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Date : 19991021


Dossier : IMM-761-99




ENTRE:

CLAUDE ALAIN MEKINY WHAIDE


Demandeur


-et-




MINISTRE DE L"IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ


Défendeur




MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE BLAIS


INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de la Section du statut de réfugié rendue le 14 janvier 1999, selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.



LES FAITS

[2]      Le demandeur Claude Alain Mekiny Whaide est citoyen de l"ancien Zaïre ainsi que du Rwanda. En 1990, il obtint le grade de lieutenant au sein de l"armée zaïroise et travailla au service administratif d"un centre hospitalier militaire.

[3]      Son père et son frère furent assassinés au Rwanda lors de la guerre civile. Au retour du voyage entrepris pour ramener sa soeur au Zaïre, il quitta l"armée zaïroise.

[4]      En 1994, le demandeur s"installa à Goma, à la frontière, dans le but de retrouver sa conjointe et ses enfants jumeaux.

[5]      En 1997, il fut victime d"une agression de la part des militaires. Il fut hospitalisé et sa convalescence dura presque 2 mois.

[6]      Pendant ce temps, le pouvoir a changé et de nombreuses arrestations eurent lieu auprès des officiers de l"ancien régime. Le demandeur quitta la république démocratique du Congo (RDC) le 16 avril 1997.

[7]      Il transita dans six pays différents, avant son arrivée au Canada le 10 février 1998, où il revendiqua le statut de réfugié le même jour.

[8]      Le demandeur craint la persécution en RDC à cause de son appartenance à un groupe social, soit celui de membre et déserteur de l"ancienne armée zaïroise. Il craint la persécution au Rwanda à cause de son appartenance à un groupe social, soit celui du groupe ethnique Hutu.

DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[9]      Le tribunal a rejeté la demande pour cause d"invraisemblance et de non crédibilité.

[10]      Le tribunal s"est attardé aux contradictions quant au départ du demandeur de l"armée. Le tribunal a appris, lors de l"audience, que le demandeur avait déserté l"armée parce qu"on lui avait refusé la permission d"aller au Rwanda pour assister aux obsèques de son père et de son frère et dans le but de ramener sa soeur au Zaïre. Le tribunal a conclu que le fait de déserter l"armée pour aider un membre de la famille n"est pas l'expression d'une opinion politique.

[11]      Le tribunal n"a pas cru le demandeur quand il a affirmé avoir une crainte de l"armée depuis sa désertion puisqu"il n"a pas eu de problème avec l'armée au service du nouveau régime.

[12]      Le tribunal a eu des difficultés à croire le demandeur en ce qui concerne son travail au poste frontière.

[13]      De plus, le tribunal a trouvé invraisemblable que les autorités zaïroises aient accordé à un déserteur de l"armée des responsabilités à la frontière. Le tribunal a trouvé également invraisemblable qu"un déserteur de l"armée zaïroise accepte de travailler dans une région où l"armée zaïroise était très présente. Un tel comportement a rendu, aux yeux du tribunal, le témoignage du demandeur, quant à sa crainte de persécution, non crédible.

[14]      Le tribunal a signalé que le demandeur est d"origine rwandaise, qu"il aurait pu retourner dans son pays d"origine. Quant à la crainte de persécution au Rwanda parce qu"il est un Hutu, le tribunal a conclu qu"elle n"est pas fondée. Les personnes ciblées par les autorités militaires sont celles ayant participé au génocide ou affiché des opinions politiques. Or, le demandeur ayant quitté le Rwanda à un âge très bas, il n"a ni participé au génocide ni exprimé d"opinions politiques suivant la preuve présentée.

[15]      De plus, le tribunal a remarqué que le demandeur a transité dans quatre pays de la communauté européenne sans demander la protection. Il a conclu qu"un tel comportement démontre que la crainte de persécution est non fondée.

LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[16]      Le demandeur soumet que la Commission a commis plusieurs erreurs manifestes d"appréciation quant à la crédibilité du demandeur.

[17]      En ce qui concerne le départ de l"armée, le demandeur suggère que s'il a fait mention d"une désertion dans le Formulaire de renseignements personnels, dans le langage courant, c'est assimilable à un départ volontaire.

[18]      En ce qui concerne les troubles avec l"armée ainsi que son travail au poste-frontière, le demandeur soumet que la Commission n"a pas tenu compte de la situation locale. Non seulement le demandeur a perdu cinq membres de sa famille, mais il a été personnellement transpercé d"un coup de baïonnette par des militaires.

[19]      Le demandeur affirme qu'il fut placé au service d"hygiène et de santé, et qu'il a fait ses preuves et a gagné la confiance des fonctionnaires par son assiduité malgré le fait qu"il ne recevait pas de salaire. C"est de cette façon qu"il espérait avoir des renseignements sur sa famille. Il n"y avait aucun contrôle sérieux, et tant que le demandeur n"était pas dénoncé, il pouvait se faufiler et donner un coup de main.

[20]      Le demandeur soumet qu"en 1997, il fut arrêté, ayant participé à une bagarre, à l'occasion de laquelle il fut blessé d"un coup de baïonnette, puis transporté d"urgence à l"hôpital. Ce n"est que grâce à l"intervention de ses amis fonctionnaires qu"il n"a pas été tué.

[21]      Le demandeur soumet que les pièces versées au dossier corroborent ses explications et son témoignage. Il en conclut que la Commission a commis une erreur de droit.

[22]      Le demandeur soutient qu"il a une crainte de persécution en raison de sa race et de sa nationalité, vu qu"il est né au Rwanda et appartient à l"ethnie des Hutus. Il a été exposé aux exactions pendant la rébellion et la guerre civile qui se sont suivies.

[23]      Le demandeur argumente qu"il est également persécuté dans la RDC en raison de ses opinions politiques (départ volontaire de l"armée et assistance aux victimes des massacres).

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[24]      Le défendeur note que le demandeur ne conteste pas la conclusion quant à son omission de revendiquer le statut de réfugié dans quatre pays partie au Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, il argumente que la présente demande doit être rejetée.

[25]      Le défendeur soumet que la présente demande devrait être rejetée vu que le demandeur n"a pas démontré que la conclusion de la Section du statut quant à sa revendication à l"égard du Rwanda était mal fondée.

[26]      De plus, il soulève le fait que la preuve ne démontre pas que le demandeur a le profil des Hutus ciblés par les autorités militaires rwandaises, c"est-à-dire ceux qui ont participé au génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994 ou ceux qui ont affiché au Rwanda leurs opinions politiques.

[27]      En ce qui a trait à la crainte dans la RDC, le défendeur désire souligner qu"il s"agit de conclusions de fait et de crédibilité qui ne sont pas déraisonnables compte tenu des invraisemblances, contradictions et omissions relevées par la Section du statut. Comme cette dernière n"a pas cru l"histoire du demandeur, elle n"avait pas à se demander si sa crainte était objectivement fondée.

[28]      En outre, le défendeur note que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Section du statut selon laquelle son comportement est inconciliable avec celui d"une personne qui a une crainte bien fondée de persécution.

QUESTION EN LITIGE

[29]      La Commission a-t-elle eu tort de conclure que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention?

ANALYSE

[30]      Bien que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission en ce qui concerne son transit, il conteste d"autres éléments sur lesquels la Commission s"est attardée et sur lesquels elle a basé sa décision en grande partie. Nous allons revoir ces éléments.

[31]      La norme de contrôle judiciaire dans les questions de crédibilité a été établie dans Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 1:

         La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[32]      Quant à la vraisemblance, le juge Décary a énoncé la norme de contrôle judiciaire dans l"affaire Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732:

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[33]      Il ressort clairement de la jurisprudence qu"il appartient à la Commission d"apprécier la crédibilité de la preuve présentée. La Cour fédérale ne devrait pas intervenir à moins que les conclusions de crédibilité et d"invraisemblances ne reposent sur aucune preuve.

[34]      En l"instance, un examen du dossier révèle que la Section du statut a relevé plusieurs contradictions, invraisemblances et omissions.

[35]      La Section du statut a conclu que les explications du demandeur en ce qui concerne son départ de l"armée n"étaient pas dignes de foi. Elle a souligné que le demandeur allègue une crainte de persécution suite à sa désertion, malgré le fait qu"il n"a pas eu de problème avec l'armée au service du nouveau régime. Elle a indiqué que les réponses du demandeur quant à sa présence à Goma étaient vagues, hésitantes et imprécises.

[36]      De plus, elle a déclaré qu"il était invraisemblable qu"un déserteur travaille en collaboration avec l"armée qu"il vient de déserter.

[37]      La Commission a donné la chance au demandeur d"expliquer ses contradictions. Cependant, il n"a pas été en mesure de satisfaire la Commission.

[38]      Dans l"affaire Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, le juge MacKay indique:

         Dans le cas où la décision de la formation de jugement est centrée en dernière analyse sur son appréciation de la crédibilité, la charge de la preuve qui incombe à celui qui se pourvoit en contrôle judiciaire est bien lourde, puisque la Cour doit être persuadée que la décision de la formation de jugement est abusive ou arbitraire, ou rendue au mépris des éléments de preuve dont elle dispose. Ainsi donc, dans le cas même où la Cour pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n'interviendra pas à moins que le requérant n'arrive à prouver que la décision de la formation de jugement n'est fondée sur aucune preuve.

[39]      La décision de la Commission était basée sur la preuve présentée. En ce qui concerne la RDC, le demandeur a été jugé non crédible. En ce qui concerne le Rwanda, il n"a pas réussi à démontrer sa crainte.

[40]      Le demandeur n"a pas réussi à démontrer que la décision était abusive ou arbitraire. L"intervention de cette Cour n'est pas justifiée.

[41]      Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[42]      Aucune question sérieuse n'a été soumise pour certification.


                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 21 octobre 1999

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