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Date : 20210511

Dossier : T-760-20

Référence : 2021 CF 421

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

SCOTT PODMOROFF

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, Scott Podmoroff, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision relative à une promotion infructueuse. Cette décision a été rendue le 12 juin 2020 par une arbitre de dernier niveau [ADN] à la suite d’un grief présenté en application de l’article 31 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R-10.

II. Contexte

[2] Le demandeur, Scott Podmoroff, est caporal à la GRC. Il a demandé une promotion à un poste au grade de sergent, mais la promotion lui a été refusée. Il a déposé un grief le 29 décembre 2015.

[3] Le grief initial reposait sur le motif que le candidat retenu n’était pas la personne qui convenait pour le poste, le demandeur estimant être un choix plus approprié parce qu’il possédait une expérience et des compétences supérieures. Le demandeur affirmait également que la justification donnée par l’officier n’était pas valable et mentionnait des caractéristiques qui n’avaient pas été désignées souhaitables dans la description de travail.

[4] Durant le processus de grief, le cap. Podmoroff a appris que le candidat retenu avait reçu de l’aide de deux membres de la GRC de grade plus élevé, ce qui est, selon lui, contraire aux politiques en vigueur à la GRC. Cette dernière a fait valoir que le candidat retenu n’avait pas reçu d’aide, mais seulement une rétroaction, ce qui est conforme aux politiques de la Gendarmerie.

[5] Le demandeur a découvert par la suite qu’un des officiers supérieurs ayant aidé le candidat retenu avait participé au processus de sélection. L’insp. Mundle, l’officier hiérarchique chargé de la sélection, a demandé au s.é.-m. Jordan, à titre d’expert en la matière [EM], de l’aider à choisir et à classer les candidats. Le s.é.-m. Jordan a pris connaissance des exemples de compétences fonctionnelles puis a classé les candidats et présenté son classement.

[6] Le processus de grief de la GRC comporte deux niveaux : le « premier niveau » et le « dernier niveau ». L’arbitre de premier niveau [APN] a convenu que le processus avait été irrégulier, non pas en raison de l’aide reçue par le candidat retenu par le s.é.-m. Jordan afin de préparer l’exposé de ses compétences et sa candidature, mais plutôt parce que l’officier ayant donné la rétroaction avait ensuite participé au processus de sélection à titre d’EM, ce qui était clairement inapproprié. Dans une décision datée du 5 novembre 2019 [décision initiale], l’APN a jugé qu’il y avait [traduction] « une réelle probabilité de parti pris à l’étape de la sélection dans cette mesure de dotation » (décision initiale au para 59) et que l’EM aurait dû se récuser quand il a été désigné à ce titre dans le processus. Par conséquent, l’APN a déclaré que le processus de sélection n’avait pas été mené dans les règles.

[7] Comme réparation, l’APN a ordonné que la candidature du cap. Podmoroff soit comparée à celle du candidat retenu par un évaluateur impartial. Si cette évaluation donnait raison au cap. Podmoroff, la promotion du candidat retenu ne serait pas compromise et le cap. Podmoroff serait promu à un poste semblable rétroactivement, à compter de la date à laquelle le candidat initialement retenu avait été nommé.

[8] Cependant, il ne s’agissait pas de la réparation souhaitée ni jugée appropriée par le cap. Podmoroff étant donné la preuve qui avait été présentée à l’APN.

[9] Le cap. Podmoroff a donc contesté la décision de l’APN devant l’arbitre de dernier niveau [ADN].

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Le cap. Podmoroff a plaidé devant l’ADN que la décision rendue au premier niveau était inéquitable sur le plan procédural et manifestement déraisonnable.

[11] Pour ce qui est de l’équité procédurale, le cap. Podmoroff a allégué que la réparation accordée par l’APN ne corrigeait pas le préjudice subi mais perpétuait plutôt le manque d’impartialité relevé par l’arbitre.

[12] L’ADN a jugé que l’APN avait agi raisonnablement en acceptant les nouveaux éléments de preuve du cap. Podmoroff et n’avait violé aucun des droits de ce dernier en matière procédurale. Il a également conclu que les allégations au sujet de la réparation accordée remettaient en question le caractère raisonnable de la décision et non pas l’équité des procédures.

[13] Selon l’ADN, l’APN a appliqué le critère servant à déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité énoncé dans Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 au para 20. Il a constaté que l’APN avait précisé que l’analyse de la partialité ne se limitait pas au décideur final mais qu’elle s’étendait à toute personne participant au processus décisionnel et que même des gens bien intentionnés sont susceptibles d’avoir un biais de confirmation.

[14] L’ADN a confirmé que l’APN avait établi l’existence d’une crainte de partialité parce que l’EM, après avoir aidé les candidats, avait participé au processus de sélection et donc joué un double rôle. L’ADN a ajouté que l’APN n’aurait pas conclu à l’existence d’un parti pris si l’EM n’avait pas exercé cette double fonction, [traduction] « puisqu’il est accepté, voire courant, qu’un officier d’expérience aide les officiers moins expérimentés à préparer leur dossier de candidature, mais cette pratique devient problématique si l’officier d’expérience participe ensuite au processus de sélection ».

[15] Dans ses motifs rendus le 12 juin 2020, l’ADN a souligné que le cap. Podmoroff n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que la décision au premier niveau était entachée d’une erreur de droit et contrevenait aux principes d’équité procédurale ou était manifestement déraisonnable (para 18(2) des Consignes du commissaire (griefs et appels)). L’ADN a confirmé la décision sous-jacente et la réparation accordée au premier niveau.

III. Question en litige

[16] Il s’agit en l’espèce de déterminer si la décision de l’ADN était raisonnable.

IV. Norme de contrôle

[17] Le contrôle judiciaire sera effectué selon la norme de la décision raisonnable. Même si la décision est contestée en raison d’allégations d’une crainte de partialité, ce qui aurait trait à l’équité procédurale et ferait intervenir une norme différente, elle sera révisée non pas au regard des questions de parti pris dans la décision de l’ADN mais bien au regard de la façon dont l’ADN a traité la décision d’instance inférieure. Il n’y a aucune allégation de partialité relativement aux décisions de premier ou de dernier niveau, seulement à l’égard du processus de promotion même. Par conséquent, il m’incombe d’évaluer le caractère raisonnable de la décision rendue au dernier niveau. Si cette décision respecte les critères d’une décision raisonnable, exposés ci-après, la présente demande sera rejetée.

[18] Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100 [Vavilov]). Ces exigences sont satisfaites si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir au para 47).

V. Analyse

[19] Dans ses observations, le cap. Podmoroff a souligné que l’APN avait renvoyé à l’erreur perçue, soit le choix du candidat retenu pour la promotion. Il affirme toutefois que la véritable erreur consistait en l’aide reçue par le candidat retenu, qui était plus qu’une rétroaction, de la part d’un officier qui a ensuite participé au processus de sélection.

[20] En outre, selon le cap. Podmoroff, le fait de recevoir de l’aide constitue de la tricherie, ce qui est contraire aux règles de la GRC.

[21] Dans la décision rendue au dernier niveau, l’ADN a résumé comme suit l’argumentation du défendeur :

[traduction]

Le défendeur soutient que l’aide donnée par l’EM n’est pas contraire aux règles, car il est courant que les membres qui sollicitent une promotion obtiennent une rétroaction sur le contenu de leur dossier de candidature. Le défendeur affirme que le plaignant n’a pas démontré que l’aide fournie pourrait être assimilée à de la tricherie, puisqu’il n’y a aucune preuve établissant que l’EM a élaboré, préparé, rédigé ou complété le dossier du candidat retenu.

(Décision de l’ADN au para 70)

A. Le processus

[22] Chaque candidat avait l’obligation de présenter un dossier sur ses compétences et une lettre d’accompagnement qui donnait des exemples de ses habiletés fonctionnelles, et il lui était interdit, « pour remplir les documents intéressant le processus de promotion, d’employer les services ou de bénéficier de l’aide d’organismes de l’extérieur » (Manuel de la gestion des carrières, art 2.1 [MGC]). Le dossier de compétences et la lettre d’accompagnement doivent donner des exemples illustrant l’expérience du candidat au regard de certaines compétences qui sont prises en compte dans le cadre du processus de promotion.

[23] Le MGC énonce ce qui suit au sujet du processus de promotion :

Superviseur

3.3. S’il n’est pas en mesure de vérifier la véracité d’un exemple ou s’il met en doute l’exactitude de la description, il rencontre le candidat afin de régler le problème ou le désaccord. Les exemples non vérifiables sont refusés.

[24] Un officier qui sollicite une promotion doit avoir l’appui de son superviseur, de sorte que ce dernier participe au processus (MGC, art 4.10.1.4.2). Un candidat a l’autorisation et la possibilité de rencontrer son superviseur pour vérifier la description d’un incident qui doit servir comme exemple d’une compétence fonctionnelle ou même de l’aptitude du candidat.

[25] Après que la demande de promotion est présentée, l’EM peut, dans le cadre du processus, examiner le résumé des compétences. Il doit vérifier si les compétences fonctionnelles avancées par les candidats sont conformes à celles qui sont requises pour le poste, à la condition de ne pas participer au processus de sélection, d’après l’article 4.10.11.7.1 du MGC.

[26] Les formulaires que les candidats doivent signer sont libellés comme suit :

J’atteste que les renseignements fournis sont, à ma connaissance, exacts. Je comprends que la communication de renseignements erronés pourrait m’exclure du processus de promotion. Je comprends également que la lettre d’accompagnement doit être élaborée, préparée et rédigée par moi et que la preuve du contraire sera considérée comme de la tricherie.

et

J’atteste que les renseignements ici fournis sont, à ma connaissance, exacts. Je comprends qu’une fausse déclaration peut m’exclure du processus de promotion. Je comprends également que l’exemple ne doit être préparé et rédigé que par moi et qu’une preuve du contraire entraînera mon exclusion du processus de promotion.

(Formulaires 5147 et 5144; non souligné dans les originaux)

[27] Le MGC comprend une politique relative aux promotions, et l’article 4.1.1.7 précise que « le membre qui triche dans le cadre d’un processus de promotion est écarté de ce processus ».

[28] Le paragraphe 18(2) des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, dispose que l’arbitre de dernier niveau doit évaluer si la décision rendue au premier niveau est ou non manifestement déraisonnable, ce qui implique une certaine retenue lorsqu’il estime simplement que la preuve « est insuffisante pour étayer la conclusion » (Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794 au para 62).

B. Partialité dans le processus de promotion

[29] Le fait que l’EM ait participé en aidant le candidat retenu à choisir, à élaborer et à évaluer la pertinence ou la solidité des exemples de compétences fonctionnelles inclus dans son dossier de candidature constituait peut-être de la « tricherie » ou ne correspondait peut-être pas aux allégations du cap. Podmoroff. Les décideurs, tant de premier que de dernier niveaux, n’ont pas tiré de conclusion expresse à cet égard, et je ne le ferai pas moi non plus.

[30] En revanche, contrairement à la décision de l’APN, qui a été confirmée par l’ADN, j’estime qu’il était déraisonnable de ne pas conclure qu’il existait une crainte raisonnable de partialité (voire un parti pris réel) à deux moments dans le processus. Comme l’APN, je conviens que la participation du s.é.-m. Jordan au processus de sélection après avoir aidé un candidat suscite une crainte raisonnable de partialité. Là où je diverge par rapport aux deux arbitres, c’est qu’il y a des éléments de preuve étayant l’existence d’une crainte de partialité aussi à partir du moment où le s.é.-m. Jordan a aidé des candidats à préparer leurs candidatures. L’aide qu’il a apportée dans le choix des exemples de compétences qui ont été ensuite évalués par lui-même entache l’intégralité du processus de sélection. Compte tenu de l’influence exercée à l’étape où les candidats ont reçu de l’aide et à l’étape de la sélection, je considère que la réparation est déraisonnable. Cette situation n’a pas été reconnue ou prise en considération suffisamment par l’ADN, comme nous le verrons ci-après.

[31] Il est déraisonnable de la part de l’ADN de confirmer la conclusion de l’APN selon laquelle il n’y aurait rien eu à redire si le s.é.-m. Jordan n’avait pas participé à la sélection. Ce n’est pas parce que ce dernier aidait toujours les candidats dans l’élaboration et le choix de leurs exemples de compétences que cette aide est compatible avec les manuels, les politiques et les attestations signées. Si cette aide n’est pas conforme à ces documents, la conclusion de l’APN, suivant laquelle l’aide en question était acceptable, se révèle manifestement déraisonnable, et il était aussi déraisonnable de la part de l’ADN de conclure que la décision au premier niveau n’était pas déraisonnable.

[32] Le s.é.-m. Jordan a répondu à une demande que lui a adressée en 2019 l’insp. Corinne Scott (Officière responsable, Groupe national des promotions) de [traduction] « vérifier l’information quand l’intégrité du processus est mise en doute ». Le s.é.-m. a précisé dans son témoignage qu’il avait fait ses [traduction] « commentaires » à deux candidats (dont un a été retenu) qui le lui avaient demandé. La teneur de ce qu’il avait dit se retrouve dans le courriel reproduit ici :

[traduction]

Malheureusement, je ne me souviens pas des dates précises ou approximatives. Je peux dire toutefois qu’à l’étape du processus de promotion où les candidats préparaient leurs exemples aux fins de validation, deux membres ont communiqué avec moi pour m’informer qu’ils posaient leur candidature et souhaitaient avoir mes commentaires sur la solidité des exemples qu’ils étaient en train de préparer.

Membre 1 : Cam Holloway. Le cap. HOLLOWAY m’a transmis une ébauche de ses exemples en précisant qu’il avait déjà sollicité l’officier responsable, le surint. ROMANCHUK, qui avait déjà révisé au moins une partie de ses exemples. Le cap. Holloway voulait obtenir mes commentaires puisque j’avais été son superviseur récemment et que j’étais un des quelques membres de la GRC à Kelowna à avoir participé à des comités de validation dans le passé. J’ai examiné ses ébauches d’exemples et fourni une rétroaction : je lui ai dit notamment que plusieurs de ses exemples étaient, selon moi, trop vagues quant à ses propres actions lorsqu’il décrivait le déroulement général de certains événements. Il m’a souligné que l’officier responsable lui avait fait les mêmes remarques. Je l’ai encouragé à donner plus de précisions sur ses actions et à être plus précis.

En outre, mais avec le temps je ne me souviens plus des exemples précis, le sgt HOLLOWAY m’a demandé des commentaires sur au moins une des compétences pour laquelle il se demandait quel exemple – il en avait plusieurs – conviendrait le mieux pour attester sa compétence à cet égard. Comme j’avais été son superviseur peu de temps auparavant, je connaissais bon nombre des exemples qu’il avait utilisés ou qu’il envisageait d’utiliser, et je lui ai indiqué lequel serait le plus facile à décrire.

Membre 2 : Le cap. Jim DEHOOG m’a également sollicité pour que je révise ses exemples avant qu’il les soumette pour validation. Le cap. DEHOOG m’a approché quand je travaillais au quart de nuit. Il était en congé et se trouvait au bureau pour travailler sur son dossier. Encore une fois, depuis le temps, je ne me souviens plus de la date exacte, mais je me rappelle que c’était proche de la date à laquelle il devait remettre ses documents. Je m’en souviens parce qu’il avait seulement quelques exemples prêts à ce moment-là et qu’il s’inquiétait de ne pas pouvoir compléter son dossier avant l’échéance.

Je ne me souviens plus du nombre d’exemples qu’avait alors préparés le cap. DEHOOG et qu’il m’avait demandé de réviser, mais je me rappelle d’un exemple. C’était, je crois, la compétence relative à la résolution des conflits; j’étais d’avis que l’exemple ne pourrait peut-être pas être validé et que le cap. DEHOOG n’avait peut-être pas compris ce qui était exigé au regard de cette compétence. Je lui ai suggéré de trouver un autre exemple. Je connaissais le cap. DEHOOG depuis des années à ce moment-là, mais je ne l’avais jamais supervisé (selon mes souvenirs).

Je ne me souviens pas que qui que ce soit d’autre m’ait demandé de l’aide pendant la préparation des dossiers destinés au comité de validation (dont je ne faisais pas partie). Je soupçonne que la plupart de ces candidats, sinon tous, ont aussi sollicité les commentaires de membres chevronnés ou de superviseurs qu’ils connaissaient.

[…]

Concernant des discussions avec un autre membre relativement à mon impartialité, le serg. Brad SWECERA, mon cmdtA de quart à l’époque, se trouvait sur les lieux quand j’ai discuté des exemples de validation avec le cap. HOLLOWAY et peut-être plus tard avec le cap. DEHOOG. À cette époque, Brad aimait faire la même blague depuis quelque temps en disant que tous mes subordonnés, passés ou présents, sauf lui, avaient « toujours » été retenus pour des promotions. Selon lui, dès que j’« applaudissais », la personne était promue. Cette blague revenait toujours parce que le sgt SWECERA avait tenté d’être promu au grade de s. é-m. et avait également essayé d’obtenir une mutation latérale au poste de chef d’unité et avait échoué plusieurs fois. Il blaguait en disant que je n’avais pas « applaudi » correctement pour lui, mais que j’aimais bien le cap. HOLLOWAY et que je le ferais certainement comme il faut pour lui. Brad est un blagueur et considérait ses plaisanteries comme du badinage.

Autres remarques :

Au fil des ans, j’ai été sollicité régulièrement par des membres du détachement de Kelowna qui préparent des documents pour validation. Étant donné que je suis un des quelques membres locaux qui ont déjà siégé à des comités de validation, je n’ai jamais refusé de faire des commentaires quand on me le demande.

Je ne faisais pas partie du comité de validation (selon mes souvenirs) pour ce poste, mais j’ai été désigné pour prêter main-forte à l’insp. Mundle dans le cadre du processus de sélection des candidatures validées.

L’insp. Mundle a dressé seul la liste finale en ne sollicitant aucun commentaire. Après avoir établi cette liste, il m’a transmis par courriel plusieurs compétences de chacun des trois membres figurant sur la liste et m’a demandé de les classer au regard de ces compétences, car il souhaitait comparer mon classement à ses propres conclusions.

J’ai préparé une grille d’évaluation et examiné chacune des compétences recensées pour chacun des candidats, que je connaissais tous puisqu’ils provenaient tous du détachement de Kelowna. Je me souviens que j’ai éprouvé bien des difficultés à les classer parce que toutes les candidatures étaient très solides. J’ai envoyé par courriel à l’insp. Mundle mon classement des trois candidats en fonction des compétences qu’il m’avait fournies et j’ai aussi transmis ma grille d’évaluation. Je n’ai jamais su avant l’annonce officielle quel candidat il avait choisi.

Je n’ai senti en aucun temps la nécessité de me récuser du processus de sélection, vu mon rôle limité. J’ai énormément de collègues, et même des amis, dans le cercle de gens avec qui je travaille depuis plus de 30 ans à la GRC. Je ne dois rien à personne et ne sens aucune pression m’obligeant à offrir un avantage à l’un quelconque d’entre eux.

(DCT aux p 381-383)

[33] Comme on peut le constater dans cet extrait, le s.é.-m. Jordan a aidé au moins deux candidats dont il se souvient. Il avait déjà supervisé le candidat retenu, mais n’était pas son superviseur au moment du processus de promotion. Il connaissait l’autre candidat qu’il a aidé depuis des années, mais il ne l’avait jamais supervisé.

[34] Selon ce que je comprends de sa déclaration, le s.é.-m. Jordan faisait partie d’un nombre très restreint de personnes au détachement de Kelowna qui avaient déjà siégé à des comités d’évaluation. Il aidait régulièrement des candidats. Il ne fait aucun doute qu’il possédait des connaissances privilégiées quant aux exemples de compétences qui permettraient à un candidat d’être retenu.

[35] Dans son propre témoignage au sujet de son impartialité, le s.é.-m. Jordan affirme ceci : [traduction] « À cette époque, Brad aimait faire la même blague depuis quelque temps, en disant que tous mes subordonnés, passés ou présents, sauf lui, avaient “toujours” été retenus pour des promotions. Selon lui, dès que j’“applaudissais”, la personne était promue. » (DCT à la p 439)

[36] Le s.é.-m. Jordan a apporté son aide au candidat retenu, révisé ses ébauches d’exemples et fait des commentaires sur le style de rédaction. Il a en outre donné son avis sur au moins une compétence pour laquelle le candidat n’arrivait pas à choisir d’exemple. Le s.é.-m. Jordan se souvient d’avoir aidé le membre dont la candidature n’a pas été retenue au sujet d’une compétence concernant la résolution de conflits et d’avoir évalué si l’exemple choisi pouvait ou non valider la compétence. Il a suggéré au candidat de trouver un autre exemple.

[37] L’entente de confidentialité était liée au formulaire 5182 intitulé « Processus de promotion des sous-officiers » et a été signée par le s. é.‑m. Jordan à titre d’EM le 21 octobre 2015, et le serg. Brad Swecera comme témoin le 22 octobre 2015. Cette entente comporte la déclaration suivante : « J’ai pris connaissance de la liste des candidats et, autant que je sache, je n’ai de lien de parenté avec aucun d’entre eux; de plus, les relations que j’aurais pu avoir avec eux ne sont pas de nature à influencer mon rôle dans le processus de promotion des sous-officiers. » (DCT à la p 73)

[38] Le demandeur a déposé deux déclarations au premier niveau. Une provient du serg. Brad Swecera et l’autre, du cap. Jim Dehoog. Les deux sont reproduites ci-dessous

[39] Témoignage du serg. Brad Swecera daté du 3 décembre 2018 :

[TRADUCTION]

Au sujet de l’annonce de la possibilité de promotion 442-37-E-291-15-16

À l’époque où a été annoncée cette possibilité de promotion, je travaillais comme sergent à Kelowna, et j’ai vu le s.é.-m. Jordan aider le cap. HOLLOWAY à préparer son dossier de candidature pour ce concours. Plusieurs autres personnes en ont aussi été témoins, plus précisément le cap. PETERS, le cap. CARROLL et le cap. DEHOOG.

Je savais que le s.é.-m. JORDAN avait été nommé EM dans le cadre de ce concours. À l’époque, j’ai souligné au s.é.‑m. JORDAN la perception négative qui était créée par le fait qu’il aide un membre impliqué dans le concours alors qu’il faisait partie du comité de sélection, et j’ai précisé que d’autres membres et sous-officiers en avaient été témoins. Il m’a répondu de ne pas m’en faire et qu’il n’y avait pas de problème puisqu’il avait déjà aidé d’autres membres dans le passé à préparer leurs exemples.

Par la suite, le s.é.-m. JORDAN m’a demandé d’être témoin pour la signature de son entente de confidentialité à titre d’EM relativement à cette possibilité de promotion – j’étais un peu mal à l’aise de signer, étant donné que certains membres se demandaient alors s’il n’avait pas donné l’impression d’avoir aidé un candidat et d’avoir peut-être ainsi entaché le processus.

(DCT à la p 301)

[40] Ce témoignage mentionnait aussi que le s.é.-m. Jordan savait qu’il était désigné EM quand il a aidé le candidat retenu.

[41] Déclaration du cap. Jim Dehoog datée du 2 décembre 2017 :

[traduction]

Durant la première semaine de septembre 2015, je me trouvais au détachement de Kelowna afin de préparer mon dossier de promotion pour la mesure de dotation précitée. J’étais dans les locaux du détachement quand j’ai vu le cap. HOLLOWAY dans un bureau, la porte fermée, avec le s.é.-m. JORDAN. J’ai remarqué plusieurs pages étalées sur le bureau du s.é.-m. JORDAN. J’ai vu également que les pages semblaient être l’objet de leur réunion et qu’elles semblaient être structurées comme un résumé des compétences. À la fin de la réunion, le cap. HOLLOWAY a ramassé toutes les pages et a quitté le bureau.

Je peux affirmer également que, durant le mois de décembre 2015, j’ai été informé par le serg. SWECERA qu’il avait vu le s.é.-m. JORDAN à plusieurs reprises en train d’aider le cap. HOLLOWAY à préparer son dossier de candidature relativement à la mesure de dotation précitée. À l’époque où le serg. SWECERA a fait cette déclaration, il n’avait aucun intérêt dans l’issue de cette mesure de dotation.

(DCT à la p 288)

[42] Dans cette déclaration, le cap. Jim Dehoog ne précise pas quelle forme a prise l’aide qu’il a reçue du s.é.-m. Jordan et ne mentionne que ce qu’il a vu relativement au candidat retenu et au s.é.-m. Jordan. Il spécifie par contre que [traduction] « [à] l’époque où le serg. Swecera a fait cette déclaration, il n’avait aucun intérêt dans l’issue de cette mesure de dotation ».

[43] De façon surprenante, l’officier responsable du Groupe national des promotions, qui était responsable de la supervision et de l’intégrité du processus de promotion, ne semble pas avoir demandé de déclaration au candidat retenu ni à qui que ce soit d’autre.

[44] Il se crée une apparence de partialité – si ce n’est un parti pris réel – quand une personne travaille avec un candidat afin d’élaborer des exemples particuliers à utiliser, qu’elle lui fait des commentaires portant sur au moins une compétence qui, si elle était utilisée, serait fructueuse, puis qu’elle recommande ensuite des candidats et les classe, sachant qu’elle a été désignée comme EM. Certains éléments de preuve amèneraient une personne ordinaire à croire que le processus n’a pas été impartial. Le fait de conclure qu’une réévaluation des dossiers corrigerait toute question d’iniquité est déraisonnable, car elle ne permettrait pas d’éliminer l’aide qui a été fournie au candidat retenu et, peut-être, à d’autres candidats.

[45] Le processus décrit dans le manuel est très structuré et comporte de nombreuses marches à suivre du début à la fin. Même si le s.é.-m. Jordan affirme que sa rétroaction s’apparentait à l’aide qui est toujours donnée à des candidats, le manuel indique que seul un superviseur est autorisé à donner une rétroaction. Le s.é.-m. Jordan ne supervisait plus un des candidats à l’époque et n’avait jamais été le superviseur de l’autre. Le manuel est clair : seul un superviseur peut donner une rétroaction (voir le paragraphe 23). Il est surprenant que le s.é.-m. Jordan ait eu l’impression qu’il pouvait signer l’entente de confidentialité ou participer à la sélection.

[46] Ce qui s’est passé durant ce processus de promotion dérogeait directement aux politiques écrites, et l’ADN n’explique pas adéquatement pourquoi cette dérogation serait acceptable, comme l’exige la Cour suprême (Vavilov, au para 84). Le simple fait que le s.é.-m. déclare que les choses se déroulaient toujours ainsi n’atténue pas le caractère manifestement déraisonnable de la décision de l’APN – c’est-à-dire que cette démarche n’était pas contraire aux règles. L’ADN n’aurait pas dû conclure que la réparation accordée par l’APN était manifestement raisonnable. Il incombe à la GRC (et peut-être au législateur) de modifier les politiques, la loi, les règlements ou les manuels pour qu’ils correspondent à ce qui se passe en réalité, si elle le souhaite.

[47] Je souscris aux arguments du cap. Podmoroff au sujet du caractère déraisonnable de la réparation. Étant donné que le candidat retenu a reçu l’aide d’une personne qui était l’EM et non de son superviseur, il a bénéficié d’un avantage dans le processus, ce qui suscite une crainte générale de partialité qui a entaché l’intégrité du processus de promotion. La décision de l’ADN est déraisonnable.

[48] Cette mesure de dotation a été annoncée le 19 août 2015, et il semble que le cap. Podmoroff ait su que sa candidature avait été rejetée autour de décembre 2015. Le candidat retenu pourrait occuper le même poste depuis six ans ou avoir obtenu une autre promotion. De plus, le cap. Podmoroff aurait pu aussi recevoir une autre promotion. Ces éléments d’information n’ont pas été présentés au décideur et ne figuraient pas dans le dossier qui a été porté à ma connaissance. Toutefois, le bien-fondé d’une promotion doit être évalué au moyen d’un processus équitable. Je n’accéderai pas à la demande du cap. Podmoroff d’écarter, six ans plus tard, le candidat retenu. Je n’accorderai pas non plus la réparation demandée par le cap. Podmoroff, soit d’être promu rétrospectivement.

[49] Par conséquent, la réparation appropriée consiste à renvoyer le grief à un autre décideur pour qu’il rende une décision. Le cap. Podmoroff sera autorisé à présenter tout autre élément de preuve dans le cadre de ce processus. Les réparations possibles quand un grief est accueilli sont énoncées au chapitre 4 du MGC, au point 5.5 relatif aux griefs.

VI. Conclusion

[50] J’annule la décision et je renvoie l’affaire pour nouvelle décision. Je suggère, sans l’imposer, que le décideur choisi soit, si possible, extérieur au détachement de Kelowna et à la division E , étant donné que certaines personnes occupent peut-être les mêmes postes et que l’affaire peut être mieux évaluée avec un regard neuf.

VII. Dépens

[51] Les parties ont convenu que les dépens, qui doivent être adjugés à la partie ayant gain de cause, devraient s’élever à la somme globale de 2 500 $. Comme il s’agit du demandeur en l’espèce, le défendeur doit payer immédiatement au demandeur des dépens de 2 500 $ (incluant les taxes et les débours) .


JUGEMENT dans le dossier T-760-20

LA COUR STATUE :

  1. La décision contestée est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision;

  2. Le défendeur est condamné à payer immédiatement au demandeur des dépens de 2 500 $ (incluant les taxes et les débours).

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE A


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-760-20

 

INTITULÉ :

SCOTT PODMOROFF c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE vancouver (Colombie-Britannique) ET OTTAWA (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah A. Pearson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie- Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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