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Date : 20210504


Dossier : T-1078-20

Référence : 2021 CF 399

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

CLINTON MAHONEY

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

ET LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA (SECTION D’APPEL) ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les présents motifs se rapportent à une requête écrite déposée le 22 mars 2021 par le demandeur, M. Clinton Mahoney. M. Mahoney sollicite une ordonnance portant que sa demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] datée du 17 août 2020 soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

[2] M. Mahoney est un détenu du système pénitentiaire fédéral, et il agit pour son propre compte en l’espèce.

[3] Le 16 octobre 2020, dans le cadre de deux actions distinctes (T‑1692‑16 et T‑1628‑19), le juge Sébastien Grammond a déclaré M. Mahoney plaideur quérulent, conformément à l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (Mahoney c Sa Majesté la Reine, 2020 CF 975). Cette déclaration n’a aucune incidence sur la demande de contrôle judiciaire qui sous-tend la présente requête.

II. Réparation supplémentaire

[4] M. Mahoney a inclus dans son dossier de requête un document intitulé [traduction] « Avis de demande modifié ». Ce document est inscrit sur la liste des éléments de preuve documentaire sur lesquels repose la présente requête. M. Mahoney ne cherche pas à faire modifier l’avis de demande et, si le dossier de requête comprend un avis de demande modifié, l’avis de demande original, quant à lui, ne s’y trouve pas.

[5] M. Mahoney ne mentionne l’avis de demande modifié ni dans ses observations écrites sur la requête ni dans sa réponse aux observations présentées. Il sollicite une directive ou une ordonnance portant que l’avis de demande modifié [TRADUCTION] « soit accepté pour dépôt ou déposé à titre d’avis de demande officiel ».

[6] Les défendeurs s’opposent à ce que la Cour examine la demande de M. Mahoney visant à faire accepter pour dépôt l’avis modifié, au motif qu’il ne s’est pas conformé à l’article 75 des Règles des Cours fédérales et que la demande ne satisfait pas au critère relatif à la modification d’un acte de procédure énoncé dans l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242.

[7] Je suis d’accord avec les défendeurs. M. Mahoney n’a pas présenté à la Cour un avis de demande modifié en bonne et due forme. Il peut présenter une requête conformément à l’article 75 s’il souhaite modifier l’avis de demande qu’il a déjà déposé.

III. Analyse

A. Le droit applicable

[8] En vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de convertir une demande de contrôle judiciaire pour qu’elle soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

[9] Une requête visant à faire convertir une demande de contrôle judiciaire en action doit être justifiée par la partie qui demande la conversion (Association des Crabiers Acadiens Inc. c Canada (Procureur général), 2009 CAF 357 au para 35 [Crabiers Acadiens]). La Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’accepter une demande de conversion en fonction des faits et des circonstances propres à une affaire en particulier et si elle estime qu’il est indiqué de le faire. La jurisprudence a recensé une série de facteurs pour aider la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard. Les facteurs recensés doivent être évalués à la lumière de toutes les circonstances (Crabiers Acadiens au para 37) et sont résumés au paragraphe 39 de l’arrêt Crabiers Acadiens :

Ainsi une conversion sera possible a) lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on cherche à obtenir un jugement déclaratoire (Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.F.), b) lorsque les faits permettant à la Cour de prendre une décision ne peuvent être établis d’une manière satisfaisante par simple affidavit (Macinnis c. Canada, [1994] 2 C.F. 464 (C.A.F.)), c) lorsqu’il y a lieu de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles (Drapeau v. Canada (Minister of National Defence), [1995] A.C.F. no. 536 (C.A.F.)) et d) lorsqu’il est nécessaire de remédier aux lacunes qu’une demande de contrôle judiciaire présente en matière de réparation, tel l’octroi de dommages‑intérêts (Hinton c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 476).

[10] Une demande de conversion est une exception à la règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit que la Cour doit statuer sur les demandes à bref délai et selon une procédure sommaire. La Cour ne devrait accueillir une requête en conversion que dans des « circonstances exceptionnelles »; les situations dans lesquelles la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire et acceptera une demande de conversion sont « très rares » (Canada (Procureur général) c Slansky, 2013 CAF 199 au para 56; Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 104).

B. Les circonstances ne justifient pas la conversion

[11] Dans ses observations, M. Mahoney s’appuie sur des considérations liées à l’accès à la justice, sur la nécessité d’éviter des frais et des retards inutiles, et sur les lacunes du processus de contrôle judiciaire en matière de réparation. Plus précisément, il soutient qu’il conteste la décision de la Section d’appel en raison, principalement, des actes et de la conduite du Service correctionnel du Canada [le SCC]. La conversion, selon lui, permettrait d’éviter la duplication des frais qu’entraînerait une procédure distincte contre le SCC — procédure dans laquelle la même preuve qu’en l’espèce serait utilisée. Elle permettrait également d’éviter que des conclusions incohérentes soient tirées. M. Mahoney soutient en outre que la conversion lui permettrait de se soustraire aux conséquences de l’ordonnance de la Cour rendue par le juge Sébastien Grammond, qui l’a déclaré plaideur quérulent, notamment à l’obligation de ne pas engager de procédures devant la Cour fédérale sans l’autorisation de celle‑ci.

[12] Il n’y a guère d’éléments de preuve à l’appui des arguments avancés par M. Mahoney. Je me suis fondé sur l’avis de demande pour analyser les arguments avancés.

[13] La réparation que M. Mahoney cherche à obtenir dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel comprend l’annulation de la décision et son renvoi à la Section d’appel pour nouvelle décision, accompagnée de directives précises pour empêcher la Section d’appel de s’appuyer sur certains éléments de preuve pour rendre la nouvelle décision. Il demande également une déclaration selon laquelle il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par les articles 7, 9, 11 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11. M. Mahoney n’a pas démontré que la réparation qu’il sollicite dans sa demande contre la Section d’appel dépasse la portée des pouvoirs dont dispose la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Loi sur les Cours fédérales, art 18.1(3)).

[14] Les motifs détaillés figurant dans l’avis de demande de M. Mahoney comprennent de nombreuses allégations contre le SCC et ses employés. Cependant, aucune réparation n’est demandée contre le SCC. Par ailleurs, aucune réparation ne peut être accordée pour la simple raison que le SCC n’est pas le décideur. La Section d’appel n’est pas responsable des torts qui auraient été causés par le SCC selon M. Mahoney. Plus important encore, il n’est pas évident que les torts allégués liés à la conduite du SCC soient pertinents de quelque façon que ce soit, sauf peut‑être de façon accessoire lors du contrôle d’une décision contestée. La simple affirmation de M. Mahoney selon laquelle toute cause d’action contre le SCC est liée aux motifs de la demande de contrôle judiciaire ne suffit pas à démontrer qu’il s’agit de circonstances justifiant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire.

[15] Il est possible qu’il y ait un chevauchement de la preuve présentée dans la demande de contrôle judiciaire et de celle présentée dans toute action engagée contre le SCC, mais rien n’indique que ce chevauchement justifie que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et convertisse la demande de contrôle judiciaire. La question du possible chevauchement de la preuve, la possibilité que des questions communes soient soulevées et la supposition selon laquelle des conclusions incohérentes pourraient en résulter ne constituent pas des circonstances exceptionnelles ou rares justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[16] M. Mahoney peut intenter une action distincte contre le SCC. Le simple fait que cela puisse s’avérer difficile ou peu pratique en raison de l’ordonnance le déclarant plaideur quérulent ne saurait justifier l’exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 18.4(2).

IV. Conclusion

[17] La requête est rejetée, tout comme la demande de dépôt de l’avis de demande modifié de M. Mahoney.

[18] Les défendeurs demandent à la Cour de formuler des directives concernant les étapes restantes de la présente demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas prêt à donner des directives sans avoir d’abord obtenu les commentaires des parties. Les parties peuvent convenir d’un projet de calendrier et le soumettre à la Cour pour examen. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre ou qu’il est peu pratique qu’elles s’entendent, elles doivent déposer leur propre projet de calendrier.

[19] Bien que les défendeurs aient eu gain de cause dans la présente requête, ils n’ont pas demandé de dépens, et aucuns ne seront adjugés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1078‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée.

  2. La demande présentée par le demandeur pour que soit déposé l’avis de demande modifié est rejetée.

  3. Les parties peuvent convenir d’un projet de calendrier pour les étapes restantes de la présente demande de contrôle judiciaire et le déposer dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

  4. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le projet de calendrier ou qu’il est peu pratique qu’elles s’entendent compte tenu des circonstances, elles déposeront chacune un projet de calendrier pour les étapes restantes de la présente demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1078-20

INTITULÉ :

CLINTON MAHONEY c SA MAJESTÉ LA REINE ET LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA (SECTION D’APPEL) ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Le juge GLEESON

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mai 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Clinton Mahoney

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Andrew Cosgrave

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour les défendeurs

 

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