Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210419


Dossier : T-1529-19

Référence : 2021 CF 339

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le demandeur travaille comme agent principal des programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) au sein de l’Unité d’examen des cas, à la Division des opérations d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs et de la gestion des cas. En janvier 2019, il a déposé une plainte de harcèlement au travail contre deux hauts responsables des relations de travail de l’ASFC. En avril 2019, le vice-président (Direction générale du renseignement et de l’exécution de la loi) de l’ASFC a décidé que la plainte ne ferait pas l’objet d’une enquête au motif que le comportement reproché ne constituait pas du harcèlement au sens de la définition énoncée dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement en milieu de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor. Le demandeur a présenté un grief relativement à cette décision. Dans une décision portant la date du 12 septembre 2019, la vice-présidente de l’ASFC (Direction générale des ressources humaines) a rejeté le grief. Le demandeur, qui n’est pas représenté par avocat, sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Il prétend que la décision doit être annulée parce qu’elle est déraisonnable et que les exigences liées à l’équité procédurale n’ont pas été respectées.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne suis pas de cet avis. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II. LE CONTEXTE

[3] Les événements à l’origine de la présente demande débutent au printemps 2018, époque où a eu lieu la conduite visée par la plainte de harcèlement, pour se terminer en septembre 2019, avec le rejet du grief déposé par le demandeur. Bien que les politiques et procédures destinées à protéger les fonctionnaires fédéraux contre le harcèlement au travail et régissant le processus de résolution des cas de harcèlement aient été modifiées depuis, elles sont demeurées en vigueur durant toute la période à laquelle se rapport la demande de contrôle judiciaire. Ces politiques et procédures sont énoncées dans trois documents précis : la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement (entrée en vigueur le 1er octobre 2012), précitée (la Politique), la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement (entrée en vigueur le 1er octobre 2012) (la Directive) et le Guide d’application du processus de résolution du harcèlement (en date du 31 décembre 2012) (le Guide). Ces instruments font partie d’un certain nombre de mesures importantes permettant la réalisation des objectifs plus généraux cités au Code de valeurs et d’éthique du secteur public (en date du 15 décembre 2011) (le Code), en faisant notamment en sorte que les fonctionnaires se conduisent conformément aux valeurs énoncées au Code que sont le respect de la démocratie, le respect envers les personnes, l’intégrité, l’intendance et l’excellence, et qu’ils soient traités par leur organisation selon ces valeurs.

A. La définition du harcèlement

[4] La Politique définit comme suit le harcèlement (harassment) :

Comportement inopportun et offensant d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents, mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

[5] La Directive reprend cette même définition.

[6] Le Guide, quant à lui, passe en revue les éléments de la définition afin d’aider les décideurs à établir si une plainte de harcèlement est recevable : autrement dit, si le comportement en cause correspond à la définition du harcèlement. Ainsi, selon le Guide :

Une plainte est jugée recevable si les éléments de la définition qui suivent sont présents :

la partie mise en cause a fait preuve de comportement inopportun et injurieux potentiel;

le comportement visait directement la partie plaignante;

la partie plaignante a été offensée ou victime de préjudice;

la partie mise en cause savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pouvait offenser ou causer préjudice;

le comportement est intervenu en milieu de travail ou en un lieu ou lors d’une activité concernant le travail [...].

[7] Par ailleurs, concernant la distinction que la définition établit entre comportement répété et événement isolé, le Guide dit ceci :

Il est important d’examiner la gravité et le caractère inopportun du comportement (acte, propos ou exhibition) selon les circonstances et le contexte particuliers à chaque situation. En somme, la définition de harcèlement suppose qu’il faut plus d’un acte ou d’un événement pour qu’il y ait du harcèlement et que, à lui seul, l’acte ou l’événement en question ne constitue pas nécessairement du harcèlement. C’est l’aspect répétitif qui engendre du harcèlement. En d’autres termes, le harcèlement en milieu de travail consiste en des comportements répétés et persistants envers une personne qui tourmentent, diminuent ou frustrent cette personne ou cherchent à provoquer chez elle une réaction. C’est un comportement persistant qui effraie, intimide ou handicape une autre personne ou qui crée chez elle une pression. Chaque comportement, pris seul, peut sembler inoffensif, mais c’est le caractère synergétique et répétitif du comportement qui entraîne des effets néfastes.

Il convient de signaler qu’un incident unique peut constituer du harcèlement lorsqu’il a été prouvé qu’il est grave et qu’il a une incidence importante et durable sur la partie plaignante.

[8] Enfin, le Guide donne des exemples de comportements qui ne constituent pas du harcèlement, d’autres qui peuvent constituer du harcèlement et d’autres exemples qui constituent du harcèlement : voir l’annexe A du Guide. En plus de venir en aide aux responsables de la gestion des plaintes de harcèlement, ces exemples peuvent servir de référence aux fonctionnaires fédéraux qui se demandent si l’expérience qu’ils ont vécue au travail est susceptible d’être considérée comme du harcèlement.

B. Le processus de traitement des plaintes de harcèlement

[9] La Directive qui était en vigueur au moment où le demandeur a déposé sa plainte établissait les exigences minimales du processus de traitement des plaintes de harcèlement et énonçait « les résultats attendus afin d’assurer la résolution rapide et efficace des plaintes de harcèlement » (voir le paragraphe 5.1). Pour y parvenir, les responsables désignés devaient suivre les cinq étapes exposées dans la Directive :

6.1 Les responsables désignés s’acquittent des responsabilités suivantes :

6.1.1 S’assurer que le processus de traitement des plaintes de harcèlement se déroule sans délai; qu’il respecte le concept d’équité procédurale à l’égard du plaignant, de la partie en cause et de toute autre partie concernée; et qu’il comprenne les cinq étapes suivantes :

Étape 1 – Accuser réception de la plainte tout en s’assurant que :

Les employés comprennent que si une plainte sur la même question est ou a déjà été traitée en faisant appel à un autre mécanisme de recours, le processus de plainte sera interrompu et le dossier sera clos.

La plainte écrite est déposée dans les 12 mois suivant le dernier incident ou l’acte présumé de harcèlement (à moins qu’il n’y ait des circonstances atténuantes).

Les parties concernées sont informées sur les options relatives à la résolution informelle dès le début et tout au long du processus.

. . .

Étape 2 – Étudier la plainte pour déterminer si les allégations correspondent à la définition de harcèlement figurant dans la présente directive (se reporter à l’annexe A). La partie en cause doit être avisée du dépôt de la plainte, qu’elle soit admise ou non.

Étape 3 – Explorer diverses options pour la résolution de la plainte tout en veillant à examiner avec soin le processus de résolution informel afin de déterminer s’il peut aider les parties à régler la situation. S’il y a enquête, la personne menant l’enquête possède les compétences voulues et respecte le concept d’équité procédural.

Étape 4 – Prononcer une décision et communiquer la décision par écrit aux parties en leur indiquant si les allégations étaient fondées ou non.

Étape 5 – Rétablir le bien-être en milieu de travail en s’assurant que :

le gestionnaire de l’unité de travail, en consultation avec les praticiens de la résolution informelle des conflits et toute autre ressource ministérielle pertinente, réponde aux besoins des parties concernées et de l’unité de travail pendant le processus de traitement de la plainte et donne suite à tout effet nuisible découlant des incidents de harcèlement; et

le gestionnaire de l’unité de travail prenne rapidement des mesures correctives ou disciplinaires, s’il y a lieu, y compris des mesures concernant les représailles ou le risque de représailles.

[...]

Pour de plus amples renseignements sur l’application des étapes du processus de traitement des plaintes, veuillez consulter le Guide d’application du processus de résolution du harcèlement.

[Appels de notes et notes de bas de page omis.]

[10] Comme le précise le paragraphe précédent, le Guide donne plus de détails sur ce que comportent ces cinq étapes. En particulier, il précise ce qui suit au sujet de l’étape 2 :

Si la personne responsable de gérer le processus de traitement des plaintes détermine que les allégations sont frivoles ou ne sont pas conformes à la définition de harcèlement, elle informe la partie plaignante que la plainte ne peut être acceptée et lui communique les raisons de sa décision.

C. La plainte de harcèlement du demandeur

[11] Le demandeur a déposé sa plainte de harcèlement le 31 janvier 2019 dans un courriel adressé à Jacques Cloutier, vice-président de la Direction générale des opérations de l’ASFC. La plainte portait sur la conduite de deux hauts responsables des relations du travail de l’ASFC. Le premier était le directeur général des relations de travail et de la rémunération (le directeur général). L’autre était gestionnaire par intérim des relations de travail (la gestionnaire). Au début de la période pertinente, la gestionnaire occupait le poste de conseillère en relations de travail à la Division des relations de travail opérationnel et des recours en RH de l’ASFC. Dans leurs fonctions respectives, le directeur général et la gestionnaire avaient tous deux eu à traiter des plaintes et des griefs que le demandeur avait déposés par le passé.

[12] Dans sa plainte de harcèlement de janvier 2019, le demandeur a exposé les épisodes précis lors desquels le directeur général et la gestionnaire s’étaient conduits d’une manière qui, selon lui, constituaient du harcèlement.

[13] En premier lieu, au printemps de 2018, au moins quatre des griefs que le demandeur avait déposés relativement à des problèmes dans son milieu de travail n’avaient pas été réglés. Dans un courriel adressé au directeur général le 4 avril 2018, la gestionnaire (qui occupait toujours, à l’époque, le poste de conseillère en relations de travail) a résumé l’historique et l’état des quatre griefs. Puis, elle a ajouté quelques observations supplémentaires au sujet du demandeur, expliquant notamment qu’il [traduction] « remet souvent en question les décisions de la direction, allant jusqu’à frôler l’insubordination ».

[14] Le demandeur ne faisait pas partie des destinataires de ce courriel. Il semble en avoir obtenu copie en présentant une demande de renseignements en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21.

[15] Dans sa plainte de harcèlement, le demandeur allègue que la gestionnaire avait eu des propos diffamatoires à son endroit en déclarant qu’il [TRADUCTION] « remet souvent en question les décisions de la direction, allant jusqu’à frôler l’insubordination ». Il soutient que ces propos, qu’ils soient pris isolément ou dans le contexte du courriel du 4 avril 2018, constituent des [TRADUCTION] « accusations sans fondement visant à détruire sa réputation » et qu’il s’agissait par conséquent de harcèlement. (L’annexe A du Guide cite les « commentaires détruisant la réputation d’une personne », les « insinuations répétées » et les « accusations sans fondement » au nombre des exemples de comportement qui constituent en général du harcèlement.)

[16] Le demandeur a dit ignorer si le directeur général avait répondu à ce courriel. Cet épisode est à l’origine du deuxième volet de sa plainte de harcèlement, dans laquelle le demandeur allègue que [TRADUCTION] « l’acceptation [par le directeur général] du courriel diffamatoire, sans aucune indication qu’il ait remis en question l’information qui lui était présentée, et son défaut de se récuser de sa charge de décideur relativement aux griefs [du demandeur] » constituaient du harcèlement.

[17] Le troisième volet de la plainte de harcèlement se rapporte à une lettre datée du 17 avril 2018 que M. Cloutier a adressée au demandeur. (Comme je le signale plus haut, le demandeur a présenté la plainte de harcèlement en cause ici à M. Cloutier; par ailleurs, comme nous le verrons plus loin, c’est M. Cloutier qui s’est chargé du traitement de la plainte en première instance.)

[18] La lettre du 17 avril 2018 concernait une plainte antérieure que le demandeur avait déposée au sujet d’un problème dans son lieu de travail. Dans les passages essentiels de cette lettre, on peut lire ce qui suit (mise en évidence dans l’original) :

[traduction]

Je vous écris pour donner suite aux allégations de harcèlement que vous avez soulevées lors de la consultation relative au grief qui s’est déroulée le 28 décembre 2017 et dans le courriel que vous avez envoyé à votre directeur le 6 avril 2018, allégations qui visent votre équipe de gestion actuelle ainsi que la précédente. En tant que gestionnaire délégué, lorsque je suis saisi des allégations de harcèlement, je dois procéder à leur examen afin d’établir si ce qu’elles évoquent correspond bien à la définition de harcèlement figurant dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement (la Politique) du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Vous trouverez ci-joint une copie de la Politique.

[...]

Je tiens à vous assurer que toutes les allégations de harcèlement sont considérées avec le plus grand sérieux. Afin d’examiner votre plainte conformément à la Politique, j’aurai besoin de plus de détails pour déterminer si vos allégations relèvent du harcèlement selon la définition de la Politique. Pour chaque partie en cause, veuillez indiquer quelles sont les allégations pertinentes et donner les précisions suivantes :

1) date et auteur de l’incident;

2) détails au sujet de l’incident;

3) tout autre renseignement pertinent.

Veuillez fournir ces renseignements au plus tard le 30 avril 2018. Vous pouvez les transmettre par courriel à [. . .], conseillère en relations de travail, à l’adresse suivante [. . .].

Sachez que si vous décidez de ne pas fournir de renseignements supplémentaires d’ici au 30 avril 2018, je devrai prendre une décision en me basant sur l’information à ma disposition.

. . .

[19] Une copie conforme de la lettre de M. Cloutier a été envoyée à la gestionnaire (à l’époque, celle-ci occupait toujours le poste de conseillère en relations de travail et était, selon l’auteur de la lettre, la personne-ressource que le demandeur devait contacter relativement à cette autre plainte). Le demandeur a allégué que c’était la gestionnaire qui avait écrit la lettre et avait demandé qu’on la lui envoie. Sa plainte de harcèlement visait donc la gestionnaire plutôt que M. Cloutier. Le demandeur soutient que la lettre constitue du harcèlement parce qu’elle présente les préoccupations qu’il avait soulevées précédemment comme une plainte de harcèlement, qu’elle lui impose un délai de réponse trop court et qu’elle lui adresse un [TRADUCTION] « ultimatum » – voire une « menace » (s’il ne reçoit pas les renseignements supplémentaires avant l’échéance, M. Cloutier rendra une décision basée sur l’information dont il dispose, décision dont on peut supposer qu’elle sera défavorable). Le demandeur affirme que la lettre l’a [TRADUCTION] « grandement offensé et [lui a causé] un grand désarroi ».

[20] Quatrièmement, le demandeur prétend que cet aspect du harcèlement allégué de la gestionnaire à son endroit s’est poursuivi et qu’il a été exacerbé par l’ébauche, en date du 11 juin 2018, d’un courriel de suivi traitant du même sujet que la lettre du 17 avril 2018. Dans ce courriel, la gestionnaire laissait entendre que quatre jours devraient être accordés au demandeur pour produire l’information qui lui était demandée. Ce courriel n’a jamais été envoyé au demandeur. (Le demandeur aurait aussi obtenu copie de cette ébauche de courriel en présentant une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.)

[21] Enfin, le demandeur allègue que la gestionnaire, qui depuis a été nommée gestionnaire par intérim des relations de travail, [TRADUCTION] « a toléré que ses subordonnés donnent aux gestionnaires [du demandeur], concernant [ses] dossiers ultérieurs de relations de travail, des conseils inopportuns, injustes et irrespectueux, qui [l’ont] grandement offensé et [lui] ont causé préjudice ». Le demandeur a cité deux exemples qui, selon lui, le démontrent. Le premier exemple est celui d’une réponse donnée au premier palier de la procédure de règlement des griefs et signée le 26 septembre 2018 par Jacqueline Frood (gestionnaire par intérim, Programme d’exécution de la loi des bureaux intérieurs, Opérations et gestion des cas). La réponse informe le demandeur que son grief portant sur le traitement des griefs qu’il avait déposé antérieurement était rejeté. Le demandeur soutient que la décision était illogique, qu’elle témoigne d’un manque d’égard envers sa personne et ses observations, qu’elle l’avait [TRADUCTION] « grandement offensé » et qu’elle avait eu des [traduction] « répercussions négatives » sur sa santé physique et mentale.

[22] Le deuxième exemple concerne un courriel que Mme Frood a adressé au demandeur le 23 mai 2018 pour lui signifier le refus de lui avancer les 162,45 heures de congés de maladie qu’il avait demandées. Le demandeur a allégué que cette décision était contraire aux politiques et pratiques en vigueur et que les motifs de refus invoqués étaient un simple prétexte.

[23] Selon lui, il existe un lien entre ces communications et la gestionnaire, car il avait reçu confirmation de ses propres gestionnaires (dont Mme Frood, selon toute vraisemblance) qu’ils avaient demandé des conseils à la Division des relations de travail concernant les griefs qu’il avait présentés; il s’ensuit, affirme-t-il, que le contenu de ces communications est le fait de la gestionnaire.

[24] M. Cloutier a accusé réception de la plainte de la plainte de harcèlement du 31 janvier 2019 dans une lettre non datée adressée au demandeur. Il y décrivait aussi dans les grandes lignes la procédure selon laquelle elle sera traitée. Il ajoutait que, dès qu’il aurait eu la possibilité d’examiner toutes les allégations, il communiquerait au demandeur sa décision sur la question de savoir si ces allégations correspondaient à la définition du harcèlement figurant dans la Politique et lui ferait savoir s’il comptait procéder à une enquête sur l’ensemble ou une partie d’entre elles. M. Cloutier a aussi fait le commentaire suivant : [TRADUCTION] « Compte tenu des préoccupations que vous soulevez dans la plainte de harcèlement que vous avez déposée contre [le directeur général] et dans le but d’instaurer un climat de coopération qui, nous l’espérons, permettra de résoudre la situation, Jacqueline Rigg, vice-présidente, Direction générale des ressources humaines, a accepté d’encadrer le traitement de ce dossier par le Centre national d’expertise sur l’intégrité. » Enfin, M. Cloutier informait le demandeur que la coordinatrice dans ce dossier serait Mme Camille Cloutier-McNicoll, conseillère en prévention et résolution du harcèlement. Il invitait le demandeur à prendre contact directement avec cette dernière s’il avait besoin de plus amples renseignements ou d’éclaircissements. (Le dossier de la Cour indique que Mme Cloutier-McNicoll travaillait au Centre national d’expertise sur l’intégrité, un service de la Direction des relations de travail et de la rémunération de l’ASFC, dont le mandat consiste notamment à résoudre les plaintes de harcèlement en milieu de travail.)

D. La décision rendue sur la plainte de harcèlement

[25] Dans une lettre datée du 25 avril 2019, M. Cloutier a informé le demandeur que sa plainte de harcèlement ne ferait pas l’objet d’une enquête plus poussée. La teneur de sa décision y est exposée en ces termes :

[traduction]

Pour faire suite à ma lettre du 21 janvier 2019 dans laquelle j’accusais réception de la plainte de harcèlement que vous avez déposée contre [le directeur général et la gestionnaire], je vous écris pour vous informer que j’ai examiné les allégations que vous m’avez soumises et j’en suis venu à la conclusion qu’elles ne tombaient pas sous le coup de la définition du harcèlement au sens de la Politique. Par conséquent, votre plainte ne fera pas l’objet d’une enquête plus poussée.

(Je note au passage que la date du 21 janvier 2019 est vraisemblablement une erreur typographique, étant donné que le demandeur a déposé sa plainte de harcèlement le 31 janvier 2019.)

[26] Le 2 mai 2019, le demandeur a pris contact avec Mme Cloutier-McNicoll par courriel. Dans ce courriel, il indique avoir reçu la décision rendue par M. Cloutier sur sa plainte de harcèlement et il relève que [TRADUCTION] « la décision ne précise pas quelle est la partie de la définition du harcèlement que les allégations ne respectent pas ». Il prie Mme Cloutier-McNicoll de lui dire s’il [traduction] « est possible d’avoir plus de détails concernant la décision ». Il n’a pas obtenu de réponse à ce courriel.

E. Le grief du demandeur

[27] Le demandeur a contesté par voie de grief la décision de M. Cloutier en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 (la LRTSPF). Cet article prévoit ce qui suit :

Présentation

Presentation

Droit du fonctionnaire

Right of employee

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

[28] L’article 209 de la LRTSPF prévoit que certains types de griefs peuvent être renvoyés à l’arbitrage; toutefois, le grief du demandeur ne répondait pas aux conditions prévues dans cette disposition. De plus, les parties ont convenu que les griefs seraient portés directement au dernier palier, conformément à ce qui est prévu par la convention collective. Par application de l’article 214 de la LRTSPF, la décision rendue sur le grief du demandeur est donc « définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause », sous réserve uniquement d’un contrôle judiciaire.

[29] Le défendeur soutient que le décideur saisi du grief du demandeur devait rendre une nouvelle décision sur les questions soulevées dans le grief et qu’il n’y avait pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de M. Cloutier. Il ne conteste pas cette description du rôle du décideur qui statue sur un grief sous le régime de l’article 208 de la LRTSPF.

[30] Lors de l’instruction de son grief, le demandeur n’était pas représenté et a assuré lui-même sa présentation. Son interlocutrice était Isabelle Guay, conseillère principale en relations de travail à la Division des relations de travail et des recours en RH de l’ASFC.

[31] Le demandeur a énoncé les moyens sur lesquels était fondé son grief à quatre occasions.

[32] Premièrement, dans la formule qu’il a remplie le 7 mai 2019 pour lancer la procédure de règlement du grief, le demandeur a déclaré que la décision de M. Cloutier de ne pas faire enquête sur la plainte de harcèlement avait été prise [traduction] « d’une manière qui n’est pas conforme aux exigences de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et aux dispositions des instruments connexes ». Le demandeur a aussi affirmé que la décision ne témoigne pas, à son égard, [TRADUCTION] « des valeurs de “respect de la démocratie” et de “respect envers les personnes” ni des comportements qu’elles commandent l’une et l’autre, comme le prescrit le Code de valeurs et d’éthique du secteur public ». Le demandeur a aussi reproché à son employeur de n’avoir pas respecté les exigences du Code en ne le traitant pas d’une manière conforme aux valeurs du secteur public et en [TRADUCTION] « ne faisant pas le nécessaire pour intégrer ces valeurs, et les comportements qui devraient en découler » à la décision prise relativement à la plainte de harcèlement et au processus suivi pour le règlement de cette plainte. À titre de réparation, le demandeur demandait que le grief soit accueilli, que la décision de M. Cloutier soit infirmée et que la plainte de harcèlement soit confiée à un enquêteur indépendant et impartial. Le demandeur demandait aussi à [TRADUCTION] « être remis dans sa situation antérieure et à se voir accorder toute autre réparation que le décideur estimera juste ».

[33] Deuxièmement, le 14 mai 2019, le demandeur a présenté des observations écrites à l’appui de son grief dans un courriel adressé à Mme Guay. Dans ces observations, il soulevait les quatre points suivants :

  • a) Le demandeur s’est renseigné à deux reprises à propos de l’état de sa plainte de harcèlement (dans un premier courriel, le 12 avril 2019 et dans un deuxième, le 23 avril 2019), mais il n’a pas reçu de réponse à ses demandes. Cela constituait un manquement à l’exigence prévue (dans les textes applicables et, de manière implicite, dans le Code) en matière de traitement des plaintes de harcèlement, selon laquelle le demandeur a le droit d’être informé en temps utile de l’état de sa plainte.

  • b) En ce qui concerne l’étape 2 du processus d’examen d’une plainte de harcèlement, le Guide énonce que si le décideur conclut que les allégations s’inscrivent dans le cadre de la définition du harcèlement, il doit informer le plaignant que la plainte ne peut être acceptée et lui communique « les raisons » de la décision. Contrairement à ce qui était exigé, M. Cloutier n’a pas expliqué pourquoi il avait décidé que le comportement dont se plaignait le demandeur n’était pas visé par la définition du harcèlement.

  • c) M. Cloutier était en conflit d’intérêts, parce que la plainte de harcèlement visait notamment une lettre (celle du17 avril 2018) qu’il avait lui-même signée. Aux dires du demandeur, en concluant que le comportement en cause ne relevait pas de la définition du harcèlement, M. Cloutier avait [TRADUCTION] « dans les faits décidé qu’il n’avait pas personnellement toléré/facilité le harcèlement. »

  • d) Les employés du Centre national d’expertise sur l’intégrité qui avaient conseillé M. Cloutier relativement à la plainte de harcèlement étaient eux aussi en conflit d’intérêts, parce qu’ils étaient des « subordonnés » du directeur général, lequel était l’une des parties nommées dans la plainte. De l’avis du demandeur, aucune personne raisonnable ne conclurait que ces employés sont en mesure de donner un avis impartial quant à la question de savoir si les allégations visant leur [TRADUCTION] « supérieur » satisfont à la définition du harcèlement.

[34] Troisièmement, le 15 mai 2019, le demandeur a assisté à une rencontre préparatoire sur la présentation de griefs présidée par un représentant du décideur. Le dossier ne précise pas qui était présent à la rencontre, quelle en a été la durée et ce qui s’y est passé.

[35] Quatrièmement, le 14 juin 2019, le demandeur a fait parvenir à Mme Guay un courriel dans lequel il soulevait d’autres questions. Il déclarait qu’il avait reçu la veille certains documents dont il avait demandé copie en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ces documents comprenaient un échange de courriel entre M. Cloutier et la gestionnaire qui avait eu lieu le 24 septembre 2018.

[36] Pour situer cet épisode dans son contexte, précisons que le demandeur avait envoyé un courriel à M. Cloutier le 12 septembre 2018. Dans ce courriel, qui concernait des documents que le demandeur avait obtenus au moyen d’une autre demande présentée sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il expliquait à M. Cloutier que les documents en question se rapportaient aux mêmes faits qui étaient à l’origine de la lettre du 17 avril 2018 (voir le paragraphe 18 des présents motifs). Les documents que le demandeur venait à peine de recevoir révélaient que la gestionnaire avait rédigé une réponse au courriel envoyé le 12 septembre 2018 par le demandeur à M. Cloutier à la demande de ce dernier.

[37] Selon le demandeur, cet échange démontrait l’existence de [traduction] « rapports de travail étroits » entre M. Cloutier et la gestionnaire dans les affaires de harcèlement, ce qui suscitait des [TRADUCTION] « craintes supplémentaires » quant à la capacité de M. Cloutier de procéder à une évaluation impartiale de la plainte de harcèlement qu’il avait formulée contre la gestionnaire. Le demandeur soutient que M. Cloutier a été [traduction] « incapable de faire montre, envers [le demandeur], du degré d’équité exigé par le Code et par la Directive pour décider s’il convenait de faire enquête sur [ses] allégations de harcèlement visant [la gestionnaire] ».

III. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[38] La décision par laquelle le grief était rejeté a été communiquée au demandeur dans une « réponse au grief » datée du 12 septembre 2019 et signée par Diane Lorenzato, vice-présidente, Direction générale des ressources humaines, à l’ASFC.

[39] Voici l’intégralité de cette décision :

[traduction]

La présente fait suite à votre grief dans lequel vous alléguez que la décision du vice-président de la Direction générale du renseignement et de l’exécution de la loi, Jacques Cloutier, de ne pas faire enquête sur votre plainte de harcèlement (2019 -NHQ-HC-128813) était contraire aux exigences de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement. À titre de mesure corrective, vous demandiez que votre plainte de harcèlement soit confiée à un enquêteur indépendant et impartial.

J’ai examiné attentivement les circonstances ayant donné naissance à votre grief et analysé avec soin les points que vous avez soulevés lors de la consultation sur le grief ainsi que dans vos observations écrites.

Je suis convaincue que, conformément à la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement et à la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor, votre plainte de harcèlement a été valablement examinée et évaluée au regard de la définition du harcèlement et qu’il a été jugé à juste titre qu’elle ne correspondait pas à cette définition. Je suis également convaincue de la validité du contenu de la lettre que M. Cloutier vous a adressée le 25 avril 2019 et de la décision qu’il y expose.

Ainsi, je conclus que la politique et la directive sur le harcèlement, de même que le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, ont été respectés et correctement appliqués.

En conséquence, votre grief est rejeté et la mesure corrective que vous demandez ne sera pas mise en œuvre.

IV. LA NORME DE CONTRÔLE

[40] Comme nous le signalons plus haut, le demandeur conteste à la fois le fond de la décision de rejeter son grief et le processus qui a conduit à la décision.

[41] Quant au fond, les parties conviennent que le contrôle de la décision doit se faire selon la norme de la décision raisonnable et je partage leur avis. La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est désormais celle de la décision raisonnable, à laquelle on ne devrait déroger « que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10). Rien ne justifie de déroger à la présomption en l’espèce.

[42] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Pour juger si la décision est raisonnable, la cour de révision « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83).

[43] La règle voulant qu’une décision administrative soit raisonnable découle du principe fondamental suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent, non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov au para 95). Il s’ensuit que le décideur administratif est tenu « de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée » (Vavilov au para 96).

[44] Lors d’un contrôle judiciaire, la cour de révision « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99).

[45] C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que la décision est déraisonnable. Il doit établir que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

[46] En ce qui concerne le processus, nul ne conteste en l’espèce la façon dont une cour de révision doit trancher la question à savoir si les exigences applicables en matière d’équité procédurale ont été respectées. La cour doit procéder à sa propre analyse de la procédure qui a été suivie et décider si elle était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21-28 : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 et Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 au para 31. Du point de vue pratique, cela revient à appliquer la norme de contrôle de la décision correcte : voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 34 et 50; Vavilov au para 54; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. Cela dit, invoquer une norme de contrôle n’est pas vraiment pertinent ici (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée aux para 50-55), car ce qui importe, en fin de compte, c’est de savoir « si l’équité procédurale a été respectée ou non » (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté)), 2020 CAF 196 au para 35). C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’elle ne l’a pas été.

V. ANALYSE

[47] Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, il paraît utile d’amorcer cette analyse en expliquant pourquoi j’ai conclu que la décision de rejeter le grief du demandeur est raisonnable. Sur cette question, l’application de la définition du harcèlement au comportement dont se plaint le demandeur occupe le cœur de mon analyse. Cette même analyse servira ensuite de fondement à ma conclusion selon laquelle il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale justifiant un nouvel examen de l’affaire.

A. La décision de rejeter le grief était-elle déraisonnable?

[48] Le demandeur prétend que la décision de rejeter son grief était déraisonnable, parce qu’elle est dépourvue des attributs de justification, de transparence et d’intelligibilité. On peut y lire que la plainte de harcèlement [traduction] « a été valablement examinée et évaluée au regard de la définition du harcèlement et qu’il a été jugé à juste titre qu’elle ne correspondait pas à cette définition », une déclaration péremptoire qui n’est rien de plus qu’une conclusion non motivée. De même, en se déclarant [traduction] « également convaincue de la validité du contenu de la lettre que M. Cloutier [...] a fait parvenir [au demandeur] le 25 avril 2019 et de la décision qu’il y expose », la décideuse n’explique pas davantage pourquoi le grief a été refusé, car la lettre évoquée était tout aussi péremptoire et dénuée d’analyse. En outre, comme le souligne avec justesse le demandeur, la décision fait complètement abstraction des craintes qu’il a exprimées concernant le manque d’impartialité de la procédure suivie.

[49] Je partage l’avis du demandeur quand il affirme que les explications données pour motiver le rejet de son grief laissent à désirer, surtout si l’on songe aux observations circonstanciées qu’il a présentées pour étayer ce grief. En revanche, je ne suis pas d’accord pour dire que cela prive le demandeur – ou une cour de révision – de la possibilité de comprendre les raisons du rejet de son grief sur le fond. Au contraire, au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la décideuse était assujettie, notamment les circonstances décrites par le demandeur et la définition du harcèlement, ce rejet était la seule issue raisonnable. Toutefois, je conviens avec le demandeur que la décision ne présente pas les caractéristiques de la décision raisonnable dans son traitement de la question de l’impartialité. Quant à savoir si cela lui donne droit à une réparation, il s’agit là une tout autre question, que j’examine un peu plus loin.

[50] Lorsque le décideur a motivé sa décision, une cour de révision doit d’abord « examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov au para 84, guillemets internes omis). Lors d’un contrôle, il faut accorder une « attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov au para 97). Si les motifs sont absents, ou qu’ils sont lacunaires, cet exercice présentera un intérêt limité. En effet, comme le souligne aussi la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, « il est parfois difficile d’employer une méthode de contrôle judiciaire qui accorde la priorité à la justification, par le décideur, de ses décisions dans les cas où aucuns motifs écrits ne sont communiqués » (au para 137). Dans l’affaire qui nous occupe, s’il est vrai en principe que les motifs du rejet du grief ont été exposés, ces motifs sont en pratique à peine plus élaborés que s’ils avaient tout simplement été absents. Néanmoins, je « doi[s] tout de même examiner la décision à la lumière des contraintes imposées au décideur afin de déterminer s’il s’agit d’une décision raisonnable » (Vavilov au para 138).

[51] Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont également formulé une observation importante : « Toutefois, il est peut-être inévitable que faute de motifs, l’analyse soit alors centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur. Il ne s’ensuit pas pour autant que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est moins rigoureux dans ces circonstances; il prend seulement une forme différente. » (au para 138) La question déterminante sera alors de savoir si le résultat – à savoir, le rejet du grief du demandeur– est défendable au regard des contraintes juridiques pertinentes.

[52] Comme je l’explique plus loin, j’ai conclu que la conclusion de la décideuse selon laquelle le comportement allégué par le demandeur ne relève pas de la définition du harcèlement n’est pas seulement un résultat défendable : elle est en fait l’unique résultat défendable. J’ai aussi conclu, quoique pour des motifs légèrement différents, qu’il n’y avait pas lieu de modifier cette décision au motif que la décideuse avait omis de traiter des craintes du demandeur concernant le manque d’impartialité de la procédure suivie pour évaluer sa plainte de harcèlement.

(1) La conclusion selon laquelle la plainte de harcèlement a été valablement examinée et évaluée au regard de la définition du harcèlement est-elle raisonnable?

[53] Pour établir si M. Cloutier avait valablement examiné et évalué la plainte de harcèlement du demandeur au regard de la définition du harcèlement, la décideuse chargée de statuer sur le grief du demandeur devait elle-même décider si le comportement visé par la plainte tombait dans le champ d’application de cette définition. Certes, elle aurait pu exposer ses constatations de manière plus directe; néanmoins il ressort clairement de la réponse au grief qu’elle a conclu que le comportement en cause ne s’inscrivait pas dans la définition du harcèlement. Or, si nous savons quelle a été sa décision (le grief a été rejeté) et pourquoi elle l’a rendue (M. Cloutier avait conclu à juste titre que le comportement dont se plaignait le demandeur ne correspondait pas à la définition du harcèlement), cette décision ne dit pas comment et pourquoi la décideuse a tiré cette dernière conclusion. Mais malgré l’omission de la décideuse d’expliquer le comment et le pourquoi de cette conclusion, il s’agissait à mon avis de la seule conclusion raisonnable. Ainsi, s’il est vrai que la décision même aurait pu refléter dans une plus large mesure les caractéristiques d’une décision raisonnable, elle est néanmoins justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci.

[54] J’en suis arrivé à cette conclusion pour les motifs suivants :

[55] Premièrement, le défaut du directeur général de répondre au courriel du 4 avril 2018 de la gestionnaire (courriel dans lequel elle affirmait que le demandeur [traduction] « remet souvent en question les décisions de la direction, allant jusqu’à frôler l’insubordination ») ne peut d’aucune manière être considéré concrètement comme un comportement envers le demandeur. Or, il s’agit d’une condition essentielle pour que le comportement constitue du harcèlement au sens de la définition énoncée dans la Politique. Le même constat vaut pour le fait que la gestionnaire ait [traduction] « toléré » que d’autres donnent aux gestionnaires du demandeur des conseils [traduction] « inopportuns, injustes et irrespectueux, qui [l’ont] grandement offensé et [lui] ont causé préjudice ». Je ne voudrais d’aucune façon laisser entendre qu’une omission ne peut jamais constituer du harcèlement, mais je suis convaincu que le comportement du directeur général et de la gestionnaire que relève le demandeur dans sa plainte ne pouvait raisonnablement être considéré comme du harcèlement dans les circonstances. Il est évident que ce comportement ne correspond pas à la définition du harcèlement figurant dans la Politique.

[56] Deuxièmement, aucun fondement raisonnable ne permet de conclure que le commentaire adressé par la gestionnaire au directeur général dans le courriel du 4 avril 2018, à savoir que le demandeur [TRADUCTION] « remet souvent en question les décisions de la direction, allant jusqu’à frôler l’insubordination », constituait un comportement envers le demandeur, étant donné que le courriel ne lui était pas destiné. Même en posant comme hypothèse, aux fins du débat, que le demandeur a raison d’affirmer que le commentaire était déplacé et témoignait d’un manque de professionnalisme, aucun fondement raisonnable ne permet de conclure que la gestionnaire savait ou aurait dû savoir que le demandeur finirait par en être informé. Il n’existe donc aucune raison valable de conclure que le commentaire constituait du harcèlement au sens de la définition. Pareillement, il n’existe aucune raison valable de considérer le courriel de suivi ébauché le 11 juin 2018 comme un comportement envers le demandeur, puisqu’il ne lui a jamais été envoyé. Là encore, il est évident que le comportement allégué ne correspond pas à du harcèlement au sens de la définition.

[57] Troisièmement, le seul comportement allégué de la gestionnaire envers le demandeur et dont il aurait été au courant à l’époque pertinente a trait à la lettre du 17 avril 2018. Toutefois, aucun fondement raisonnable ne permet de conclure que son contenu pouvait être inopportun ou injurieux ou que la gestionnaire savait ou aurait dû savoir que l’envoi de la lettre pouvait offenser le demandeur ou lui causer préjudice. Le contenu de la lettre était entièrement conforme aux dispositions de la Directive, y compris celles prévoyant que les plaintes de harcèlement doivent être traitées équitablement, confidentiellement, efficacement et sans délai. Même si la gestionnaire a commis une erreur en traitant les réserves du demandeur comme une plainte de harcèlement ou en lui imposant un délai de réponse trop court, aucun fondement raisonnable ne permet de conclure qu’elle savait ou aurait dû savoir que ses actes auraient pour effet d’offenser le demandeur ou de lui causer préjudice. Il n’existe donc aucune raison valable de conclure que la lettre constituait du harcèlement au sens de la définition.

[58] Je suis conscient qu’en règle générale, il me faut respecter la volonté du législateur de confier à un décideur administratif le soin de trancher les griefs comme ceux que le demandeur a déposés : voir Vavilov au para 142. Toutefois, j’ai la certitude que l’analyse qui précède n’empiète pas indûment sur le rôle de la décideuse administrative, même si j’ai avancé, pour expliquer en quoi le comportement visé par la plainte ne constituait pas du harcèlement, des raisons qu’elle-même ne mentionne pas dans sa décision. Il ne s’agit pas ici d’un cas où je dois faire abstraction du fondement erroné de la décision et substituer ma propre justification à celle donnée par la décideuse pour expliquer le résultat auquel elle est arrivée : voir Vavilov au para 96. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où la décision ne peut devenir intelligible que si la cour de révision corrige une faille dans le raisonnement, intervient indûment pour pallier un manque de logique dans la décision ou se fonde sur des informations que le demandeur ne pouvait pas connaître lorsqu’il a reçu la décision. Il ressort clairement de la réponse au grief que la décideuse a conclu que le comportement dont se plaignait le demandeur n’était pas visé par la définition du harcèlement. De même, si on considère la décision globalement en la situant dans son contexte, on comprend aisément pourquoi la décideuse est arrivée à cette conclusion, même si elle ne l’explique pas de manière aussi exhaustive qu’elle aurait dû le faire. La raison en est que la décideuse ne pouvait raisonnablement en arriver à une autre conclusion. Si on examine le comportement dont se plaint le demandeur à la lumière de la définition du harcèlement, l’unique conclusion qui s’offre au décideur raisonnable est que le comportement ne tombe pas dans le champ d’application de cette définition. Pour employer une image familière, on peut facilement comprendre pourquoi ce décideur est parvenu à un certain résultat et pourquoi ce résultat est justifié, parce que n’importe qui serait en mesure de discerner les points à relier et qu’il n’y a qu’une seule façon d’y arriver : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11, cité avec approbation dans l’arrêt Vavilov au para 97.

[59] Enfin, même si, au contraire, j’avais été persuadé que la décision ne présente pas les caractéristiques d’une décision raisonnable que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité, je n’aurais pas renvoyé l’affaire pour nouvelle décision, car cela ne sert à rien lorsqu’aucun autre résultat raisonnable n’est envisageable : voir l’arrêt Vavilov au para 142 et les arrêts qui y sont cités, dont Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux p 228-230.

(2) La décideuse a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en omettant de traiter des craintes du demandeur concernant l’impartialité du processus suivi pour le traitement de sa plainte de harcèlement?

[60] Pour des motifs légèrement différents, j’arrive à la même conclusion quant à la question de savoir si la décideuse a commis une erreur susceptible de révision en omettant de traiter des craintes du demandeur concernant l’impartialité de la procédure suivie pour le traitement de sa plainte de harcèlement.

[61] Comme je l’indique précédemment, dans son grief, le demandeur a fait état directement des doutes qu’il avait quant à l’impartialité du traitement de la plainte de harcèlement. Bien qu’il n’ait pas expressément soulevé ces doutes lors de la présentation initiale de son grief, il l’a fait dans ses observations subséquentes. Dans un courriel qu’il a envoyé à Mme Guay le 14 mai 2019, le demandeur a affirmé que M. Cloutier était en conflit d’intérêts parce qu’en évaluant la plainte de harcèlement, il se trouvait dans les faits à décider s’il avait personnellement toléré ou facilité le harcèlement (puisqu’il avait signé la lettre du 17 avril 2018 sur laquelle la plainte repose en partie). Le demandeur a également affirmé que les employés du Centre national d’expertise sur l’intégrité étaient eux aussi en conflit d’intérêts et qu’ils ne pouvaient, par conséquent, donner des conseils impartiaux concernant la plainte, car le directeur général, qui était l’une des parties nommées dans cette plainte, était leur supérieur. Le 14 juin 2019, dans un autre courriel adressé à Mme Guay, le demandeur a exprimé d’autres réserves au sujet de M. Cloutier : il disait craindre que les rapports de travail entre M. Cloutier et la gestionnaire soient si étroits que ce dernier ne puisse pas juger avec impartialité la plainte visant la gestionnaire.

[62] Bien que le demandeur fasse explicitement état de ses doutes quant à l’impartialité de la procédure suivie pour le règlement de la plainte de harcèlement, la décision par laquelle son grief était rejeté passe entièrement sous silence cette question. À mon sens, le défaut de traiter des craintes du demandeur constitue un aspect de la décision qui est déraisonnable. Même si l’on tient compte du fait que la décideuse a statué sur l’affaire en cause avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Vavilov, dans lequel cette dernière insiste sur « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (aux para 2 et 14) et que l’on reconnaît que la procédure de règlement des griefs est censée offrir un mécanisme informel et expéditif pour résoudre les problèmes dans le milieu de travail, la décideuse ne pouvait pas se contenter d’ignorer les craintes exprimées par le demandeur au sujet du manque d’impartialité du processus de traitement de la plainte de harcèlement.

[63] Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, les principes de la justification et de la transparence « exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (au para 127). Pour le demandeur, le manque apparent ou réel d’impartialité de la procédure de traitement de la plainte de harcèlement était une question clé, à tout le moins lorsqu’il a formulé les observations officielles destinées à appuyer son grief. Le fait que la décideuse ait omis de s’attaquer à cette question, voire de s’y intéresser de manière significative, pousse à se demander si elle a effectivement été attentive et sensible à la question qui lui était soumise (voir l’arrêt Vavilov au para 128). Contrairement à ce qui valait relativement à la question de savoir si le comportement à l’origine de la plainte de harcèlement relevait de la définition du harcèlement, je ne suis pas en mesure de trancher la question de savoir si la décideuse s’est penchée sur cette question. Du reste, même en supposant que je sois disposé à présumer qu’elle a bien étudié la question, il demeure que ni la Cour ni le demandeur n’ont de moyen de savoir pourquoi elle a tranché cette question en défaveur du demandeur. Surtout, la décideuse ne précise pas le critère qu’elle a appliqué ni les facteurs qu’elle a pris en compte pour conclure (ce qu’elle a forcément fait si elle s’est penchée, ne serait-ce qu’un court instant, sur la question) que les doutes soulevés par le demandeur concernant la question de l’impartialité ne justifiaient pas d’accueillir le grief. Le dossier ne contient d’ailleurs rien d’autre qui soit à même de faire la lumière sur cet aspect. Sur ce point fondamental, la décision ne présente aucune des caractéristiques essentielles d’une décision raisonnable.

[64] Bien que cela devrait normalement donner au demandeur le droit à un réexamen de la question par un autre décideur administratif, je ne suis pas convaincu que cette mesure soit indiquée vu les circonstances particulières de l’espèce. Comme je l’explique plus loin, ceci est dû au fait que les doutes formulés par le demandeur au sujet de l’impartialité du processus suivi pour le traitement de sa plainte de harcèlement ne reposent sur aucun fondement. Il s’ensuit qu’aucun décideur raisonnable n’aurait pu arriver à une autre décision.

[65] Il ne fait aucun doute que le demandeur avait droit à ce que la procédure suivie pour décider s’il convenait de faire enquête sur sa plainte de harcèlement soit non seulement impartiale, mais qu’elle ait également l’apparence d’impartialité. Il s’agit là d’un droit fondamental en matière d’équité procédurale : voir Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 au para 54. Cela étant, il est important de rappeler que je ne suis pas directement saisi de la question de savoir si la procédure de règlement de ce dossier de harcèlement a satisfait aux exigences de l’équité procédurale. Il me faut plutôt juger du caractère raisonnable de la décision rendue sur le grief du demandeur, relativement à laquelle le demandeur a exprimé des doutes au sujet de l’impartialité du processus suivi pour décider s’il y avait eu harcèlement. Quoi qu’il en soit, le fait que la personne qui a statué sur le grief n’a pas fourni de motifs sur cette question m’oblige à pousser mon analyse au-delà de cette décision et d’examiner de quelle façon la plainte de harcèlement du demandeur a été traitée afin de trancher la question de savoir si l’issue du grief est justifiée. Il s’agit d’un exemple de cas où, pour citer l’arrêt Vavilov (au para 138), le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « prend seulement une forme différente », faute de motifs.

[66] Bien que le demandeur confonde parfois les deux choses, il ressort clairement des observations qu’il a présentées à l’appui de son grief qu’il alléguait que le processus suivi pour trancher la question du harcèlement avait été entaché d’une partialité bien réelle et qu’il existait une crainte raisonnable de partialité. Il a formulé ces allégations à la fois à l’endroit de M. Cloutier et des employés du Centre national d’expertise sur l’intégrité (vraisemblablement Mme Cloutier-McNicoll, en particulier).

[67] Examinons d’abord le cas de M. Cloutier. La preuve ne permet pas de justifier l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à son endroit, et encore moins de conclure qu’il s’est effectivement montré partial. Fait important à signaler, le demandeur savait que M. Cloutier était celui qui déciderait si ses allégations relevaient de la définition du harcèlement. Il savait aussi que sa plainte reposait en partie sur la lettre du 17 avril 2018 que M. Cloutier avait signée. Le demandeur a bien précisé dans sa plainte de harcèlement qu’il attribuait spécifiquement à la gestionnaire la responsabilité du contenu de la lettre, et non à M. Cloutier. Il n’a d’ailleurs pas désigné M. Cloutier comme partie dans sa plainte, pas plus qu’il n’a soulevé d’objection à l’époque par rapport au fait qu’il était chargé du traitement de la plainte.

[68] Le demandeur a présenté des observations détaillées et exhaustives à l’appui de sa plainte de harcèlement. D’après ce qui ressort de ces observations et, en réalité, de l’ensemble du dossier, le demandeur a une très grande connaissance non seulement des principes et procédures applicables aux plaintes de harcèlement, mais également des lois, principes, politiques, pratiques et conventions régissant l’emploi dans la fonction publique fédérale en général. S’il s’était vraiment inquiété de la possibilité que M. Cloutier ait à décider s’il avait lui-même toléré ou facilité le harcèlement, il l’aurait soulevé à l’époque. En outre, bien que le demandeur ait été mis au fait des courriels échangés le 24 septembre 2018 par M. Cloutier et la gestionnaire alors que M. Cloutier avait déjà rendu sa décision, cet échange est si insignifiant qu’il n’est pas à même d’étayer la thèse voulant selon laquelle ils entretenaient des rapports professionnels étroits qui ont compromis la capacité de M. Cloutier à se montrer impartial. Une personne raisonnable et renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ne pourrait qu’arriver à la conclusion que les craintes du demandeur concernant l’impartialité de M. Cloutier sont sans fondement : voir l’arrêt Bande indienne Wewaykumc Canada, [2003] 2 RCS 259, 2003 CSC 45 au para 60.

[69] En appliquant ce même critère, j’arrive à la même conclusion relativement aux employés du Centre national d’expertise sur l’intégrité. À défaut d’autres indications, le simple fait que tous les employés de la Direction générale des relations de travail et de la rémunération, dont relève le Centre national d’expertise sur l’intégrité, soient les subordonnés du directeur général ne peut raisonnablement justifier de crainte de partialité (qu’elle soit réelle ou appréhendée) de la part de ces employés : voir l’arrêt Oleynik aux para 67-68. De plus, le demandeur savait que le Centre serait appelé à conseiller M. Cloutier concernant sa plainte de harcèlement. Il savait également, compte tenu des préoccupations qu’il a soulevées dans sa plainte de harcèlement visant le directeur général, que des dispositions avaient été prises pour que Jacqueline Rigg, vice-présidente, Direction générale des ressources humaines, encadre le traitement de ce dossier par le Centre (voir le paragraphe 24 des présents motifs). Le demandeur ne s’y est nullement opposé à l’époque. S’il avait vraiment eu des inquiétudes concernant l’indépendance et l’impartialité du Centre national d’expertise sur l’intégrité, il en aurait fait état. Une personne raisonnable et renseignée tiendrait compte de son défaut de le faire, en plus de l’ensemble des autres circonstances de l’espèce, pour évaluer les craintes en matière d’impartialité que le demandeur évoque pour la première fois dans son grief. Cette personne, si elle étudiait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne pourrait qu’arriver à la conclusion que les craintes du demandeur concernant l’impartialité du Centre national d’expertise sur l’intégrité n’ont aucun fondement raisonnable.

[70] En somme, bien que j’aie conclu que la décision de l’instance administrative comporte des lacunes, car elle ne traite d’aucune façon des craintes du demandeur en matière d’impartialité, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire pour que la question fasse l’objet d’un nouvel examen, car cet examen aboutirait inévitablement au même résultat : voir l’arrêt Vavilov au para 142. Aucun décideur raisonnable ne pourrait en effet conclure que le grief devrait être accueilli au motif que la décision de ne pas faire enquête sur la plainte de harcèlement était entachée de partialité, réelle ou raisonnablement appréhendée.

(3) Conclusion

[71] Pour les motifs qui précèdent, le demandeur ne m’a pas persuadé qu’il existait quelque motif valable de modifier la décision de rejeter le grief.

[72] Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais qu’en conséquence de ce qui précède, je suis également convaincu que la décideuse n’a pas commis d’erreur en concluant que le fond de la décision de ne pas pousser plus loin l’examen de la plainte de harcèlement du demandeur est conforme aux valeurs énoncées dans le Code.

B. Les exigences de l’équité procédurale ont-elles été respectées?

[73] Avant d’amorcer l’examen de cette question, il est nécessaire d’exposer un dernier élément de contexte dans l’affaire qui nous occupe.

[74] En réponse à la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur a produit un dossier certifié conforme du tribunal en application de l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Le dossier a été certifié en ces termes par Mme Guay le 7 octobre 2019 :

[traduction]

Je soussignée, Isabelle Guay, conseillère principale en relations de travail, Division des relations de travail et des recours en RH, à l’Agence des services frontaliers du Canada, atteste par les présentes que les documents joints aux présentes et énumérés ci-dessous forment la totalité des documents pertinents qui ont été déposés devant la décideuse au dernier palier, exception faite des documents protégés par un privilège, au moment du rejet du grief.

[75] Le certificat produit conformément à l’article 318 des Règles énumère ensuite un certain nombre de documents qui sont répartis sous treize onglets. Le premier de ces onglets contient un document intitulé [traduction] « Analyse de la plainte de harcèlement » ainsi que plusieurs autres documents qui ont été soumis par le demandeur et qui sont vraisemblablement des pièces jointes à l’analyse. Le document d’analyse indique qu’il a été établi par Camille Cloutier-McNicoll, Conseillère en prévention et résolution du harcèlement. Il ne porte aucune date.

[76] Nul ne conteste le fait que ce document d’analyse n’avait pas été communiqué au demandeur préalablement. Comme je l’explique plus loin, le demandeur prétend que le fait de l’avoir privé de la possibilité de commenter le contenu de ce document avant que la décision de rejeter son grief soit rendue constituait un manquement à l’équité procédurale.

[77] L’absence de date sur le document fait en sorte qu’il est difficile de dire avec certitude à quel moment il a été préparé et, partant, à quel moment au cours du processus décisionnel il a été examiné. Ce même document est également joint en tant que pièce à un affidavit souscrit par Mme Guay en réponse à la présente demande, mais Mme Guay ne fournit aucune preuve directe quant à la date de réalisation de l’analyse. Elle se limite à déclarer que, conformément à l’Étape 2 de la Directive (voir le paragraphe 9 des présents motifs), Mme Cloutier-McNicoll [TRADUCTION] « a procédé à l’examen et jugé que les allégations ne relevaient pas du champ d’application de la Politique » et qu’elle « a recommandé qu’il soit refusé d’enquêter plus amplement sur la plainte ». (En réponse à une question posée par le demandeur dans le cadre d’un interrogatoire écrit suivant l’article 99 des Règles, Mme Guay a confirmé qu’elle ignorait à quel moment l’analyse avait été réalisée.)

[78] Il n’y a pas lieu de douter que l’analyse a été réalisée en réaction à la plainte de harcèlement du 31 janvier 3019; elle renvoie explicitement à cette plainte et en cite de larges extraits. Moins évidente est la réponse à la question de savoir si le premier décideur, M. Cloutier, s’est fondé sur cette analyse. Le document précise qu’il vise à [TRADUCTION] « vous fournir une analyse et des recommandations pour traiter la plainte de harcèlement déposée par le plaignant », mais l’identité de son destinataire n’y est pas indiquée, de sorte qu’il est difficile de déterminer à qui ce « vous » fait référence. Quant à l’affidavit de Mme Guay, il laisse simplement entendre que M. Cloutier a tenu compte de l’analyse pour rendre sa décision.

[79] Rappelons que dans sa première lettre, M. Cloutier accuse réception de la plainte de harcèlement de janvier 2019 et mentionne que Mme Cloutier-McNicoll a été chargée de la coordination du dossier. Il aurait certes été préférable de disposer d’une preuve plus étoffée sur la question de la préparation et de l’utilisation du document d’analyse, mais je suis néanmoins convaincu que la seule inférence raisonnable permise est que Mme Cloutier-McNicoll a réalisé l’analyse pour M. Cloutier et que celui-ci en a tenu compte dans sa décision du 25 avril 2019. Il s’ensuit que l’analyse aurait également été examinée par la personne chargée de statuer sur le grief déposé par le demandeur à l’encontre de la décision de M. Cloutier (comme l’atteste le certificat produit en application de l’article 318 des Règles).

[80] Le document d’analyse, qui compte sept pages, adopte une présentation à l’horizontale. Sur la première page sont énoncés divers principes généraux applicables aux plaintes de harcèlement. Y sont énumérés les éléments constitutifs du harcèlement [TRADUCTION] « qui sont nécessaires pour décider si une plainte est ou non recevable » (il s’agit des éléments mis en évidence dans le Guide et cités au paragraphe 6 des présents motifs). L’auteure y observe que, [TRADUCTION] « dans la plupart des cas », le harcèlement n’est pas le fait d’un incident isolé; c’est plutôt « l’aspect répétitif qui engendre du harcèlement » (extrait du Guide – voir le paragraphe 7 des présents motifs). Elle note que, néanmoins, « l’incident isolé, mais grave, qui a des répercussions à long terme sur la personne visée » peut constituer du harcèlement. La définition du harcèlement figurant dans la Politique est reproduite textuellement. Enfin, le document signale que [traduction] « le plaignant a le fardeau de prouver qu’il y a, à première vue, harcèlement; pour établir le fondement de sa plainte, il ne suffit pas qu’il ait le sentiment d’avoir fait l’objet de harcèlement. »

[81] Aux pages suivantes du document d’analyse, cinq et demie en tout, un tableau est disposé en colonnes portant les en-têtes reproduites ci-dessous :

Numéro de référence

Date

Allégations (copiées-collées à partir de la plainte)

État pour enquête

Intimé(e)

Témoin

Analyse/observations

[82] Sous les titres des colonnes, la plainte de harcèlement du demandeur est divisée en cinq rangées, dont chacune porte un numéro de référence différent. Chaque rangée correspond à une allégation spécifique du demandeur, à savoir : (1) l’envoi par la gestionnaire du courriel daté du 4 avril 2018; (2) l’acceptation par le directeur général du courriel du 4 avril 2018 sans autre commentaire et son défaut de se récuser ensuite de l’instruction des autres griefs; (3) le fait que la gestionnaire a enjoint à M. Cloutier d’envoyer la lettre du 17 avril 2018; (4) le courriel ébauché par la gestionnaire le 11 juin 2018, et (5) le fait que la gestionnaire a toléré que ses subordonnés donnent aux gestionnaires du demandeur des conseils inopportuns, injustes et irrespectueux qui ont « grandement offensé [le demandeur] et [lui] ont causé préjudice. »

[83] Comme le suggère l’en-tête de la troisième colonne, Mme Cloutier-McNicoll a rempli cette dernière en y collant de larges extraits de la plainte du demandeur exposée dans son courriel du 31 janvier 2019. Elle a aussi inclus des renvois à divers documents que le demandeur a produits à l’appui de sa plainte et qui ont évidemment été ajoutés en annexe de l’analyse (bien qu’il n’y ait pas d’uniformité dans la façon dont ces documents ont été désignés dans le dossier).

[84] Le seul avis concret donné par Mme Cloutier-McNicoll se trouve dans la colonne intitulée « Analyse/observations ». Bien qu’elle analyse et annote séparément chacune des allégations, Mme Cloutier-McNicoll en arrive dans chaque cas à des conclusions largement analogues : les parties visées par les allégations de harcèlement ont agi dans le cadre des attributions normales et légitimes qui leur sont conférées dans leurs rôles de gestion respectifs et toutes les communications ont été transmises de manière respectueuse, professionnelle et confidentielle. De tels comportements, de l’avis de Mme Cloutier-McNicoll, [TRADUCTION] « ne sont généralement pas considérés comme étant du harcèlement. »

[85] Sur la septième page du document, Mme Cloutier-McNicoll énonce sa conclusion de la façon suivante : [TRADUCTION] « À l’issue d’une analyse minutieuse des allégations, il a été conclu que les allégations ne relèvent pas du champ d’application de la Politique. » Compte tenu de cette conclusion, elle recommande que la plainte ne soit pas acceptée pour examen approfondi ».

[86] Le demandeur prétend que les exigences en matière d’équité procédurale n’ont pas été respectées, parce qu’on ne lui a pas remis le document d’analyse avant que soit rendue la décision de rejeter son grief. Selon lui, étant donné que M. Cloutier a nécessairement tenu compte de l’analyse lorsqu’il a décidé de ne pas faire enquête sur sa plainte de harcèlement, le fait de ne pas lui avoir communiqué cette analyse l’a privé de la possibilité d’exposer entièrement et équitablement ses arguments à l’appui du grief déposé à l’encontre de cette décision. Puisque cela a compromis l’équité de la procédure de règlement du grief, il s’ensuit que la décision de rejeter le grief doit être annulée.

[87] Je suis disposé à tenir pour acquis, sans trancher la question, que le document aurait dû être fourni au demandeur et qu’il aurait dû se voir accorder la possibilité de traiter de son contenu avant qu’il soit statué sur son grief. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer la portée ou la force des droits du demandeur à l’équité procédurale au regard des principes et des facteurs énoncés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker. Toutefois, j’ajouterai ce qui suit. Le fait que je sois disposé à accepter cette hypothèse signifie que je ne suis pas convaincu par l’argument du défendeur, auquel il a timidement fait timidement allusion dans son exposé des arguments, mais qu’il l’a avancé avec plus de vigueur lors de l’audition de la présente demande, selon lequel le document d’analyse serait protégé par une sorte de privilège du conseiller. Rien ne permet de penser que le document a été inclus par inadvertance dans le dossier certifié du tribunal ou joint comme pièce en annexe de l’affidavit de Mme Guay. L’observation voulant que le demandeur n’ait jamais eu droit à la communication du document parce que celui-ci était soumis à un privilège est inconciliable avec le fait que, dans le cadre de la présente demande, il a été communiqué non pas une, mais deux fois sans qu’aucune objection ne soit formulée. Elle est également incompatible avec la thèse avancée par le défendeur ailleurs dans son exposé des arguments, à savoir qu’il est raisonnable [TRADUCTION] « d’intégrer » l’analyse [TRADUCTION] « dans le raisonnement » de la décision qui a définitivement tranché le grief.

[88] Si je suis disposé à tenir pour acquis, sans trancher la question, que le demandeur aurait dû se voir accorder la possibilité de traiter du contenu du document d’analyse avant qu’il soit statué sur son grief, je suis néanmoins convaincu, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, que rien de ce qu’il aurait pu affirmer au sujet de ce contenu n’aurait été à même de modifier de quelque manière que ce soit l’issue de son grief. Par conséquent, le défaut d’accorder au demandeur la possibilité de répondre à l’analyse de Mme Cloutier-McNicoll constitue un manquement purement formel à l’équité procédurale et n’a occasionné aucun tort ou déni de justice d’importance. La Cour n’a donc aucune raison de modifier la décision visée par la demande de contrôle judiciaire. Voir la Loi sur les Cours fédérales, à l’alinéa 18.1(5)a); voir aussi les arrêts Khosa au para 43 et Mobil Oil Canada Ltd aux p 228-229.

[89] Pour commencer, signalons que, grâce à d’autres sources, le demandeur connaissait déjà le contenu du document lorsqu’il a déposé son grief. Il connaissait par ailleurs très bien la teneur de la définition du harcèlement ainsi que les politiques et procédures applicables en matière de plaintes de harcèlement qui sont énoncées sur la première page du document. Il connaissait aussi le contenu de la colonne résumant ses allégations, car, comme je le mentionne plus haut, elles sont tirées directement du texte de sa plainte. Enfin, le demandeur connaissait bien les documents annexés au document d’analyse, puisqu’il les avait lui-même déposés dans le cadre de sa plainte de harcèlement. À tous ces égards, la situation du demandeur est analogue à celle examinée dans la décision Blois c Canada (Procureur général), 2018 CF 354, surtout au para 37. Je remarque aussi que personne ne prétend que Mme Cloutier-McNicoll a mal rapporté certains passages des principes ou politiques applicables ou de la plainte de harcèlement du demandeur. Qui plus est, la conclusion retenue dans l’analyse – que les allégations du demandeur ne relèvent pas de la définition du harcèlement figurant dans la Politique – est identique à celle que lui avait communiquée M. Cloutier dans la lettre du 25 avril 2019.

[90] En revanche, le demandeur n’était pas au fait de l’analyse que Mme Cloutier-McNicoll avait réalisée relativement à ses allégations dans le but d’étayer sa conclusion. M. Cloutier aurait tenu compte de cette analyse pour décider de ne pas soumettre la plainte de harcèlement pour enquête. Il s’agit là de l’élément central de la thèse du demandeur, à savoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que la présentation de son grief en a souffert en conséquence. Le demandeur prétend que le document d’analyse est essentiel à la compréhension des raisons du rejet de sa plainte de harcèlement. Sans cette information, il ne pouvait pas exposer efficacement ses arguments dans son grief à l’encontre de cette décision.

[91] Je ne suis pas de cet avis.

[92] Dans sa décision du 25 avril 2019, M. Cloutier a déclaré que la plainte de harcèlement ne ferait pas l’objet d’une enquête plus poussée, parce que les allégations du demandeur ne tombaient pas sous le coup de la définition du harcèlement. Le demandeur connaissait le texte de cette définition. Il savait aussi quelles étaient ses allégations. C’est là tout ce qu’il lui fallait pour tenter de démontrer que la décision de M. Cloutier était erronée. À l’instar de la décision rejetant le grief du demandeur, la décision de M. Cloutier de rejeter la plainte de harcèlement est entièrement compréhensible si on compare le comportement allégué par le demandeur à la définition du harcèlement. Bien qu’il s’agisse du processus emprunté par Mme Cloutier-McNicoll dans son analyse, il n’est pas nécessaire, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, de prendre connaissance de cette analyse pour comprendre les raisons du rejet de la plainte de harcèlement.

[93] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur critique en détail plusieurs aspects de l’analyse de Mme Cloutier-McNicoll. Par exemple, il soutient que Mme Cloutier-McNicoll a commis une erreur en examinant ses plaintes séparément, plutôt que dans leur synergie; il s’attaque au fait qu’elle qualifie les actes accomplis par la gestionnaire et le directeur général comme relevant de la simple exécution de leurs fonctions de gestion, et leurs communications, comment ayant été transmises de manière professionnelle et respectueuse; et il avance que son « analyse » n’a strictement rien d’une analyse. Le demandeur formule ces critiques dans l’espoir d’arriver à faire la démonstration des arguments qu’il aurait pu présenter afin d’attaquer la décision de M. Cloutier, si seulement il avait été au courant de l’analyse et eu la possibilité d’y répondre. Selon le demandeur, le fait de le priver de l’occasion de présenter ces arguments avant que la décideuse examine son grief a compromis l’équité de la procédure de règlement du grief.

[94] Toutefois, la difficulté à laquelle se bute le demandeur tient au fait qu’aucun de ces arguments n’aurait réussi à convaincre un décideur raisonnable de tirer une conclusion différente relativement à la question de savoir si le comportement allégué dans sa plainte de harcèlement était visé par la définition du harcèlement. Ce qu’il importe de souligner, c’est qu’aucun de ses arguments ne porte sur les raisons pour lesquelles on ne peut considérer que les allégations correspondent à du harcèlement, comme je l’explique précédemment (voir les paragraphes 55-57 des présents motifs). Quelles que soient les réserves qu’ait pu inspirer au demandeur l’analyse de Mme Cloutier-McNicoll, aucune ne peut raisonnablement justifier un résultat différent, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire. Ainsi, même en tenant pour acquis que le demandeur aurait dû se voir accorder la possibilité de traiter de l’analyse dans le cadre de la procédure de règlement du grief, le fait qu’il n’en ait pas eu l’occasion n’a occasionné aucun tort ou déni de justice d’importance.

VI. DÉPENS

[95] Le défendeur réclame un montant de l’ordre de 1 500 $ à 2 500 $ au titre des dépens. Il n’a pas présenté de mémoire des dépens à l’appui de sa demande. Tout en reconnaissant que la fourchette qu’il propose se situe vraisemblablement au-dessus de ce à quoi une partie non représentée par avocat doit habituellement payer suivant l’adjudication des dépens dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le défendeur soutient qu’elle est justifiée par la manière avec laquelle le demandeur a inutilement compliqué l’affaire.

[96] Je ne suis pas de cet avis. L’affaire portait sur des questions d’une importance évidente pour le demandeur. Il ne devrait pas être pénalisé du simple fait qu’il a présenté sa cause de façon aussi exhaustive. Néanmoins, puisqu’il n’a pas obtenu gain de cause, il doit assumer une partie des frais du défendeur. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je suis convaincu que l’adjudication au défendeur d’une somme forfaitaire de 750 $ est juste et appropriée.

VII. CONCLUSION

[97] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1529-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 septembre 2019 par Diane Lorenzato, vice-présidente, Direction générale des ressources humaines, de l’Agence des services frontaliers du Canada, est rejetée.

  2. La somme globale de 750 $, qui comprend les taxes et débours, est adjugée au défendeur au titre des dépens.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1529-19

 

INTITULÉ :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 11 JANVIER 2021 DEPUIS OTTAWA (ONTARIO)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Alexandru-Ioan Burlacu

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Noémie Fillion

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.