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Date : 20040521

Dossier : T-1049-03

Référence : 2004 CF 741

Ottawa (Ontario), le 21e jour de mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                   NAHID ABDOLLAHI-GHANE

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Comme cela prend une accumulation des arbres distinctes pour constituer une forêt évidente, cela nécessite un ensemble d'éléments définis pour formuler une décision adéquate. La question demeure toujours: y-a-t-il assez d'éléments définis pour constituer une décision motivée suffisamment? Une décision motivée suffisamment nécessite une vue d'ensemble définie adéquatement.


MATIÈRE À RÉSOUDRE

[2]                Il s'agit d'un appel interjeté aux termes du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté[1] contre la décision rendue le 29 mai 2003 par un juge de la citoyenneté (le « juge » ), refusant la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse, au motif que celle-ci ne rencontrait pas les exigences prévues aux alinéas 5(1)c) et e) de la Loi.

REDRESSEMENT RECHERCHÉE

[3]                La demanderesse, Nahid Abdollahi-Ghane, demande que la Cour ordonne que la citoyenneté lui soit accordée.

[4]                Le Procureur général (le « défendeur » ) soumet que ce redressement ne peut être accordé à la demanderesse par le biais d'un appel en vertu de la Règle 300 des Règles de la Cour fédérale (1998).[2] Le défendeur a raison.

FAITS

[5]                Nahid Abdollahi-Ghane est une femme iranienne de 59 ans, arrivée au Canada le 21 juin 1996 comme résidente permanente.


[6]                Elle a fait une demande de citoyenneté en juillet 1999. Elle a été refusée en mai 2001 pour motif du non-respect des critères de résidence.

[7]                Nahid Abdollahi-Ghane a fait une nouvelle demande de citoyenneté en juillet 2001.

LE FOND

[8]                Le juge a trouvé que la demanderesse ne satisfaisait pas les alinéas 5(1)c) et e) de la Loi. Dans sa décision, le juge a dit:

The applicant has 1460 material days. She admits that she was out of Canada 126 days. This grants her 1334 days of physical presence in Canada.

I have serious doubts as to the veracity of her dates and figures.[3]

Il a examiné ses déclarations d'impôts, son travail à l'extérieur du foyer, si elle est membre des associations ou autres organisations, son compte de banque et ses reçus d'achats. Il a souligné qu'elle n'avait pas un permis de conduire au Québec, mais en avait toujours un en Iran. Il a constaté que cette preuve ne démontrait pas que la demanderesse ait résidé au Canada pendant    1 095 jours.[4]

[9]                Le juge a aussi conclu que la demanderesse n'avait pas une connaissance suffisante du Canada, car : « she correctly answered but eight of the 19 questions- 57.8 percent. » [5]

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Quelle est la norme de contrôle ?

[11]            Est-ce que le juge a erré en concluant que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences de résidence au Canada ?

[12]            Est-ce que le juge a erré en concluant que la demanderesse n'avait pas une connaissance adéquate du Canada et des responsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne ?

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle ?


[13]            Le défendeur prétend que la norme de contrôle des conclusions de fait est celle de manifestement déraisonnable.[6] La question en litige est mixte de fait et de droit, parce qu'elle concerne l'application de la loi aux faits. Mais, parce que la question est principalement factuelle, la norme de contrôle est, telle que le défendeur prétend, manifestement déraisonnable.[7]

Est-ce que le juge a erré en concluant que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences de résidence au Canada ?

[14]            Dans sa décision, le juge a conclu que la demanderesse n'était pas au Canada pendant la durée requise par la Loi sans se référer au passeport de cette dernière. En regardant l'ensemble de la preuve, la raison pour cette omission devient évidente. Une agente de citoyenneté, ainsi que le juge, ont analysé la preuve. Elle a écrit une note au juge et a remarqué que dans sa demande de citoyenneté, la demanderesse a dit qu'elle était absente du Canada pour 150 jours mais que dans sa preuve de résidence, elle a dit qu'elle était absente du Canada pour 209 jours. L'agente d'immigration a aussi souligné que la demanderesse a déclaré certaines absences dans sa demande de citoyenneté qui n'étaient pas confirmées par des dates de voyages apposées par tampons dans son passeport. Elle a demandé si la demanderesse avait peut-être deux passeports.

[15]            La Cour estime que le juge a accepté la conclusion de l'agente d'immigration que le passeport ne montrait pas combien de temps que la demanderesse était absente du Canada, donc il s'est référé à d'autres preuves pour déterminer si elles établissaient que la demanderesse était au Canada au moins 1 095 jours sur 1 460 jours.


[16]            La constatation qu'il y avait des incohérences et contradictions dans la preuve présentée par la demanderesse est problématique. La demanderesse prétend qu'il n'y a pas d'incohérences entre sa demande de citoyenneté et sa preuve de résidence. Dans sa demande de citoyenneté, la demanderesse a dit qu'elle a été absente du Canada pendant 152 jours, et non pas 150 jours telle que l'agente d'immigration a conclu, ni 126 jours tel que le juge a conclu. La demanderesse a voyagé à l'étranger après qu'elle a rempli la demande de citoyenneté, mais avant qu'elle ait rempli sa preuve de résidence.[8] Ceci explique pourquoi il y a une différence entre les deux formulaires. Cette prétention est convaincante.


[17]            L'agente d'immigration a aussi erré en énonçant qu'il y avait plusieurs incohérences entre les dates que la demanderesse a dit qu'elle a été absente du Canada et les tampons de dates de voyages dans son passeport. L'agente d'immigration a trouvé qu'il y avait huit voyages déclarés dans la demande de citoyenneté qu'elle ne pouvait pas réconcilier avec les tampons avec les dates dans le passeport de la demanderesse.[9] Cependant, en révisant la preuve, la Cour a réconcilié quatre dates de voyages qui sont marquées dans la demande de citoyenneté et dans le passeport.[10] Trois dates qui sont dans la demande de citoyenneté ne sont pas dans son passeport. Une date qui a été tamponnée dans le passeport, le « 23 JN 1998 » [11] n'est pas écrite dans la demande de citoyenneté. Pourtant, la demanderesse a dit dans sa demande de citoyenneté qu'elle a été en Iran du 2 janvier 1998 au 23 janvier 1998,[12] et il n'y a pas de tampon pour cette date dans son passeport. C'est possible, donc, que la demanderesse a écrit janvier au lieu de juin par erreur.

[18]            Puisque'il y a trois incohérences entre la demande de citoyenneté de la demanderesse et le passeport, il était loisible pour le juge de trouver qu'il ne pouvait pas se fier à la preuve du passeport. Pourtant, il faut que le juge ait des renseignements précis pour tirer cette conclusion. La décision que le passeport ne comportait pas la preuve nécessaire pour déterminer combien de jours la demanderesse a été au Canada pendant quatre ans est donc erroné.

Est-ce que le juge a erré en concluant que la demanderesse n'avait pas une connaissance adéquate du Canada et des responsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne ?


[19]            La demanderesse et le défendeur présentent des prétentions pour faire reconnaître si le juge a erré quand il a trouvé que la demanderesse ne satisfaisait pas les exigences de l'alinéa 5(1)e) de la Loi, mais ils n'ont pas reconnu que le juge a fait une erreur en écrivant la note de la demanderesse. Dans sa décision, il a dit que la demanderesse a obtenu huit réponses correctes à dix-neuf questions, ce qui équivaut 57.8 pour cent, mais, huit réponses correctes sur dix-neuf n'équivaut pas 57.8 pour cent, mais 42.1 pour cent. De plus, dans la note au Ministre, le juge a écrit que la demanderesse a mal répondu aux huit questions.[13] Compte tenu du fait que si la demanderesse avait répondu correctement à onze questions, le pourcentage serait 57.8 pour cent, il est probable que la demanderesse a répondu correctement a onze questions sur dix-huit. Selon la formulation de la décision du juge, c'est possible de trouver que le juge a conclu que la demanderesse a répondu correctement à onze questions (le mot « but » pourrait être interprété dans ce sens) mais l'ensemble n'est pas claire à cause des autres considérations soulevées en plus de cet élément sur lequel l'analyse se poursuit.

[20]            La demanderesse prétend que le juge aurait dû expliquer quelles questions il a posé à la demanderesse, quel critère il a utilisé pour évaluer la demanderesse et quel pourcentage elle aurait dû recevoir pour réussir. Invoquant Alfonso c. Canada,[14] la demanderesse prétend que le juge a erré en formulant sa décision.


[21]            Le défendeur note que c'était le tribunal de citoyenneté qui a refusé de communiquer le questionnaire quand il a présenté le dossier du tribunal à la Cour. Parce que la demanderesse ne s'est jamais objectée au refus du tribunal de citoyenneté, elle ne peut pas maintenant soumettre que le juge a erré en n'expliquant pas les questions posées à la demanderesse. La Cour est d'accord avec le défendeur, mais conclut quand même que le juge a erré dans sa décision que la demanderesse n'a pas satisfait l'alinéa 5(1)e).

[22]            Même si la Cour est d'accord avec la demanderesse que le juge a erré, elle tire cette constatation pour des raisons différentes que celles présentées par la demanderesse. La Cour estime que le cas d'Alfonso se distingue du cas en l'espèce. Dans Alfonso, le juge Blais a souligné que le juge a erré en posant des questions à la demanderesse sur les quatre sujets identifiés à l'alinéa 15(1)c) du Règlement sur la citoyenneté1993,[15] parce que l'alinéa 15(1)c) prescrit que le juge demande des questions sur seulement un des sujets identifiés à cet alinéa.[16] La Cour n'est pas convaincue que, sans cet élément, le juge Blais aurait trouvé que les autres défauts dans la décision étaient suffisant pour rendre la formulation de la décision du juge en erreur.

[23]            En effet, la demanderesse prétend que le juge n'a pas fourni des motifs suffisants. Dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports,[17] la Cour d'appel fédérale a expliqué les fondements des motifs suffisants et elle a dit:


On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion... Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur... et l'examen des facteurs pertinents.[18]

En l'espèce le juge avait besoin, certainement, d'expliquer les critères qu'il a utilisé pour trouver que la demanderesse ne connaissait pas assez le Canada et quel pourcentage aurait été suffisant pour satisfaire l'exigence de l'alinéa 5(1)3). Le juge a erré en ne fournissant pas des motifs suffisants.

[24]            Finalement, la Cour estime que même si les erreurs du juge, prisent en compte individuellement, n'ont pas été importantes, elles s'avèrent importantes lorsqu'on les considèrent cumulativement. Dans le cas Haji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[19] le juge Pelletier a constaté:

J'estime que ce passage va dans le même sens que ceux de l'arrêt Miranda que j'ai cités et qui indiquent que les erreurs n'entraînent pas toujours l'annulation d'une décision. En l'espèce, les erreurs sont nombreuses et il est difficile d'en apprécier l'effet cumulatif. Il arrive un moment où l'accumulation des erreurs, qu'elles soient déterminantes ou non, laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal. Il est clair que la SSR a fondé sa décision sur des conclusions de fait qui ne tiennent pas compte des documents qui lui ont été présentés. Pour ces motifs, la décision doit être annulée et l'affaire renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision.[20]


En l'espèce le juge a fait plusieurs erreurs de fait. Il a trouvé que la demanderesse a dit qu'elle a été absente du Canada pendant 126 jours quand en vérité elle a dit qu'elle a été absente 152 jours. De plus, en acceptant les constatations de l'agente d'immigration, il a erronément accepté que huit voyages étaient décrits dans la demande de citoyenneté qui n'ont pas été comptabilisés au passeport. Finalement, le juge a confondu les résultats des réponses données par la demanderesse aux questions sur le Canada. Ce manque de soin « laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions auxquelles en est arrivé » le juge.

[25]            Pour toutes ces raisons, la décision du juge est annulée.

CONCLUSION

[26]            La Cour annule la décision.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel soit accueillie.                 

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                   Judge                           


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1049-03

INTITULÉ :                                                    NAHID ABDOLLAHI-GHANE et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE               

ET ORDONNANCE:                                     L'HONORABLE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE                              LE 21 MAI 2004

L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE:                                          

COMPARUTIONS :

Me Michelle Langelier                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Thi My Dung Tran                                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me MICHELLE LANGELIER                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Avocate

Montréal (Québec)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

         


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES


Loi sur la citoyenneté, L.R. 1985, ch. C-29

[...]

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[...]

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

Citizenship Act, R.S. 1985, c. C-29

...

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

...

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;




[1] L.R. 1985, ch. C-29 (la « Loi » ).

[2]DORS/98-106

[3] Dossier de la demanderesse, Décision du juge, à la p. 8.

[4] Décision du juge, précité aux pp. 8-9.

[5] Décision du juge, précité à la p. 10.

[6] Le défendeur invoque: Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. 1927 aux paras. 10-11 (QL).

[7]Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia,[2003] 1 R.C.S. 226, à la p. 242.

[8] Dossier de la demanderesse, Demande de citoyenneté, à la p. 22; Dossier de la demanderesse, Preuve de la résidence, à la p. 31.

[9] Dossier de la demanderesse, « Note au Juge » par Nicole Simard, à la p. 69; Dossier de la demanderesse, Demande de citoyenneté aux pp. 22-23.

[10] Dossier de la demanderesse, Demande de citoyenneté à la p. 22. Dossier du tribunal, aux pp. 363 (correspond au voyage aux États-Unis, date: 18 septembre 1997), 366 (correspond au voyage aux Royaumes Unis, date: 13 avril 2001), 369 (correspond au voyage aux États-Unis, date: 6 avril 2000; correspond au voyage aux Royaumes Unis date d'arrivée au Canada: 20 juin 2001), 370 (correspond au voyage aux États-Unis, date: 18 décembre 1998).

[11] Tribunal Record, à la p. 366.

[12] Dossier de la demanderesse, « Note au Juge » par Nicole Simard, à la p. 69; Dossier de la demanderesse, Demande de citoyenneté aux p. 22-23.

[13] Dossier de la demanderesse, « Notice to the Minister of the Decision of the Citizenship Judge » à la p. 7.

[14] [2003] 2 C.F. 683, [2002] A.C.F. no 1660 (QL) aux paras. 34-37, 40-41 ( « Alfonso » ).

[15]DORS/93-246

[16] Alfonso, précité, aux paras. 34-39.

[17] [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL) ( « VIA Rail » ).

[18] VIA Rail, précité, au para. 22.

[19] [2000] A.C.F. no 1266 (QL) ( « Haji » ).

[20] Haji, précité au para. 14.


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