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Date : 20001003

Dossier : IMM-474-00

ENTRE :

EWA PRZYBYLA

demanderesse

-et-

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission du statut de réfugié a, le 6 janvier 2000, jugé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


Les faits

[2]    La demanderesse, qui est citoyenne polonaise, est arrivée au Canada le 6 décembre 1995. Elle prétend que ses parents étaient juifs. La demanderesse a épousé Zibigniew Przybyla, un catholique fervent et anti-sémite, tout en croyant qu'il était juif.

[3]    Ses problèmes ont commencé lorsqu'elle a refusé de faire baptiser ses enfants. Elle prétend que l'anti-sémitisme et l'alcoolisme de son mari ont entraîné de la violence physique et verbale. Elle prétend également qu'il a participé à la profanation d'un cimetière juif.

[4]    Elle allègue de plus que la violence a augmenté lorsque son mari a découvert qu'elle était lesbienne.

La décision de la Commission

[5]    La Commission a conclu de façon générale au manque de crédibilité de la demanderesse et a jugé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou irrécusables sur lesquels fonder une décision favorable.

[6]    Selon la Commission, les éléments de preuve figurant dans la revendication étaient très peu plausibles, de sorte qu'elle ne pouvait pas faire abstraction de ses doutes. Elle était d'avis que les allégations défiaient toute logique :

1) une personne de religion juive aurait des parents catholiques;

2) une personne de religion juive aurait été amenée au moyen de la ruse par ces parents à épouser un catholique se faisant passer pour un juif;

3) un anti-sémite farouche se ferait passer pour un juif, de façon à épouser une personne de religion juive dans un quelconque but pervers de revanche;

4) une personne pourrait être induite en erreur en épousant un catholique.

[7]    La Commission a conclu que les éléments de preuve susmentionnés étaient non seulement très peu plausibles, étant donné les rapports hostiles que les catholiques et les juifs entretiennent depuis longtemps en Pologne, mais elle a conclu également que ces éléments de preuve faisaient outrage à l'intelligence et au bon sens des membres de la Commission.

[8]    Comme les allégations susmentionnées constituent des questions de fond en l'espèce, l'absence d'explication plausible a amené la Commission à rendre une conclusion défavorable en ce qui a trait à la crédibilité.

[9]    La Commission n'était pas convaincue que la demanderesse était juive, puisqu'elle n'a fourni aucun document à l'appui de son ethnie. La Commission était d'avis que l'identité juive de la demanderesse était fondamentale pour sa revendication.

[10]                        La Commission a noté que la demanderesse n'a pas fourni de certificat de mariage pour prouver son état matrimonial ni de certificat de naissance pour ses enfants. La Commission a tiré une conclusion défavorable de l'absence de ces documents.


[11]            Quant à l'orientation sexuelle de la demanderesse, la Commission a fait remarquer que cette dernière a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'elle avait parlé à son mari de son engagement avec une autre femme, attendu qu'elle a témoigné avoir pris conscience de son orientation sexuelle au Canada.

[12]            La Commission a signalé que le mari de la demanderesse ne constitue pas une menace à son égard, puisqu'il ne lui a pas fait de mal depuis qu'elle a quitté le domicile conjugal en mars 1995.

[13]            De plus, la Commission a conclu que le délai de deux ans et demi mis à présenter une revendication du statut de réfugié indique une absence de crainte subjective d'être persécutée. La Commission a fait observer que la communauté polonaise est assez grande et a conclu que la demanderesse aurait pu s'adresser à celle-ci pour obtenir de l'aide.


Analyse

[14]            À l'audience, le commissaire avait demandé à la demanderesse son certificat de mariage et les certificats de naissance de ses enfants. Elle a répondu qu'elle ne les avait pas obtenus de la Pologne.

[15]            L'avocat de la demanderesse a demandé à la Commission de lui accorder jusqu'au 31 octobre 1999 pour présenter des observations écrites et des éléments de preuve supplémentaires. Les observations écrites de la demanderesse ont été reçues le 3 novembre 1999. Ces documents ont été fournis plus tard ainsi qu'il appert du dossier du tribunal dont la Cour dispose.

[16]            Bien qu'il soit manifeste que la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse ne les a pas fournis et en tirant une conclusion défavorable de l'absence des documents, je suis d'avis que cette erreur n'est pas déterminante dans la présente affaire. Dans Yassine c. Canada (M.E.I.) [1994] A.C.F. no 949. SED 94-11781 dossier d'appel no A-795-91, ainsi que le dit le juge Stone à la page 5, paragraphe 9    :

On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

[17]            La Commission a conclu à une absence de crédibilité de la part de la demanderesse et a fondé cette conclusion sur l'arrêt Sheikh c. Canada (M.C.I.), [1990] 3 C.F. 238, dans lequel la Cour d'appel fédérale a expliqué :

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[18]            La Commission a noté également de profondes invraisemblances dans le témoignage de la demanderesse qui ont amené la Commission à conclure que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[19]            La Cour d'appel fédérale a soutenu dans l'arrêt Aguebor c. Canada (M.C.I.) (1993), 160 N.R. 315 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[20]            La Commission n'a pas cru que la demanderesse avait des parents juifs pratiquant le catholicisme ni qu'ils l'auraient incitée à épouser un catholique anti-sémite, se faisant passer pour un juif. De plus, la Commission a remarqué des éléments de preuve contradictoires quant à son orientation sexuelle. La Commission a également tiré une conclusion défavorable du fait qu'elle a présenté une revendication du statut de réfugié plus de deux ans et demi après son arrivée, concluant qu'elle ne ressentait pas de crainte subjective.

[21]            La demanderesse n'a pas prouvé à la Cour que son intervention est justifiée. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]            Aucun des avocats n'a présenté de question à certifier.

Pierre Blais                                                     

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                              IMM-474-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                EWA PRZYBYLA

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 25 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :              le 3 octobre 2000

ONT COMPARU :

Richard Addinall                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Greg G. George                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Addinall                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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