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Date : 20210426


Dossier : 20‑T‑36

Référence : 2021 CF 365

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Holyrood (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 26 avril 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ANGELENA LIU

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] Par voie d’un avis de requête daté du 27 août 2020, Mme Angelina Liu (la demanderesse) sollicite, en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, une ordonnance lui accordant une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Dans la décision en question, qui est datée du 15 septembre 2016, la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse concernant le défaut de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), son employeur, de prendre des mesures d’adaptation à son égard compte tenu de sa situation familiale. La plainte de la demanderesse était fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi).

[2] Suivant le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), le procureur général du Canada est le défendeur dans le cadre de la présente requête.

II. CONTEXTE

[3] Les renseignements qui suivent sont tirés des affidavits déposés par les parties, y compris les pièces jointes à ces affidavits et en faisant partie.

[4] La demanderesse a déposé son affidavit souscrit le 24 août 2020. Elle a également déposé l’affidavit de M. James Carpick souscrit le 25 août 2020.

[5] Dans son affidavit, la demanderesse décrit ses antécédents d’emploi pour l’ASFC ainsi que ses tentatives pour obtenir des mesures d’adaptation compte tenu de sa situation familiale. Elle a joint plusieurs pièces à son affidavit concernant ses demandes de mesures d’adaptation, y compris une lettre datée du 3 juin 2014 rédigée par son époux, M. Mike Liu, [traduction] « en collaboration [avec la demanderesse] et en son nom ».

[6] Dans cette lettre, M. Liu décrit en détail la situation personnelle de la demanderesse à Vancouver.

[7] M. Liu a déclaré dans son affidavit être un membre actif de la Gendarmerie royale du Canada et précisé que la demanderesse est la fille d’un ancien membre du service de police de Vancouver. Il a également affirmé que la demanderesse et lui sont propriétaires, à Vancouver, d’une entreprise privée [TRADUCTION] « qui mène ses activités précisément dans la région de Vancouver et qui ne peut pas être réinstallée ailleurs ».

[8] M. Carpick, l’oncle de la demanderesse, est un avocat. Il a affirmé avoir représenté la demanderesse de façon bénévole relativement aux demandes de mesures d’adaptation que cette dernière a présentées à l’ASFC. Il fait référence à des pièces jointes à son affidavit, y compris les décisions de la Commission, les observations qu’il a présentées à la Commission au nom de la demanderesse et quelques lettres contenant des conseils prodigués à celle‑ci.

[9] M. Carpick a également déposé une déclaration sur sa compréhension du droit à l’égard du contenu de la décision de la Commission, à savoir qu’il s’agissait d’une décision brève et sans motifs. Il a affirmé dans son affidavit ne pas comprendre que le rapport d’enquête puisse être considéré comme les [TRADUCTION] « motifs » de la Commission. Il a ajouté avoir informé la demanderesse au sujet de la décision de la Commission et lui avoir prodigué le conseil suivant : [TRADUCTION] « Si vous voulez aller plus loin, il va falloir intenter rapidement des poursuites devant la Cour Fédérale. Sinon, vous devrez vous concentrer sur votre grief. »

[10] Pour sa part, le défendeur a déposé l’affidavit de Mme Denise Morrison, souscrit le 8 octobre 2020, et l’affidavit de Mme Linda Ott, souscrit le 8 octobre 2020.

[11] Mme Morrison est conseillère principale des relations de travail au sein de la Division des relations de travail et des recours des ressources humaines de l’ASFC. À ce titre, elle a déposé une déclaration quant à sa compréhension de la mesure dans laquelle la demanderesse connaissait et comprenait l’exigence d’admission au Programme de formation de base des agents selon laquelle elle pouvait recevoir une offre d’emploi n’importe où au Canada et elle devait l’accepter, peu importe le lieu de l’affectation. Des copies des documents signés à cet effet sont jointes à titre d’annexes à l’affidavit de Mme Morrison.

[12] Mme Morrison a également déclaré que, le 26 juin 2020, l’ASFC avait présenté des observations écrites à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF) pour s’opposer à la poursuite du grief par la demanderesse. Une copie des observations en question est jointe à titre d’annexe à l’affidavit de Mme Morrison.

[13] Mme Ott est adjointe juridique au ministère de la Justice, qui représente le défendeur. En guise d’annexe à son affidavit, elle a joint une copie de la page Web de M. Carpick au sein de son cabinet d’avocats, Owen Bird Professional Corporation, à Vancouver.

[14] La demanderesse est mariée et elle a deux enfants, qui avaient respectivement quatre et six ans en 2014. Elle vit à Vancouver. Elle a postulé un emploi à l’ASFC à titre d’agente et elle a suivi une formation à Rigaud (Québec) de février à juin 2014.

[15] Pendant sa formation, la demanderesse a demandé une affectation à Vancouver en guise de mesure d’adaptation compte tenu de sa situation familiale en tant que mère de jeunes enfants. Elle a présenté une demande au cours d’une réunion tenue le 14 mai 2014 avec des représentants de l’ASFC. Elle a répété sa demande dans une lettre datée du 3 juin adressée à la Division du recrutement national et du développement professionnel de l’ASFC. La lettre en question était également signée par son époux, un membre actif de la Gendarmerie royale du Canada.

[16] Le 9 juin 2014, la demanderesse a accepté une offre d’emploi. Avant de signer l’offre, elle a été informée du fait que, pour accepter l’offre, elle devait consentir à une affectation n’importe où au Canada : il s’agissait d’une condition d’emploi.

[17] L’ASFC a ordonné à la demanderesse de se présenter à Regina, l’affectation qu’elle avait choisie parmi les options qui lui avaient été offertes. La demanderesse s’est présentée au travail à Regina le 7 juillet 2014. Le 28 juillet 2014, elle a présenté une autre demande de mesures d’adaptation, au motif que son époux en était à la première année d’une affectation de trois ans dans la région de Vancouver et qu’il ne pouvait pas déménager à Regina. Elle a également mentionné l’effet traumatisant de la séparation de la famille sur ses enfants.

[18] Dans une lettre datée du 28 août 2014, M. Michael Shoobert, directeur de la région des Prairies, a refusé la demande de mesures d’adaptation de la demanderesse. Au nom de l’ASFC, il a précisé que le souhait d’assumer un rôle parental en personne était une préférence personnelle ne faisant pas intervenir d’obligation juridique et que la demanderesse connaissait très bien l’exigence relative à la mobilité lorsqu’elle a accepté un emploi au sein de l’ASFC.

[19] Le 11 septembre 2014, la demanderesse a déposé deux plaintes devant la Commission, alléguant de la discrimination en matière d’emploi. La première plainte concernait sa période de formation à Rigaud, soit du 3 décembre 2013 au 7 juillet 2014, et la seconde portait sur la période suivant son rapport au travail à Regina le 7 juillet 2014.

[20] Le 8 septembre 2014, la demanderesse a présenté un grief dans lequel elle alléguait que le refus de sa demande de mesures d’adaptation compte tenu de sa situation de famille violait sa convention collective.

[21] Le 27 octobre 2014, la demanderesse a demandé un congé de longue durée sans traitement à compter du 1er décembre 2014 afin de pouvoir retourner à Vancouver et être auprès de sa famille.

[22] La Commission a nommé un enquêteur, qui a examiné les arguments des parties et l’ensemble des éléments de preuve documentaire présentés. L’enquêteur a également interrogé la demanderesse au téléphone.

[23] Le 15 septembre 2016, l’enquêteur a publié un rapport dans lequel il recommandait le rejet de la plainte, de la façon suivante :

[traduction]

33. Il est recommandé, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission rejette la plainte, car :

compte tenu de l’ensemble des circonstances de la plainte, la tenue d’une enquête plus approfondie n’est pas justifiée.

[24] Dans une lettre datée du 15 septembre 2016, la Commission a décidé de rejeter les plaintes de la demanderesse.

[25] La lettre de la Commission contenait l’avis suivant :

[traduction]

À titre de renseignement, les parties à une plainte peuvent demander à la Cour fédérale d’examiner la décision de la Commission en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. La demande à la Cour doit normalement être déposée dans les 30 jours suivant la réception de la décision de la Commission […]

[26] La demanderesse a poursuivi son grief. Selon son affidavit déposé à l’appui de la présente requête, la CRTESPF devait trancher le grief en mars 2020, mais, en raison de la pandémie de COVID‑19, l’audience a été repoussée en septembre 2020.

[27] Dans une lettre datée du 26 juin 2020, l’ASFC a informé la CRTESPF qu’elle demanderait le rejet du grief de la demanderesse au motif que la Commission avait tranché la question. Une copie de la lettre en question est jointe à l’affidavit de Denise Morrison (pièce E).

[28] Selon l’affidavit de la demanderesse, l’ASFC a présenté des arguments écrits à la CRTESPF le 26 juin 2020, dans lesquels elle énonçait officiellement son opposition à l’arbitrage de son grief, au motif que l’affaire est chose jugée et est visée par la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[29] Dans son affidavit, la demanderesse a déclaré que, le 13 juillet 2020, son avocat a demandé à la CRTESPF de mettre son grief en suspens afin de demander à la Cour une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision que la Commission a rendue le 15 septembre 2016.

[30] La seule question soulevée dans la présente requête consiste à savoir s’il convient d’accorder à la demanderesse une prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire.

III. OBSERVATIONS DES PARTIES

A. Observations de la demanderesse

[31] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, au moment d’établir s’il convient d’accorder une prorogation de délai, la Cour doit se pencher sur la question à savoir si le requérant a une intention constante de poursuivre sa demande; si la demande a un certain mérite; si la partie adverse subit un préjudice en raison du retard; et si la partie requérante a une explication raisonnable pour justifier le retard. Il n’est pas nécessaire que le requérant établisse les quatre éléments, et la considération primordiale est de savoir si la prorogation servirait les intérêts de la justice.

[32] Dans la présente requête, la demanderesse soutient qu’elle a satisfait aux quatre critères.

[33] La demanderesse fait valoir que la poursuite de son grief démontre une intention constante de protéger ses droits, que le fondement de sa demande de contrôle judiciaire tient à l’erreur commise par la Commission lorsqu’elle a prétendu rendre une décision sur le bien‑fondé de sa plainte portant uniquement sur son affectation à Regina et qu’il n’y a pas de préjudice pour l’ASFC puisque les éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sont les mêmes que ceux qui seraient présentés à la CRTESPF.

[34] En ce qui concerne l’explication raisonnable pour justifier le retard, la demanderesse soutient que ni elle ni son avocat, M. Carpick, n’ont compris que la brève décision que la Commission rendue le 15 septembre 2016 l’empêcherait de [TRADUCTION] « poursuivre sa réclamation relative aux droits de la personne par l’intermédiaire du processus de grief ».

B. Observations du défendeur

[35] Pour sa part, le défendeur soutient que la demanderesse n’avait pas l’intention constante de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Il fait valoir qu’il n’y a pas de preuve d’une intention de présenter une demande de contrôle judiciaire, et encore moins de preuve d’une intention constante de le faire.

[36] Le défendeur soutient qu’aucune demande de contrôle judiciaire ne serait fondée, puisque la décision en cause a trait au caractère suffisant de la preuve et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[37] Le défendeur soutient que la Commission n’était pas censée rendre une décision définitive au sujet de la discrimination fondée sur la situation de famille et que le renvoi, par l’enquêteur, à l’arrêt Canada (Procureur général) c Johnstone, 2014 CAF 110 ne visait qu’à fournir le contexte juridique d’une enquête factuelle sur les plaintes de la demanderesse.

[38] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas expliqué de façon raisonnable le long délai s’étant écoulé avant qu’elle présente sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Il soutient que la demanderesse s’est appuyée sur les conseils de son avocat et que, si les conseils prodigués étaient erronés, c’est à elle d’en subir les conséquences.

[39] À cet égard, le défendeur s’appuie sur les décisions Williams c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 258 (QL) (1re inst.); Mutti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97; Canada (Procureur général) c Larouche, [1994] ACF no 1720 (QL) (CAF), et Première Nation de Washagamis de Keewatin c Ledoux, 2006 CF 1300.

[40] Enfin, le défendeur soutient que le fait d’accorder une prorogation de délai causera un préjudice lié à sa stratégie dans le cadre du litige devant la CRTESPF.

[41] À la suite de l’audition de la requête le 26 octobre 2021, les parties ont eu la possibilité de se prononcer sur une décision récente concernant une requête similaire, soit l’ordonnance et les motifs dans la décision Cyr c Première Nation Batchewana des Ojibways, Régie du logement de la Première Nation Batchewana, 2020 CF 1001. La demanderesse a déposé ses observations le 5 novembre 2020, et le défendeur a présenté les siennes le 12 novembre 2020.

IV. ANALYSE ET DÉCISION

[42] À la lumière des éléments de preuve présentés par la demanderesse et des observations formulées de vive voix et par écrit des deux parties, je ne suis pas convaincue que la demanderesse satisfait au critère relatif à la prorogation de délai.

[43] La preuve ne démontre pas une intention constante de poursuivre une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Je conviens avec le défendeur que la preuve démontre l’intention de la demanderesse de poursuivre son grief. Je renvoie aux paragraphes 18, 19 et 20 de l’affidavit de la demanderesse, lesquels prévoient ce qui suit :

[traduction]

18. Par conséquent, je n’ai pas demandé le contrôle judiciaire de la décision à ce moment‑là. Si j’avais compris que la décision de la Commission pouvait m’empêcher de donner suite à ma demande de mesures d’adaptation dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, j’aurais immédiatement présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision.

19. Depuis 2014, j’ai continuellement fait valoir mon droit à des mesures d’adaptation, y compris de façon continue dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, qui, selon ce que j’ai compris, était une tribune appropriée pour traiter la présente réclamation. Pour ce faire, j’ai communiqué avec l’agent de grief et d’arbitrage des griefs affecté par mon syndicat, puis avec un avocat externe, et je leur ai donné des instructions. J’ai également fourni des documents dans le cadre du processus de divulgation, participé à des discussions concernant des questions de procédure qui ont été soulevées, examiné des documents communiqués par l’employeur et participé aux préparatifs en vue de l’audience. Je n’ai jamais négligé de réaliser les étapes requises de la procédure de règlement des griefs pour donner suite à mes réclamations.

20. J’ai été informé par mon avocat actuel, et, le 19 juin 2020, si je ne m’abuse, l’employeur a informé la Commission de son intention de demander le rejet de mon grief au motif que l’objet du grief avait été traité dans le cadre du processus devant la CRTESPF. Avant juin 2020, je ne savais pas que ma capacité de donner suite à mon grief pouvait exiger la présentation d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[44] Je ne suis pas convaincue que la demande de contrôle judiciaire est justifiée. À l’étape de l’enquête, le rôle de la Commission consiste à recueillir des faits. Le contenu du rapport peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Commission peut se conformer à la recommandation de l’enquêteur, et le contenu du rapport peut constituer les motifs de la Commission (voir l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404).

[45] La demanderesse soutient que, comme les éléments de preuve présentés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire seraient les mêmes que ceux présentés à la CRTESPF, l’arbitrage de son grief ne causerait aucun préjudice au défendeur.

[46] Je ne souscris pas à l’idée selon laquelle le fait d’accorder une prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire ne causera pas de préjudice au défendeur.

[47] Je reconnais que la question du préjudice n’est pas claire et nette. Cependant, le défendeur — comme toute autre partie à un litige devant la Cour fédérale — a le droit de s’appuyer sur le caractère définitif d’une décision. Je renvoie à l’ordonnance de la juge Gauthier dans l’affaire Curtis c Banque de la Nouvelle‑Écosse, 19A18 (décision non publiée), dans laquelle elle a déclaré que [TRADUCTION] « le caractère définitif des décisions judiciaires constitue un principe important; les délais ne sont pas capricieux ».

[48] La Commission a rendu sa décision le 15 septembre 2016. Selon le courriel daté du 22 septembre 2016, à ce moment‑là, la demanderesse a été informée par son avocat, M. Carpick, du rejet des plaintes par la Commission. M. Carpick a envoyé à la demanderesse la décision de la Commission. Il lui a dit que, si elle voulait poursuivre le traitement de ses plaintes au titre de la Loi, elle devait « rapidement » s’adresser à la Cour fédérale.

[49] Je ne suis pas non plus convaincue que, dans la présente affaire, la demanderesse a expliqué de façon raisonnable la longueur du délai.

[50] À l’appui de sa requête en prorogation de délai, la demanderesse a déposé l’affidavit de M. Carpick. Ce dernier a déclaré ce qui suit aux paragraphes 11, 12 et 13 de son affidavit :

[traduction]

11. Lorsque j’ai reçu la décision de la Commission, j’ai cru comprendre qu’il s’agissait de la décision définitive de la Commission sur cette question. Cependant, je n’ai pas compris que la décision pourrait empêcher Mme Liu de poursuivre sa réclamation dans le cadre du processus de grief. Comme je l’ai mentionné dans mon courriel à Mme Liu à l’époque : [traduction] « Je joins la lettre de décision de la CCDP. Vos plaintes ont été rejetées. Si vous voulez aller plus loin, il va falloir intenter rapidement des poursuites devant la Cour Fédérale. Sinon, vous devrez vous concentrer sur votre grief. Veuillez m’appeler pour discuter. »

12. J’ai cru comprendre que c’était le cas, compte tenu du processus sommaire utilisé par la Commission pour rejeter sa plainte. Même si nous avions le droit de présenter des observations écrites et que Mme Liu avait été interrogée par l’enquêteur, nous n’avions pas eu le droit de contre‑interroger les témoins du défendeur ni de demander la divulgation de documents dans le cadre du processus. Nous n’avons reçu qu’un résumé des observations du défendeur, mais pas une copie des observations elles‑mêmes.

13. De plus, la décision de la Commission dans cette affaire consistait en une courte lettre d’une page. À première vue, il y était seulement déclaré que [traduction] « compte tenu de l’ensemble des circonstances de la plainte, la poursuite de l’instruction n’est pas justifiée ». À la lumière du fait que la décision de la Commission elle‑même ne contenait aucune explication ni aucun motif du rejet de la plainte visant expressément Mme Liu, j’ai cru comprendre que la décision de la Commission de ne pas donner suite aux plaintes de Mme Liu ne compromettait pas la capacité de cette dernière de présenter son grief et de traiter les questions sous‑jacentes liées aux droits de la personne avant le processus en cours devant la CRTESPF. Je ne lui ai pas dit qu’elle courrait un risque si elle ne procédait pas au contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[51] La demanderesse a choisi d’être représentée par M. Carpick. Je souscris aux observations du défendeur, qui sont appuyées par la jurisprudence, selon lesquelles la demanderesse est liée par les décisions prises en son nom par son avocat.

[52] Quoi qu’il en soit, la demanderesse a choisi de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. De toute évidence, elle a été avisée du fait qu’un tel recours s’offrait à elle lorsqu’elle a reçu la décision du 15 septembre 2016 et dans le courriel de M. Carpick daté du 22 septembre 2016.

[53] Le délai est long, soit près de quatre ans. Dans l’arrêt Curtis, précité, la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande de prorogation de délai déposée deux ans après le rejet d’une demande de contrôle judiciaire.

[54] Comme il a été mentionné précédemment, dans le cadre d’une requête en prorogation de délai, la principale considération dont il faut tenir compte est l’intérêt de la justice. Cependant, une telle exigence ne signifie pas que les intérêts d’une partie doivent l’emporter arbitrairement sur ceux d’une autre. Ce principe exige l’examen de la preuve présentée et son évaluation à la lumière des facteurs pertinents, comme il a été mentionné dans l’arrêt Larkman, précité, et dans d’autres décisions.

[55] Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a montré que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en sa faveur et lui accorder une prorogation de délai. La requête sera rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier 20‑T‑36

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée, les dépens étant adjugés au défendeur.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

20‑T‑36

 

INTITULÉ :

ANGELENA LIU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 26 OCTOBRE 2020 À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) (LA COUR) ET OTTAWA (ONTARIO) (LES PARTIES). OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES DE LA DEMANDERESSE REÇUES LE 5 NOVEMBRE 2020. OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES DU DÉFENDEUR REÇUES LE 12 NOVEMBRE 2020.

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE :

LE 26 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Aaron

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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