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Date : 20051230

Dossier : DES‑04‑02

Référence : 2005 CF 1740

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

 

A.        INTRODUCTION

[1]               Mohamed Harkat (le demandeur), un citoyen de l’Algérie et un ressortissant étranger au Canada, a demandé, le 23 septembre 2005, sa mise en liberté judiciaire conformément au paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002. M. Harkat est arrivé au Canada le 6 octobre 1995 après avoir résidé au Pakistan pendant cinq ans, selon ce qu’il a dit. Dès son arrivée, il a demandé le statut de réfugié qui, le 24 février 1997, lui a été reconnu. Il a ensuite présenté une demande de résidence permanente le 18 mars 1997, laquelle lui a été refusée le 13 décembre 2002.

[2]               L’article 84 de la Loi de la Loi est rédigé comme suit :

84. (1) Le ministre peut, sur demande, mettre le résident permanent ou l’étranger en liberté s’il veut quitter le Canada.

84. (1) The Minister may, on application by a permanent resident or a foreign national, order their release from detention to permit their departure from Canada.

Mise en liberté judiciaire

(2) Sur demande de l’étranger dont la mesure de renvoi n’a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. [Non souligné dans l’original.]

Judicial release

(2) A judge may, on application by a foreign national who has not been removed from Canada within 120 days after the Federal Court determines a certificate to be reasonable, order the foreign national’s release from detention, under terms and conditions that the judge considers appropriate, if satisfied that the foreign national will not be removed from Canada within a reasonable time and that the release will not pose a danger to national security or to the safety of any person.

 

[3]               M. Harkat est détenu au Centre régional de détention d’Ottawa depuis le 10 décembre 2002, par suite d’un certificat de sécurité délivré au début du mois de décembre 2002 conformément au paragraphe 77(1) de la Loi. Il a présenté sa demande de mise en liberté judiciaire après que ma collègue la juge Dawson eut décidé le 22 mars 2005, [2005 CF 393], que le certificat de sécurité des ministres était raisonnable.

 

[4]               En vertu de l’article 81 de la Loi, le certificat de sécurité jugé raisonnable fait foi de l’interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête. La personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi.

 

[5]               Le paragraphe 82(2) de la Loi, intitulé « Détention obligatoire », prévoit qu’un ressortissant étranger nommé au certificat de sécurité délivré en vertu du paragraphe 77(1) « est mis en détention sans nécessité de mandat ». Cela veut dire que, contrairement au cas d’un résident permanent visé par l’article 83 de la Loi, la demande présentée par M. Harkat constitue sa première possibilité de faire examiner sa détention en vertu de la Loi.

 

[6]               Le certificat de sécurité attestait que M. Harkat était interdit de territoire au Canada pour des motifs de sécurité, à titre de personne visée aux alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la Loi, parce qu’il existait des motifs raisonnables de croire :

1)          qu’il se livrait au terrorisme en soutenant des activités terroristes;

2)          qu’il était, ou qu’il est, membre du Réseau ben Laden, organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme.

 

[7]               Voici les principales constatations et conclusions qui ont amené la juge Dawson à décider que le certificat de sécurité délivré à l’égard de M. Harkat était raisonnable :

¶ 113      Alors même qu’on ne conclurait pas à l’invraisemblance du témoignage de M. Harkat sur les trois points importants précités, il ressort très nettement de renseignements confidentiels que M. Harkat, qui témoignait sous serment, a menti à la Cour sur plusieurs points importants, notamment lorsqu’il a nié :

 

(i)  avoir sciemment soutenu ou aidé des extrémistes islamiques;

 

(ii)  avoir aidé des extrémistes islamiques arrivés au Canada;

 

(iii)  avoir entretenu des liens avec Abu Zubaida;

 

(iv)  s’être trouvé en Afghanistan; et

 

(v)  avoir séjourné à Peshawar.

 

 

¶ 114      En ce qui concerne les renseignements confidentiels sur lesquels je me fonde pour conclure au manque de crédibilité de M. Harkat, j’ai fait très attention aux détails des renseignements fournis, posé des questions très précises et reçu des réponses quant à la fiabilité des diverses sources de renseignements. Je me suis également penchée sur le point de savoir si ces renseignements étaient recoupés par une ou plusieurs sources indépendantes. Je conclus de tout cela que des renseignements fiables et crédibles, provenant de plusieurs sources indépendantes, dont bon nombre ont pu être confirmés, contredisent les dénégations de M. Harkat sur chacun de ces points. Mettant en balance les éléments de preuve et le témoignage de M. Harkat, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les dénégations de M. Harkat ne sont pas crédibles et que, dans sa déposition, il a menti à la Cour.

[...]

 

¶ 143      L’examen de l’ensemble des éléments fournis à la Cour démontre de manière objective et au vu de preuves qui me paraissent crédibles, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que :

 

1.  Avant d’arriver au Canada, M. Harkat s’est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes.

 

2.  M. Harkat s’est rendu en Afghanistan, et y a séjourné.

 

3.  M. Harkat a soutenu des activités terroristes en tant que membre d’un groupe terroriste connu sous le nom de Réseau ben Laden. Avant et après son arrivée au Canada, M. Harkat a été lié à des personnes dont on pense qu’elles font partie de ce réseau.

 

4.  Le Réseau ben Laden se livre à des actes de terrorisme conformes à son objectif déclaré qui est de mettre en place des États islamiques fondés sur une interprétation fondamentaliste de loi islamique. Le Réseau ben Laden a été de manière directe ou indirecte lié à des actions terroristes dans plusieurs pays. (Je fais remarquer, entre parenthèses, que M. Harkat n’a nullement contesté le fait que le Réseau ben Laden, comme l’affirment les ministres, est une organisation qui s’est livrée ou qui se livrera au terrorisme.)

 

5.  Le Réseau ben Laden avait installé, en Afghanistan et au Pakistan, des camps d’entraînement et des lieux d’hébergement pour terroristes. Ces camps assuraient le logement et le financement des terroristes et dispensaient une formation à la lutte armée et aux techniques de contre‑espionnage. En Afghanistan, Abu Zubaida était chargé des camps d’entraînement de Khaldun et de Darunta.

 

6.  M. Harkat reconnaît avoir été un partisan du FIS. Lorsque le FIS s’est séparé du GIA, M. Harkat a fait savoir que sa loyauté était acquise au GIA. Le GIA entend établir en Algérie par la violence terroriste un État islamiste. Le soutien accordé par M. Harkat au GIA s’inscrit dans une logique de soutien à la violence terroriste.

 

7.  M. Harkat a menti aux autorités canadiennes au sujet de :

 

 

‑  son travail, au Pakistan, auprès d’un organisme de secours;

 

‑  son séjour en Afghanistan;

 

‑  ses liens avec des personnes qui soutiennent des réseaux extrémistes internationaux;

 

‑  son utilisation d’un nom d’emprunt, en l’occurrence Abu Muslima; et

 

‑  son aide aux extrémistes islamiques.

 

 

J’en conclus que s’il a menti c’était, du moins en partie, afin de se distancer des personnes soutenant le terrorisme et de dissimuler aux autorités canadiennes le rôle qu’il avait joué dans ce soutien à des activités terroristes.

 

 

8.  M. Harkat a aidé des extrémistes islamiques arrivés au Canada.

9.  M. Harkat est lié à Abu Zubaida depuis le début des années 1990. Entre 1990 et la date de son arrestation, Abu Zubaida était l’un des principaux adjoints d’Oussama ben Laden.

 

10.  Au Canada, M. Harkat a été en contact avec des militants islamistes.

 

¶ 144      En tant que personne visée par les alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la Loi, M. Harkat est donc interdit de territoire au Canada car il y a des motifs raisonnables de croire que :

 

(i)  M. Harkat s’est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes; et

 

(ii)  M. Harkat était ou est encore membre du Réseau ben Laden, organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme. [Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Par souci d’exhaustivité, je donnerai des détails au sujet de trois conclusions d’invraisemblance dont la juge Dawson a fait mention au paragraphe 113 de ses motifs, en concluant que le certificat de sécurité délivré à l’encontre de M. Harkat était raisonnable. Au paragraphe 105 de ses motifs, la juge a écrit ce qui suit :

¶ 105      Tout témoignage livré sous serment est présumé véridique, à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de sa véracité. Il y a, cependant, trois aspects du témoignage de M. Harkat qui, bien qu’ils soient peut‑être véridiques, portent franchement à se demander si son témoignage est plausible, s’il a l’accent de la vérité. Il s’agit des réponses livrées par M. Harkat au sujet de la manière dont il a obtenu son travail auprès de la Ligue islamique mondiale, du salaire qui lui était versé par la Ligue islamique mondiale au Pakistan, et de son voyage entre Ottawa et Toronto, en fourgonnette avec M. Ahmad Khadr.

 

[9]               Quant au fait que M. Harkat avait été engagé par la Ligue islamique mondiale à titre de superviseur d’entrepôt, la juge Dawson a conclu ce qui suit :

 106     [...] Dans son témoignage, M. Harkat a déclaré que la Ligue islamique mondiale ne voulait pas confier ce poste à un Pakistanais ou à un Afghan, ajoutant que le poste de superviseur exigeait de l’honnêteté. Le témoignage de M. Harkat n’explique pas comment la Ligue islamique mondiale a pu conclure que M. Harkat avait l’honnêteté nécessaire et, sur ce point, sa déposition ne paraît pas convaincante.

 

[10]           Quant à la question du salaire, la juge Dawson a dit qu’aucune explication n’avait été donnée au sujet de la raison pour laquelle M. Harkat était si bien rémunéré et elle a conclu ce qui suit : « Encore une fois, il est difficile de croire que quelqu’un se trouvant dans la situation de M. Harkat serait payé 18 000 $US alors qu’il travaillait au Pakistan dans un camp de réfugiés ».

[11]           Enfin, en ce qui concerne le fait qu’il s’était rendu d’Ottawa à Toronto en fourgonnette en compagnie d’Ahmed Khadr, l’un des principaux collaborateurs d’Oussama ben Laden, la juge Dawson a dit que M. Harkat et M. Khadr ont censément travaillé au Pakistan pour des organismes de secours islamiques, mais que M. Harkat avait pourtant affirmé n’avoir échangé avec M. Khadr que quelques mots lorsqu’il s’était rendu avec lui en fourgonnette d’Ottawa à Toronto. La juge a fait remarquer que M. Harkat avait dit que M. Khadr lui avait uniquement conseillé de dire la vérité aux autorités de l’immigration. Voici ce que la juge Dawson a conclu :

[108] [...] Étant donné leurs antécédents communs dans le secours aux réfugiés au Pakistan, et bien que M. Harkat ait expliqué qu’il était préoccupé ce jour‑là, il me semble peu plausible qu’au cours d’un trajet de cinq heures ce soient les seuls propos qu’il ait échangés avec un des principaux collaborateurs d’Oussama ben Laden.

 

[12]           La juge a tiré la conclusion suivante :

¶ 109      Ce sont ces éléments de la déposition de M. Harkat qui sonnaient faux. On ne doit conclure à l’invraisemblance d’un témoignage que lorsque celui‑ci va tellement au‑delà de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre que l’on peut conclure sans risque que la déposition ne peut pas être véridique. Alors que la déposition de M. Harkat sur ces points pourrait être conforme à la vérité, on ne peut pas, si l’on est réaliste, raisonnablement penser que M. Harkat aurait effectivement été engagé et rémunéré dans les conditions qu’il nous a indiquées, ou qu’il n’ait pas eu, avec M. Khadr, au cours d’un trajet de cinq heures, une vraie conversation. Lors même de la déposition de M. Harkat, j’ai trouvé que, sur ces points, son témoignage était tout à fait invraisemblable.

 

[13]           Après avoir reçu les documents du demandeur, le juge en chef de la Cour a immédiatement communiqué avec les avocats des parties pour établir un calendrier des mesures menant à la fixation de dates d’audience aux fins de l’examen public de la demande de mise en liberté judiciaire de M. Harkat.

 

[14]           Conformément à ce calendrier, l’avocat des défendeurs a déposé, le 7 octobre 2005, une version publique et une version confidentielle d’un document intitulé [traduction] « Renseignements concernant la demande de mise en liberté présentée par Mohamed Harkat conformément à l’article 84 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » avec à l’appui deux volumes de documents publics et trois volumes de documents confidentiels.

 

[15]           Après avoir entrepris l’étude nécessaire de tous les documents, tant publics que confidentiels, déposés devant la juge Dawson à l’égard du certificat de sécurité ainsi que des documents additionnels déposés dans le cadre de la présente demande, j’ai rencontré à huis clos et ex parte les avocats et représentants des défendeurs pendant trois heures le 14 octobre 2005 et je leur ai proposé plusieurs choses au sujet de la façon dont la version publique du document d’information des défendeurs à l’encontre de la mise en liberté de M. Harkat pourrait être amplifiée en vue de divulguer à M. Harkat et à son avocat le plus de renseignements possible sans compromettre les renseignements liés à la sécurité nationale. Des questions de pertinence ont également été soulevées. La Cour a de nouveau rencontré à huis clos et ex parte les mêmes représentants des défendeurs le 17 octobre 2005 en vue de connaître leur réaction aux suggestions qu’elle avait faites ainsi que les raisons pour lesquelles il n’était pas possible de donner suite aux idées exprimées par la Cour à l’égard de ce qu’elle avait proposé le 14 octobre.

 

[16]           Par suite de cet échange, l’avocat des défendeurs a signifié et déposé, le 17 octobre 2005, un document de renseignements publics modifié et augmenté. Eu égard aux circonstances, je suis convaincu que ce document constitue la meilleure divulgation possible.

 

[17]           La Cour a tenu des audiences publiques les 24 et 25 octobre ainsi que les 2, 3, 4 et 8 novembre 2005. Des éléments de preuve ont également été présentés à huis clos par l’avocat de M. Harkat en présence de l’avocat des défendeurs le 25 novembre 2005. La Cour a également entendu l’avocat des défendeurs à huis clos et ex parte le 4 novembre 2005, pendant environ deux heures, ainsi que les 29 et 30 novembre 2005, pendant une dizaine d’heures.

 

B.        La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Almrei

 

[18]           La décision qui fait autorité en ce qui concerne l’interprétation et l’application du paragraphe 84(2) de la Loi est celle que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 54, dont les motifs ont été rendus par le juge Létourneau. Je note que la Cour suprême du Canada vient d’accorder l’autorisation de se pourvoir en appel de cette décision.

 

[19]           M. Almrei, comme M. Harkat, était un étranger et avait qualité de réfugié, mais non qualité de résident permanent, au Canada. Il était citoyen de la Syrie et il était détenu en vertu d’un certificat de sécurité depuis le 19 octobre 2001; le certificat avait été jugé raisonnable par la juge Tremblay‑Lamer le 23 novembre 2001. Quelques jours plus tard, M. Almrei avait été informé que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration demanderait un avis selon lequel il constituait un danger pour la sécurité du Canada, lequel pourrait donner lieu à son renvoi en Syrie même s’il avait qualité de réfugié au Canada.

 

[20]           Je tire de l’arrêt Almrei, précité, les principes suivants que le juge Létourneau a énoncés dans ses motifs :

1)                  Au paragraphe 5 de ses motifs, le juge a dit qu’« [E]n l’espèce, il faut tenir particulièrement compte des faits puisque les délais et les agissements des parties sont une question essentielle lors d’une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2) ». [Non souligné dans l’original.]

2)                  D’une façon générale, le paragraphe 84(2) a pour objet « d’assurer que les autorités feront preuve de diligence dans le renvoi d’un ressortissant étranger qui a été détenu pour des motifs de sécurité » (paragraphe 28). Cette disposition prévoit l’obligation « de procéder au renvoi dans [un] délai raisonnable » (paragraphe 28). [Non souligné dans l’original.]

3)                  Un délai déraisonnable attribué au fait que les autorités prolongent d’une manière indue et injustifiable la détention d’une personne est une violation de son droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité de la personne (paragraphe 29). [Non souligné dans l’original.]

4)                  « Une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) vise essentiellement la question de savoir si l’étranger sera renvoyé dans un délai raisonnable. Il n’est point nécessaire d’avoir une preuve secrète à cette fin. Ce n’est que s’il existe une preuve que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable qu’il faut examiner la question de savoir si la mise en liberté du ressortissant étranger constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui » (paragraphe 33). [Non souligné dans l’original.]

5)                  « [E]n vertu du paragraphe 84(2), le renvoi dans un délai raisonnable, lorsque la procédure relative au certificat de sécurité est terminée, est la question principale qui se pose » (paragraphe 34). [Non souligné dans l’original.]

6)                  « [L]e renouvellement d’une demande en vertu du paragraphe 84(2) est possible s’il existe de nouveaux faits ou s’il y a un changement important des circonstances depuis la demande antérieure » (paragraphe 36).

7)                  L’objectif qui sous‑tend le paragraphe 84(2) est « d’assurer le contrôle judiciaire des motifs de la détention et la protection judiciaire contre toute détention de durée indéterminée ou indéfinie » (paragraphe 36).

8)                  Dans une demande de mise en liberté présentée en application du paragraphe 84(2), il incombe à l’étranger d’établir que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. La charge de la preuve est celle de la prépondérance des probabilités (paragraphe 39). [Non souligné dans l’original.]

9)                  « Toute personne qui demande sa mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) doit établir quatre éléments :

a)      qu’elle n’a pas été renvoyée du Canada;

b)      qu’au moins 120 jours se sont écoulés depuis que la Cour fédérale s’est prononcée sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité;

c)      qu’elle ne sera pas renvoyée du Canada dans un délai raisonnable;

d)      que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui » (paragraphe 41).

10)              Au paragraphe 42, le juge Létourneau a écrit ce qui suit au sujet de ces quatre conditions :

¶ 42      Les deux premières conditions d’une demande en vertu du paragraphe 84(2) sont simples et certainement peu difficiles à établir. Quant aux deux dernières, la personne qui demande sa mise en liberté a la charge d’introduire de la preuve. C’est‑à‑dire qu’elle doit déposer des éléments de preuve établissant qu’elle a des motifs raisonnables de croire que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Il faut réfuter cette preuve. Sinon, le demandeur obtiendra sa mise en liberté. Cela veut dire que la partie qui conteste la mise en liberté a, à son tour, la charge d’introduire de la preuve. En pratique, la Couronne doit réagir. Elle a également un fardeau d’introduire de la preuve, c’est‑à‑dire celui de présenter une preuve que le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable et, si nécessaire, que la mise en liberté du demandeur constituera un danger pour la sécurité, aux termes du paragraphe 84(2) de la LIPR. Le juge évaluera ensuite les éléments de preuve présentés par les deux parties et il décidera si les conditions du paragraphe 84(2) sont respectées. [Non souligné dans l’original.]

 

11)              « [...] on sait maintenant qu’une décision sur le certificat de sécurité n’est pas une preuve concluante que la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada : voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 83. Autrement dit, la décision sur le certificat de sécurité n’est pas déterminante du bien‑fondé, de l’opportunité et de la légalité de la détention de la personne, même si elle peut être fondée sur la conclusion selon laquelle la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada, en conformité avec l’alinéa 34(1)d) de la LIPR » (paragraphe 48).

12)              « Lors d’une demande en vertu du paragraphe 84(2), le juge doit décider si l’étranger sera ou non renvoyé du Canada dans un ‘délai raisonnable’. La notion de renvoi dans un ‘délai raisonnable’ exige qu’un certain temps se soit écoulé depuis le moment où le certificat a été déclaré raisonnable et l’appréciation de la question de savoir si le délai est tel qu’il faut conclure que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. Les préoccupations concernant une violation possible de l’exigence relative au ‘délai raisonnable’ surviennent après les 120 jours mentionnés au paragraphe 84(2), lorsque le renvoi n’a pas encore eu lieu » (paragraphe 55). [Non souligné dans l’original.]

13)              « Lorsque le renvoi d’un étranger est reporté de manière à ce qu’entre en jeu l’exigence du ‘délai raisonnable’, le juge qui entend la demande de mise en liberté doit tenir compte du [report] et en examiner les causes » (paragraphe 57).

14)              « Ainsi, en décidant s’il y aura exécution ou application de la mesure de renvoi dans un délai raisonnable, le juge doit tenir compte du [retard] occasionné par les parties, ainsi que du [retard] institutionnel qui fait partie intégrante de l’obtention d’une réparation [...] le paragraphe 84(2) [...] autorise un juge à ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du [retard] résultant d’une procédure amorcée par le demandeur qui a pour effet précis d’empêcher la Couronne d’appliquer la loi dans un délai raisonnable, comme l’exige la disposition. En d’autres termes, lorsqu’un demandeur, à tort ou à raison, tente d’empêcher son renvoi du Canada et qu’un [retard] s’ensuit, il ne peut se plaindre que ce renvoi n’a pas eu lieu dans un délai raisonnable, sauf si le délai est déraisonnable ou excessif pour des raisons qui ne relèvent pas de lui » (paragraphe 58). [Non souligné dans l’original.]

15)              « [...] dans une mesure limitée [...] la durée de la détention passée, ainsi que les conditions de celle‑ci, sont des facteurs pertinents dont il faut tenir compte dans l’examen d’une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) [...] ces deux facteurs sont loin d’être déterminants pour ce qui concerne la demande » (paragraphe 80). [Non souligné dans l’original.]

16)              « De fait, le critère applicable pour accorder ou refuser une demande en vertu du paragraphe 84(2) est un critère qui vise l’avenir. Il faut une preuve que le demandeur ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Si le gouvernement produit, à l’audience, une preuve crédible et concluante d’un renvoi imminent du Canada, la durée de la détention, ainsi que les conditions de celle‑ci perdent beaucoup de leur importance parce que la demande doit aboutir à une prolongation de la détention, à une mise en liberté ou à un renvoi. Puisque le renvoi dans un délai raisonnable respecte les dispositions de la loi, la mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) n’est plus possible. Les [retards] antérieurs, les conditions de détention, voire les abus, s’ils pouvaient entraîner d’autres réparations, ne sont plus des facteurs opérants selon les termes du paragraphe 84(2), puisqu’il n’existe alors aucune preuve que le demandeur ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable » (paragraphe 81). [Non souligné dans l’original.]

17)              « La durée et les conditions de la détention antérieure peuvent s’avérer pertinentes dans l’évaluation de la crédibilité de la preuve selon laquelle le renvoi est imminent [...]. Quant aux conditions de détention, elles peuvent être de nature telle, particulièrement lorsqu’il s’agit également d’une longue détention, que l’expression ‘dans un délai raisonnable’ prend un autre sens, celui de l’urgence. Le renvoi doit donc être effectué encore plus rapidement afin de respecter les exigences du paragraphe 84(2) » (paragraphe 82). [Non souligné dans l’original.]

18)              « C’est dans cette optique que, lorsque nécessaire, le juge doit examiner la durée et les conditions de la détention, ainsi que les causes déterminantes du [retard] » (paragraphe 83).

 

C.        LA PREUVE

1)                  La preuve du demandeur

 

[21]           Toute la preuve du demandeur a été présentée en public sauf lors de l’audience tenue à huis clos le 25 novembre 2005.

 

a)      La preuve documentaire du demandeur

 

[22]           Avant l’audience publique qui a commencé le 24 octobre 2005, le demandeur avait déposé cinq catégories de documents, dans quatre volumes :

1)                  l’affidavit de Simon King, visant à informer la Cour de ce qui s’était passé du 24 mars au 24 octobre 2005;

2)                  l’affidavit de Michael Nuyen informant la Cour de la technologie associée à deux types de bracelets de contrôle à distance que le demandeur porterait s’il était mis en liberté et si on l’autorisait à s’absenter de la résidence familiale à certaines heures en compagnie de cautions;

3)                  les affidavits de plusieurs cautions, dont la femme du demandeur, Sophie Harkat, la mère de cette dernière, Pierrette Brunette, Pierre Loranger, qui habite la résidence familiale, Jessica Squires, Kevin Skerrett et Leonard Bush, qui superviseraient l’observation par M. Harkat des conditions de sa mise en liberté;

4)                  les affidavits de plus de 70 personnes qui ont promis plusieurs milliers de dollars à titre de contribution au cautionnement ou à la garantie de bonne exécution en vue d’assurer que M. Harkat respecte les conditions de sa mise en liberté;

5)                  un recueil de documents concernant le refoulement visé à l’article 115 de la Loi;

6)                  un document distinct de Human Rights Watch, du mois d’avril 2005, intitulé « Still at Risk » (diplomatic assurances, no safeguard against torture) » [« Encore en danger » (garanties diplomatiques, aucune protection contre la torture) »];

7)                  la preuve du docteur Cameron, qui a procédé à un examen psychiatrique de M. Harkat au mois de septembre 2005.

 

[23]       L’affidavit de M. King fait état des événements importants suivants :

a)             Le 24 mars 2005, deux jours après le dépôt de la décision rendue par la juge Dawson sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, le directeur intérimaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence ou l’ASFC) à Ottawa, (le directeur intérimaire) a écrit à M. Harkat pour l’informer que, conformément à l’alinéa 115(2)b) de la Loi, l’ASFC demanderait au représentant du ministre de rendre un avis selon lequel il est une personne qui constitue un danger pour la sécurité du Canada. Le directeur intérimaire a informé M. Harkat qu’un avis rendu conformément à cette disposition avait des conséquences sérieuses même si la qualité de réfugié au sens de la Convention lui avait été reconnue. Si le ministre était d’avis qu’il ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada en raison du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada, la chose pourrait entraîner son renvoi dans son pays de citoyenneté, l’Algérie. On a dit à M. Harkat qu’il pouvait soumettre des observations écrites à titre préliminaire et qu’on lui donnerait une autre possibilité de réfuter le mémoire soumis au représentant du ministre par CIC, contenant les recommandations de CIC et les documents à l’appui.

 

b)             Le 21 avril 2005, après avoir obtenu une prorogation de 15 jours, Paul Copeland, l’un des avocats de M. Harkat, a soumis des observations préliminaires auxquelles étaient jointes plusieurs pièces de preuve documentaire : Dossiers d’information sur l’Algérie émanant du Département d’État des États‑Unis pour les années 2004 et 2005, déposition présentée par un témoin de Human Rights Watch devant le House of Representatives Committee on International Relations des États‑Unis et un rapport d’Amnistie internationale sur l’Algérie. Divers autres documents et une preuve d’expert sous la forme d’affidavits des professeurs Entelis et Joffé portant sur la situation en Algérie ainsi qu’une lettre d’Amnistie Internationale en date du 21 avril 2005 à l’encontre de l’expulsion de M. Harkat en Algérie ont également été transmis.

 

c)             Dans une lettre adressée au directeur intérimaire le 21 avril 2005, M. Copeland demandait un avis immédiat au sujet de la question de savoir si le Canada demandait à l’Algérie de fournir des garanties diplomatiques. M. Copeland indiquait qu’il espérait recevoir de l’ASFC, à Ottawa, la trousse complète de documents qui serait présentée au représentant du ministre. M. Copeland demandait le nom du représentant du ministre et il voulait obtenir des renseignements au sujet de ses qualifications, de ses études et de sa formation. Il demandait s’il y avait des rapports de groupes des Nations Unies, d’ONG ou d’autres gouvernements au sujet de la situation en Algérie, sur lesquels le gouvernement du Canada s’appuierait.

 

d)             Pour la période allant du 22 avril 2005 au 12 septembre 2005, l’affidavit de M. King fait état de lettres échangées entre M. Copeland et l’ASFC ou Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ou de documents reçus par M. Copeland au sujet de la situation en Algérie, en particulier, à l’égard de membres ou d’individus soupçonnés d’être membres ou sympathisants de groupes tels que Le Groupe islamique armé (le GIA), qu’il avait remis au gouvernement canadien. Ainsi, le 13 mai 2005, M. Copeland avait transmis au directeur intérimaire de l’ASFC, à Ottawa, un article portant sur la torture d’un Algérien. Le 9 juin 2005, M. Copeland a écrit à l’ASFC, à Ottawa, pour signaler qu’il n’avait pas reçu de réponses à quatre questions. Il joignait également deux documents se rapportant à une décision en date du 26 mai 2005 concernant un ressortissant algérien par laquelle le Board of Immigration Appeals des États‑Unis avait confirmé une demande d’asile en concluant que l’intéressé s’était acquitté de l’obligation qui lui incombait de démontrer qu’il craignait avec raison d’être persécuté en Algérie du fait de ses opinions politiques. Le 29 juin 2005, M. Copeland a écrit au ministre des Affaires étrangères pour lui demander si le ministère cherchait à obtenir des garanties diplomatiques du gouvernement de l’Algérie [Non souligné dans l’original.]. Le 27 juin 2005, il demandait encore des réponses aux questions qu’il avait posées. Le 28 juillet 2005, il a reçu une réponse de Louis Dumas, directeur, Antiterrorisme, Division de la sécurité nationale, ASFC. M. Dumas faisait savoir à M. Copeland que trois questions seraient traitées dans le mémoire que l’ASFC ferait parvenir au représentant du ministre. M. Dumas indiquait que le représentant du ministre serait bientôt désigné. En accusant réception de la lettre du ministre des Affaires étrangères, M. Copeland a transmis au ministre un communiqué de presse des Nations Unies concernant le projet du Premier ministre Blair de demander des garanties diplomatiques à certains pays. Ce communiqué de presse en date du 23 août 2005 était intitulé « Diplomatic Assurances not an Adequate Safeguard for Deportees » [Les garanties diplomatiques ne constituent pas une protection adéquate pour les personnes expulsées]. Le 12 septembre 2005, M. Dumas a informé M. Copeland, à la demande de ce dernier, que le mémoire adressé au représentant du ministre serait bientôt prêt et qu’il lui serait bientôt transmis ainsi qu’à M. Harkat pour commentaires.

 

[24]           Pendant l’audience publique, les avocats de M. Harkat, Paul Copeland et Andrew Webber, ont déposé de nombreux documents. Un document important intitulé [traduction] « Mémoire au représentant du ministre de CIC et lettres connexes » a été déposé le 29 octobre 2005. L’auteur du mémoire recommande le renvoi de M. Harkat en Algérie. Le mémoire a été reçu au cabinet de M. Copeland le 24 octobre 2005, lorsque celui‑ci était à Ottawa, le premier jour de l’audition de la demande de M. Harkat. De fait, il s’agit de la trousse d’information remise par l’ASFC à l’égard de l’avis de danger qu’elle cherchait à obtenir du représentant du ministre. La trousse renfermait le mémoire destiné au représentant du ministre ainsi que douze appendices. Dans sa lettre, M. Dumas invitait M. Copeland à présenter des observations au ministre dans un délai de quinze (15) jours et faisait savoir que, s’il fallait à M. Harkat ou à son avocat plus de temps afin de soumettre des observations, ils devaient en faire la demande à M. Peter Foley de l’ASFC. Je note que le mémoire de l’ASFC contient 54 pages. De plus, les douze (12) appendices sont d’une longueur indéterminée.

 

[25]           Les lettres connexes se rapportaient principalement aux garanties que le Canada cherchait à obtenir de l’Algérie au sujet de M. Harkat, à savoir :

1)                  Une lettre en date du 25 juillet 2004, de l’ambassade du Canada à Alger, au ministère algérien des Affaires étrangères. Dans ce document, l’ambassade du Canada demandait :

 

a)      si, en cas d’expulsion, le gouvernement algérien consentait au retour de M. Harkat et s’il allait lui délivrer un titre de voyage à cette fin;

b)      si M. Harkat faisait face à des accusations criminelles en instance en Algérie ou s’il avait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité de la part d’un tribunal algérien;

c)      si, dans le cas où M. Harkat avait été ou serait déclaré coupable par un tribunal algérien et condamné à mort, le gouvernement algérien pouvait garantir que la peine ne serait pas exécutée;

d)      si le gouvernement algérien était en mesure de fournir des garanties expresses que M. Harkat serait traité avec compassion et qu’il ne serait pas soumis à la torture ou à des traitements cruels ou inhumains conformément aux obligations internationales contractées par l’Algérie en vertu de la Convention contre la torture et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

 

2)                  Une réponse du gouvernement algérien en date du 8 décembre 2004. Le ministère des Affaires étrangères de l’Algérie répondait ceci :

 

a)      quant à la peine capitale, le Code pénal algérien la prescrit pour divers crimes, mais depuis 1993, il y a en Algérie un moratoire contre l’exécution de la peine de mort, ce moratoire n’étant toutefois pas sanctionné par une disposition législative ou réglementaire;

b)      l’Algérie avait signé la Convention des Nations Unies contre la torture et d’autres instruments pertinents, ce qui constituait en soi une garantie. En outre, le ministère des Affaires étrangères rappelait que l’Algérie reconnaissait la compétence de deux comités de surveillance des Nations Unies constitués en vertu de la Convention sur la torture et du Pacte relatif aux droits civils et politiques et qu’elle présentait régulièrement des rapports à ces deux comités;

c)      le gouvernement algérien ne pouvait pas donner de garanties au sujet de la non‑exécution d’une peine imposée par un tribunal algérien, et ce, à cause du principe de la séparation des pouvoirs;

 

3)                  Une autre lettre datée du 20 juin 2005 de l’ambassade du Canada à Alger demandant si M. Harkat faisait l’objet d’actes d’accusation en instance ou si un mandat d’arrestation était en vigueur à l’encontre de M. Harkat en Algérie.

 

4)                  Une lettre en date du 17 juillet 2005, envoyée en réponse par le ministère des Affaires étrangères, donnant au sujet de M. Harkat des renseignements tirés des archives du bureau d’Interpol à Alger. Plus précisément, on disait que « sur le plan interne l’intéressé ne faisait l’objet que d’une fiche d’attention, en date du 19/02/92, se rapportant à son séjour en Afghanistan ».

 

[26]           M. Copeland a déposé une lettre datée du 26 octobre 2005 adressée à M. Foley, à l’ASFC, visant l’obtention, pour les raisons qui y étaient énoncées, d’une prorogation de trois mois en vue de présenter des observations à l’encontre du mémoire soumis par l’ASFC au représentant du ministre et demandant si ce document pouvait être fourni sous forme électronique, de façon qu’il puisse être rapidement transmis de cette manière à ses experts et à Human Rights Watch pour commentaires. M. Copeland demandait également au ministre de la Sécurité publique des renseignements au sujet des qualifications du représentant du ministre. Pendant l’audience, M. Copeland m’a informé que le délai visant à permettre à M. Harkat de répondre au mémoire de l’ASFC avait uniquement été prorogé jusqu’à la mi‑décembre 2005.

 

[27]           Je n’ai pas à donner de détails au sujet de tous les autres documents que l’avocat du demandeur a déposés pendant les audiences. Je n’en mentionnerai que quelques‑uns. Il s’agit d’articles relatant les événements qui venaient de se produire en ce qui concerne les présumées prisons secrètes de la CIA, le traitement que les États‑Unis infligeaient censément aux détenus membres d’al‑Qaïda et les débats qui se déroulaient aux États‑Unis au sujet de la politique relative aux détenus et à la torture. Parmi les autres documents qui ont été déposés, il y avait un article du Newsweek intitulé « The Debate over Torture » [Le débat sur la torture], en date du 21 novembre 2005, une procédure de détention engagée en Nouvelle‑Zélande à l’encontre de M. Zaoui, le rapport annuel 2004‑2005 du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, un rapport de la Jamestown Foundation portant sur les salafistes algériens et sur le nouveau visage du terrorisme en Espagne, le rapport du Comité des droits de l’homme constitué en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques au sujet du Canada, un rapport de Human Rights Watch en date du mois d’octobre 2004 intitulé « The United States ‘Disappeared’ » [Les ‘disparus’ des États‑Unis], et une lettre en date du 27 octobre 2005 transmise à la Cour fédérale par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.

 

[28]           Enfin, l’avocat du demandeur a déposé sous la cote « U » le volume II du document relié du demandeur intitulé [traduction] « Mémoire destiné au représentant du ministre de CIC et lettres connexes ». Dans cette liasse de documents, il y a une lettre en date du 14 novembre 2005, de Peter Foley de l’ASFC, dans laquelle des renseignements additionnels sont donnés au sujet de l’avis de danger. Il y a notamment une lettre concernant les garanties que le Canada cherche à obtenir de l’Algérie au sujet de M. Harkat. Premièrement, dans une lettre datée du 5 septembre 2005, le Canada posait deux questions au ministère des Affaires étrangères de l’Algérie : il demandait en premier lieu des renseignements permettant de déterminer la date à laquelle M. Harkat avait quitté pour la dernière fois le territoire algérien et, en second lieu, une confirmation écrite de la part de l’Algérie au sujet de la question de savoir si M. Harkat faisait alors face à des accusations criminelles ou s’il existait un mandat d’arrestation à son encontre. Le ministère des Affaires étrangères de l’Algérie a répondu le 26 octobre 2005. Il informait le Canada que M. Harkat n’avait jamais fait l’objet de procédures criminelles en Algérie et qu’il ne faisait pas et n’avait jamais fait l’objet d’un mandat d’arrestation. L’Algérie faisait savoir au Canada que le ministère lui transmettrait des renseignements au sujet de la date à laquelle M. Harkat avait quitté pour la dernière fois l’Algérie. L’avocat du demandeur a également déposé une copie d’un protocole d’entente entre le gouvernement du Royaume‑Uni et le gouvernement de la Jordanie régissant les arrangements pris à l’égard d’individus précis avant l’expulsion.

 

b)                  La preuve orale présentée pour le compte du demandeur

 

[29]           Trois catégories de témoins ont présenté des dépositions orales pour le compte de M. Harkat et ont été contre‑interrogés : M. Harkat lui‑même, Mme Harkat, la mère de cette dernière et d’autres cautions éventuelles chargées de la supervision ainsi que d’autres témoins, à savoir M. Nuyen et le docteur Cameron.

 

[30]           Le témoignage de M. Harkat était bref. M. Harkat a affirmé craindre vivement d’être soumis à la torture s’il est expulsé en Algérie et il a parlé de cauchemars associés à cette crainte. Il a nié avoir soutenu l’extrémisme islamique et même avoir soutenu le Réseau Oussama ben Laden. Il a déclaré s’opposer à la violence envers les êtres humains. Il a parlé de ses comptes bancaires et de la pénurie de fonds. Il a nié avoir des amis qui étaient liés à l’extrémisme islamique ou qui préconisaient la violence. Il n’a pas fourni de preuve à l’appui de ses allégations ou de preuve corroborant celles‑ci. Il a témoigné qu’il respecterait les conditions de mise en liberté qui étaient proposées dans le cadre de sa demande de mise en liberté judiciaire.

 

[31]           Le témoignage de Sophie Harkat et ceux des autres cautions éventuelles chargées de la supervision se rapportaient essentiellement à leurs fonctions et responsabilités à titre de cautions chargées de la supervision, à leur connaissance des conditions dont serait assortie la mise en liberté proposée et à leur obligation d’aviser immédiatement les autorités de tout manquement à ces conditions. En résumé, ces conditions sont analogues à celles qui s’appliquent à la détention à domicile : un couvre‑feu strict; l’incapacité de sortir de la résidence familiale à moins d’être accompagné d’une caution chargée de la supervision; la non‑utilisation d’appareils de télécommunication; l’absence d’accès à Internet; l’obligation de se présenter devant les autorités; le port d’un bracelet électronique; l’interdiction d’être en contact avec des personnes précises; l’interdiction de parler arabe sur la seule ligne téléphonique terrestre qui serait mise à la disposition de M. Harkat dans la résidence familiale. Mme Harkat et toutes les autres cautions éventuelles chargées de la supervision croyaient que M. Harkat respecterait ces conditions et affirmaient que, s’il les enfreignait, elles le dénonceraient immédiatement aux autorités. De plus, les cautions chargées de la supervision ont témoigné au sujet des sommes considérables qu’elles étaient prêtes à avancer, sommes qu’elles perdraient, comme elles le savaient, si les conditions de mise en liberté n’étaient pas observées.

 

[32]           M. Nuyen est directeur de projet chez JEMTEC Inc. JEMTEC fournit des services se rattachant à la surveillance électronique des activités d’individus portant un bracelet émetteur. C’est l’avocat du demandeur qui avait retenu ses services. Il a décrit deux systèmes : un système de base de surveillance électronique et un système plus sophistiqué appelé le système de poursuite passive GPS. Il a parlé d’un système de poursuite encore plus complexe appelé le système de poursuite active GPS, mais il a admis que cette technologie, bien qu’elle soit de plus en plus utilisée aux États‑Unis, n’était pas très connue au Canada, mais qu’elle était toutefois disponible. Il a décrit en public les limitations de ces systèmes. Après avoir entendu son témoignage et à la demande de l’avocat des défendeurs, j’ai entendu à huis clos et ex parte la preuve portant sur les limites opérationnelles de la technologie et sur la façon dont M. Harkat pourrait exploiter ces limites. J’étais d’avis que les limites opérationnelles de la technologie ne devraient pas être divulguées au public étant donné que cette divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale. J’ai rejeté le reste de la preuve qui a été soumise à huis clos et ex parte, car elle devait, à mon avis, être présentée en public.

 

[33]           Le docteur Cameron est directeur médical du programme des troubles traumatiques au Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley et professeur adjoint de psychiatrie à l’université d’Ottawa. Le 27 septembre 2005, il a procédé à une évaluation psychiatrique de M. Harkat, laquelle a duré trois heures, au Centre de détention d’Ottawa‑Carleton, en lui administrant une série de tests. Sur la foi de son évaluation, le docteur Cameron a déclaré croire que M. Harkat était atteint d’une dépression majeure et qu’il manifestait des symptômes de stress post‑traumatique. Selon le docteur Cameron, plus la durée d’incarcération était longue, plus la santé mentale de M. Harkat risquait de se détériorer. En particulier, le docteur Cameron a déclaré dans son témoignage que les cauchemars d’apparence réelle de M. Harkat, dans lesquels il faisait face à la torture en Algérie, n’avaient commencé que depuis qu’il était incarcéré. Le docteur Cameron a déclaré dans son affidavit et dans le rapport qui y était joint que M. Harkat, peu importe qu’il soit mis en liberté ou non, devait se voir prescrire des antidépressifs. Il craignait que l’état dépressif de M. Harkat empire s’il ne recevait pas le traitement approprié et que, plus longtemps M. Harkat serait incarcéré, plus son état risquait de s’aggraver. En outre, le docteur Cameron était d’avis que M. Harkat manifestait des attitudes pro‑sociales et que rien n’indiquait une psychopathie.

 

2)                  La preuve des défendeurs

 

[34]           La preuve des défendeurs a été soumise pendant les audiences publiques tenues par la Cour et lors des audiences qui ont eu lieu à huis clos et ex parte. Les éléments soumis par les défendeurs prenaient deux formes : le dépôt de documents publics et de documents confidentiels sur la sécurité nationale et l’interrogatoire des témoins des défendeurs en public et pendant les séances à huis clos et ex parte mentionnées dans les présents motifs.

 

a)    La preuve documentaire des défendeurs

                        (i)      La preuve déposée en public

 

[35]           Comme il en a été fait mention, en ce qui concerne la demande de mise en liberté judiciaire de M. Harkat, l’avocat des défendeurs a déposé deux volumes de documents publics, soit 50 documents en tout. Parmi ces documents, le premier document qui a été déposé était le résumé public de la preuve à laquelle M. Harkat faisait face dans l’instance concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré à son encontre. Ce résumé a été évalué par la juge Dawson, qui l’a autorisé en vue d’assurer la meilleure divulgation possible sans compromettre les renseignements liés à la sécurité nationale. Le deuxième document qui a été déposé énonçait les motifs pour lesquels la juge Dawson avait jugé le certificat de sécurité raisonnable. Je n’ai pas l’intention d’identifier les autres documents contenus dans ces deux volumes publics, mais je mentionnerai deux ensembles de documents qui ont suscité une certaine controverse pendant les audiences publiques.

 

[36]           Le premier ensemble de documents a été rédigé par PG, qui travaille pour le SCRS. Le premier document est intitulé [traduction] « Qu’est‑ce qu’al‑Qaïda »; il est daté du 10 juin 2005. Le deuxième document rédigé par PG est daté du 24 juin 2005; il est intitulé [traduction] « Extrémisme islamique et détention : Combien de temps la menace dure‑t‑elle? » PG a été cité comme témoin par l’avocat des défendeurs et il a été contre‑interrogé. Le docteur Mark Sageman était l’auteur du second ensemble de documents. Le docteur Sageman est un ancien agent de cas de la CIA, en Afghanistan; il s’occupe maintenant de psychiatrie médico‑légale. Le premier compte rendu qu’il a rédigé est daté du 1er novembre 2004; il est intitulé [traduction] « Ce qu’il faut savoir des réseaux terroristes ». Le docteur Sageman a également rédigé le document suivant qui a été déposé dans la présente instance; il s’agit d’un exposé qu’il a présenté à la National Commission on Terrorist Attacks upon the United States, en date du 9 juillet 2003. Son sous‑titre est [traduction] « Le djihad salafiste mondial ». Le docteur Sageman n’a pas été cité comme témoin par l’avocat des défendeurs et il n’a donc pas été contre‑interrogé.

 

[37]           Comme il en a été fait mention, l’avocat des défendeurs a également déposé en public un document daté du 17 octobre 2005, modifié et surligné, après examen par la Cour.

 

[38]           Je reviens à une brève description du document d’information publique que la juge Dawson a approuvé au début de l’examen auquel elle a procédé au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité et du document d’information de 22 pages servant de suivi que j’ai approuvé le 17 octobre 2005.

 

[39]           Les principaux éléments de la preuve publique avancée par le Canada au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité déposé contre M. Harkat ont été soumis par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) dans un document public qui a été approuvé en fin de compte par la juge Dawson, lequel est daté du 2 décembre 2002; il est intitulé [traduction] « Énoncé résumant les renseignements et la preuve conformément à l’alinéa 78h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ».

 

[40]           Le corps principal de ce document comporte 41 paragraphes, dans lesquels le SCRS expose en détail sa croyance que : M. Harkat est un extrémiste islamique; un partisan des extrémistes afghans, pakistanais et tchétchènes; qu’il était et qu’il est membre du Réseau ben Laden; que les actions et intentions de M. Harkat illustrent le rôle de ce dernier dans ce réseau terroriste.

 

[41]           L’énoncé sommaire informait M. Harkat de ce que le SCRS savait à son sujet en tant que personne : sa date de naissance et son lieu de naissance, en Algérie; la date à laquelle il était arrivé pour la première fois au Canada; la reconnaissance de son statut de réfugié au sens de la Convention, le 24 février 1997, ainsi que la date de sa demande de résidence permanente au Canada. Il indiquait son lieu de résidence à Ottawa.

 

[42]           L’énoncé sommaire public informait M. Harkat de la raison pour laquelle le SCRS croyait qu’il se livrait au terrorisme et qu’il était membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle avait été ou serait l’auteur d’actes de terrorisme. La juge Dawson a résumé ces allégations au paragraphe 49 de ses motifs, pour ce qui est du caractère raisonnable du certificat de sécurité :

¶ 49      Le Service considère, comme l’indique le résumé des renseignements confidentiels que :

 

1.  Avant de venir au Canada, M. Harkat s’est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes, mais qu’il a dissimulé aux autorités canadiennes le fait qu’il avait effectivement soutenu des islamistes extrémistes et s’était rendu en Afghanistan.

 

2.  Qu’il soutient l’action d’extrémistes afghans, pakistanais et tchétchènes.

 

3.  Que M. Harkat a soutenu des activités terroristes en tant que membre du groupe terroriste connu sous l’appellation de Réseau ben Laden, ce qui comprend al‑Qaïda. Avant et après son arrivée au Canada, M. Harkat était et est actuellement lié à des individus qui paraissent appartenir à ce réseau.

 

4.  M. Harkat est lié à des organisations qui prônent le recours à la violence politique et au terrorisme.

 

5.  Le Réseau ben Laden se livre à des actes de terrorisme dans la poursuite de son objectif déclaré qui est de fonder des États islamiques basés sur une interprétation intégriste de la loi coranique. Le Réseau ben Laden a participé de manière directe ou indirecte à des actes de terrorisme dans plusieurs pays, y compris l’attentat à la bombe perpétré, le 7 août 1998, contre les ambassades des États‑Unis au Kenya et en Tanzanie, l’attentat aux explosifs qui a, le 12 octobre 2000, au Yémen, endommagé une unité de la marine de guerre américaine, le destroyer U.S.S. Cole. Il est en outre soupçonné d’avoir pris part à la planification et à l’exécution des attentats menés, le 11 septembre 2001, contre le World Trade Center et le Pentagone.

 

6.  Par le truchement d’al‑Qaïda, le Réseau ben Laden a dirigé, et dans une certaine mesure continue d’organiser des camps d’entraînement et des lieux d’hébergement pour terroristes en Afghanistan, au Pakistan et au Soudan. Ces camps offrent un abri, des moyens financiers et une formation à l’action armée et au contre‑espionnage, ainsi qu’une initiation aux techniques du terrorisme et de la guérilla. On y apprend également à fabriquer des engins explosifs. Il semblerait que quelque 5 000 militants y aient subi un entraînement avant d’essaimer dans une cinquantaine de pays. Ahmed Ressam y a suivi ce type d’entraînement. Selon M. Ressam, lors de son entraînement, Abu Zubaida dirigeait, en Afghanistan, les camps de formation de Khaldun et de Darunta. Selon M. Ressam, Abu Zubaida s’était occupé de son voyage en Afghanistan, lui fournissant des vêtements afghans et un guide local pour le mener du Pakistan au camp de Khaldun.

 

7.  Pour ses opérations de terrorisme international, le Réseau Ben Laden a recours à des « agents dormants » ainsi qu’à des commandos suicides. Les « agents dormants » s’installent dans des pays étrangers longtemps avant que n’y soit lancée une opération.

 

8.  En Algérie, M. Harkat était un partisan du Front islamique du salut (FIS).

 

9.  Lorsque le FIS a rompu avec le Groupe islamique armé (GIA), M. Harkat a manifesté son soutien au GIA. Le GIA a pour objectif l’établissement par la violence terroriste d’un État islamiste en Algérie. Ce groupe s’est livré à des massacres de civils. En décidant de se mettre du côté du GIA, M. Harkat a montré qu’il est pour le recours à la violence terroriste.

 

10.  M. Harkat a menti aux autorités canadiennes sur les points suivants :

 

 

1.  le temps qu’il a passé à travailler au Pakistan pour un organisme de secours;

 

2.  son séjour en Afghanistan;

 

3.  ses liens avec des personnes soutenant des réseaux internationaux d’extrémistes;

 

4.  son utilisation de noms d’emprunt; et

 

5.  l’aide qu’il a fournie à des extrémistes islamiques.

 

 

 S’il a menti, c’est en partie pour tenter de se dissocier des personnes ou des groupes qui soutiennent le terrorisme ou qui ont pu faire partie du Réseau Ben Laden.

 

 

11.  M. Harkat a aidé des extrémistes islamiques qui se sont rendus au Canada.

 

12.  M. Harkat est lié à Abu Zubaida depuis le début des années 1990. Abu Zubaida était, depuis les années 1990, un des principaux lieutenants d’Oussama ben Laden. En mars 2003, le Service a appris que Abu Zubaida avait pu identifier M. Harkat grâce à son signalement et à ses activités, et notamment au fait qu’au milieu des années 1990, M. Harkat dirigeait à Peshawar (Pakistan) un lieu d’hébergement pour moudjahiddines se rendant en Tchétchénie.

 

13.  M. Harkat a été en contact avec d’autres personnes dont on sait qu’elles ont participé à l’action d’islamistes militants.

 

[43]           L’énoncé sommaire renferme dix appendices portant sur des questions telles qu’un long exposé documentaire concernant le Réseau ben Laden (annexe I contenant 15 pages et plus de 45 paragraphes), le Front islamique du salut (le FIS), le Groupe islamique armé (le GIA), Ahmed Said Khadr, Abou Zoubaida et Ibn Khattab).

 

[44]           Comme il en a été fait mention, en ce qui concerne la demande de mise en liberté judiciaire de M. Harkat, le SCRS a déposé un document d’information dont j’ai approuvé la version publique, celle‑ci contenant le maximum de renseignements publics admissibles qu’il était possible de fournir sans porter atteinte à la sécurité nationale.

 

[45]           Le SCRS a produit le document d’information en disant que [traduction] « les renseignements fournis sont destinés à étayer l’avis du Service selon lequel la mise en liberté de M. Harkat placerait celui‑ci dans une situation où il pourrait reprendre contact avec des membres du réseau extrémiste islamique, leur permettant de participer à la planification et à l’exécution d’actes terroristes ».

 

[46]           Le SCRS a pris la position selon laquelle la mise en liberté de M. Harkat constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. À l’appui de sa position, le SCRS a indiqué que, depuis le mois de novembre 2002 (lorsque les deux ministres responsables ont signé le certificat de sécurité), le Service avait reçu et évalué d’autres renseignements au sujet de M. Harkat, en ce qui concerne : Abu Abdallah Pakistani, Hadje Wazir, Ahmed Said Khadr, Ibn Khattab et le soutien du terrorisme tchétchène; les sources de financement de M. Harkat, ses noms d’emprunt; la menace continue que présente al‑Qaïda et le Réseau Oussama ben Laden; la crédibilité de M. Harkat; sa non‑renonciation à la cause extrémiste islamique; sa non‑renonciation au recours à la violence; la possibilité qu’il reprenne contact avec les extrémistes islamiques s’il est mis en liberté. Je résumerai chacun de ces éléments :

 

1)         Abu Abdallah Pakistani

 

[47]           Le 6 octobre 1995, M. Harkat est arrivé à Toronto en provenance de la Malaisie, en passant par le Royaume‑Uni; il utilisait un passeport falsifié de l’Arabie saoudite. Lors d’une entrevue qu’il a eue avec le SCRS le 11 juin 1998, M. Harkat a déclaré avoir acheté ce passeport d’Abu Abdallah Pakistani, qui vivait à Islamabad. Le document d’information vise à informer M. Harkat que le SCRS a demandé des renseignements au sujet de l’individu connu sous le nom d’Abu Abdallah Pakistani.

 

2)         Hadje Wazir

[48]           On a demandé à M. Harkat, lorsqu’il a témoigné devant la juge Dawson, s’il connaissait quelqu’un qui s’appelait Hagi Wazir [sic]. M. Harkat a répondu : [traduction] « Hagi Wazir [sic]. Il y a – il a – il dirige une banque au Pakistan. » Lors d’une entrevue qu’il a eue avec le Service, M. Harkat a décrit Hadje Wazir comme un ami et un banquier. Le document d’information daté du 17 octobre 2005 disait que le SCRS croyait que M. Hadje Wazir était un courtier Hawala au Pakistan et qu’il était peut‑être en cause dans des opérations financières conclues avec des extrémistes islamiques et d’autres clients. Le SCRS informait M. Harkat qu’il croyait que celui‑ci était de quelque manière associé à certaines opérations financières conclues par Hadje Wazir.

 

3)                  Ahmed Said Khadr

[49]           Le document d’information en date du 17 octobre 2005 décrivait qui était Ahmed Said Khadr, à savoir le chef, né en Égypte, d’une famille d’extrémistes islamiques que les forces pakistanaises avaient tué en 2003. Il y est déclaré que M. Khadr était directeur d’un organisme d’aide connu sous le nom de Human Concern International (HCI), qui collaborait étroitement avec al‑Qaïda, en Afghanistan. Il est déclaré que M. Khadr accordait un appui financier aux moudjahiddines et qu’il rencontrait souvent les principaux dirigeants d’al‑Qaïda et leur parlait. M. Khadr fournissait des références pour les individus qui voulaient subir une formation extrémiste en Afghanistan. Dans le document d’information, il est fait mention des enfants Khadr et du fait qu’ils épousent les valeurs et les croyances d’al‑Qaïda.

 

4)         Ibn Khattab et le soutien du terrorisme tchétchène

[50]           Lors d’une entrevue qu’il a eue avec le Service, M. Harkat a nié entretenir des liens avec Ibn Khattab. Le document d’information du 17 octobre 2005 décrit qui est Ibn Khattab, à savoir un ancien dirigeant tchétchène moudjahiddine que les forces russes avaient tué au mois d’avril 2002 et qui était un adjoint d’Oussama ben Laden. Il est déclaré qu’à la suite de la défaite soviétique et du retrait des forces soviétiques de l’Afghanistan, Ibn Khattab s’est rendu au Tadjikistan et de là aux djihads en Tchétchénie et au Daghestan. Le document indique qu’Oussama ben Laden a envoyé des combattants pour appuyer le djihad en Tchétchénie et que les autorités russes ont allégué que les rebelles tchétchènes, sous le commandement d’Ibn Khattab, étaient responsables d’une série d’attentats à la bombe qui avaient eu lieu dans diverses villes russes pendant l’été 1999, lesquels avaient entraîné la mort de centaines de civils. Il nous apprend que, depuis le décès de M. Khattab, la menace que présente l’extrémisme tchétchène n’a pas diminué et des exemples sont donnés à l’appui. Il informe M. Harkat que le SCRS croit que sa mise en liberté le placera dans une situation lui permettant de nouer des liens avec des individus qui soutiennent l’extrémisme tchétchène, de s’associer à ces individus et de leur offrir un appui.

 

5)         Les sources de financement

[51]           Lors d’une entrevue avec le Service au mois d’août 1998, M. Harkat a affirmé ne pas avoir de compte bancaire au Pakistan, garder toujours son argent sur lui et ne jamais traiter avec les banques. Dans le document d’information du 17 octobre 2005, le SCRS déclare croire que M. Harkat ne disait pas la vérité en ce qui concerne ses rapports avec des institutions financières qui avaient des liens avec des extrémistes islamiques.

 

6)           Les noms d’emprunt

[52]           Le document d’information indique que le SCRS croit que M. Harkat a menti au sujet du fait qu’il n’avait jamais utilisé de noms d’emprunt par le passé, plus précisément, mais non exclusivement les noms d’emprunt suivants : Abu Muslim, Abou Muslim et Abu Muslima, en partie pour se distancer d’individus ou de groupes qui peuvent avoir participé à des opérations avec le Réseau ben Laden. On ajoute que c’est l’inférence à laquelle la juge Dawson est arrivée. Le document d’information signale à M. Harkat que, lors d’une entrevue qu’il avait eue avec le SCRS, il avait affirmé avoir utilisé des noms d’emprunt uniquement lorsqu’il rencontrait au Pakistan des gens auxquels il ne faisait pas confiance. Lors de cette entrevue, M. Harkat a nié que l’un des noms d’emprunt qu’il utilisait était celui d’Abu Muslim‑Abu Muslima. Le document d’information indique que, lorsqu’il a témoigné devant la Cour fédérale le 28 octobre 2004, M. Harkat a admis être connu sous le nom d’Abu Muslim.

 

7)         La menace continue présentée par al‑Qaïda et le Réseau Oussama ben Laden

[53]           Dans le document d’information du 17 octobre 2005, le SCRS exprime l’avis selon lequel, depuis que M. Harkat est détenu, les actions d’al‑Qaïda ont démontré que le danger que présente ce réseau pour le public a augmenté et que la menace n’a pas diminué. Le document indique qu’al‑Qaïda a revendiqué la responsabilité des attentats à la bombe qui ont eu lieu dans une station de train de Madrid, en Espagne, au mois de mars 2004 et qu’au mois de septembre 2005, cette organisation a ouvertement revendiqué la responsabilité à l’égard des multiples attentats terroristes qui ont eu lieu à Londres au mois de juillet 2005.

 

8)         La crédibilité

[54]           Le document d’information dit que, compte tenu des déclarations non crédibles et mensongères que M. Harkat a faites à la Cour fédérale et à d’autres représentants canadiens par le passé, le SCRS croit que M. Harkat continuera à faire des déclarations mensongères dans l’avenir en vue de tenter de se dissocier des individus et groupes qui soutiennent l’extrémisme islamique.

 

9)         La non‑renonciation à la cause extrémiste islamique

[55]           Selon le document d’information, le SCRS ne possède aucun renseignement qui permette de conclure que M. Harkat a vraiment renoncé à la cause islamique extrémiste en général, ou plus précisément aux causes extrémistes associées au Réseau Oussama ben Laden ou épousées par ce réseau.

 

10)       La non‑renonciation au recours à la violence

[56]           Selon le document d’information, le SCRS ne possède aucun renseignement qui permette de croire que M. Harkat a vraiment renoncé au recours à la violence à l’endroit du public en général.

 

11)       La possibilité de reprendre contact avec les extrémistes islamiques

[57]           Selon le document d’information, le SCRS exprime l’avis selon lequel M. Harkat risque fort de reprendre contact avec les extrémistes islamiques s’il est mis en liberté, et qu’il continuera à soutenir la cause islamique extrémiste. Il est fait mention des avis de P.G., un employé du SCRS qui, comme il en a été fait mention, a rédigé un rapport intitulé [traduction] « Extrémistes islamiques et détention : Combien de temps la menace dure‑t‑elle? » Le document s’appuie également sur les travaux du docteur Marc Sageman.

 

12)       Conclusion tirée par le Service

[58]           Dans le document d’information, le SCRS conclut que la menace que présente M. Harkat n’a pas été neutralisée avec le temps et que, pendant qu’il était détenu, M. Harkat n’a pas vraiment renoncé à soutenir la cause islamique extrémiste. Il déclare croire que M. Harkat a été et continue à être un membre qui entretient des liens étroits avec un réseau international d’extrémistes qui soutiennent les idéaux islamiques extrémistes épousés par Oussama ben Laden et qui approuve le recours aux actes graves de violence.

 

[59]           Le SCRS croit que M. Harkat constitue un danger pour la sécurité d’autrui au Canada et qu’il porte atteinte à la sécurité nationale, et ce, pour les raisons suivantes :

 

  • il a soutenu et il continue à soutenir les groupes islamiques extrémistes et les extrémistes islamiques;
  • il n’a pas renoncé à la cause islamique extrémiste;
  • il n’a pas renoncé au recours aux actes graves de violence à l’appui d’objectifs politiques, religieux ou idéologiques;
  • il a indirectement continué à recevoir des informations au sujet d’individus qui soutiennent l’extrémisme islamique;
  • il a été considéré comme un individu qui risque fortement de reprendre contact avec des extrémistes islamiques s’il est mis en liberté;
  • il a fait des déclarations mensongères aux autorités canadiennes, et il continuera à le faire, en vue de tenter de se dissocier des individus et groupes qui soutiennent l’extrémisme islamique.

 

[60]           Le SCRS est d’avis que la mise en liberté de M. Harkat placerait celui‑ci dans une situation où il pourrait reprendre contact avec des membres du Réseau islamique extrémiste, leur permettant de participer à la planification et à l’exécution d’attentats terroristes. Cela étant, le SCRS est d’avis que la mise en liberté de M. Harkat porterait atteinte à la sécurité nationale et à la sécurité d’autrui.

 

(ii)        Les documents déposés à titre confidentiel

 

[61]           À l’appui de son opposition à la demande de mise en liberté judiciaire présentée par M. Harkat aux conditions décrites ci‑dessus, le SCRS a inclus tous les documents confidentiels dont la juge Dawson disposait à l’égard du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Il y avait entre autres le rapport de renseignement de sécurité sur lequel le certificat était fondé. Ce document contenait un grand nombre de notes en bas de page renvoyant à d’autres documents qui, de leur côté, figuraient dans un certain nombre d’index bibliographiques accompagnant l’exposé narratif du rapport de renseignement de sécurité.

 

[62]           De plus, en ce qui concerne les nouveaux renseignements contenus dans le rapport de renseignements confidentiels expressément produit dans le cadre de la demande de mise en liberté judiciaire présentée par M. Harkat, le SCRS a suivi la même procédure.

 

[63]           Pour des raisons évidentes, je ne puis divulguer les renseignements confidentiels mis à la disposition de la Cour parce que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Dans les motifs qu’elle a énoncés à l’appui de la conclusion selon laquelle le certificat de sécurité délivré contre M. Harkat était raisonnable, la juge Dawson a expliqué pourquoi il fallait garder confidentiels certains renseignements de sécurité et elle a énoncé les principes généraux pertinents aux fins de l’appréciation par la Cour des renseignements confidentiels. La juge a signalé l’alinéa 78b) de la Loi, dans lequel le Parlement a chargé le juge désigné de veiller à la confidentialité des renseignements justifiant la délivrance du certificat de sécurité et de tout autre élément de preuve transmis au juge, lorsque la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La juge a expliqué que cette obligation et l’obligation connexe de remettre un résumé à la personne concernée indiquaient la « tension entre l’exigence démocratique de la transparence des instances judiciaires et la nécessité tout aussi contraignante de maintenir le secret des renseignements de sécurité ». La juge a donné les exemples suivants de types de renseignements qui doivent demeurer confidentiels, notamment :

¶ 89     [...]

 

1.  Les renseignements provenant de sources humaines, lorsque leur divulgation permettrait d’identifier la source et risquerait de mettre sa vie en danger (voir la décision de madame la juge McGillis dans l’affaire Ahani, précitée, au paragraphe 19, où la juge McGillis se penche sur la question de savoir dans quelles circonstances des renseignements provenant d’une source humaine peuvent être divulgués). La mise en danger d’une source humaine risque en outre de dissuader d’autres sources ou sources potentielles de renseignements, qui auront scrupule à fournir des informations s’ils ne sont pas sûrs que leur identité sera protégée.

 

2.  Les renseignements provenant d’agents du Service, lorsque la divulgation permettrait d’identifier l’agent et mettrait sa vie en péril.

 

3.  Les renseignements concernant des enquêtes en cours lorsque la divulgation de ces renseignements alerterait ceux qui agissent contre les intérêts du Canada, leur permettant de se soustraire aux recherches.

 

4.  Les secrets transmis par des pays étrangers ou des services de renseignement étrangers, lorsque la divulgation non autorisée de ces renseignements porterait ces pays ou ces services à ne plus confier de secrets à un destinataire qui n’est pas digne de confiance ou qui n’est pas à même d’en assurer la confidentialité. (Voir Ruby, précité, aux paragraphes 43 et suivants où est examiné le fait qu’en matière de renseignements de sécurité, le Canada est un importateur net. Les renseignements considérés sont nécessaires à la sécurité et à la défense du Canada et de ses alliés.)

 

5.  Les renseignements concernant les techniques et les moyens de surveillance ainsi que certaines méthodes ou techniques d’enquête employées par le Service, lorsque cette divulgation aiderait à se soustraire à la détection, à la surveillance ou à l’interception de leurs communications, des personnes ayant attiré l’attention du Service.

 

b)                  La preuve orale des défendeurs

 

[64]           Lors des séances publiques, l’avocat des défendeurs a cité deux témoins, qui ont été contre‑interrogés. Il s’agit de P.G., analyste au SCRS, et de Jeannine Millman, qui est récemment devenue directrice, Renvois, à l’administration centrale de l’ASFC, à Ottawa (la directrice, Renvois).

 

[65]           La preuve soumise par la directrice, Renvois, mettait l’accent sur le temps qu’il faudrait pour exécuter la mesure de renvoi si le représentant du ministre donnait suite à la recommandation de l’ASFC de renvoyer M. Harkat en Algérie.

 

[66]           La directrice, Renvois, a expliqué qu’à moins que M. Harkat ne possède un passeport algérien valide (passeport que M. Harkat ne détient pas puisque son passeport est expiré), il faudrait que l’ASFC présente au consulat de l’Algérie à Ottawa une demande en vue d’obtenir un titre de voyage.

 

[67]           Si M. Harkat coopérait, la directrice, Renvois, estimait que l’ASFC aurait les documents nécessaires aux fins du renvoi au bout de quelques jours, ou peut‑être au bout d’une semaine.

 

[68]           La directrice, Renvois, a témoigné que si M. Harkat ne coopérait pas, il faudrait plus de temps, mais que cela se ferait plutôt rapidement, en particulier si le passeport du client était expiré.

 

[69]           Compte tenu des deux documents qu’il a rédigés en 2005, dont il a ci‑dessus été fait mention, P.G. nous a expliqué, en résumé, ce qu’est al‑Qaïda et son fonctionnement de base, avec ses membres et les individus qui, bien que n’entretenant pas de liens officiels avec al‑Qaïda, s’inspirent de son idéologie et sont prêts à se livrer à des actes de terrorisme. Ces trois éléments forment le Réseau ben Laden.

 

[70]           Le témoin a également informé la Cour qu’Oussama ben Laden avait expressément mentionné le Canada à deux reprises en tant que cible possible d’une attaque terroriste.

 

[71]           Le second aspect du témoignage de P.G. était axé sur l’extrémisme islamique qui cherche à obtenir des changements politiques au moyen de la violence. P.G. a exprimé l’avis selon lequel les extrémistes islamiques maintiennent fort longtemps leurs liens et leurs idées ainsi que leurs relations dans les réseaux islamiques extrémistes et que la notoriété et l’incarcération ne diminuent pas leur passion ou leur fanatisme.

 

[72]           Lorsqu’il a été contre‑interrogé, P.G. a mitigé son opinion au sujet du caractère prévisible du comportement récidiviste d’extrémistes islamiques notoires ou d’extrémistes islamiques incarcérés.

 

ANALYSE

            (1)        Les principes

 

[73]           Dans les présents motifs, j’ai ci‑dessus mentionné certains principes énoncés dans l’arrêt Almrei, précité, de la Cour d’appel fédérale, régissant l’application du paragraphe 84(2), soit la disposition concernant la mise en liberté judiciaire qui s’applique aux ressortissants étrangers dont le certificat de sécurité a été jugé raisonnable. Je souligne maintenant certains des principes exposés par le juge Létourneau.

 

[74]           Le paragraphe 84(2) vise à assurer que les autorités fassent preuve d’une diligence raisonnable en renvoyant un ressortissant étranger qui a été détenu pour des raisons de sécurité en vertu d’un certificat de sécurité qui a été jugé raisonnable. Le gouvernement doit procéder au renvoi dans un délai raisonnable parce que tout délai déraisonnable de la part des autorités, lequel a indûment pour effet de prolonger la détention d’une personne, constitue une violation du droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité reconnu à cette personne.

 

[75]           Dans une demande de mise en liberté judiciaire, il incombe au ressortissant étranger d’établir que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui, la charge de la preuve étant celle de la prépondérance des probabilités. La notion de « renvoi dans un délai raisonnable » exige qu’un certain temps se soit écoulé depuis le moment où le certificat de sécurité a été jugé raisonnable et l’appréciation de la question de savoir si le délai est tel qu’il faut conclure que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. Les préoccupations concernant une violation possible de l’exigence relative au délai raisonnable surviennent après les 120 jours mentionnés au paragraphe 84(2), lorsque le renvoi n’a pas encore eu lieu.

 

[76]           Lorsque le renvoi d’un ressortissant étranger est reporté de manière à ce qu’entre en jeu l’exigence du délai raisonnable, le juge qui entend la demande de mise en liberté judiciaire doit tenir compte du report et en examiner les causes. Les délais et les agissements des parties sont des questions essentielles dans le cadre d’une demande de mise en liberté judiciaire en application du paragraphe 84(2).

 

[77]           Comme il en a été fait mention dans d’autres décisions portant sur les demandes de contrôle judiciaire fondées sur le paragraphe 84(2) (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Mahjoub), [2004] 1 C.F. 493, et Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 299), le critère prévu au paragraphe 84(2) de la Loi comporte deux volets. Le juge désigné pour entendre une demande en vertu de cette disposition doit être convaincu que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la personne mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

 

[78]           La décision Jaballah, précitée, a été rendue par le juge MacKay. M. Jaballah était un citoyen égyptien dont la demande d’asile avait été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, comme l’avait été la demande de protection qu’il avait ensuite présentée en vertu de l’article 112, la décision à cet égard ayant été rendue au mois de janvier 2004 par le représentant du ministre après que le juge MacKay eut procédé aux audiences relatives à la demande de mise en liberté judiciaire, mais avant qu’il eût rendu sa décision, le 24 février 2004.

 

[79]           Étant donné que, contrairement à M. Harkat, M. Jaballah n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, l’application de l’article 112 de la Loi concernant la protection entrait en ligne de compte, mais l’article 115 de la Loi portant sur le refoulement n’était pas en jeu.

 

[80]           En analysant la question de savoir si la mesure de renvoi allait être exécutée dans un délai raisonnable, le juge MacKay a fait remarquer que M. Jaballah n’avait pas directement soumis de preuve, mais qu’il s’était fondé sur le témoignage d’un représentant de l’ASFC qui, pendant l’audience, avait admis qu’il ne pouvait pas dire à quel moment il pourrait être statué sur la demande de protection que M. Jaballah avait présentée en vertu de l’article 112. Un autre facteur se rapportait au retard en cause lorsqu’il s’était agi de se prononcer sur cette demande, après que l’on eut exprimé, au mois d’août 2002, dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi, l’avis initial selon lequel M. Jaballah était une personne à protéger, retard que le juge MacKay, dans une décision antérieure, avait qualifié d’abus de procédure.

 

[81]           Dans l’affaire Jaballah, précitée, lorsque la demande de mise en liberté avait été entendue, on ne pouvait prévoir la date de renvoi et il en était encore ainsi lorsque le juge MacKay avait fait connaître les motifs pour lesquels il rejetait la demande que M. Jaballah avait présentée en vertu du paragraphe 84(2), en faisant toutefois remarquer que la demande de protection avait été rejetée avant le prononcé de ses motifs.

 

[82]           Toutefois, le juge a fait remarquer que cette décision défavorable concernant la nécessité d’être protégé contre l’Égypte avait été rendue au stade initial d’une demande de contrôle judiciaire et que toute décision rendue dans le cadre de ce contrôle pouvait être portée en appel. Le juge MacKay a dit que l’on ne pouvait pas omettre de tenir compte de la possibilité d’un appel et de l’incertitude qui régnait au sujet du moment où cette instance pourrait être instruite compte tenu de l’effet de l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, de la Cour suprême du Canada, concernant le renvoi d’un étranger qui risquait d’être tué ou torturé.

 

[83]           Je reproduis ci‑dessous les paragraphes 35 à 39 des motifs que le juge MacKay a rendus dans la décision Jaballah, précitée. Je note que, dans l’arrêt Almrei, précité, le juge Létourneau a expressément approuvé le paragraphe 35 des motifs prononcés dans la décision Jaballah :

[TRADUCTION]

¶ 35      Je devrais mentionner deux considérations pertinentes lors de l’examen de la question de savoir si le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. La première considération est que la période de 120 jours de détention avant que M. Jaballah ait pu présenter la présente demande de mise en liberté est calculée à partir de la date à laquelle l’attestation des ministres a été jugée raisonnable de sorte que le temps passé en détention avant cette date n’est généralement pas un facteur, pas plus que ne l’est la période de 120 jours, après que le certificat est maintenu, un facteur pris en compte lors de l’évaluation de la question de savoir si une mise en liberté à l’avenir n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. La période de 120 jours n’est pas une mesure de temps raisonnable en soi, sauf comme condition nécessaire de l’application du paragraphe 84(2). Par la suite, le fardeau de l’établissement des exigences prévues au paragraphe 84(2) appartient au demandeur. Normalement, la mise en liberté suivant le paragraphe 84(2) n’a pas lieu automatiquement ou facilement. On s’attendrait à ce que le demandeur démontre qu’il y a eu un changement dans les circonstances ou un nouvel élément de preuve qui n’était auparavant pas disponible pour l’obtention d’une mise en liberté (voir l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité).

 

¶ 36      L’avocat de M. Jaballah fait valoir que dans les cas où les ministres ne peuvent établir la date à laquelle le renvoi du Canada aura lieu, il n’est pas possible pour la Cour de conclure que son renvoi aurait eu lieu dans une période raisonnable. Il peut y avoir des circonstances qui amèneraient la Cour à tirer une telle conclusion, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Il est vrai que le fait que la date de renvoi était incertaine au moment où la présente affaire a été entendue a entraîné en partie une absence de décision à l’égard de la demande présentée par M. Jaballah selon laquelle il était une personne à protéger. Ce motif d’incertitude n’existe plus maintenant. D’autres motifs, peut‑être mal définis lorsque l’affaire a été entendue, ont depuis été confirmés par la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Jaballah. Cette demande et les appels des parties à l’égard de ma décision datée du 23 mai 2003 sont maintenant les principaux facteurs donnant lieu à une incertitude à l’égard d’une prévision quant à la date de son renvoi du Canada.

 

¶ 37      Bien que M. Jaballah ait le droit de faire valoir ses droits au Canada, il ne peut pas se fonder sur une incertitude à l’égard d’une prévision quant au moment auquel ces questions pourront être tranchées pour alléguer l’incertitude quant au moment auquel son renvoi, si tout compte fait il a lieu, se produira. L’incertitude à l’égard de ce motif ne peut pas résulter en une conclusion selon laquelle son renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable au sens du paragraphe 84(2). À mon avis, un retard résultant de procédures judiciaires intentées par le demandeur ne peut pas être considéré comme déraisonnable (voir la décision Singh c. Canada, précitée).

 

¶ 38      Dans ces circonstances, je conclus que M. Jaballah ne s’est pas acquitté du fardeau qui consiste à établir qu’il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable comme l’exige le paragraphe 84(2).

 

¶ 39      Si cette conclusion devait être acceptée, il ne serait pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la deuxième exigence prévue au paragraphe 84(2) est respectée, soit la question de savoir si la mise en liberté du demandeur ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale. Cette question a été plaidée à fond devant la Cour et j’ai l’intention d’en traiter aux présentes de façon à ce que toutes les questions soulevées en l’espèce soient tranchées dans l’éventualité où la présente affaire ferait l’objet d’un appel. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[84]           C’est la juge Dawson qui s’est prononcée, le 30 juillet 2003, sur la demande de mise en liberté judiciaire que M. Mahjoub avait présentée en application du paragraphe 84(2) de la Loi. La juge a décidé que M. Mahjoub n’avait pas réussi à la convaincre à l’égard de l’un ou l’autre volet du critère en deux parties énoncé au paragraphe 84(2) de la Loi.

 

[85]           M. Mahjoub se trouvait dans une situation quelque peu semblable à celle de M. Harkat. Il était ressortissant étranger et citoyen égyptien, mais le Canada avait reconnu son statut de réfugié au sens de la Convention. Il était détenu depuis le mois de juin 2000 en vertu d’un certificat de sécurité. Contrairement à ce qui s’est passé dans le cas de M. Harkat, mais comme c’était le cas pour M. Almrei, la décision sur le certificat avait été rendue sans tarder par le juge Nadon, qui était alors juge à la Cour et qui est maintenant juge à la Cour d’appel fédérale; le 5 octobre 2001, le juge Nadon avait jugé le certificat raisonnable.

 

[86]           Dans l’affaire Mahjoub, précitée, les mesures suivantes avaient été prises à l’égard du renvoi de M. Mahjoub du Canada, après que le juge Nadon eut fait connaître sa décision le 5 octobre 2001. Le 27 octobre 2001, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) avait informé M. Mahjoub de son intention de demander au ministre de rendre un avis en vertu de ce qui est maintenant l’alinéa 115(2)b) de la Loi, qui prévoit une exclusion à l’égard du non‑refoulement dans le cas d’une personne protégée ou d’un réfugié au sens de la Convention qui risque la torture dans un pays où il peut être renvoyé. À la suite de l’arrêt Suresh, précité, de la Cour suprême du Canada en date du mois de janvier 2002, des consultations ont eu lieu au sein de CIC et d’autres ministères au sujet de la question de savoir s’il fallait appliquer des protections additionnelles. Il a été décidé de demander des garanties aux autorités égyptiennes. Des garanties écrites ont été obtenues de ces autorités aux mois de février et de mars 2003, lesquelles ont été communiquées à M. Mahjoub le 28 mars 2003 avec d’autres documents que le ministre devait utiliser pour rendre une décision conformément à l’alinéa 115(2)b). M. Mahjoub devait présenter des observations en réponse au plus tard le 23 mai 2003, le ministre étant par la suite en mesure de formuler son avis au sujet de la question de savoir si M. Mahjoub devait être autorisé à demeurer au Canada.

 

[87]           Dans l’affaire Mahjoub, précitée, la directrice, Examen sécuritaire, Direction du renseignement, à CIC, avait reconnu devant la juge Dawson l’incertitude entourant le renvoi de M. Mahjoub du Canada compte tenu du fait que M. Mahjoub avait sollicité et obtenu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire d’une mesure de renvoi prise par un arbitre ainsi que du fait qu’une autre instance était en cours devant la Cour au sujet d’une décision défavorable qui avait été rendue dans le cadre de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire que M. Mahjoub avait présentée. De plus, la directrice ne savait pas combien de temps il faudrait pour que le représentant du ministre rende une décision au sujet du renvoi de M. Mahjoub du Canada, mais selon elle, CIC ne prendrait pas [traduction] « un temps excessif pour rendre sa décision ». Toutefois, la directrice avait reconnu que M. Mahjoub aurait la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[88]           Dans son analyse de la question de savoir si le renvoi allait avoir lieu dans un délai raisonnable, après avoir énoncé les observations des parties, la juge Dawson a dit ce qui suit aux paragraphes 50 et 51 de sa décision, 2003 CF 928 :

¶ 50      Pour analyser ces arguments, j’accepte d’abord que la mention d’un délai de 120 jours au paragraphe 84(2) permet de conclure que le législateur fédéral voulait que, dès lors qu’un certificat est jugé raisonnable, la personne qui y est nommée devrait être renvoyée sans [retard]. Toutefois, en assujettissant la mise en liberté de l’intéressé à la nécessité pour la Cour de se demander si le renvoi sera exécuté dans un délai raisonnable, le législateur fédéral a envisagé la possibilité que, dans certaines circonstances, même si la mesure de renvoi n’est pas exécutée dans les 120 jours, la durée de la détention peut quand même être considérée comme raisonnable. Sinon, la mise en liberté après 120 jours serait automatique lorsqu’aucune considération de sécurité nationale ou de sécurité d’autrui n’entre en ligne de compte. Le droit de l’intéressé de demander sa mise en liberté après 120 jours incite incontestablement les fonctionnaires à exécuter la mesure de renvoi sans [retard] tout en s’assurant que tout délai de plus de 120 jours puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire rigoureux.

 

¶ 51      En matière de détermination du caractère raisonnable, chaque cas est un cas d’espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[89]           Au paragraphe 52, la juge a identifié les procédures judiciaires en cours que M. Mahjoub avait engagées et les procédures judiciaires éventuelles que M. Mahjoub pourrait engager ainsi que les préoccupations liées à la question de savoir si M. Mahjoub risquait d’être torturé ou tué s’il était renvoyé en Égypte comme étant les deux principaux éléments à l’origine de l’incertitude qui régnait au sujet du moment où M. Mahjoub pourrait être renvoyé du Canada. L’essence de la conclusion tirée par la juge, à savoir que M. Mahjoub ne s’était pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de la convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable se trouve aux paragraphes 53, 55, 56, 57 et 58 de ses motifs, que je cite :

¶ 53      En ce qui concerne le premier élément, il est incontestable que M. Mahjoub a le droit, en vertu de la Loi et de la Charte, de contester la légalité des décisions prises au sujet de son statut d’immigrant. Il ressort de la preuve que notre Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire. Il est par ailleurs probable que d’autres contestations seront portées plus tard, notamment si le ministre estime que M. Mahjoub peut être renvoyé en Égypte. C’est en grande partie pour ces raisons que la directrice n’a pas pu préciser quand M. Mahjoub serait renvoyé. Toutefois, bien qu’il ait le droit d’épuiser toutes les voies de recours qui lui sont ouvertes, M. Mahjoub ne saurait à mon avis invoquer le temps qu’il a consacré à l’exercice de ces droits pour prétendre qu’il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. Le juge Rothstein en est arrivé à une conclusion semblable, alors qu’il siégeait à la Section de première instance de la Cour fédérale, dans le jugement Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 970, au paragraphe 7. Pour reprendre les propos du juge Rothstein, auxquels je souscris entièrement :

 

Tout intéressé a la faculté d’exercer les voies de droit qui lui permettraient de demeurer au Canada. Mais s’il le fait, il ne peut plus, en raison de ses propres actions, tirer argument du fait qu’il ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable, pour invoquer l’alinéa 40.1(9)a).

 

[...]

 

¶ 55      À mon sens, il découle directement de ce qui précède que lorsqu’une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu’elle risque la torture en cas d’expulsion, le délai jugé raisonnable exigé pour s’assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long.

 

¶ 56      Il ne s’ensuit pas pour autant que l’arrêt Suresh s’applique de manière à faire de toute période de temps écoulée avant l’exécution d’une mesure de renvoi un délai raisonnable. Le tribunal doit plutôt vérifier attentivement si tout a été mis en oeuvre pour exécuter diligemment la mesure de renvoi dans le respect des mesures de protection prévues par la Charte.

 

¶ 57      En l’espèce, une mesure de renvoi a été obtenue le 26 mars 2002. Cette mesure demeure exécutoire même si elle fait l’objet d’une contestation judiciaire. À la suite de l’arrêt Suresh rendu par la Cour suprême le 11 janvier 2002, d’autres démarches ont été entreprises par le ministère qui a obtenu des assurances du gouvernement de l’Égypte. Ces assurances écrites ont été communiquées à M. Mahjoub, qui s’est vu offrir la possibilité de faire valoir son point de vue en réponse à ces assurances et aux pièces qui devaient être soumises au ministre pour qu’il donne son avis sur la question de savoir si M. Mahjoub devait être autorisé à demeurer au Canada. M. Mahjoob n’a présenté, dans la présente instance, aucun élément de preuve convaincant qui tendrait à démontrer que le ministère a laissé traîner les choses en longueur ou s’est autrement rendu coupable d’un retard inexcusable ou déraisonnable.

 

¶ 58      Comme le ministre n’a pas encore pris de décision au sujet du renvoi, qu’il est fort probable que sa décision soit contestée devant notre Cour et qu’aucune preuve n’a été présentée au sujet des circonstances dans lesquelles le gouvernement égyptien a donné les assurances en question, je ne suis pas disposée à formuler d’observations au sujet de la valeur à accorder aux assurances écrites qui ont été déposées en preuve devant moi. Je suis toutefois convaincue, en ce qui concerne la question que je dois trancher, qu’elles témoignent des mesures qu’a prises le ministère pour se conformer à l’exigence contenue implicitement au paragraphe 84(2) de la Loi en exécutant la mesure de renvoi de M. Mahjoub du Canada dès que les circonstances le permettent tout en respectant les droits protégés par la Charte. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[90]           Après que j’eus pris ma décision en l’espèce en délibéré, deux de mes collègues ont rendu des décisions concernant des demandes de mise en liberté judiciaire fondées sur le paragraphe 84(2). La première a été rendue par la juge Dawson dans le cadre de la seconde demande de mise en liberté présentée par M. Mahjoub en application du paragraphe 84(2) de la Loi; il s’agit de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mohamed Zeki Mahjoub, 2005 CF 1596 (ci‑après Mahjoub no 2). La seconde décision a été rendue par la juge Layden‑Stevenson à la suite de la seconde demande de mise en liberté présentée par M. Almrei en application du paragraphe 84(2) de la Loi; il s’agit d’Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1645 (ci‑après Almrei no 2).

 

[91]           Dans ces deux décisions, les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Almrei, précité, ont été appliqués. Il a été jugé dans chaque cas que le demandeur avait réussi à convaincre le juge désigné qu’il ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable, mais qu’il n’avait pas réussi à convaincre le juge qu’il ne constituait pas un danger pour la sécurité du Canada. Les deux demandes de mise en liberté judiciaire ont donc été rejetées.

[92]           Selon l’interprétation que je donne aux motifs que la juge Dawson a prononcés dans la décision Mahjoub no 2, précitée, les faits suivants ont eu dans l’esprit de la juge un poids fort considérable :

 

1)                  les conditions de la détention;

2)                  la durée de la détention, M. Mahjoub étant détenu depuis le 26 juin 2000 et plus de quatre ans s’étant écoulés depuis que le certificat de sécurité avait été jugé raisonnable, le 5 octobre 2001;

3)                  le retard dans l’exécution de la mesure de renvoi s’était prolongé pour un certain nombre de raisons, dont certaines étaient attribuables à M. Mahjoub, alors que d’autres ne l’étaient pas. Une cause importante qui n’était pas attribuable à M. Mahjoub était le temps que le représentant du ministre avait pris pour rendre un avis de danger en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la Loi (du 23 mai 2003 au 22 juillet 2004), alors que M. Mahjoub avait été informé le 22 octobre 2001 qu’un avis serait demandé. La juge Dawson a fait remarquer qu’en l’absence d’un avis de danger, M. Mahjoub ne pouvait pas être renvoyé du Canada, mais qu’il devait continuer à être détenu à moins d’être mis en liberté par la Cour ou à moins que le ministre, à la demande de M. Mahjoub, ne cherche à faire mettre celui‑ci en liberté en vue de lui permettre de quitter le Canada;

4)                  le fait que l’avis rendu par le représentant du ministre avait été annulé par la Cour le 31 janvier 2005, de sorte que la décision du ministre de renvoyer M. Mahjoub en Égypte avait été annulée et que l’affaire avait été renvoyée pour nouvel examen par un autre représentant du ministre.

 

[93]           Après avoir examiné ces faits ainsi que les motifs qui avaient amené la Cour à surseoir, le 8 septembre 2004, au renvoi de M. Mahjoub en Égypte en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire de la décision qu’avait prise le ministre de renvoyer M. Mahjoub en Égypte, le fait qu’aucun autre avis de danger n’avait été rendu comme il le fallait pour permettre le renvoi de M. Mahjoub en Égypte, ainsi que la forte probabilité que M. Mahjoub conteste encore une fois un tel avis de danger à cause de l’incertitude qui régnait sur ce point par suite de l’arrêt Suresh, précité, avaient amené la juge Dawson à conclure que le renvoi n’était pas imminent au point de faire perdre aux conditions de la détention et à la durée de celle‑ci une bonne partie de leur importance. Cela étant, compte tenu des conditions de la détention et de la durée de celle‑ci, la juge Dawson était convaincue que M. Mahjoub ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. La juge a exercé le pouvoir discrétionnaire qu’elle possédait de ne pas tenir compte du retard attribuable au fait que les procédures engagées par M. Mahjoub par le passé et les procédures que celui‑ci pourrait engager un jour augmentaient encore plus le retard.

 

[94]           Dans la décision Almrei no 2, précitée, la juge Layden‑Stevenson avait été influencée par des facteurs semblables à ceux que la juge Dawson avait pris en considération dans la décision Mahjoub no 2. Comme il en a été fait mention, M. Almrei, qui était citoyen syrien et réfugié au sens de la Convention, était détenu depuis le 19 octobre 2001 en vertu d’un certificat de sécurité que la juge Tremblay‑Lamer avait jugé raisonnable le 23 novembre 2001. Le 5 décembre 2001, M. Almrei avait été informé que CIC demanderait au ministre de rendre un avis selon lequel il constituait un danger pour la sécurité du Canada, lequel pourrait entraîner son refoulement en Syrie. Or, comme il en a été fait mention, l’arrêt Suresh, précité, a été rendu par la Cour suprême du Canada au mois de janvier 2002.

 

[95]           Le 13 janvier 2003, le représentant du ministre a exprimé l’avis selon lequel M. Almrei constituait un danger pour la sécurité du Canada aux termes de l’alinéa 115(2)b) de la Loi. M. Almrei avait, sans tarder, présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du ministre; il avait également cherché à obtenir un sursis, question qui avait perdu tout intérêt pratique par suite de l’engagement du ministre de ne pas procéder au renvoi tant qu’il n’était pas statué sur la demande. L’avis de danger rendu par le représentant du ministre avait été annulé sur consentement du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui reconnaissait la présence de graves erreurs dans cet avis.

 

[96]           Le 28 juillet 2003, M. Almrei avait été avisé que le ministre demanderait une autre décision, conformément à l’alinéa 115(2)b) de la Loi, au sujet de la question de savoir s’il devait être renvoyé du Canada pour le motif qu’il constituait une menace pour la sécurité nationale. Le 23 octobre 2003, le représentant du ministre a conclu que M. Almrei ne risquait pas la torture s’il était renvoyé en Syrie. Le représentant du ministre a par ailleurs conclu que le risque couru par M. Almrei en Syrie était justifié à cause du danger qu’il présentait pour la sécurité du Canada. M. Almrei a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Selon un affidavit déposé devant la Cour fédérale le 21 novembre 2003, la date du renvoi avait été fixée et le renvoi devait avoir lieu dans les deux semaines et demie suivantes. M. Almrei a demandé et obtenu le sursis de l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’il avait présentée par suite du second avis de danger.

 

[97]           Le 11 mars 2005, le juge Blanchard de la Cour a annulé le second avis de danger et a ordonné que le dossier soit renvoyé à un autre représentant du ministre pour qu’il rende une nouvelle décision. Au moment où la juge Layden‑Stevenson a prononcé sa décision, soit cinq mois après que M. Almrei eut terminé de présenter ses observations, le 29 juillet 2005, le représentant du ministre n’avait pas encore rendu d’avis de danger visé à l’alinéa 115(2)b). La juge Layden‑Stevenson a fait remarquer que M. Almrei ne pouvait pas être renvoyé du Canada tant que l’avis du ministre n’était pas rendu, à moins que le ministre ne permette à M. Almrei de quitter le Canada à destination d’un pays de son choix qui voudrait bien le recevoir. Sinon, M. Almrei devait rester en détention, à moins d’être mis en liberté par la Cour.

 

[98]           Comme il en a été fait mention, la juge Layden‑Stevenson était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Almrei ne serait pas renvoyé dans un délai raisonnable. Elle a fait remarquer que M. Almrei était détenu depuis plus de quatre ans. Le certificat de sécurité avait été jugé raisonnable le 23 novembre 2001. De l’avis de la juge, il était évident que le temps requis pour procéder au renvoi avait été « prolongé principalement parce que M. Almrei a[vait] exercé des recours en justice en vue d’empêcher le renvoi ». La juge a ajouté que la Cour d’appel fédérale « a[vait] conclu que la détermination de la question de savoir si un délai est devenu déraisonnable exige l’examen de cinq facteurs différents, ce qui revient en fin de compte à tenir compte de la totalité des circonstances ». À cet égard, la juge s’est fondée sur le paragraphe 57 des motifs que le juge Létourneau avait prononcés dans la décision Almrei, précitée, que je reproduis ci‑dessous :

¶ 57      Lorsque le renvoi d’un étranger est reporté de manière à ce qu’entre en jeu l’exigence du « délai raisonnable », le juge qui entend la demande de mise en liberté doit tenir compte du [retard] et en examiner les causes. Les demandes de réparations judiciaires doivent être présentées avec diligence et en temps utile. Il en va de même pour les réponses gouvernementales et l’audition de ces demandes par la cour. Les cours ont, comme elles se doivent de le faire, entendu prioritairement les contestations de la légalité d’une détention. La Cour suprême du Canada a dit, dans l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 115, 121 et 122, que pour qu’un délai soit abusif ou inéquitable, il doit être déraisonnable ou excessif. La question de savoir si un délai est devenu déraisonnable dépend de « la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire » (non souligné dans l’original) : voir le paragraphe 122 de l’arrêt Blencoe.

 

[99]           La juge a mentionné le principe selon lequel, si une preuve crédible et convaincante est produite à l’égard d’un renvoi imminent, les conditions de la détention et la durée de celle‑ci perdent une bonne partie de leur importance et la suite des événements est pertinente, en ce sens qu’elle peut donner des raisons de douter de la fiabilité de la preuve selon laquelle on procédera à bref délai au renvoi et de se demander jusqu’à quel point un délai additionnel est raisonnable.

 

[100]       Au paragraphe 258 de ses motifs, la juge a dit ce qui suit :

¶ 258      Lorsque le [retard] est attribuable aux efforts que le demandeur déploie pour empêcher son renvoi, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte, en tout ou en partie, [de ce retard] (paragraphe 58). Les conditions de détention peuvent être telles, particulièrement lorsqu’il s’agit également d’une longue détention, que l’expression « dans un délai raisonnable » prend « un autre sens, celui de l’urgence » (paragraphe 82). Le renvoi doit alors être effectué encore plus rapidement afin de respecter les exigences du paragraphe 84(2). C’est dans cette optique que, lorsque nécessaire, le juge doit examiner la durée et les conditions de la détention, ainsi que les causes déterminantes du [retard] (paragraphe 83). Par conséquent, isolément ou en combinaison, une longue détention et des conditions oppressantes peuvent rendre l’affaire urgente et exiger une application rigoureuse de la norme du critère raisonnable.

 

 

[101]       La juge Layden‑Stevenson a reconnu que M. Almrei était détenu depuis longtemps, soit depuis le 19 octobre 2001, le certificat de sécurité ayant été jugé raisonnable le 23 novembre 2001.

 

[102]       La juge Layden‑Stevenson a conclu qu’à l’exception d’une détention passagère au sein de la population générale, M. Almrei avait été en isolement cellulaire pendant la durée de sa détention à Métro‑Ouest, isolement nécessaire parce que, au sein de la population générale, la sécurité de M. Almrei était en danger. La juge a dit qu’en isolement, M. Almrei était confiné dans sa cellule pendant environ vingt‑trois heures et demie (23 ½) par jour. Pendant l’autre demi‑heure, il prenait sa douche et faisait de l’exercice pendant quinze à vingt minutes, mais s’il y avait un isolement cellulaire dans toute la prison ou une pénurie de personnel, il ne pouvait pas prendre sa douche ou faire de l’exercice. M. Almrei avait le droit de recevoir des visiteurs pendant quarante minutes en tout chaque semaine et les appels téléphoniques étaient autorisés. La juge a conclu que l’établissement Métro‑Ouest est un établissement de détention provisoire conçu pour l’incarcération de courte durée des individus qui attendent de subir leur procès ou qui attendent le prononcé de leur sentence. La juge a dit que cet établissement était mal équipé et qu’il n’était pas conçu pour les détentions de longue durée et elle a fait remarquer que, selon une évaluation psychologique, l’isolement cellulaire est la forme d’incarcération qui a la plus grande incidence sur le plan psychologique et qui est la plus néfaste. La juge n’a pas hésité à conclure que les conditions dans lesquelles M. Almrei avait été détenu et la durée de sa détention étaient inacceptables, que cela était bien loin de ce à quoi on s’attendrait au Canada et que, par conséquent, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle refusait de ne pas tenir compte du retard susceptible d’être attribué à M. Almrei depuis le 14 mars 2004 en décidant si le renvoi allait avoir lieu dans un délai raisonnable.

 

[103]       La juge Layden‑Stevenson a noté les observations que l’avocat de M. Almrei avait présentées au sujet des allégations de MM. Arar, El Maati et Almalki, décrivant les épreuves qu’ils avaient subies en Syrie, et elle a également noté qu’on ne saurait présumer que le représentant du ministre déciderait que M. Almrei pouvait être renvoyé. La juge a dit qu’« [i]l [était] justifié d’examiner ces arguments dans la mesure où ils auront également été soumis au représentant du ministre et où ils seront sans doute examinés minutieusement par celui‑ci ». Elle a indiqué que la Cour suprême du Canada n’avait pas déterminé les circonstances dans lesquelles l’expulsion dans un pays où la personne en cause risque la torture pouvait être justifiée et que l’arrêt Suresh, précité, donnait de forts indices montrant que l’expulsion vers un pays où la personne en cause risque la torture constitue une conduite fondamentalement inacceptable, une conduite qui choque la conscience canadienne et qui viole donc la justice fondamentale. Elle a exprimé l’avis selon lequel, lorsqu’une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu’elle risque la torture, le délai sera plus long.

 

[104]       La juge Layden‑Stevenson a clairement reconnu que la question à laquelle elle faisait face n’était pas une question dans le cadre de laquelle elle avait à examiner l’analyse de risque figurant dans l’avis de danger parce que le représentant du ministre n’avait pas encore pris de décision. Toutefois, la juge a ajouté que les observations présentées par M. Almrei mettent en cause la question du « renvoi dans un délai raisonnable » parce qu’il était clair à ses yeux, compte tenu des observations, que M. Almrei solliciterait sans aucun doute l’autorisation de demander le contrôle judiciaire et, au besoin, un sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion, si le représentant du ministre décidait que M. Almrei pouvait être renvoyé du Canada.

 

[105]       En outre, la juge a reconnu que la Cour suprême du Canada avait accordé l’autorisation d’interjeter appel de la décision que la Cour d’appel fédérale avait rendue au sujet de M. Almrei, comme elle l’avait également fait pour la question constitutionnelle se rapportant à la décision que la Cour d’appel fédérale avait rendue dans l’arrêt Charkaoui, [2005] 2 C.F. 299, au sujet de la question constitutionnelle. La juge a indiqué qu’au moment où elle rédigeait ses motifs, l’audition de l’appel par la Cour suprême du Canada devait avoir lieu plusieurs mois plus tard seulement et que la question de savoir à quel moment une décision pourrait être rendue était tout simplement une conjecture. La juge a conclu que l’on pouvait du moins prétendre que M. Almrei ne serait pas renvoyé avant que la Cour suprême du Canada ne statue sur l’appel que celui‑ci avait interjeté et elle concluait donc que M. Almrei n’avait pas établi que son renvoi n’était pas imminent. Selon la juge, ce n’était pas un « fait accompli » que cela ne se ferait pas dans un délai raisonnable.

 

(2)        Application à la présente espèce et conclusions

 

[106]       Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Harkat n’a pas réussi à me convaincre qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Cela étant, je n’ai pas à statuer sur la question de savoir s’il a réussi à me convaincre qu’il ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada ou pour la sécurité d’autrui.

 

[107]       De toute évidence, M. Harkat est détenu depuis longtemps. En effet, il est détenu au Centre de détention d’Ottawa‑Carleton en vertu d’un certificat de sécurité depuis un peu plus de trois ans, à savoir depuis le début du mois de décembre 2002. Cependant, la décision sur le certificat de sécurité est récente; en effet, elle a été rendue le 22 mars 2005.

 

[108]       L’avocat de M. Harkat n’a pas présenté de preuve expliquant le laps de temps qui s’était écoulé entre le moment où son client avait été mis en détention et le moment où la juge Dawson avait repris les audiences publiques, le 25 octobre 2004, sous la direction des nouveaux avocats de M. Harkat, Mes Copeland et Webber qui, depuis que leurs services avaient été retenus à la fin du mois de juin 2004, avaient travaillé avec diligence et efficacité lorsqu’il s’était agi de représenter M. Harkat.

 

[109]       Dans ses motifs, la juge Dawson a attribué à M. Harkat plutôt qu’aux ministres le retard du mois de juillet 2003 au mois de juin 2004. De plus, comme il en a été fait mention, M. Harkat a désigné, à la fin du mois de juin 2004, de nouveaux avocats qui ont demandé l’ajournement de la reprise de l’instance, qui devait avoir lieu au mois d’août 2004. La demande d’ajournement a été accordée afin de permettre à Mes Copeland et Webber d’étudier le dossier. La juge Dawson a expliqué la nature du retard dans les motifs qu’elle a prononcés sur la question de l’amicus curiae, dans (Re) Harkat, 2004 CF 1717. Selon l’interprétation que je donne à ses motifs, aucune des causes du retard, lorsqu’il s’est agi de mener à bonne fin l’audience sur le certificat de sécurité, n’a été attribuée à quoi que ce soit qui puisse être imputé aux ministres défendeurs. Après que les services des nouveaux avocats eurent été retenus et que les audiences publiques eurent commencé, au mois d’octobre 2004, l’affaire a avancé rapidement et d’une façon efficace.

 

[110]       En outre, l’avocat de M. Harkat n’a pas soumis énormément de preuves au sujet des conditions de détention de M. Harkat. Mise à part la période pendant laquelle il a été en isolement cellulaire, M. Harkat faisait partie de la population générale, au Centre de détention d’Ottawa‑Carleton. Le docteur Campbell a témoigné que, pendant son incarcération, M. Harkat avait été atteint d’une dépression et du syndrome de stress post‑traumatique, mais une interprétation raisonnable de la preuve que le docteur Campbell a soumise donne à entendre que ces maladies ne sont pas attribuables à l’incarcération en soi, mais seraient apparemment dues à la crainte que M. Harkat a de retourner en Algérie (voir la transcription, vol. 2, page 408).

 

[111]       Le docteur Cameron, dont l’expertise n’a pas été contestée, a reconnu ce qui suit lors de son contre‑interrogatoire :

a)                  dans son rapport, il a considéré le stress ressenti par M. Harkat comme découlant principalement du fait qu’il était incarcéré, de l’incertitude qui régnait au sujet de son avenir et en particulier de sa crainte d’être expulsé en Algérie (ibid., page 438);

b)                  l’expulsion est une épreuve fort stressante (ibid., page 438);

c)                  tant que le stress causé par une expulsion possible perdurera, M. Harkat risquera d’être atteint du syndrome de stress post‑traumatique et d’une dépression (ibid., page 439);

d)                  il ne voulait pas donner à entendre que, si M. Harkat était mis en liberté, il ne continuerait pas à être déprimé ou à être atteint du syndrome de stress post‑traumatique;

e)                  les gens qui commettent des crimes violents ne sont pas tous des psychopathes;

 

[112]       Comme le juge Létourneau l’a fait remarquer dans l’arrêt Almrei, précité, la demande de mise en liberté judiciaire fondée sur le paragraphe 84(2) est axée sur la question de savoir si le renvoi du Canada doit avoir lieu dans un délai raisonnable. Le juge Létourneau était clairement au courant de l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, de la Cour suprême du Canada, affaire dans laquelle M. Blencoe tentait de mettre fin à une enquête sur les droits de la personne menée en vertu du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique en invoquant le délai déraisonnable, et cet arrêt a clairement influencé le juge.

 

[113]        L’arrêt Blencoe, précité, et en particulier les motifs du jugement que le juge Bastarache a prononcés au nom de la majorité, sont à l’origine des propositions suivantes :

1)                  Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable que l’alinéa 11b) garantit à tout inculpé ne peut être transposé dans l’article 7 de la Charte des droits et libertés. Aucune disposition analogue à l’alinéa 11b) de la Charte ne s’applique aux procédures administratives, et le droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable ne s’applique qu’en matière criminelle;

2)                  La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire;

3)                  Une personne a le droit de prendre des mesures en vue de contester la procédure suivie par la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique et M. Blencoe avait le droit de prendre des mesures juridiques comme il l’a fait, mais le retard attribuable à ces contestations ne peut pas être pris en compte dans le retard imputé à la Commission.

 

[114]       L’avocat de M. Harkat n’a pas soumis de preuve directe au sujet de la question de savoir si son client allait être renvoyé dans un délai raisonnable. Il s’est plutôt fondé sur le fait qu’à compter de la date à laquelle il avait présenté ses observations préliminaires à l’ASFC au sujet de la demande d’avis visée à l’alinéa 115(2)b), il s’était écoulé six mois avant que l’ASFC soumette son mémoire au représentant du ministre en vue d’obtenir un avis favorable en vertu de l’alinéa 115(2)b). Selon l’avocat de M. Harkat, la période de six mois montre que l’ASFC ne fait pas son travail en temps opportun. Cette période de six mois est à première vue déraisonnable. Elle est visée par le principe énoncé par le juge Létourneau au paragraphe 42 de l’arrêt Almrei, précité : M. Harkat s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de fournir une preuve quelconque montrant qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le renvoi ne sera pas effectué dans un délai raisonnable. L’avocat poursuit son argument en disant qu’étant donné que M. Harkat a fourni cette preuve, il faut y répondre. La charge de la preuve est passée au gouvernement, qui n’a pas soumis de preuve en vue de justifier la période de six mois et M. Harkat a donc le droit d’être mis en liberté.

 

[115]       L’avocat de M. Harkat a également dit qu’il ne sait pas à quel moment son client pourrait être renvoyé ni à quel moment le représentant du ministre rendra une décision au sujet de la question visée à l’alinéa 115(2)b). L’avocat a toutefois reconnu que je ne devrais pas faire de conjectures sur ces deux points.

 

[116]       Quant à la demande d’autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême du Canada à l’encontre de la décision par laquelle la Cour d’appel fédérale a rejeté, le 6 septembre 2005, sa contestation fondée sur la Constitution, l’avocat de M. Harkat a fait valoir que le retard attribuable à cette contestation ne devrait pas militer à l’encontre de M. Harkat, qui poursuivrait une contestation fondamentale au processus en s’appuyant sur la Constitution.

 

[117]       Il est vrai que six mois se sont écoulés entre le moment où l’avocat de M. Harkat a soumis ses observations préliminaires à l’ASFC et le moment où l’ASFC a déposé son mémoire auprès du représentant du ministre. Me Copeland avait transmis ses observations préliminaires à l’ASFC le 21 avril 2005, et la trousse d’information de l’ASFC destinée au représentant du ministre était datée du 21 octobre 2005.

 

[118]       Je ne retiens pas l’argument de l’avocat de M. Harkat selon lequel cette période de six mois est en soi déraisonnable et constitue une preuve prima facie montrant que M. Harkat ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable.

 

[119]       À mon avis, la charge de la preuve, lorsqu’il s’agit d’expliquer ce délai particulier, n’est pas passée aux défendeurs.

 

[120]       Je me demande si la période de six mois est exacte parce que, pendant tout l’été 2005, l’avocat de M. Harkat a continuellement soumis des éléments additionnels.

 

[121]       Toutefois, ce qui est encore plus important, le demandeur a tort de mettre l’accent, hors de tout contexte, sur le temps qu’il a fallu pour préparer le mémoire de l’ASFC à l’intention du représentant du ministre. Cela n’est pas conforme à l’enseignement donné au paragraphe 122 de l’arrêt Blencoe, précité, où il est dit qu’il y a plusieurs facteurs à prendre en considération pour savoir si un délai est devenu excessif; cela n’est pas non plus en accord avec le paragraphe 55 des motifs prononcés dans l’arrêt Almrei, précité, où le juge Létourneau a dit que « la notion de renvoi dans un ‘délai raisonnable’ exige qu’un certain temps se soit écoulé depuis le moment où le certificat a été déclaré raisonnable et l’appréciation de la question de savoir si le [temps écoulé] est tel qu’il faut conclure que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. Les préoccupations concernant une violation possible de l’exigence relative au ‘délai raisonnable’ surviennent après les 120 jours mentionnés au paragraphe 84(2), lorsque le renvoi n’a pas encore eu lieu ». Compte tenu de ces principes, on ne saurait dire que le temps qu’il a fallu pour préparer le mémoire de l’ASFC permet de conclure que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable. En outre, la simple lecture du mémoire que M. Dumas a adressé au représentant du ministre montre clairement qu’il a fallu énormément de temps pour préparer ce mémoire; les points qui y sont traités sont nombreux et complexes. Le mémoire de l’ASFC devait tenir compte des longues observations préliminaires soumises pour le compte de M. Harkat et, après analyse, il devait y répondre. Le document devait être minutieusement formulé en vue de répondre aux préoccupations soulevées dans l’arrêt Suresh. Il n’est tout simplement pas réaliste de soutenir qu’un document de ce genre peut être rapidement rédigé.

 

[122]       Je conclus que les facteurs suivants sont importants lorsqu’il s’agit de conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de me convaincre qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable :

1)                  M. Harkat est incarcéré depuis longtemps, mais pour une bonne partie de la période du mois de juin 2003 au mois d’octobre 2004 le retard est attribuable à M. Harkat ou au fait que M. Harkat a retenu les services de nouveaux avocats. La période qui a précédé et la période qui a suivi cet intervalle aux fins de la tenue de l’audience sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité n’étaient pas d’une durée inhabituelle;

2)                  Tous les indicateurs montrent que l’ASFC agit avec célérité dans cette affaire et qu’elle ne laisse pas les choses traîner en longueur. En effet, en 2003, l’ASFC a commencé à demander des garanties au gouvernement algérien. Deux jours après que la juge Dawson eut rendu sa décision sur le certificat de sécurité, M. Harkat a été avisé qu’un avis de danger serait demandé à son encontre, le délai de dépôt des observations préliminaires a été fixé et il y a été donné suite rapidement;

3)                  Le processus menant à une décision du représentant du ministre sur l’avis visé à l’alinéa 115b) a été mené à bonne fin. La décision du représentant du ministre est pendante. Je ne puis faire de conjectures au sujet du moment où le représentant rendra sa décision. Si le délai est déraisonnable, M. Harkat peut renouveler sa demande de mise en liberté;

4)                  Les conditions de la détention de M. Harkat n’entrent pas en ligne de compte. Le docteur Cameron n’a pas témoigné que la dépression et le syndrome de stress post‑traumatique dont M. Harkat est atteint sont attribuables à son incarcération. Il a déclaré que M. Harkat devrait être traité au moyen d’antidépressifs, et c’est, si je ne me trompe, ce qui a été fait;

5)                  Tout retard attribuable au fait que M. Harkat exerce un recours en justice en vue d’empêcher son renvoi ne devrait pas, selon les arrêts de principe, jouer en faveur de sa mise en liberté à bref délai;

6)                  Contrairement aux affaires Mahjoub no 2 et Almrei no 2, précitées, il ne s’agit pas du genre de cas dans lequel le représentant du ministre a tardé à rendre des décisions et où certaines des décisions ont été annulées. Comme il en a été ici fait mention, le représentant du ministre n’a pas encore rendu un premier avis en vertu de l’alinéa 115(2)b);

7)                  L’incertitude qui règne au sujet du renvoi de M. Harkat se rapporte aux mesures que ce dernier pourrait prendre afin d’empêcher le représentant du ministre de rendre une décision autorisant son renvoi en Algérie. Ici encore, si ces mesures retardent le renvoi, le retard qui en résulte ne peut pas être imputé à l’autorité chargée du renvoi.

 

[123]       M. Harkat n’a pas réussi à me convaincre qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. J’arrive à cette décision en me fondant entièrement sur le dossier public. Comme le juge Létourneau l’a dit dans l’arrêt Almrei, précité, il n’est pas nécessaire d’examiner les renseignements confidentiels eu égard aux circonstances.

 

[124]       Étant donné que j’ai conclu que M. Harkat n’a pas satisfait au premier volet du critère en deux parties prévu au paragraphe 84(2) de la Loi, je n’ai pas à établir si la mise en liberté de M. Harkat constitue un danger pour la sécurité nationale ou s’il est possible de réprimer ce danger en ayant recours à des cautions et en imposant des conditions, soit une conclusion à laquelle le juge Noël est arrivé dans la décision Charkaoui, 252 D.L.R. (4th) 601 (C.F.), une décision qui a été rendue avant que le juge eût examiné le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré à l’encontre de M. Charkaoui, qui résidait en permanence au Canada, et après que l’on eut procédé à trois contrôles des motifs de la détention, en application du paragraphe 83(2) de la Loi.

 

[125]       Pour ces motifs, la demande de mise en liberté judiciaire que M. Harkat a présentée est rejetée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

Ottawa (Ontario) 

Le 30 décembre 2005

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              DES‑4‑02

 

INTITULÉ :                                             MOHAMED HARKAT

                                                                  c.

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

      ET DE L’IMMIGRATION ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DES AUDIENCES :                  LES 14, 17, 24, 25 ET 26 OCTOBRE 2005

                                                                  ET LES 2, 3, 4, 8, 25, 29 ET 30 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 30 DÉCEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul D. Copeland

Matthew C. Webber

 

                            POUR LE DEMANDEUR

James H. Mathieson

Michael W. Dale

Donald MacIntosh

John Loncar

                            POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Copeland Duncan

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Webber, Schroeder

Avocats

Ottawa (Ontario)

                            POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

                            POUR LES DÉFENDEURS


 

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