Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210422


Dossier : IMM‑4931‑19

Référence : 2021 CF 358

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

DONG JUN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Dong Jun Li, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel, fondé sur des motifs d’ordre humanitaire, concernant une mesure d’exclusion prise contre lui.

II. Contexte

[2] La Section de l’immigration [la SI], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, a jugé que M. Li était interdit de territoire en raison de fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Une mesure d’exclusion a été prise contre lui.

[3] M. Li est devenu un résident permanent [RP] du Canada le 30 avril 2005, et son épouse, sa fille et son petit‑fils sont tous des citoyens canadiens.

[4] Peu de temps après s’être établi au Canada, M. Li est retourné en Chine comme consultant pour la grande entreprise qu’il avait vendue. Il a déclaré qu’il était inquiet de ne pas avoir passé suffisamment de jours au Canada pour maintenir son statut de RP. Il a retenu les services de New Can Consultants Ltd [New Can], société appartenant à Xun « Sunny » Wang [M. Wang], pour qu’elle gère les exigences de résidence qu’il devait respecter. Plus tard, il a été découvert que M. Wang et New Can avaient commis une fraude importante et de grande envergure visant le système d’immigration canadien (voir R c Wang, 2015 BCPC 302).

[5] M. Li a été absent du Canada pendant 1 414 jours, et il n’a pas satisfait aux exigences de résidence. Sa demande, préparée par M. Wang, mentionnait qu’il avait seulement été absent pendant 959 jours, et qu’il avait travaillé pour une entreprise canadienne en Chine.

[6] M. Wang avait retiré des pages du passeport de M. Li et avait présenté une fausse demande concernant le nombre de jours où M. Li avait été absent du Canada. De plus, il a été établi que M. Li recevait des faux paiements dans le cadre du complot orchestré par New Can et M. Wang afin qu’il maintienne son statut de RP en raison d’un travail pour une entreprise canadienne en Chine (voir l’art 28(2)a)iii) de la LIPR).

[7] Au cours d’une enquête menée par la SI, celle‑ci a conclu, dans une décision datée du 10 mai 2018, que M. Li était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait fait de fausses déclarations, et une mesure d’exclusion a été prise.

[8] M. Li a interjeté appel auprès de la SAI, et il a été débouté. Dans une décision datée du 19 juillet 2019, la SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur de l’enfant étaient insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales, et elle a rejeté l’appel. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. Question en litige

[9] La question déterminante est la suivante :

  • A) Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en raison d’erreurs de fait graves qu’il aurait commises et qui minent ses conclusions?

IV. Norme de contrôle

[10] Les parties s’entendent, tout comme moi, pour dire que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]; Zhao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 38 au para 8).

V. Analyse

A) Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en raison d’erreurs de fait graves qu’il aurait commises et qui minent ses conclusions?

[11] M. Li reconnaît que la jurisprudence est claire sur le fait qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la SAI dans de telles situations (voir Vavilov, au para 125; Kusi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 68 au para 20). Il reconnaît aussi que la SAI s’est appuyée sur les bons facteurs, qui énoncés au paragraphe 11 de la décision de la SAI.

[12] Même si M. Li a soulevé plusieurs autres questions dans ses observations, son témoignage de vive voix a porté principalement sur le fait que la décision comportait cinq erreurs de fait tellement importantes que, même compte tenu du pouvoir discrétionnaire de l’agent, la décision est déraisonnable.

[13] Je suis d’accord.

[14] Les erreurs cumulatives font en sorte que la décision n’est plus comprise dans l’éventail de décisions que l’on peut qualifier de justifiées, transparentes et intelligibles, comme l’exige l’arrêt Vavilov. Je ne crois pas que les erreurs considérées séparément rendraient la décision déraisonnable, mais si on les considère ensemble, il est difficile de déterminer ce qui était raisonnable et ce qui ne l’était pas, car il est impossible de cerner l’incidence de chaque erreur sur chaque facteur qui y est lié.

[15] Les erreurs ont entraîné une décision déraisonnable entachée de lacunes.

[16] Cela dit, même sans les erreurs, je ne suis pas convaincue que la décision aurait été différente. Le demandeur a toutefois le droit de s’assurer que la décision est fondée sur la preuve présentée et d’obtenir des motifs cohérents et raisonnablement exacts sur le plan factuel.

1) La décision faisant l’objet de la demande de contrôle

[17] M. Li a contesté non pas la validité juridique de la conclusion relative aux fausses déclarations, mais plutôt la question de savoir si les motifs d’ordre humanitaire ou l’intérêt supérieur de l’enfant étaient suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[18] La SAI a conclu que la demande relative au renouvellement du statut de RP de M. Li contenait de fausses informations, ce qui pourrait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, et que M. Li avait signé un formulaire en blanc, ce qui a facilité les fausses déclarations.

[19] M. Li ne conteste pas la conclusion relative à l’interdiction de territoire, ni la validité en droit de la conclusion liée aux fausses déclarations, ce qui ne laisse donc que la question de la prise de mesures spéciales par le tribunal. M. Li conteste toutefois certains faits exposés dans la décision de la SAI.

[20] La SAI a déclaré le critère applicable comme suit : elle devait être convaincue, « au moment où elle dispose de l’appel, qu’il y a, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». Elle a ajouté que les motifs pouvaient comprendre :

a) la gravité de la fausse déclaration à l’origine de la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elle a été faite;

b) les remords exprimés par l’appelant;

c) la durée et l’étendue de l’établissement de l’appelant au Canada;

d) l’incidence qu’aurait le renvoi de l’appelant sur sa famille au Canada;

e) le soutien familial et communautaire dont bénéficie l’appelant;

f) l’importance des difficultés que subirait l’appelant s’il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé;

g) l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision.

[21] La SAI a fait remarquer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être conforme aux objectifs de la LIPR, ce qui veut dire qu’il faut tenir compte de la santé, de la sécurité et de la protection de tous les Canadiens.

[22] La SAI a conclu que la prétention de M. Li selon laquelle il n’était pas responsable de la fausse déclaration importe peu, car les tribunaux ont invariablement jugé qu’un acte délibéré ou intentionnel n’était pas requis pour conclure qu’il y a eu des fausses déclarations, et qu’on peut considérer que les actions d’une tierce partie peuvent entraîner de fausses déclarations.

[23] La SAI a aussi conclu qu’une personne ayant le sens des affaires de M. Li n’aurait pas signé une demande de renouvellement de carte de RP en blanc en l’absence d’une traduction du document, et que le fait qu’il n’ait pas eu des soupçons immédiatement après avoir reçu des chèques, alors qu’il n’avait pas travaillé pour l’entreprise, n’avait pas de sens. Même s’il a remboursé les paiements reçus, il n’a pris aucune autre mesure pour vérifier la légitimité du renouvellement de sa carte de RP. Compte tenu de ce qui précède, la SAI a estimé que M. Li était responsable des fausses déclarations. Elle explique ensuite dans sa décision que, comme M. Li connaissait ses obligations en matière de résidence, les fausses déclarations ont bel et bien entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, ont miné l’intégrité du système d’immigration et étaient graves.

[24] La SAI a ensuite conclu que M. Li n’a ni exprimé des remords ni assumé ses responsabilités quant aux fausses informations, et a plutôt blâmé le consultant. La SAI a pris acte du fait que, même s’il a retourné l’argent, M. Li a continué de recourir aux services de New Can, et qu’il n’avait pas réclamé certains revenus dans ses déclarations de revenus. La SAI a souligné que M. Li se qualifiait de victime, ce qui ne dénotait pas l’existence de remords.

[25] La SAI a conclu que M. Li n’avait ni travaillé au Canada, ni payé d’impôts au Canada (mis à part lorsqu’il a reçu des faux chèques de paie), mais il possède des biens, des comptes bancaires et des placements financiers au Canada. La SAI a mentionné que sa famille immédiate réside au Canada, et qu’il fait partie d’une communauté confessionnelle locale, et elle a conclu qu’il a démonté son établissement au Canada, mais que cet établissement est atténué par le fait que, n’eût été les fausses déclarations, il ne se serait pas trouvé au Canada pour s’y établir. La SAI a malgré cela conclu que, dans l’ensemble, l’établissement de M. Li au Canada était un facteur favorable.

[26] La SAI a ensuite examiné les conséquences sur la famille, et a pris acte du diagnostic de cancer de l’œsophage que M. Li a reçu en 2016. Elle souligne qu’il existe peu d’éléments de preuve pour attester le type ou la quantité d’aide que l’épouse de M. Li offre à sa fille et à son petit‑enfant, et à quel type de difficultés elle ferait face si elle accompagnait son époux en Chine. La SAI a aussi fait remarquer que l’épouse de M. Li se rend déjà en Chine plusieurs fois par année, y reste pendant approximativement deux mois chaque fois, et que cela montre qu’elle ferait face à peu de difficultés si elle l’accompagnait en Chine. Selon la SAI, la famille serait exposée à certaines difficultés si l’épouse de M. Li devait prendre soin de ce dernier ailleurs.

[27] La SAI a conclu que l’appui de la collectivité et de la famille constituait un facteur favorable.

[28] Ensuite, la SAI a évalué les difficultés auxquelles M. Li pourrait faire face d’un point de vue médical s’il était renvoyé. Elle a examiné les soins de santé pouvant être dispensés à l’extérieur du Canada, et a conclu qu’il existait peu d’éléments de preuve à l’appui d’une absence de soins médicaux en Chine. M. Li a présenté deux lettres fournies par des médecins, mais l’une d’elles avait été rédigée par un ami de la famille qui ne le traitait pas. L’auteur de l’autre lettre mentionne un taux de survie de 23 %, mais la SAI a constaté que le pronostic ne tenait sans doute pas compte du traitement que M. Li avait déjà reçu. La SAI a ajouté que M. Li s’était rendu aux États‑Unis pour se faire soigner. Elle a noté une divergence qui a soulevé la question de savoir si M. Li avait arrêté ses traitements aux États‑Unis, et qu’il existe des éléments de preuve démontrant que M. Li peut obtenir un traitement à l’extérieur de la Chine ou du Canada. Compte tenu de ce qui précède, la SAI a jugé que, d’un point de vue médical, les éléments de preuve démontrant que M. Li subirait des difficultés excessives s’il devait retourner en Chine étaient peu nombreux.

[29] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, la SAI a conclu qu’il existait peu d’éléments de preuve établissant une quelconque difficulté, et que la présence de M. Li n’était pas essentielle au bien‑être de son petit‑fils.

[30] La SAI a souligné que le conseil a fourni au commissaire des décisions antérieures de la SAI qui seraient connexes à la présente affaire et dont elle devrait tenir compte et, même si elle n’était pas liée par ces décisions, elle a affirmé qu’elle les avait examinées avant de rendre sa décision.

[31] Les cinq erreurs de fait que fait valoir M. Li sont les suivantes :

  • la question de savoir s’il a signé un formulaire en blanc;

  • la question de savoir s’il a déclaré ses revenus;

  • la conclusion selon laquelle ses fausses déclarations ont entraîné une erreur dans l’application de la LIPR;

  • la conclusion selon laquelle, n’eût été ses fausses déclarations, il ne se trouverait pas au Canada;

  • l’interprétation erronée de la preuve concernant son pronostic médical.

[32] Même si le défendeur admet que certaines erreurs ont entaché la décision, il est fermement convaincu que d’autres questions ne sont pas des erreurs, ou que, si elles l’étaient, elles n’étaient pas importantes pour la décision, et que la décision serait raisonnable malgré ces erreurs. Il existait aussi un désaccord entre les parties concernant la définition de ce qu’est une erreur de la part du décideur, et ce qui ne constitue pas une erreur, mais une interprétation différente de la preuve.

[33] Dans sa plaidoirie, le conseil de M. Li fait valoir que, pour exercer son pouvoir discrétionnaire, le décideur peut agir comme bon lui semble, mais il doit interpréter correctement la preuve. Si l’une des erreurs n’était pas fatale, le cumul des erreurs l’est.

2) Formulaire en blanc

[34] M. Li soutient que, comme la SAI a commis une erreur concernant la signature du formulaire en blanc, cela montre que le tribunal n’a pas compris les éléments de preuve qui lui avaient été présentés et n’en a pas tenu compte. M. Li a affirmé devant le tribunal qu’il n’avait pas vu de formulaire contenant des renseignements inexacts, qu’il a fourni des éléments de preuve provenant d’experts pour établir qu’il avait signé le formulaire contenant les bons renseignements, et que le formulaire renfermant des renseignements incorrects contenait une imitation de sa signature. Il y avait deux formulaires : l’un renfermait des renseignements exacts et avait été signé par lui, et l’autre renfermait des renseignements inexacts et comprenait une imitation de sa signature. Selon M. Li, la conclusion selon laquelle il a signé un formulaire en blanc constituait un élément important pour la décision, et elle constitue une erreur grossière de la part du tribunal.

[35] Le défendeur admet que la conclusion selon laquelle M. Li a signé un formulaire en blanc était erronée, mais il affirme qu’elle n’est pas importante.

[36] Je suis d’avis qu’il s’agit d’une erreur déterminante, puisqu’elle pourrait avoir une incidence sur l’appréciation de la crédibilité par l’agent, ainsi que sur l’évaluation du remords et peut‑être d’autres éléments. Vu la gravité de la déclaration, M. Li a le droit d’obtenir une décision ne contenant pas cette erreur grave, qui a été mentionnée deux fois et qui est (ou pourrait être) indissociable de nombreuses autres conclusions tirées par l’agent.

3) Revenu non déclaré

[37] M. Li affirme aussi que le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas déclaré ses revenus. Il soutient avoir fourni toutes les informations liées à ses revenus en Chine à son comptable et lui avoir demandé de remplir les formulaires de déclaration de revenus nécessaires. M. Li souligne que le tribunal n’a pas tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité à cet égard, mais qu’il aurait dû mentionner clairement qu’il ne croyait pas ces allégations et donner des motifs. Il soutient aussi que la SAI a mal exposé la preuve lorsqu’elle a affirmé qu’il avait dit lors de son témoignage qu’il n’avait pas déclaré ses revenus de consultant.

[38] Le défendeur n’est pas d’accord. Il soutient qu’il ressort de la transcription que M. Li savait que des revenus n’avaient pas été déclarés dans sa déclaration de revenus, et il a reproduit l’échange suivant qui a eu lieu à l’audience devant la SAI :

[traduction]

Commissaire : D’accord. Donc, avez‑vous été payé pour cette consultation?

Appelant : Oui, je l’ai été.

Commissaire : Pourquoi ce revenu n’est-il pas déclaré dans votre déclaration de revenus de 2008?

Appelant : Je ne m’en souviens pas exactement. J’ai fait ce travail de consultant pendant trois ans. Je ne sais pas.

Commissaire : Avez‑vous déclaré ce revenu au Canada?

Appelant : Oui, je l’ai fait.

Commissaire : Il ne figure pas dans les rapports que nous avons.

Appelant : Je ne sais pas s’il a été clairement identifié. Vous avez toutes les déclarations de revenus que j’ai présentées.

(Dossier certifié du tribunal à la page 536)

[39] Au paragraphe 17 de la décision de la SAI, le commissaire indique que M. Li a dit lors de son témoignage qu’il n’avait pas payé d’impôts.

[40] Même si je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il incombe au demandeur de s’acquitter du fardeau de produire les éléments de preuve, et qu’il devrait pouvoir accéder aux documents pour clarifier ce qui doit l’être, je n’admets pas que M. Li a dit qu’il reconnaissait ne pas avoir déclaré des revenus dans sa déclaration de revenus. À la lumière de la transcription reproduite ci‑dessus, au paragraphe 38, je peux seulement interpréter sa réponse « oui, je l’ai fait » comme voulant dire que oui, il a déclaré tous ses revenus. Donc, après avoir passé en revue les éléments de preuve, je juge qu’il y a une erreur de fait.

4) Fausses déclarations entraînant une application erronée de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

[41] En ce qui concerne la question de savoir si les fausses déclarations ont entraîné une application erronée de la LIPR, M. Li fait valoir que, puisque la carte de RP n’a jamais été délivrée, il n’y a eu aucune application erronée de la loi, contrairement à ce que la SAI a conclu dans ses motifs. Selon M. Li, une conclusion quant à l’existence de fausses déclarations peut être tirée lorsque des renseignements incorrects pourraient entraîner une erreur, mais il existe des différences importantes entre ce qui pourrait entraîner une erreur et ce qui entraîne dans les faits une erreur. Lorsqu’une véritable erreur est commise, il y a, à son avis, un avantage clair qui découle des fausses déclarations.

[42] Le défendeur n’est pas d’accord, et il soutient que la carte de RP a été préparée et était prête à être remise à M. Li. Il affirme qu’elle a été délivrée étant donné que, selon le Cambridge Dictionary, « issue »délivrer ») veut dire [traduction] « produire ou remettre une pièce officielle ». Il cite d’autres définitions similaires provenant de dictionnaires, et affirme que, comme la carte de RP a été préparée à la suite de fausses déclarations, elle a entraîné une erreur.

[43] Le défendeur ajoute que rien ne justifie de faire une distinction entre la situation où une erreur est ou pourrait être entraînée lors de l’application de la LIPR. Il soutient que M. Li savait qu’il avait manqué à son obligation de résidence lorsqu’il a présenté une demande pour obtenir sa carte de RP, et qu’il ne devrait pas subir moins de conséquences pour ses fausses déclarations uniquement parce qu’il avait été pris en flagrant délit avant que la carte ne lui soit remise.

[44] Il n’est pas nécessaire que je décide s’il s’agit d’une erreur ou non, car je ne suis pas d’avis que cela serait suffisant pour conclure que la décision est déraisonnable, bien qu’elle fasse partie de l’évaluation cumulative.

5) Établissement au Canada/ présence au Canada uniquement en raison des fausses déclarations

[45] En ce qui concerne l’établissement, et la question de savoir s’il se trouverait au Canada malgré les fausses déclarations, M. Li affirme que la conclusion selon laquelle, n’eût été ses fausses déclarations, il ne serait pas au Canada pour s’y établir est erronée. Le statut de RP lui a été accordé en 2005, et il n’y avait aucune allégation de fausses déclarations à l’égard de cette demande. Il est revenu au Canada en 2009, et il ne s’est appuyé sur aucune fausse déclaration pour entrer au pays à ce moment‑là. La seule façon qu’il pourrait perdre son statut serait par une mesure de renvoi prise à son encontre. Ses fausses déclarations ont été portées à l’attention d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada en 2010, mais aucune mesure n’a été prise pour révoquer son statut avant 2015, et pendant ce temps, il l’a maintenu.

[46] Le défendeur a répondu qu’il était raisonnable de la part de la SAI d’appliquer le principe selon lequel les fausses déclarations sont un facteur pertinent pour l’évaluation de l’établissement d’une personne. Il ajoute que les fausses déclarations ont commencé en 2008, lorsque M. Li a communiqué avec New Can, et que, lorsqu’il est revenu au Canada en avril 2020, il ne se conformait pas aux conditions de résidence si on ne tenait pas compte de son travail frauduleux. Finalement, il soutient que la SAI a conclu que l’établissement de M. Li était un facteur favorable, et qu’elle a fait preuve de [traduction] « zèle excessif dans l’examen à la loupe » de la décision du tribunal. Le défendeur souligne que l’erreur doit être pertinente au regard de la décision rendue, comme l’a déclaré la Cour dans Miranda c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 437 au paragraphe 5, et qu’il ne s’agit pas manifestement pas d’une erreur de cette nature en l’espèce. Le défendeur souligne qu’il a été jugé que l’établissement était un facteur favorable, peu importe qu’il y ait ou non une erreur.

[47] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est difficile de conclure qu’à elle seule, cette conclusion de l’agent aurait permis l’accueil de la demande, d’autant plus que ce dernier était d’avis que l’établissement était un facteur favorable. Toutefois, lorsqu’on considère l’ensemble, le sentiment négatif général qui se dégage ne peut qu’avoir une incidence sur d’autres facteurs, de sorte que le cumul rend la décision déraisonnable.

6) Pronostic de M. Li

[48] Le défendeur soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve concernant le taux de survie pour les personnes dans la situation précise de M. Li, puisque la preuve concerne toutes les personnes souffrant du même type de cancer que M. Li ayant reçu un traitement, et que M. Li ne s’est pas pleinement prévalu du système de soins de santé canadien pour ses traitements.

[49] M. Li répond que cette prétention est erronée et que le tribunal n’a pas tenu compte de la lettre de son médecin traitant, qui déclare qu’il pourrait y avoir une réapparition de la tumeur, et que le taux de survie après cinq ans est de 23 % à partir de la date du diagnostic initial. Selon M. Li, la lettre est très précise quant au taux de survie dans son cas.

[50] Le défendeur réplique à cela que la SAI a remarqué que cette déclaration ne semble pas tenir compte d’un quelconque bénéfice pouvant découler de son traitement à la clinique Mayo (Mayo Clinic) aux États‑Unis, et que la SAI n’a aucunement contesté la gravité de la maladie de M. Li — elle n’a fait que souligner qu’on ne savait pas trop si le taux de survie de 23 % était un taux applicable à tous ceux qui souffrent de la même maladie que lui, ou si on avait tenu compte des traitements qu’il avait reçus.

[51] Je suis d’avis que cette erreur est assez grave et qu’elle est importante pour les facteurs dont l’agent a tenu compte. Le commissaire soulève la question du bénéfice des traitements reçus par M. Li au regard de son pronostic, mais il n’explique pas à quoi tient son doute. Il aurait pu mentionner les dates des traitements et les comparer à la date de la lettre, affirmer que la lettre du médecin était vague, ou énoncer un certain nombre de facteurs. En l’absence de motifs complets, la préoccupation à cet égard doit être considérée comme une erreur.

[52] L’effet cumulatif des erreurs manifestes et ce qui pourrait constituer des interprétations erronées rendent la décision déraisonnable.

[53] J’accueille la présente demande. J’annulerai la décision et renverrai l’affaire à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

[54] Aucune question n’a été présentée aux fins de certification, et les arguments présentés n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4931‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4931‑19

 

INTITULÉ :

DONG JUN LI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue PAR VIDÉOCONFÉRENCE entre VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) ET TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 AVRIL 2021

 

jugement et motifs :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

pour le demandeur

 

David Cranton

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.