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Date : 20210430


Dossier : IMM‑7586‑19

Référence : 2021 CF 385

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

OLUTOLA KIKELOMO AWONUSI

OLOLADE MARIAM AWONUSI

IDOWU MUBARAQ AWONUSI

MAZILDA KEHINDE AWONUSI

MUIZ TAIYE AWONUSI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu général

[1] Mme Olutola Kikelomo Awonusi et ses quatre enfants sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de refuser de leur reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria qui affirment craindre d’être persécutés par l’ex‑époux de Mme Awonusi et par la famille de ce dernier en raison de violences familiales et de menaces de mutilation génitale des femmes (MGF) dont font l’objet deux des filles de Mme Awonusi. La SAR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les prétentions des demandeurs suivant lesquelles ils avaient la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger, et notamment qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant l’existence d’un risque sérieux de subir une MGF. La SAR a également relevé des contradictions et des incohérences sur certains éléments clés de la demande, estimant que la crédibilité de Mme Awonusi constituait un facteur essentiel et important.

[3] Les demandeurs affirment que la décision de la SAR est déraisonnable. Ils soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité. Ils font également valoir que la SAR a commis une erreur en refusant de tenir une audience et en n’examinant pas correctement la preuve.

[4] Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

[5] Mme Awonusi est chrétienne et son ex‑époux est de confession musulmane. Au moment de leur mariage, en 2006, Mme Awonusi pensait que la religion n’aurait pas d’incidence sur leur mariage; pourtant, dès l’année suivante, son mari a commencé à se plaindre de ses vêtements et de son apparence. Devant le refus de Mme Awonusi de s’habiller autrement, son mari l’a agressée physiquement. Mme Awonusi affirme qu’elle a signalé l’incident à la police, mais qu’on lui a répondu que c’était une affaire de famille. Son mari est devenu de plus en plus souvent violent et a entrepris des démarches pour qu’elle se convertisse à l’islam. Lui et ses parents voulaient que les filles subissent une MGF après leur dixième anniversaire de naissance. La MGF de l’aînée des filles était prévue pour novembre 2016.

[6] La famille est partie en vacances aux États‑Unis en septembre 2016. Mme Awonusi a quitté son mari et n’est pas rentrée au Nigéria. Elle et ses enfants ont demandé l’aide d’un ami de la famille qui vivait aux États‑Unis et sont demeurés chez lui. Mme Awonusi affirmait que son mari et la famille de ce dernier avaient continué à la poursuivre. Les parents de son mari, qui étaient également en visite aux États‑Unis à ce moment‑là, se sont rendus au domicile de l’ami et ont exigé que Mme Awonusi rentre au Nigéria. En septembre 2017, le mari s’est présenté au domicile de l’ami en question pour tenter de se réconcilier; devant le refus de Mme Awonusi, il est devenu physiquement agressif et a menacé de la tuer et de se suicider. Mme Awonusi s’est rendue au poste de police et a porté plainte. À son retour, son mari avait laissé un jugement de divorce d’un tribunal nigérian daté du 24 janvier 2017. Mme Awonusi alléguait que son mari avait obtenu le divorce à son insu.

[7] Mme Awonusi n’a appris l’existence du processus d’asile qu’en janvier 2018. Elle ne voulait pas demander l’asile aux États‑Unis, car elle craignait des réactions hostiles à l’égard des demandeurs d’asile. Elle et ses enfants sont partis pour le Canada le 13 mars 2018 et ont présenté une demande d’asile. L’audience de la SPR a eu lieu le 13 décembre 2018. Aux termes de sa décision du 5 mars 2019, la SPR a jugé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer les demandes d’asile. Les demandeurs ont interjeté appel à la SAR, qui a rejeté l’appel le 20 novembre 2019.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  • (1) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre des éléments de preuve et de tenir une audience?

  • (2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité ou en n’évaluant pas correctement la preuve?

  • (3) La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en n’offrant pas aux demandeurs la possibilité de soulever une nouvelle question?

[9] La norme de contrôle applicable aux deux premières questions est celle de la décision raisonnable, selon le nouveau cadre d’examen du caractère raisonnable proposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Akinyemi‑Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 au para 15; Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94 au para 31; Singh v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17).

[10] Les demandeurs affirment que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte. À mon avis, les deux premières questions soulevées dans la présente demande sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable, ce qui comprend le refus d’admettre des éléments de preuve et de tenir une audience (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] aux para 23 et 29). C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la troisième question, dès lors qu’une question d’équité procédurale est en jeu (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 43).

[11] La norme de la décision raisonnable oblige la cour de révision à procéder à un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov aux para 12‑13, 75 et 85). La cour de révision doit déterminer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification de la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Est raisonnable la décision qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre des éléments de preuve et de tenir une audience?

[12] Les demandeurs cherchaient, en appel, à faire admettre de nouveaux éléments de preuve, dont un affidavit souscrit par la sœur de Mme Awonusi, un rapport de police, un rapport de counseling et 17 articles.

[13] La SAR a admis le rapport de counseling en tant que nouvel élément de preuve en appel, ainsi qu’un des articles portant sur le recours à la MGF. Elle n’a pas ordonné la tenue d’une audience, estimant que les nouveaux éléments de preuve au dossier ne satisfaisaient pas aux conditions prévues par la loi pour la tenue d’une audience étant donné qu’ils ne soulevaient pas de question importante concernant la crédibilité des demandeurs et qu’ils n’avaient pas une valeur convaincante suffisante pour justifier de prendre la décision d’accueillir ou de rejeter la demande (LIPR, par. 110(6)).

[14] Les demandeurs affirment que la décision de la SAR de rejeter la totalité des nouveaux documents proposés, à l’exception de deux, était déraisonnable. Les demandeurs réclamaient aussi la tenue d’une audience, et ils affirment que la SAR a commis une erreur en concluant que la tenue d’une audience n’était pas justifiée. Ils font valoir que la SAR les a obligés à tort à satisfaire à certaines conditions, alors que c’est à la SAR qu’il incombe d’examiner et d’appliquer de façon raisonnable les critères prévus par la loi pour décider de l’opportunité de tenir ou non une audience (Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 au para 18).

[15] Dans leurs observations, les demandeurs ont insisté sur le refus de la SAR d’admettre en preuve l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et le rapport de police, mais ils n’ont pas étoffé leurs arguments quant à l’erreur qu’aurait commise la SAR en rejetant les autres documents.

[16] Les demandeurs affirment que l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et le rapport de police sont importants parce qu’ils contredisent une conclusion clé ayant motivé le rejet de leur demande d’asile par la SAR, en l’occurrence la conclusion de la SAR — et de la SPR — quant à l’insuffisance des éléments de preuve sur l’existence d’un risque prospectif, compte tenu du peu d’intérêt manifesté par l’ex‑mari de Mme Awonusi depuis 2017. Ils affirment que les documents en question démontrent qu’encore en décembre 2018, l’ex‑mari continuait à manifester son intérêt envers eux. Selon l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et le rapport de police, le mari de Mme Awonusi s’est présenté au domicile de la sœur de cette dernière à Ketu, au Nigéria, avec des policiers, le 26 décembre 2018, et est revenu le lendemain pour menacer de mort la sœur de Mme Awonusi si elle ne livrait pas cette dernière et les enfants. Les demandeurs souhaitaient que la SAR réévalue leur crédibilité à la lumière de ces nouveaux documents.

[17] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre en preuve l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et le rapport de police. La SAR a raisonnablement exclu ces documents au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux conditions d’admissibilité énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR. Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer qu’au moment de leur rejet par la SPR, les documents n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que les demandeurs les aient présentés. Les deux documents étaient datés du 28 décembre 2018 et ils précédaient donc de plus de deux mois la décision de la SPR. La SAR a fait observer que Mme Awonusi était au courant de ces faits au moment où ils se sont produits et que les demandeurs n’avaient pas expliqué pourquoi les documents n’avaient pas été soumis plus tôt.

[18] L’arrêt Singh de la Cour d’appel fédérale est la décision de principe en matière d’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR. Dans l’arrêt Singh, la CAF a jugé que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent êre respectées et que, lorsqu’il se pourvoit devant la SAR, le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande d’asile par la SPR ou des éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet (Singh au para 35). Ces conditions sont incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR (Singh au para 35). La SAR n’a donc pas commis d’erreur en refusant d’admettre ces documents au motif qu’ils ne respectaient pas les conditions prévues au paragraphe 110(4), signalant à juste titre que cette raison suffisait à elle seule pour justifier leur exclusion.

[19] La SAR a également fait observer qu’il existait une autre raison de refuser d’admettre l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et le rapport de police, à savoir la crédibilité. La SAR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve sur la provenance de ces documents et sur les circonstances dans lesquelles ils avaient été créés pour en établir la crédibilité. La SAR a estimé que le moment et le contenu des documents étaient « pour le moins douteux », étant donné qu’ils traitaient d’un point précis que le commissaire de la SPR avait signalé à Mme Awonusi lors de l’audience du 13 décembre 2018, à savoir que, selon les éléments de preuve qu’elle avait présentés, son ex‑mari n’avait manifesté aucun intérêt à l’égard des demandeurs depuis très longtemps. La SAR a également constaté que l’exposé du rapport de police passait sans cesse de la première à la troisième personne, ce qui n’était pas logique. Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en tirant ces conclusions parce que, après avoir conclu que les documents devaient être exclus conformément au paragraphe 110(4), elle a poursuivi son analyse en examinant le contenu et l’authenticité des documents pour tirer des conclusions défavorables, non seulement en ce qui concerne les documents, mais aussi la crédibilité des demandeurs.

[20] Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la SAR n’a pas remis en question leur crédibilité en se fondant sur l’affidavit de la sœur de Mme Awonusi et sur le rapport de police. La SAR n’a pas confondu des concepts distincts en matière de crédibilité. Des documents qui satisfont aux exigences légales du paragraphe 110(4) de la LIPR peuvent néanmoins être exclus s’ils ne sont pas crédibles (Singh au para 44; Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. n1632 au para 13). La SAR a examiné la crédibilité du rapport de police et de l’affidavit pour en apprécier l’admissibilité et non pour évaluer la crédibilité des prétentions des demandeurs. La SAR n’a pas commis d’erreur en fournissant une raison supplémentaire — en l’occurrence, le manque de crédibilité — pour expliquer son refus d’admettre ces documents.

[21] En ce qui concerne les 16 autres articles soumis à titre de nouveaux éléments de preuve en appel, les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur en refusant de les admettre. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que c’est à juste titre que la SAR a exclu les articles antérieurs à la décision de la SPR au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) pour permettre l’admission de nouveaux éléments de preuve. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ces articles n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, pourquoi il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’ils les aient présentés à la SPR avant que la SPR ne rejette leur demande. D’autres articles ont été à juste titre été rejetés en raison de leur pertinence limitée ou de leur manque de crédibilité.

[22] Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur en refusant de tenir une audience. Comme je l’ai déjà signalé, la SAR peut tenir une audience lorsque, notamment, de nouveaux éléments de preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne faisant l’objet de l’appel (paragraphe 110(6) de la LIPR). Il n’est donc pas nécessaire de tenir une audience si des éléments de preuve par ailleurs crédibles ne soulèvent pas également une question importante au sujet de la crédibilité générale du demandeur (Singh au para 44). L’argument des demandeurs suivant lequel la SAR les a obligés à satisfaire aux conditions permettant la tenue d’une audience ne m’a pas convaincue (Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 au para 18). La SAR a évalué les facteurs applicables énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR concernant la tenue d’une audience et a conclu de façon raisonnable que les nouveaux éléments de preuve admis au dossier ne justifiaient pas la tenue d’une audience.

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité ou en n’évaluant pas correctement la preuve?

[23] Les demandeurs allèguent que la SAR a commis plusieurs erreurs en évaluant la crédibilité de leur demande. Ils affirment que la SAR :

  1. a tiré des conclusions déguisées au sujet de la crédibilité en signalant le manque d’éléments de preuve documentaire corroborants (Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252 au para 14); le témoignage du demandeur est présumé véridique, et les demandeurs maintiennent que la SAR n’a pas fourni de justification raisonnable pour réfuter cette présomption (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248 (CA));

  2. a conclu qu’ils avaient déformé les faits ou soumis des documents frauduleux, tels que le jugement de divorce, alors qu’elle ne disposait pas de « preuve claire et convaincante » lui permettant de tirer cette conclusion (Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784 [Xu] au para 16);

  3. a écarté la déclaration solennelle de Mme Awonusi attestant son divorce, au motif que Mme Awonusi manquait de crédibilité (Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1138 au para 34);

  4. n’a pas appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] et n’a pas tenu dûment compte de la violence conjugale dont Mme Awonusi avait été victime pour apprécier sa crédibilité — le contrôle que le mari de Mme Awonusi exerçait sur elle rendait déraisonnable toute conclusion défavorable fondée sur le fait qu’elle n’était pas au courant de tous les détails des vacances passées aux États‑Unis ou de la religion de son mari;

  5. s’est livrée à une analyse microscopique de la preuve et a ignoré les explications raisonnables avancées pour justifier les incohérences — les incohérences concernant le divorce s’expliquaient par le témoignage de Mme Awonusi selon lequel il était possible que le jugement de divorce ne soit pas authentique, étant donné qu’elle se trouvait aux États‑Unis lorsque son ex‑mari a demandé le divorce au Nigéria, et son absence de connaissances au sujet de la religion de son mari s’expliquait par le fait qu’elle n’avait aucune motivation à pratiquer l’islam;

  6. a commis une erreur en tirant des conclusions au sujet de la vraisemblance, alors qu’elle ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au para 7);

  7. n’a pas suffisamment tenu compte de la documentation sur la situation au pays pour déterminer si les demandes étaient crédibles et n’a pas reconnu le fait que la crainte des demandeurs ne dépendait pas de la crédibilité de Mme Awonusi, étant donné qu’ils avaient une crainte très réelle fondée sur la situation au Nigéria, et ce, indépendamment de la crédibilité de Mme Awonusi (A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 373 [A.B.] au para 8);

  8. n’a pas examiné la question du risque personnalisé d’une « manière équitable et impartiale » en raison de ses conclusions négatives au sujet de la crédibilité;

  9. n’a pas appliqué un critère prospectif pour évaluer la possibilité de persécution et le risque de préjudice, ne s’arrêtant qu’à la question de la crédibilité (Fixgera Lappen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 434 [Lappen]; les demandeurs allèguent que la SAR a par conséquent perdu de vue la question essentielle de savoir s’ils seraient exposés à un risque de persécution en raison de la violence familiale et de la MGF;

  10. n’a pas tenu dûment compte de la preuve au dossier et n’a pas correctement évalué la preuve (Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490 au para 11).

[24] Je ne suis pas convaincue par les arguments des demandeurs suivant lesquels la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité ou en n’évaluant pas correctement la preuve. L’appréciation de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire et de l’expertise de la SAR (Vavilov aux para 83‑87, 93 et 125‑126). Bien qu’ils soient en désaccord avec les conclusions de la SAR, les demandeurs n’ont pas, à mon avis, démontré que les erreurs qu’ils lui reprochent ressortent des motifs de cette dernière.

[25] Plusieurs de leurs arguments ne sont que des affirmations générales sans lien avec les motifs de la SAR ou avec le dossier de la preuve. En appel, la SAR a fait observer que les demandeurs n’avaient pas allégué suffisamment de détails à l’appui de leurs arguments et qu’ils n’avaient pas précisé en quoi la SPR s’était fourvoyée. La SAR a rappelé qu’il incombe aux demandeurs d’établir que la SPR a commis une erreur, ajoutant que, s’ils ne précisent pas où et en quoi la SPR a commis une erreur, ils le font « à leurs risques et périls » (Ghauri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 548 au para 34). On ne peut reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné des erreurs qui n’ont pas été correctement caractérisées en appel.

[26] La SAR a évalué les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité à la lumière du dossier dont disposait la SPR, y compris des éléments de preuve concernant le divorce de Mme Awonusi et des connaissances de cette dernière au sujet de la religion de son mari et des vacances que la famille avait passées aux États‑Unis. La SAR a conclu de façon raisonnable que le récit des faits de Mme Awonusi que l’on trouvait dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile et dans son témoignage n’était pas compatible avec les renseignements énoncés dans le jugement de divorce, ce qui militait contre la crédibilité de son exposé circonstancié. De même, la SAR a estimé de façon raisonnable que le fait que Mme Awonusi en savait si peu au sujet de la religion de son mari était une question importante, étant donné que l’une des principales raisons de la violence conjugale dont elle avait été victime été la coercition exercée par son mari pour la forcer à se convertir à la foi musulmane. La SAR a jugé invraisemblable qu’elle en sache si peu au sujet de la religion de son époux après avoir vécu avec lui pendant une dizaine d’années et après avoir suivi des leçons d’un imam dont son mari avait retenu les services pour tenter de la forcer à se convertir. La SAR a également jugé invraisemblable que Mme Awonusi ne soit au courant d’aucun détail des vacances passées aux États‑Unis, compte tenu notamment de son expérience en tant qu’enseignante et de l’absence prévue des enfants de l’école. La SAR a examiné le rapport psychologique qui précisait que Mme Awonusi avait une mémoire défaillante, mais a estimé que les incohérences relevées dans la preuve ne s’expliquaient pas par un problème de mémoire.

[27] Les demandeurs n’ont pas précisé quelles conclusions de la SAR constituaient des conclusions déguisées sur la crédibilité et ils n’ont pas non plus indiqué quels éléments de preuve corroborants la SAR aurait négligé d’examiner.

[28] La SAR n’a pas tiré de conclusions au sujet des fausses déclarations. La décision Xu n’est d’aucune utilité, car elle concerne une conclusion de fausse déclaration au sens de l’article 40 de la LIPR; or, il n’y a aucune conclusion de ce genre en l’espèce. De plus, la SAR n’a pas conclu que le document de divorce était frauduleux. D’ailleurs, la SAR s’est dissociée de la SPR sur ce point, lui reprochant de s’être livrée à « une trop grande extrapolation » en concluant que les documents de divorce avaient été falsifiés pour permettre à Mme Awonusi de voyager avec les enfants. La SAR a toutefois conclu qu’il y avait de graves incohérences entre les faits exposés dans le jugement de divorce et la version des faits de Mme Awonusi, et que ces incohérences minaient la crédibilité de Mme Awonusi. Mme Awonusi avait expliqué les incohérences en déclarant que le document n’était peut‑être pas authentique, mais la SAR a conclu que, si le document n’était pas authentique, le fait que Mme Awonusi avait produit un faux jugement de divorce permettait à tout le moins de remettre en question ses explications au sujet de l’échec du mariage.

[29] La SAR a souligné à juste titre que les demandeurs n’avaient invoqué aucune disposition spécifique des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe qui s’appliquerait à leur cas. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas tenu compte de la violence conjugale dont Mme Awonusi avait été victime pour se prononcer sur les connaissances que cette dernière avait des vacances passées par la famille aux États‑Unis; les demandeurs n’ont cependant pas expliqué comment les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe auraient dû être appliquées, et je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur dans son analyse de ce que Mme Awonusi savait au sujet des vacances familiales.

[30] Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a effectué une analyse microscopique de la preuve ou qu’elle a tiré des conclusions injustifiées en se fondant sur l’invraisemblance. Au contraire, Mme Awonusi n’a pas été en mesure d’avancer d’explication satisfaisante sur les graves incohérences que comportait son témoignage. Même si l’échec du mariage constituait un aspect essentiel de sa demande d’asile, la chronologie et les faits énoncés dans le jugement de divorce étaient incompatibles avec la version des faits de Mme Awonusi. La SAR n’a pas ignoré les explications avancées par Mme Awonusi, mais a estimé que ses explications — en l’occurrence, qu’elle ignorait si le jugement de divorce était authentique — n’étaient pas suffisantes pour expliquer les incohérences. En raison des nombreuses incohérences qu’elle a relevées, il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que le jugement de divorce pesait en défaveur de la crédibilité de Mme Awonusi, indépendamment de son authenticité. Dans le même ordre d’idées, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le fait que Mme Awonusi en sache si peu au sujet des grandes lignes des vacances aux États‑Unis — y compris la durée prévue du séjour de la famille — militait contre sa crédibilité. De plus, compte tenu de la période au cours de laquelle elle avait été forcée à apprendre les enseignements de l’islam, la SAR a raisonnablement estimé qu’il était peu probable que Mme Awonusi ignore à quelle branche de la foi musulmane son mari appartenait. La SAR n’a pas tiré ses conclusions d’invraisemblances en l’absence de tout contexte, mais bien à la lumière d’autres exemples d’éléments de preuve ambigus.

[31] Je ne suis pas convaincue que la SAR s’est arrêtée uniquement à la question de la crédibilité ou qu’elle n’a pas correctement évalué la crainte de persécution ou de préjudice des demandeurs en fonction d’un risque prospectif. Les demandeurs ont tort d’invoquer les décisions A.B. et Lappen. Dans ces affaires, le tribunal avait commis une erreur en omettant d’examiner un risque de persécution étayé par les documents relatifs à la situation dans le pays d’origine, indépendamment de ses conclusions négatives sur la crédibilité. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR n’a pas tenu compte des craintes et risques qu’ils alléguaient en se fondant sur les documents versés au dossier sur la situation au pays, indépendamment des conclusions que la SAR a tirées au sujet de la crédibilité.

[32] Pour examiner la valeur de la preuve présentée sur le risque prospectif, la SAR a admis en preuve un affidavit, le rapport de counseling et les allégations de Mme Awonusi au sujet de la violence conjugale et elle a reconnu qu’elle faisait partie d’un groupe social déterminé en tant que femme battue. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, faisant observer que Mme Awonusi n’avait plus de contact avec son ex‑mari depuis novembre 2017, et relevant son propre témoignage suivant lequel son ex‑mari avait divorcé d’elle en 2017 (et ce, même en admettant que le jugement de divorce soit invalide). De même, la SAR a noté la baisse de popularité du recours à la MGF, la prise en charge et le contrôle de facto des enfants par Mme Awonusi et les éléments de preuve suivant lesquels il était possible de refuser de subir une MGF. La SAR a tenu raisonnablement compte des éléments de preuve sur le risque prospectif et a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que les demandeurs étaient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution au Nigéria, estimant également qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’ils avaient la qualité de personnes à protéger au Nigéria (articles 96 et 97 de la LIPR).

[33] La SAR a expressément noté que le critère du risque de persécution ou de préjudice est prospectif, et elle n’a pas commis d’erreur en l’appliquant. La SAR a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs au sujet de l’existence d’un risque prospectif.

C. La SAR a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en n’offrant pas aux demandeurs la possibilité de soulever une nouvelle question?

[34] Les demandeurs affirment que la SAR a tiré au sujet de la crédibilité de nouvelles conclusions qui n’avaient pas été tirées par la SPR et ce, sans leur donner la possibilité de faire valoir leur point de vue.

[35] La crédibilité était une des questions en litige devant la SPR, et constituait également un aspect essentiel de l’appel des demandeurs devant la SAR. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question de crédibilité qui l’aurait obligée à leur donner la possibilité de répondre (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 aux para 70‑71; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 au para 10). La SAR n’était donc pas tenue d’offrir aux demandeurs la possibilité de présenter de nouvelles observations, en plus de celles qu’ils avaient déjà exposées dans le mémoire qu’ils avaient déposé en appel (Ibrahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 380 au para 30).

V. Dispositif

[36] Pour les motifs qui ont été exposés, la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[37] Aucune partie n’a proposé de question à certifier et j’estime qu’il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7586‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina,


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7586‑19

 

INTITULÉ :

OLUTOLA KIKELOMO AWONUSI, OLOLADE MARIAM AWONUSI, IDOWU MUBARAQ AWONUSI, MAZILDA KEHINDE AWONUSI, MUIZ TAIYE AWONUSI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Peter G. Ivanyi

 

Pour les demandeurs

 

Suzanne M. Bruce

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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