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Date : 20010427

Dossier : IMM-24-00

Référence neutre : 2001 CFPI 408

Ottawa (Ontario), le vendredi 27 avril 2001

EN PRÉSENCE DE :       Mme le juge Dawson

ENTRE :

                          PAL LAKATOS, MARIA PETRIK

et PAL LAKATOS FILS

                                                                                                 demandeurs

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Pal Lakatos, son épouse Maria Petrik et leur fils Pal Lakatos, sont des citoyens hongrois qui ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de leur origine rom. Ils déclarent avoir une crainte fondée de persécution de la part des policiers et des skinheads en Hongrie. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), datée du 29 novembre 1999, qui conclut qu'ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]    M. Lakatos est le seul demandeur à avoir témoigné à l'audience de la SSR. Il a fait état de deux incidents en particulier qui l'ont amené à quitter la Hongrie avec sa famille.

[3]    Le premier de ces incidents s'est produit en septembre 1995, lorsque M. Lakatos, un musicien professionnel, a été agressé par des skinheads alors qu'il quittait son travail au petit matin. Il a souffert de contusions et d'une légère commotion cérébrale lors de cette agression. M. Lakatos a déclaré que les policiers lui ont dit qu'à défaut de témoins, ils ne pouvaient rien faire contre des agresseurs non identifiés.

[4]    Le deuxième incident s'est produit en avril 1998. À cette occasion, deux hommes ont tenté de violer Claudia Lakatos, la fille des demandeurs adultes, qui est âgée de 13 ans. Son père est intervenu à temps pour la protéger. Les agresseurs lui ont crié [traduction] « sale Tzigane, nous allons te tuer! Nous allons revenir te tuer et violer ta fille! » . Il semble que la police n'a pas enquêté sur cet incident, faisant à nouveau état de l'absence de témoins indépendants.


[5]                 La SSR a conclu que les demandeurs appartenaient à l'ethnie rom, et qu'ils étaient dans l'ensemble dignes de foi. La SSR a admis que les demandeurs ont subi de la discrimination en Hongrie, tout en arrivant à la conclusion que cette discrimination ne constituait pas de la persécution.

[6]                 Quant à la crainte des demandeurs d'être agressés par les skinheads, la SSR constate que les activités des skinheads ont diminué. Elle déclare que « [l]es éléments de preuve documentaire les plus récents et les plus fiables ne permettent pas de conclure que la population rom est de façon systématique et continue la cible des skinheads » . Par conséquent, le tribunal a conclu qu'il n'existait qu'une mince possibilité que les demandeurs subissent à nouveau de telles agressions.

[7]                 La SSR a ensuite conclu que même si les demandeurs avaient raison de craindre les skinheads, ils pouvaient obtenir une protection adéquate de l'État. La SSR a fait état des mesures prises pour améliorer le suivi donné par les policiers, des « efforts sérieux » du gouvernement hongrois pour résoudre le problème de la violence et de la discrimination raciales à l'endroit des groupes minoritaires, des efforts des tribunaux pour faire respecter les droits des Roms, ainsi que d'autres recours à leur disposition.


[8]                 Le tribunal a distingué la situation de Claudia Lakatos de celle des autres demandeurs. Il a conclu que l'agression qu'elle a subie a eu sur elle des profondes répercussions et que, dans son état, un retour en Hongrie lui causerait un tel tort qu'il équivaudrait à de la persécution. En conséquence, la SSR a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention à Claudia Lakatos. Les demandeurs pour leur part n'ont pas obtenu ce statut.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]                 Dans sa plaidoirie, l'avocat des demandeurs a indiqué que les questions qu'il désirait soulever dans la demande de contrôle judiciaire portaient que la SSR :

1.    avait commis une erreur en ne traitant pas les demandeurs comme des membres d'un groupe social;

2.    avait commis une erreur en ne faisant pas l'analyse exigée par le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi);

3.    avait commis une erreur en n'arrivant pas à la conclusion que les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution et non de discrimination; et


4.    avait commis une erreur en concluant à l'existence d'une protection adéquate de l'État.

[10]            L'avocat des demandeurs a informé le tribunal qu'il n'allait pas donner suite à l'argument, contenu dans ses prétentions écrites, qui portait que la SSR avait enfreint les principes de la justice naturelle en déléguant illégalement ses pouvoirs de décision lorsqu'elle avait utilisé un modèle standard de décision appliqué à tous les demandeurs roms de Hongrie.

ANALYSE

(i) La SSR a-t-elle commis une erreur en ne traitant pas les demandeurs comme des membres d'un groupe social?


[11]            Du fait que la SSR a conclu que la fille des demandeurs adultes avait une crainte fondée de persécution suite à l'agression au cours de laquelle ses agresseurs l'ont plusieurs fois traitée de « sale Tzigane » , il est allégué que la SSR a commis une erreur en ne concluant pas que les demandeurs avaient droit au statut de réfugié au sens de la Convention étant donné qu'ils étaient membres d'un groupe social, savoir leur famille. Il est aussi allégué que des gestes posés envers les membres de la famille peuvent être pris en compte dans une revendication. Ces deux éléments étaient respectivement appuyés sur les décisions de notre Cour dans Saez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 317 (1re inst.) et dans Ioda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 294 (C.F. 1re inst.).

[12]            Toutefois, le fait qu'un membre de la famille soit persécuté n'accorde pas automatiquement le statut de réfugié au sens de la Convention à tous les autres membres de la famille : Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 103 (C.A.F.). De plus, la famille constitue un groupe social protégé par la définition de réfugié au sens de la Convention uniquement lorsque la preuve démontre que les membres de la famille sont persécutés en tant que groupe social : Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F. 1re inst.).

[13]            En l'absence d'une preuve que les demandeurs ont été persécutés du seul fait de leur qualité de membre d'une famille donnée, je ne peux conclure que la SSR a commis une erreur en ne les traitant pas comme membres d'un groupe social.

(ii) La SSR a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas l'analyse exigée par le paragraphe 2(3) de la Loi?


[14]            Les demandeurs soutiennent que la SSR a pour l'essentiel conclu à un changement dans la situation du pays après leur départ de Hongrie en mai 1998. En conséquence, ils ont soutenu que la SSR avait commis une erreur en n'invoquant pas le paragraphe 2(3) de la Loi pour que les membres de la famille immédiate n'aient pas à retourner en Hongrie, où la fille des demandeurs adultes a été la victime d'une tentative de viol.

[15]            En soutenant que la SSR s'est appuyée sur un changement dans la situation du pays, les demandeurs citent particulièrement l'élection et l'assermentation d'un nouveau gouvernement de coalition de centre droit, après qu'ils aient quitté la Hongrie.

[16]            Après un examen minutieux de la preuve dont la SSR fait état, je suis convaincue que les événements sur lesquels elle s'appuie se sont produits soit au moment où les demandeurs ont quitté la Hongrie, soit avant leur départ. La SSR ne s'est pas précisément appuyée sur l'élection du nouveau gouvernement de coalition.

[17]            En conséquence, la SSR n'avait pas à tenir compte de l'analyse exigée par le paragraphe 2(3) de la Loi.

(iii) La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ont fait l'objet d'une discrimination qui ne constitue pas une crainte fondée de persécution?

[18]            Les demandeurs soulignent que la SSR les a estimés dans l'ensemble dignes de foi. Ils déclarent que leur témoignage, ainsi que la masse de preuve documentaire disponible, indiquent clairement qu'ils tombent sous le coup de la définition de la persécution.


[19]            Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), la Cour écrit ceci, au paragraphe 3 :

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[20]            Dans ses motifs, la SSR a correctement énoncé la définition d'un réfugié au sens la Convention, ainsi que le critère permettant de déterminer à quel moment la discrimination devient de la persécution. Toutes les conclusions de la SSR s'appuient sur au moins une certaine preuve.

[21]            Dans ces circonstances, je ne peux conclure que la conclusion du tribunal était arbitraire ou déraisonnable.

(iv) La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant à l'existence d'une protection adéquate de l'État?


[22]            L'aspect adéquat de la protection de l'État est aussi une question mixte de droit et de fait, qui relève de la compétence et de l'expertise de la SSR. Il existe une présomption générale qu'un État peut protéger ses citoyens et, lorsque l'appareil de l'État n'est pas totalement inefficace, un demandeur doit assumer un fardeau de preuve très lourd pour réfuter cette présomption.

[23]            En l'instance, la SSR a conclu que les demandeurs n'ont pas produit une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer leur protection. Il y avait une certaine preuve démontrant que les mesures prises par le gouvernement hongrois pour protéger ses minorités étaient d'une certaine efficacité. Bien que les avis diffèrent quant à savoir si la violence raciale avait diminué, il y a une certaine preuve qui vient appuyer les conclusions de la SSR. Par exemple, la demande d'information de la CISR no HUN 30081.EFX, citée par le tribunal, précise que :

[TRADUCTION]

Zoltan Barany croit, dans l'ensemble, qu'il n'y a pas plus et sans doute moins de 1 000 skinheads et néonazis en activité en Hongrie. Si c'est à Budapest et à Eger que se trouvent les plus importantes concentrations de skinheads, ces derniers forment néanmoins un groupe très mobile et, la Hongrie étant un petit pays, ils peuvent faire des apparitions n'importe où. Les attaques de skinheads contre les Roms ne sont pas courantes : le nombre d'attaques violentes ayant considérablement diminué depuis le début des années 1990 (Barany; Kovats). Barany affirme que les actes de violence commis par des skinheads ne constituent pas aujourd'hui un problème majeur en Hongrie.

[...]

À quelques exceptions près, depuis 1991, les policiers ont accru leur vigilance et surveillent de plus près les skinheads et les groupes néonazis. Le ministère de l'Intérieur a intimé aux agents qu'ils risqueraient le renvoi et d'autres sanctions s'ils ne remplissaient pas convenablement leurs fonctions.

Martin Kovats convient que les rapports entre les Roms et l'extrême droite se sont quelque peu améliorés au cours des quatre dernières années :


immédiatement après l'avènement du nouveau système politique (et même avant) le mouvement skinhead a rapidement pris de l'ampleur. Les principales cibles des skinheads étaient les Noirs (dont la plupart ont depuis quitté le pays) et les Roms. Le mouvement a connu son apogée en 1992-1993 avant que des pressions, à la fois internes et externes, aient forcé le gouvernement, dirigé par le Forum démocratique, de se distancer de ses partisans racistes. La coalition socialiste-libérale de 1994-1998 a pris des mesures sévères pour enrayer la violence raciale et n'a pas donné d'encouragement aux groupes de skinheads, ce qui a entraîné une diminution du nombre d'attaques à caractère raciste.

[24]            Étant donné le poids de la preuve en cause, j'aurais pu arriver à une conclusion différente que celle à laquelle la SSR est arrivée sur la question de la protection de l'État. Le Parlement a toutefois accordé à la SSR pleine compétence pour évaluer la preuve et pour décider si la protection de l'État est adéquate. Étant donné qu'il y a une certaine preuve qui vient appuyer la conclusion de la SSR, je ne peux conclure que sa décision était manifestement déraisonnable ou clairement erronée.

[25]            Pour ces motifs, j'ai conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[26]            L'avocat des demandeurs a suggéré que je certifie les deux questions suivantes :

[TRADUCTION]

1.      La SSR perd-elle sa compétence ou excède-t-elle sa compétence lorsqu'elle conclut qu'une revendicatrice mineure de 13 ans est une réfugiée au sens de la Convention, tout en décidant que ses parents, qui sont commis d'office pour la représenter en vertu du paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration, n'ont pas une crainte fondée de retourner dans le même pays au vu de leur statut de membres d'un groupe social, savoir la famille?

2.      Est-il possible que des agressions physiques, des menaces et/ou blessures infligées à l'intégrité physique ou au bien-être d'une personne, ou des menaces sérieuses de le faire, fondées sur caractéristiques raciales identifiables de la victime et déclenchées par ces caractéristiques, puissent jamais être qualifiées de « discrimination » , ou s'agit-il toujours de « persécution » en vertu de la définition d'un réfugié?

[27]            L'avocat du ministre s'est opposé à la certification de ces questions, déclarant qu'elles étaient en fait spécifiques et qu'elles ne soulevaient aucune question de portée générale.


[28]            Je constate que la première question est spécifique quant aux faits, et qu'elle a été réglée par la Cour d'appel dans Pour-Shariati. Quant à la deuxième question, je considère qu'elle ne permettrait pas de trancher le litige étant donné la conclusion de la SSR au sujet de la protection de l'État.

[29]            Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                           ORDONNANCE

[30]            LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Eleanor R. Dawson

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  IMM-24-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Pal Lakatos et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 14 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DE Mme LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                       27 avril 2001

ONT COMPARU

M. Rocco Galaty                                                               POUR LES DEMANDEURS

M. Martin Anderson                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Galati, Rodrigues & Associates                          POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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