Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19980604

     Dossier : IMM-3653-97

OTTAWA (ONTARIO), le 4 JUIN 1998.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOYAL

ENTRE

     DILBAGH SINGH RANDHAWA,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             L.-Marcel Joyal

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980604

     Dossier : IMM-3653-97

OTTAWA (ONTARIO), le 4 JUIN 1998.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOYAL

ENTRE

     DILBAGH SINGH RANDHAWA,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 21 avril 1997, statuant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

Exposé des faits :

[2]      Ce demandeur de 34 ans est un citoyen indien de confession sikhe. Agriculteur, il avait travaillé avec son père depuis qu'il avait quitté l'école. Sa famille marquait son vif appui au mouvement Akali Dal et son opposition au Parti du Congrès (Congress Party).

[3]      Le 10 avril 1995, le demandeur, son père et son frère ont été arrêtés et accusés par la police de fournir aliments et gîte à des militants sikhs. Le demandeur a expliqué à la police que, la veille au soir, son oncle maternel, son cousin et son grand-père étaient venus passer la nuit. La police ne l'a pas cru et l'a emmené avec son père et son frère en prison.

[4]      On les a frappés et torturés durant quatre jours jusqu'à ce que leur famille eût payé des pots-de-vin aux officiers de police. Une fois relâchés, ils ont été avertis par la police de se tenir loin du village, car le Parti du Congrès ferait pression pour qu'ils soient arrêtés une nouvelle fois et incarcérés.

[5]      Ils ont quitté le village pour s'installer chez un parent où, pendant 15 jours, un médecin privé a soigné leurs blessures. Par souci de sécurité personnelle, le demandeur et son frère ont décidé peu après de quitter l'Inde.

[6]      Ils se sont rendus à New Delhi où un agent, rencontré là-bas, s'est entendu avec eux pour les conduire au Canada. Ils ont quitté l'Inde le 19 mai 1995, transitant d'abord par la Hollande avant d'atterrir le lendemain en Équateur. Plusieurs semaines après, ils ont atteint à pied le Nicaragua, le 22 juin 1995. Le frère, tombé malade, est resté sur place pendant que le demandeur continuait route vers El Salvador puis le Guatemala où il a séjourné un mois avant de prendre l'autocar pour le Mexique. De là, il a voyagé à pied jusqu'au Canada où il est arrivé le 14 septembre 1995.

[7]      Le demandeur maintient que la police le recherche encore et qu'après son départ, son père a été arrêté et torturé jusqu'à succomber prétendument à ses blessures le 22 juillet 1995.

Décision de la Commission

[8]      La Commission a jugé que le revendicateur n'était pas digne de foi, que son récit manquait de vraisemblance et qu'il ne cadrait pas avec une crainte justifiée de persécution en Inde. Elle s'est fondée pour ses conclusions sur deux contradictions entre la FRP du demandeur et le narratif d'un rapport médical qu'il a soumis. La Commission a également demandé pourquoi l'intéressé n'a pas revendiqué le statut de réfugié dans les pays qu'il a traversés durant les quatre mois qu'il a mis pour atteindre le Canada.

La question à débattre :

[9]      La Commission s'est-elle trompée en fait et en droit en statuant que le demandeur manquait de crédibilité en raison des contradictions et des invraisemblances constatées dans des documents écrits présentés à l'audience?

Arguments des parties :

     a)      Contradictions entre la FRP et le rapport médical

[10]      Le demandeur allègue que les divergences constatées entre la FRP et le rapport médical sont attribuables à des difficultés de communication. Il prétend que les documents ont été présentés par les soins d'un traducteur et que le médecin a rédigé un rapport cursif puisqu'il ne portait pas directement sur la condition physique du patient.

[11]      Aux dires du défendeur, le demandeur reconnaît qu'il existe des contradictions entre la FRP et le rapport médical. Il déclare que le demandeur a lui-même présenté ledit rapport sans jamais signaler les contradictions jusqu'au moment où la Commission les a relevées à l'audience. Enfin, le défendeur soutient que les difficultés de traduction alléguées par le demandeur n'ont jamais été corroborées par un affidavit et que l'intéressé ne s'est jamais plaint d'une quelconque difficulté de communication avec le médecin.

     b)      La Commission a passé outre à des éléments de preuve importants :

[12]      Le demandeur allègue que la Commission a passé outre à des éléments de preuve importants en l'espèce et favorables à sa demande. Le rapport médical, sur lequel la Commission s'est largement fondée pour évaluer la crédibilité du demandeur, est passé sous silence dans l'exposé sommaire des faits. De l'avis du demandeur, tout élément d'incertitude que la Commission puisse retenir au regard de sa crédibilité a pour contrepoids les aspects favorables du rapport médical, c'est-à-dire les conclusions relatives à la torture.

[13]      Le défendeur répond que la Commission a discrétion pour évaluer la preuve médicale. Du fait que le demandeur n'était pas crédible à ses yeux, il n'est pas anormal qu'elle ait accordé peu de poids au rapport médical. Le défendeur conclut que le demandeur n'étant pas jugé digne de foi, rien ne prouve que sa condition physique est conséquente à la torture qu'il dit avoir subie aux mains de la police.

     c)      Interprétation de la preuve documentaire sur le Pendjab :

[14]      Le second motif pour lequel la Commission a refusé au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention découle de l'interprétation qu'elle a donnée aux renseignements obtenus sur le Pendjab. Le demandeur soutient que ces renseignements ne signifient pas que la résistance sikhe s'est estompée parce qu'une solution a été trouvée au conflit, mais bien parce que cette résistance a été éliminée. Le demandeur conclut que s'il retourne en Inde, lui aussi pourrait être éliminé. Il dit aussi que, considérée dans son ensemble, la documentation ne justifie pas la conclusion de la Commission voulant que la police ne l'ait pas battu ou qu'il ne coure pas un danger s'il retourne en Inde.

[15]      De l'avis du défendeur, la preuve documentaire présentée au sujet de la situation actuelle au Pendjab indique que le militantisme sikh a été presque totalement éliminé. La conclusion de la Commission au regard de la preuve documentaire n'est pas déraisonnable, arbitraire ou absurde et n'appelle pas l'intervention de la Cour.

     d)      Demande d'asile dans d'autres pays :

[16]      Le demandeur s'élève contre les insinuations négatives de la Commission au sujet de ses quatre mois de déplacement depuis son départ de l'Inde jusqu'à son arrivée au Canada.

[17]      Le défendeur soutient que lorsqu'un revendicateur traverse un pays signataire de la Convention, il lui incombe de chercher asile le plus tôt possible dans ce pays. Sa diligence à cet égard peut refléter le caractère sérieux de la crainte de persécution qu'il allègue. Même si le retard à revendiquer le statut de réfugié n'est pas un élément capital au regard de sa validité, c'est un facteur pertinent à apprécier au moment d'évaluer si une crainte de persécution est bien fondée. Enfin, le défendeur soutient que l'insinuation négative de la Commission au sujet du temps qu'il a mis pour atteindre le Canada doit s'interpréter dans le contexte de la conclusion tirée par la Commission sur la question de la crédibilité et de la crainte de persécution.

Analyse :

[18]      L'établissement de la crédibilité est une question de fait1 qui relève de la compétence de la Commission. Même si en matière de vraisemblances, le caractère déraisonnable d'une décision peut ressortir davantage, la Commission est encore la mieux placée pour jauger la crédibilité d'un revendicateur2. Il est admis que les contradictions ou divergences relevées dans la preuve concernant une revendication du statut de réfugié justifient que l'on conclue à l'absence de crédibilité3. La Cour ne devrait pas intervenir dans la décision de la Commission à moins qu'une telle décision soit déraisonnable4.

[19]      Lorsqu'elle rend une décision, la Commission doit respecter certaines conditions afin de se prémunir contre une procédure de contrôle judiciaire. Une conclusion négative quant à la crédibilité doit être formulée "en termes clairs et explicites"5 compte tenu de l'ensemble de la preuve. La Commission doit donner au demandeur une pleine occasion d'expliquer toute contradiction constatée dans la preuve6 et, en évaluant celle-ci, elle ne devrait pas appliquer les normes de la logique occidentale à la situation particulière du demandeur7.

[20]      Le demandeur prétend que les divergences entre la FRP et le rapport médical sont attribuables à la traduction. Malheureusement, il n'a jamais signalé ce point à la Commission lorsqu'elle s'est enquise au sujet de ces divergences; comme il ne s'est jamais plaint, il faut supposer qu'il était satisfait. La Cour a souvent répété que pour invoquer une violation de la justice naturelle en raison d'une interprétation fautive, une objection doit être formulée aussitôt que possible, sinon le revendicateur est censé avoir renoncé au droit à une nouvelle audition ou à un nouvel interprète.

[21]      Il incombe aussi au demandeur de démontrer que les conclusions tirées par la Commission étaient déraisonnables au regard des pièces fournies8. Le fait qu'un tribunal ne fasse pas état de tous les éléments de preuve lorsqu'il rend une décision n'invalide pas nécessairement celle-ci. La question est de savoir si la preuve dont il n'est pas fait mention est à ce point importante et vitale que le fait de ne pas en faire mention peut constituer une erreur susceptible d'examen.

[22]      La Commission a, en l'espèce, fait état du rapport médical sans lui donner toutefois le poids que le demandeur avait souhaité. Elle n'a pas passé outre à la preuve. Quant à la preuve documentaire, les conclusions de la Commission là-dessus ne sont pas déraisonnables, arbitraires ou absurdes et elles n'appellent pas l'intervention de la Cour. Enfin, la Commission a, comme il se doit, fait mention du principe touchant la possibilité de refuge intérieur. À ce sujet, quelques questions ont été posées au demandeur, mais il est évident que la Commission était loin d'être satisfaite de ses réponses.

Conclusion :

[23]      L'avocat du demandeur a su avec beaucoup d'adresse et d'aisance susciter la controverse au sujet de la décision de la Commission. Pris séparément, les points qu'il soulève ne sont pas sans valeur. Cependant, l'ensemble de ces points mis en regard de l'ensemble de la preuve et des conclusions tirées là-dessus par la Commission, ne suffisent pas, à mon humble avis, à justifier l'intervention de la Cour en contrôle judiciaire.

[24]      La demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

                             L.-Marcel Joyal

                             JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 4 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3653-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DILBAGH SINGH RANDHAWA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :      13 MAI 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR M. LE JUGE JOYAL

EN DATE DU              4 JUIN 1998

ONT COMPARU :

JEAN-FRANÇOIS BERTRAND,          POUR LE DEMANDEUR

ANNIE VAN DER MEERSCHEN,      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

JEAN-FRANÇOIS BERTRAND,          POUR LE DEMANDEUR

ANNIE VAN DER MEERSCHEN,     

George Thomson                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



__________________

1      White c. R., [1947] R.C.S. 268.

2      Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 33 (C.A.F.).

3      Rajarathan c. Canada (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

4      Aguebor c. M.E.I., précitée.

5      Hilo c. Canada (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 201 (C.A.F.).

6      Rajarathan c. Canada, précitée.

7      Ye c. Canada (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 77 (C.A.F.).

8      Aguebor c. M.E.I., précitée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.