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Date : 20011203

Dossier : IMM-1346-00

OTTAWA (Ontario), le 3 décembre 2001

EN PRÉSENCE de Monsieur le juge MacKay

ENTRE :

                                                  Nezihat, Miranda et Mergim KRAJA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

ATTENDU QUE les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision du 21 février 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié a statué qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ainsi qu'une ordonnance infirmant cette décision;

ATTENDU QU'elle a entendu les avocats des parties à Toronto, le 17 mai 2001, alors que la décision était mise en délibéré, et qu'elle a examiné les arguments alors présentés;

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »           

                                                                                                       ______________________________

                                                                                                                                                                 Juge                               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


      Date : 20011203

Dossier : IMM-1346-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1326

ENTRE :

Nezihat, Miranda et Mergim KRAJA

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 et visant la décision datée du 21 février 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


Les faits

[2]                 Les demandeurs sont une mère et ses deux enfants mineurs. Ils sont tous citoyens de l'Albanie. Ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 30 décembre 1998, alléguant craindre d'être persécutés en raison de leur religion et de leur appartenance à un groupe social particulier. Les demandeurs craignent d'être persécutés par les deux frères de la demanderesse principale et d'autres fervents musulmans parce qu'ils se sont convertis de l'islam au catholicisme. La demanderesse principale craint également d'être persécutée en tant que femme sans mari, ce qui la rend davantage vulnérable aux mauvais traitements de la part des membres de sa famille et d'intégristes musulmans.

[3]                 En juillet 1997, les demandeurs d'âge mineur ont commencé à assister à des cérémonies catholiques à l'invitation d'un voisin. En lisant la Bible à ses enfants, la demanderesse principale a aussi commencé à s'intéresser au christianisme, ce qui l'a conduite à assister elle-même à des services religieux. Elle soutient que sa famille et ses voisins musulmans lui ont demandé de cesser ces pratiques et qu'un groupe intégriste musulman a menacé, faute pour elle de s'exécuter, d'attenter à sa vie.

[4]                 La demanderesse principale prétend qu'en mars 1998, alors qu'elle revenait d'une cérémonie du culte, un groupe d'hommes masqués ont commencé à tirer dans sa direction et celle des autres demandeurs. L'intervention d'un voisin leur aurait permis d'échapper à la mort. Les demandeurs n'ont pas demandé l'aide de la police.


[5]                 La demanderesse principale soutient en outre qu'en mai 1998, ses deux frères l'ont battue pour la punir de la honte qu'elle avait jetée sur sa famille. Cela s'est produit deux jours d'affilée et la police est intervenue. Les deux frères ont été arrêtés, mais on les a remis en liberté le lendemain sans qu'aucune accusation ne soit portée contre eux. Des incidents semblables sont survenus en deux autres occasions par la suite, l'intervention des policiers aboutissant en un même résultat.

[6]                 Les demandeurs d'âge mineur ont été baptisés le 3 juillet 1998 et, six jours plus tard, les trois demandeurs ont quitté l'Albanie. Ils sont demeurés en Allemagne pendant que la demanderesse principale tentait de se procurer un faux passeport, puis ils se sont rendus au Canada le 30 décembre 1998.

La décision de la Commission

[7]                 La Commission a conclu que la demanderesse principale était peu crédible, comme elle n'avait pas expliqué de manière adéquate les contradictions existant entre son témoignage oral et sa preuve documentaire. L'une des contradictions relevées par la Commission consistait en la déclaration de la demanderesse principale, fait lors de son témoignage oral, selon laquelle elle n'avait reçu aucune aide de membres de sa famille pour le voyage vers le Canada, ce qui contraste avec les notes de l'agent d'immigration au point d'entrée où il est précisé que c'est le frère de la demanderesse principale qui lui a obtenu son passeport.


[8]                 Une autre contradiction signalée par la Commission, c'est la déclaration faite par la demanderesse principale lors de son témoignage, selon laquelle ses frères l'aimaient tellement qu'ils n'ont pas insisté pour qu'elle se conforme strictement à l'islam, alors qu'elle a soutenu dans sa déclaration à l'agent d'immigration au point d'entrée qu'elle avait été battue trois fois par ses frères en raison de la honte qu'elle avait jetée sur sa famille en s'intéressant au christianisme.

[9]                 La demanderesse principale a prétendu que c'était de manière précipitée qu'elle avait décidé de fuir la persécution en Albanie. La Commission n'a pas cru cela, soulignant notamment que le départ de la demanderesse semblait avoir été planifié et organisé de manière stratégique. La Commission a noté qu'environ un mois avant son départ pour l'Albanie, la demanderesse principale a demandé à se faire délivrer un passeport international, ce qui lui a été refusé. Dans la semaine qui a précédé son départ, elle a obtenu de la police une lettre corroborant son dépôt de plaintes contre ses frères. Elle a reçu cette lettre deux jours avant son départ et l'a fait traduire en anglais alors qu'elle était encore en Albanie. De plus, elle a aussi obtenu du président du district une lettre confirmant que ses frères l'avaient battue parce qu'elle s'était convertie au christianisme.


[10]            La Commission a conclu, finalement, que les demandeurs bénéficiaient de la liberté religieuse en Albanie, puisque l'islam n'empêche personne de se convertir à une autre religion et que ni l'État ni aucun de ses représentants n'avaient porté atteinte au droit des demandeurs d'avoir les croyances religieuses de leur choix. Se fondant sur la décision de la Cour d'appel fédérale Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605, la Commission a conclu que la protection offerte par la police aux demandeurs, bien qu'imparfaite, avait été opportune et adéquate.

[11]            En étant arrivée à ces conclusions, la Commission a statué que la demanderesse principale n'était pas un réfugié au sens de la Convention. S'appuyant sur Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998) 148 F.T.R. 69, la Commission a conclu que, comme le bien-fondé de la revendication de la demanderesse principale n'avait pas été démontré, le bien-fondé des revendications des demandeurs d'âge mineur - tributaire du précédent - n'avait pas non plus été démontré.

Les prétentions des demandeurs


[12]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en interprétant mal la preuve documentaire soumise lorsqu'elle a évalué la crédibilité de la demanderesse principale. Ils soutiennent que les contradictions signalées par la Commission entre le témoignage oral de la demanderesse principale et les notes au point d'entrée de l'agent examinateur étaient dues à la traduction. Se fondant sur ces notes, la Commission a conclu qu'un interprète avait traduit les documents pour la demanderesse principale et que celle-ci avait signé une déclaration où elle a reconnu qu'elle « connaît » leur contenu. Or, les demandeurs soutiennent qu'une telle déclaration n'est pas jointe aux notes au point d'entrée. De fait, on mentionne dans ces notes qu'un seul interprète avait été disponible, par téléphone, et qu'aucune signature ne figure sur les documents pour attester de la véracité de la traduction. Les demandeurs signalent qu'une telle déclaration est jointe à la formule datée du 18 janvier 1999 intitulée « Renseignements sur l'admissibilité au Canada et la revendication du statut de réfugié » . Les demandeurs affirment que la Commission a cru par erreur qu'il s'agissait là d'une déclaration reliée aux notes au point d'entrée, et qu'elle a par conséquent mal interprété la preuve en accordant une importance déplacée à la déclaration.

[13]            La demanderesse principale soutient qu'il n'y a pas de contradiction entre son témoignage selon lequel ses frères lui permettaient de s'écarter des préceptes de l'islam et ses allégations, consignées dans les notes au point d'entrée, selon lesquelles ses frères l'avaient battue à trois reprises à cause de l'intérêt qu'elle portait au christianisme. La demanderesse principale soutient que sa relation avec ses frères s'était détériorée lorsqu'elle a semblé adhérer à une autre religion.

[14]            La demanderesse principale soutient qu'après avoir été confrontée à des hommes armés et masqués en mai 1998, il était raisonnable qu'elle présente une demande de passeport en mai 1998 par mesure de précaution. Bien qu'elle ait pris une telle mesure, la demanderesse soutient qu'elle n'avait pas alors fait le projet définitif de quitter son pays, ni n'en avait l'intention ferme ni n'avait arrêté de décision à ce sujet, de sorte que sa demande de passeport n'était pas incompatible avec son départ précipité.


[15]            Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en tenant compte de facteurs inappropriés. Cela se rapporte aux commentaires de la Commission selon lesquels on ne peut faire valoir qu'il y a persécution religieuse parce que l'État albanais fait preuve de tolérance à l'endroit de toutes les pratiques religieuses et n'a rien fait pour empêcher les demandeurs de pratiquer le catholicisme. Ils soutiennent que cette considération est inappropriée et correspond à une analyse objective plutôt qu'elle ne permet d'établir si les demandeurs avaient ou non une crainte subjective d'être persécutés.

Les prétentions de l'intimé

[16]            Selon l'intimé, la Commission a conclu que la preuve présentée au soutien de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était entachée de contradictions et non crédible. Se fondant sur Hilo c. M.E.I. (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199, 130 N.R. 236 (C.A.F.), il soutient que des conclusions négatives quant à la crédibilité sont valables dans une affaire comme celle-ci lorsque le tribunal formule ses motifs de manière claire et non équivoque. Et l'intimé prétend que la Commission a satisfait à ce seuil.

[17]            L'intimé soutient que l'erreur de la Commission au sujet de la source de la déclaration de l'interprète est sans importance, comme cela ne change rien au fait que la preuve présentée par la demanderesse renfermait des contradictions. Selon l'intimé, rien dans la preuve ne permet de croire que l'agent d'immigration a consigné erronément les déclarations faites par la demanderesse principale au point d'entrée. Malgré les arrangements fort imparfaits pris pour qu'un interprète dispense ses services, l'intimé estime que les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer l'existence d'inexactitudes dans les notes de l'agent de l'immigration ou que le fait pour la Commission de se fonder sur celles-ci constitue une erreur susceptible de révision.


[18]            L'intimé concède que la Commission a fait une erreur en mentionnant la tolérance en matière religieuse de l'appareil étatique albanais lorsqu'elle a conclu que la demanderesse principale n'était pas crédible. Il soutient, toutefois, que la Commission savait que ce sont les mauvais traitements aux mains de ses frères que la demanderesse principale disait craindre et que c'est dans cette perspective que la situation a été analysée. L'intimé soutient qu'est donc sans fondement la prétention selon laquelle la Commission n'a procédé qu'à une analyse objective de la crainte.

Analyse

[19]            L'intimé admet que la Commission a commis deux erreurs lorsqu'elle a examiné la preuve soumise. Premièrement, la Commission a erronément mentionné qu'un certificat de traduction accompagnait les notes prises au point d'entrée alors que tel n'était pas le cas. Deuxièmement, les commentaires de la Commission relativement à la tolérance en matière religieuse de l'État albanais étaient sans lien avec la question de savoir si la demanderesse principale avait ou non une crainte subjective d'être persécutée. Notre Cour ne devrait intervenir, à mon avis, que si l'une ou l'autre erreur constituait un facteur déterminant dans la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité. Je vais maintenant examiner chacune de ces erreurs.


[20]            La première erreur alléguée par les demandeurs, et admise par l'intimé, c'est que la Commission a erronément mentionné qu'un certificat de traduction accompagnait les notes prises au point d'entrée. Il est déclaré dans ces notes que c'est le frère de la demanderesse principale qui a obtenu son passeport, ce que cette dernière réfute. Lorsqu'on l'a contre-interrogée à ce sujet, la demanderesse principale a déclaré qu'à son arrivée au Canada, un agent d'immigration lui a fait passer un entretien par téléphone. L'entretien s'est déroulé en albanais et la demanderesse principale déclare avoir compris les questions qui lui ont alors été posées. Elle nie, toutefois, qu'on lui ait demandé qui avait obtenu son passeport pour elle. On lui aurait plutôt tout simplement demandé s'il s'agissait ou non d'un faux passeport. Le témoignage de la demanderesse principale sur ce point n'a pas fait impression favorable sur la Commission. Dans sa décision, la Commission a émis les commentaires suivants :

Dans sa déclaration de vive voix, elle [la demanderesse principale] a indiqué qu'elle n'avait reçu aucune aide de sa famille pour son voyage au Canada. Toutefois, à la pièce M-1, l'agent principal écrit dans ses notes que le « passeport a été obtenu par le frère - ne sait pas combien il a coûté et d'où il vient » . Un interprète a traduit des documents pour la revendicatrice au moment de l'entrevue et elle a signé une déclaration selon laquelle elle connaît le contenu de ces documents. La revendicatrice a été incapable d'expliquer de façon satisfaisante la contradiction entre sa déposition et les notes figurant à la pièce M-1.

[21]            Le dossier permet clairement de constater que les notes au point d'entrée, où l'on mentionne que le passeport de la demanderesse principale a été obtenu par son frère, n'ont pas été signées par celle-ci. C'est donc erronément que la Commission a écrit qu' « elle a signé une déclaration selon laquelle elle connaît le contenu de ces documents » .


[22]            Cette erreur ne constituait toutefois pas un facteur déterminant dans la conclusion de la Commission relative au manque de crédibilité de la demanderesse principale. La décision de la Commission se fondait sur plusieurs contradictions existant entre le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire. Même si la Commission avait prêté foi à la prétention de la demanderesse principale selon laquelle l'agent d'immigration ne lui avait jamais demandé qui avait obtenu son passeport, et par conséquent les notes prises par l'agent d'immigration étaient erronées, la conclusion de la Commission quant à sa crédibilité ne reposait pas exclusivement ni de manière importante sur cette erreur de fait. Il y avait d'autres incohérences dans le récit de la demanderesse principale. Il y avait matière, par exemple, à ce que la Commission juge incompatible le témoignage de la demanderesse principale selon lequel ses frères lui permettaient de s'écarter des préceptes de l'islam et ses allégations, consignées dans les notes au point d'entrée, portant que ses frères l'avaient battue à trois reprises en raison de son intérêt pour le christianisme. Il y avait également matière à ce que la Commission juge incompatible la déclaration de la demanderesse principale portant qu'elle était partie en hâte de l'Albanie, et sa déclaration selon laquelle elle avait demandé un passeport international environ un mois avant son départ. Comme la Commission l'a souligné à juste titre dans sa décision, il est bien admis que l'existence de contradictions ou d'incohérences dans la preuve d'un revendicateur ou d'un témoin permet de conclure en un manque de crédibilité.


[23]            La seconde erreur alléguée par les demandeurs, et admise par l'intimé, c'est que la Commission a fait des commentaires inappropriés sur la tolérance en matière religieuse de l'État albanais en tant que facteur permettant d'évaluer si la demanderesse avait ou non une crainte subjective d'être persécutée. Je suis toutefois d'avis que cette erreur ne constituait pas un facteur déterminant dans la décision de la Commission, puisque celle-ci n'a pas fondé sa décision sur l'absence de crainte objective de la part de la demanderesse. La décision était plutôt fondée sur la conclusion selon laquelle la crainte subjective de la demanderesse principale d'être persécutée par ses frères n'avait pas été démontrée, puisque son témoignage au sujet de la prétendue crainte n'était pas crédible. La preuve présentée permettait à la Commission d'en venir à cette conclusion.

[24]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Une ordonnance est rendue en conséquence.

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »                 

                                                                                                 _________________________________

                                                                                                                                                                 Juge                                

OTTAWA (Ontario)

Le 3 décembre 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1346-00

INTITULÉ :

NEZIHAT KRAJA ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 17 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

Le juge MacKay

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 3 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Mme Patricia Ann Ritter

POUR LES DEMANDEURS

M. Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma, Ritter

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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