qu"il n"était pas déraisonnable pour la formation de conclure, compte tenu de la preuve, que dans l"ensemble le témoignage de M. Adeli était invraisemblable. Par conséquent, les demandes que M. Adeli et Mme Rabbanian ont présentées doivent être rejetées.

[20]      Compte tenu de cette conclusion, je n"ai pas à faire de remarques au sujet de la question de la possibilité de refuge intérieur.

                                      " Karen R. Sharlow "

                                 ___________________________

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-841-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mohsen Adeli et autre c. MCI
    
LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 5 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Madame le juge Sharlow en date du 16 mars 1999

ONT COMPARU :

Isak Grushka      pour les demandeurs
Sally Thomas      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isak Grushka      pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


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