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     Date : 19981118

     Dossier : T-320-92

Entre :          CARL LENHARDT,

     demandeur,

ET :              SA MAJESTÉ LA REINE,
             REPRÉSENTÉE PAR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.

     J U G E M E N T

LE JUGE DENAULT

     L'action est rejetée avec dépens.

                             Pierre Denault

                    

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19981118

     Dossier : T-320-92

Entre :          CARL LENHARDT,

     demandeur,

ET :              SA MAJESTÉ LA REINE,
             REPRÉSENTÉE PAR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DENAULT

[1]      Le demandeur réclame à la défenderesse une somme de 50 000 000 $ à titre de rémunération pour son travail d'agent double dans une affaire de drogue qu'il aurait effectué sur l'ordre et au profit de la GRC. Le demandeur réclame également 179 000 $ de frais divers qu'il a engagés dans l'accomplissement de son travail.

[2]      Bien que la GRC reconnaisse que le demandeur, en sa qualité d'indicateur, ait à l'occasion fourni des renseignements ayant trait à des opérations de contrebande, elle nie avoir conclu avec lui un contrat aux conditions qu'il allègue. Elle soutient de plus que, conformément à la politique de la GRC ayant trait à la rémunération des indicateurs, le demandeur a été dûment et équitablement rémunéré pour les renseignements qu'il a fournis, lorsque ces renseignements ont été considérés comme des renseignements valables et qu'ils ont ultimement mené à la saisie de stupéfiants et à une arrestation.

[3]      La déclaration a été déposée en 1992. À cette époque, le demandeur était représenté par un avocat. Beaucoup de choses se sont passées dans cette affaire au fil des ans, et ont finalement mené à la production d'une troisième déclaration modifiée. Le juge McKeown, dans une ordonnance en date du 28 septembre 1993, a radié de nombreux paragraphes de cette troisième déclaration modifiée. Un interrogatoire préalable a été tenu et des affidavits de nombreux documents ont été déposés. En mars 1997, le demandeur, ayant choisi de se représenter lui-même, n'était plus représenté par son avocat. Le procès a été particulièrement difficile, du fait que le demandeur ne connaissait pas bien les différentes étapes de l'instruction, les règles de preuve et les règles de la Cour fédérale.

[4]      Le demandeur a d'abord travaillé comme indicateur de la GRC de 1975 à 1978 et de nouveau de la fin 1984 jusqu'au début de 1989. Au début, le demandeur a offert de recueillir des renseignements pour le compte de la GRC. La GRC a cru qu'en raison de ses origines tchécoslovaques, le demandeur pourrait se mêler aux " cibles ", c'est-à-dire infiltrer un groupe de contrebandiers tchécoslovaques rattachés à un réseau international et responsables en grande partie du trafic de stupéfiants à Vancouver dans les années 1970. À cette fin, il a rencontré des représentants de la GRC, qui l'ont informé du mode de rémunération et il a commencé à infiltrer le monde interlope tchécoslovaque. Pendant plusieurs mois, il a recueilli des renseignements qu'il a transmis à la GRC. Graduellement, il s'est intéressé davantage aux stupéfiants et, ayant décidé de faire de plus grosses affaires, il a communiqué avec la GRC à de nombreuses reprises pour discuter de la possibilité d'augmenter sa rémunération. La GRC lui a expliqué qu'il était possible d'augmenter sa rémunération si les renseignements fournis menaient à plusieurs saisies et à plusieurs arrestations, et s'il acceptait de témoigner au sujet de l'opération d'infiltration. En juin 1978, la GRC a cessé d'avoir recours aux services du demandeur, après qu'il eut proféré des menaces de mort contre certains de ses membres. Néanmoins, la GRC a de nouveau retenu ses services et l'a pleinement rémunéré pour les renseignements qu'il a fournis entre 1984 et 1989.

[5]      Essentiellement, le demandeur prétend qu'entre 1975 et 1977 la GRC s'était engagée à lui payer 30 000 $ le kilo de stupéfiants saisis par suite de son travail d'indicateur. Il soutient de plus que de 1977 à 1978, il devait recevoir une compensation pécuniaire équivalant à cinq pour cent (5 %) de la valeur marchande des drogues saisies grâce à son travail d'indicateur.

[6]      En droit, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui présente la réclamation, que cette réclamation soit fondée sur le droit contractuel ou sur le droit délictuel. Si une réclamation est faite en vertu du droit contractuel, le demandeur doit établir l'existence d'un document ou d'une convention qui démontre, entre autres choses, que les parties étaient d'accord, qu'il y avait un accord de volontés relativement au sujet du contrat. Si une réclamation est présentée en droit délictuel, le demandeur doit établir les éléments de négligence découlant de l'acte ou de l'omission allégué.

[7]      Le demandeur n'a fourni en preuve que son témoignage et une série de documents manuscrits qu'il a demandé à déposer en liasse à la fin de son témoignage. Au cours de celui-ci, le demandeur a méthodiquement traité du contenu des 109 paragraphes de sa déclaration, concernant la nature et le sujet de ses rencontres avec les représentants de la GRC, y compris des opérations auxquelles il a participées et des engagements ou des ententes qui auraient résulté de ces réunions. Au cours de son témoignage, le demandeur a principalement mis l'accent sur la rémunération qui, à son avis, lui était due pour son travail passé.

[8]      Sur la liasse de documents manuscrits et de cassettes audio que le demandeur a cherché à déposer en preuve, et au sujet desquels la Cour a réservé son jugement sur la question de l'admissibilité, très peu sont admissibles. Ceux qui le sont ne semblent pas favoriser le demandeur1. Pour la plupart, les documents enliassés se composent de déclarations faites par le demandeur (pièces 1 à 4), d'un calendrier des événements (pièce 5) et des " événements ciblés - valeur des saisies " (pièces 11 et 12), qui sont tous des notes et des impressions personnelles qui, de l'aveu même du demandeur, ont été préparées en vue du présent litige. Ces documents sont tous inadmissibles. Le demandeur n'a manifestement pas compris qu'au cours d'un procès les faits sont déposés en preuve au moyen de témoignages donnés par plusieurs témoins et non pas par la production d'une multitude de notes personnelles. Le demandeur a en fait déclaré, au procès, qu'il avait prévu d'appeler des témoins, mais qu'il n'avait pu le faire parce que ceux-ci n'étaient pas disponibles. Il a expliqué que son " témoin superstar est devenu fou " et qu'un autre a succombé à une crise cardiaque.

[9]      Quant aux cassettes audio (pièces 20, 22, 23 et quatre autres bandes) dont aucune n'est un original, du propre aveu du demandeur, elles ne sont ni pertinentes ni admissibles parce qu'elles renvoient à des réunions qui ont eu lieu en 1990, c'est-à-dire à une période qui n'est pas visée par la réclamation. Même si les cassettes audio avaient eu trait à des réunions qui auraient eu lieu dans la période de 1975 à 1978 et ou de 1984 à 1989, le demandeur aurait dû appeler à la barre les personnes qu'on entend sur les cassettes afin de vérifier et de valider l'exactitude des renseignements qu'elles contiennent.

[10]      De plus, la série de documents identifiés par le demandeur comme étant la " chronologie " (pièces 1 à 21) sont, à l'exception des pièces 3, 6 et 11 qui ont été produites et examinées au cours de l'interrogatoire préalable, inadmissibles en preuve, étant donné que ce sont des écrits personnels. Le même raisonnement s'applique à deux importantes liasses de documents que le demandeur désigne comme étant les pièces 182 et 193.

[11]      Deux représentants de la GRC à la retraite, MM. Wilkes et Stovern, sont venus témoigner. Ils ont tous deux fait partie de l'unité des stupéfiants de la GRC à Vancouver aux périodes pertinentes et il ont tous deux ont des contacts avec le demandeur au milieu des années 1970. Ces témoins ont expliqué quels étaient les moyens et les méthodes utilisés par la GRC relativement à l'utilisation des indicateurs, en mettant l'accent sur les politiques de la GRC et les restrictions qui s'appliquaient à la rémunération. Les deux témoins ont nié avec force avoir jamais accepté ou s'être engagé à accepter de rémunérer les indicateurs sur la base soit de 30 000 $ le kilo de stupéfiants saisis ou de 5 % de la valeur marchande des stupéfiants. Bien qu'ils aient tous deux reconnu que la GRC avait pour politique et pratique de payer les " dépenses raisonnables " des indicateurs (par exemple l'essence, les fonds nécessaires pour rencontrer les " cibles " dans les bars, etc.), ils ont déclaré que, d'après la politique en vigueur, les indicateurs n'étaient rémunérés qu'après une saisie et une arrestation. Même quand ces critères étaient respectés, la valeur réelle de la rémunération d'un indicateur était tout à fait discrétionnaire ; la GRC rémunérait les indicateurs en se basant uniquement sur la valeur des renseignements fournis ; elle ne s'appuyait pas sur des formules prédéterminées pour calculer le montant qui devait leur être versé.

[12]      MM. Wilkes et Stovern ont tous deux reconnu avoir eu recours aux services du demandeur comme indicateur entre 1975 et 1978. Dans les premières années, le demandeur a touché une allocation mensuelle d'environ 200 $ sur une période de quelques mois. En 1977-1978, le demandeur a participé à une opération pour laquelle la GRC lui a versé 2 500 $. Le 12 juin 1978, la GRC a cessé d'avoir recours aux services du demandeur après qu'il eut fait des menaces contre certains de ses membres. Malgré cela, la GRC a de nouveau utilisé les services du demandeur de 1984 à 1989 dans le cadre des opérations " Checkmate " et " My way " pour lesquels il a touché 44 000 $ et 31 000 $ respectivement4.

[13]      La crédibilité du demandeur est un facteur crucial en l'espèce. Je suis d'avis que le demandeur, en tant que témoin, manque de crédibilité. Il a expliqué l'absence d'un contrat écrit en insistant sur le fait que la GRC a refusé de lui permettre de signer un tel contrat parce qu'il n'était pas citoyen canadien. Toutefois, il déclare ailleurs qu'il a peut-être signé un contrat en mai. Son témoignage est truffé d'autres contradictions et incohérences flagrantes. À l'interrogatoire préalable, par exemple, il a déclaré qu'on s'était entendu sur le pourcentage de 5 % en 1977 et que ce pourcentage devait s'appliquer aux opérations futures. Au procès, toutefois, il a déclaré avec insistance que le pourcentage de 5 % devait s'appliquer aux saisies de stupéfiants passées, présentes et à venir5. De plus, au procès, le pourcentage de 5 % est mystérieusement et arbitrairement passé à 10 %, manifestement [TRADUCTION] " parce qu'elle [la GRC] ne m'a pas traité équitablement ".

[14]      En outre, la propension du demandeur à faire des déclarations fausses et à décocher des flèches gratuites n'améliore guère sa crédibilité. Il soutient notamment que chacun de ses avocats a d'une façon ou d'une autre compromis ses intérêts parce qu'ils se préoccupaient trop du paiement de leurs honoraires ; que la GRC a joué un rôle dans le décès du juge Sopinka ; que l'ordonnance du juge McKeown radiant de nombreux paragraphes de sa troisième déclaration modifiée a été modifiée par le juge McGillis, ce qui est une erreur de fait flagrante ; que les paragraphes radiés ont été réintégrés par l'avocat de la défense à l'interrogatoire préalable ; que le juge en chef Lamer a réintégré les paragraphes radiés par le juge McKeown ; et que les contradictions qui ressortent entre les réponses que le demandeur a fournies au procès et celles qu'il a données à l'interrogatoire préalable ont été falsifiées par le sténographe judiciaire au cours de l'interrogatoire préalable.

[15]      En outre, le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait : il n'a pas établi, d'après la prépondérance des probabilités, que la défenderesse et lui-même avaient conclu une convention en vertu de laquelle il aurait eu droit à une rémunération au-delà de celle qu'il a déjà reçue. Il n'a pas non plus établi que la GRC a commis un acte ou une omission équivalant à de la négligence dans le traitement qu'elle lui a réservé.

[16]      Par conséquent, l'action est rejetée avec dépens.

                             Pierre Denault

                    

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-320-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CARL LENHARDT c.
                     SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :      LES 2 et 3 NOVEMBRE 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE DENAULT

DATE :                  LE 18 NOVEMBRE 1998

ONT COMPARU :

CARL LENHARDT                  EN SON PROPRE NOM

ARNOLD FRADKIN              POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

CARL LENHARDT                  EN SON PROPRE NOM

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG              POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

1      Les pièces 6, 7, 8 et 9 sont composées de reçus et d'accusés de réception ayant trait aux sommes d'argent que la GRC a versées au demandeur.

2      Il s'agit d'une liasse de 73 pages intitulée " The RCMP Representatives Wrongdoing. My Evidence! " (Les erreurs des représentants de la GRC. Ma preuve !)

3      Elle se compose de trois liasses de 12, 31 et 86 pages, respectivement intitulées " Savage Parody 1991-1994 " (Cruelle parodie - 1991-1994), " Savage Parody 1995 " (Cruelle parodie - 1995), et " Savage Parody 1996 " (Cruelle parodie - 1996).

4      Les pièces 6, 7, 8 et 9 sont des reçus et des accusés de réception associés à ces opérations.

5      Voir la question 1781 de l'interrogatoire préalable, à la page 281, et le paragraphe 65 de la troisième déclaration modifiée.

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