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Date : 20210520


Dossier : IMM-7685-19

Référence : 2021 CF 468

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

OLAYINKA RASHEEDAT ADERIBIGBE

HUSSEIN DAMLARE ADERIBIGBE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience tenue par téléconférence à Ottawa (Ontario) le 30 avril 2021)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], le 19 novembre 2020 [la décision], qui a confirmé le rejet par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la demande d’asile des demandeurs, une mère [la demanderesse principale] et son fils adulte [le codemandeur], qui sont citoyens du Nigéria. Le commissaire de la SAR a rejeté leur appel, considérant qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable soit à Abuja ou à Port Harcourt, au Nigéria.

[2] Dans sa décision, la SPR a accordé le statut de réfugié au Canada à la fille cadette de la demanderesse principale, âgée de 17 ans [la fille], estimant que celle‑ci n’avait pas de possibilité de refuge intérieur au Nigéria. L’époux de la demanderesse principale [l’époux] s’est remarié et il habite au Nigéria. Il ne rejoindra pas la demanderesse principale là où elle disposera d’une PRI.

[3] Avant de quitter le Nigéria, les demandeurs ont vécu à Lagos. La demanderesse principale était travailleuse autonome. Elle exploitait un étal de distribution de boissons dans un marché.

[4] La demanderesse principale dit craindre pour sa sécurité aux mains du père et des frères de son époux parce qu’elle refuse que sa fille subisse une mutilation génitale féminine [MGF].

[5] Le codemandeur craint d’être persécuté par des membres de la confrérie de la hache noire, qui l’ont attaqué en août 2017 et qui, un mois plus tard, ont assassiné un de ses amis.

I. La décision de la SAR

[6] Le commissaire de la SAR a conclu que la question déterminante concernait l’existence d’une PRI, et que par conséquent, il n’était pas nécessaire d’aborder les questions de crédibilité et de protection de l’État, qui avaient déjà fait l’objet d’une décision par la SPR.

[7] Le commissaire de la SAR a appliqué le critère à deux volets de la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), que voici :

[TRADUCTION]

1. La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.

2. En outre, la situation dans la partie du pays désignée comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles propres à la demande d’asile, de s’y réfugier.

II. Le premier volet du critère

[8] Le commissaire de la SAR a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que les agents du préjudice avaient la motivation et les moyens de retrouver les demandeurs dans les PRI proposées.

[9] En ce qui concerne la demanderesse principale, le commissaire de la SAR a fait remarquer que l’époux, qui s’opposait également à la MGF sur sa fille, a continué de vivre à Lagos sans devoir s’armer. Il a simplement dû composer avec la rancune de sa famille. Le commissaire de la SAR a jugé cela conforme à la preuve documentaire, qui indique que la réaction courante des familles lorsque deux parents s'opposent à la MGF est l’exclusion sociale plutôt que la violence.

[10] Le commissaire de la SAR a par ailleurs jugé purement hypothétique la croyance de la demanderesse principale selon laquelle ses beaux‑parents la retrouveraient, et le profil de la belle-famille (un imam, des travailleurs en sous‑traitance et des employés de banque) donne à penser qu’ils n’auraient ni les fonds ni les contacts nécessaires pour la retrouver.

[11] En ce qui a trait au codemandeur, le commissaire de la SAR a conclu que la confrérie de la hache noire n’avait ni la motivation ni les moyens de le retrouver. Le codemandeur n’a eu qu’une seule expérience négative avec les membres du groupe, qui l’avaient ciblé de manière fortuite dans la rue à Lagos. Par la suite, il est demeuré à Lagos pendant un an sans autre incident.

[12] De plus, la preuve documentaire indique clairement qu’une manière viable d’échapper à l’attention de la confrérie est de fréquenter une université située dans l’une des villes offrant une PRI.

III. Le deuxième volet du critère

[13] La SAR a conclu qu’il était possible pour le codemandeur de poursuivre ses études postsecondaires dans les deux villes proposées comme PRI en étant soutenu par sa mère. Le commissaire de la SAR a conclu que les PRI proposées étaient raisonnables au vu de la réussite en affaires depuis dix ans de la demanderesse principale, en tant que travailleuse autonome en distribution de boissons à Lagos. Selon lui, elle pouvait subvenir à ses besoins et à ceux de son fils et donc, lui payer un logement malgré son coût élevé. Enfin, le commissaire a jugé que la preuve documentaire ne faisait pas expressément état de discrimination fondée sur la religion. Cela signifie donc que les PRI proposées étaient raisonnables même si les demandeurs étaient membres de la minorité musulmane.

IV. Les questions en litige

  1. Était‑il déraisonnable que le commissaire de la SAR conclue que les demandeurs bénéficiaient de PRI alors que la SPR avait conclu qu’il n’en existait aucune pour la fille?
  2. Était‑il déraisonnable que le commissaire de la SAR conclue que la famille de l’époux n’avait ni les moyens ni la motivation de retrouver les demandeurs alors que la SPR avait conclu qu’elle avait les moyens et la motivation de retrouver la fille?
  3. Était‑il déraisonnable que le commissaire de la SAR conclue que la demanderesse ne serait pas la cible d’une attaque ou de violence de la part de la famille de l’époux parce que ce dernier n’en avait subi aucune?
  4. Était‑il déraisonnable que le commissaire de la SAR écarte la preuve du codemandeur selon laquelle il se cachait à Lagos pendant l’année où il n’a pas été attaqué par les membres de la confrérie?
  5. Était‑il déraisonnable que le membre de la SAR écarte la preuve selon laquelle la confrérie de la hache noire menait des activités sur les campus universitaires dans les villes constituant une PRI?
  6. Était‑il déraisonnable que la SAR conclue que la demanderesse principale pouvait subvenir à ses besoins et à ceux de son fils?
  7. Était‑il déraisonnable que la SAR conclue que la demanderesse pouvait se prévaloir de services en santé mentale dans les endroits constituant une PRI?

V. Analyse et conclusions

A. Questions 1 et 2

[14] La SPR n’a présenté aucune analyse du risque lorsqu’elle a conclu que la fille ne bénéficiait pas d’une PRI au Nigéria, se contentant d’affirmer qu’elle ne pouvait pas se réinstaller seule. De plus, il est clair que, lorsque la SPR a conclu que la famille du père constituait un risque pour la fille si cette dernière retournait au Nigéria, c’était dans le contexte d’un retour à Lagos. Il n’était pas question de risque pour elle ailleurs.

[15] De plus, aucune analyse n’appuyait les énoncés de la SPR à l’égard d’une éventuelle PRI et du risque pour la fille. La SAR a donc agi raisonnablement en écartant la conclusion de la SPR et en examinant séparément les PRI des demandeurs. Cela est vrai tout particulièrement du fait que la fille, qui est maintenant en sécurité au Canada, et qui était la cible de la famille de l’époux, ne serait pas avec les demandeurs dans les villes proposées comme PRI. Par conséquent, la question de la MGF ne constituait plus un motif pour la famille de l’époux de retrouver la demanderesse principale, et rien dans la preuve documentaire ne portait à croire qu’elle serait la cible de représailles pour son opposition à la MGF.

B. Question 3

[16] Le fait que la preuve montrait que les familles favorables à la MGF ostracisaient les parents qui s’y opposaient a été corroboré par la manière dont l’époux a été traité par sa famille. Il était raisonnable que le commissaire de la SAR en fasse mention, d’autant plus que toute perspective de MGF était écartée, comme il est énoncé ci-dessus. En outre, la preuve documentaire ne fait pas état d’un traitement différent pour les époux qui ne sont pas parents par le sang.

C. Question 4

[17] Aucune preuve ne montre que le codemandeur se cachait avant qu’il quitte Lagos. Toutefois, il a affirmé dans son témoignage qu’il est resté discret et qu’il n’est pas allé à l’école ni au travail. Il était déraisonnable que la SAR ne tienne pas compte de ce fait lorsqu’elle a jugé que le codemandeur n’avait pas subi d’autres attaques par la confrérie. J’estime toutefois que cette erreur n’est pas déterminante. La conclusion relative au risque auquel est exposé le fils était fondée sur la preuve documentaire selon laquelle le risque d’attention non sollicitée de la part de confréries pouvait être évité en changeant d’université.

D. Question 5

[18] Le codemandeur a témoigné devant la SPR que la confrérie de la hache noire menait des activités dans les universités de Port Harcourt et d’Abuja. Toutefois, le commissaire de la SAR a raisonnablement conclu que ce fait ne suffisait pas à créer un risque que le codemandeur soit identifié et ciblé dans ces universités parce qu’il avait refusé de joindre la confrérie à Lagos. La preuve documentaire indique clairement que la manière d’échapper à une attention non sollicitée de la part de confréries est de changer d’université. Rien ne donnait à penser que les confréries communiquaient entre elles à différents emplacements pour parler d’étudiants ayant refusé de joindre leurs rangs.

E. Question 6

[19] À mon avis, il était raisonnable que la SAR conclue, au vu de la preuve, que la demanderesse pouvait subvenir à ses besoins et à ceux de son fils compte tenu de son expérience en tant que travailleuse autonome en distribution de boissons. Sur sa demande de visa aux États‑Unis, la demanderesse principale a inscrit qu’elle gagnait 400 000 naira par mois en tant que travailleuse autonome. La demanderesse principale n’a pas contesté ce revenu mensuel devant la SPR ou la SAR, et elle n’a pas fourni d’élément de preuve liant ce revenu au coût de la vie dans les villes proposées comme PRI.

[20] Je dois préciser ici que, dans l’affidavit qu’elle a déposé devant la SAR, où elle présente de nouveaux éléments de preuve, la demanderesse principale a déclaré qu’elle n’avait pas l’intention de redémarrer son entreprise dans l’une des villes proposées comme PRI. Toutefois, cette déclaration n’a pas été présentée au titre de nouvel élément de preuve conformément aux règles de la SAR, et la SAR a mentionné dans sa décision qu’elle ne l’avait pas retenue.

F. Question 7

[21] Les rapports médicaux indiquent que la demanderesse principale a souffert d’un TSPT, d’anxiété et de dépression. Des séances de counseling hebdomadaires ont été recommandées. Toutefois, aucune médication n’a été prescrite en lien avec ces états. La demanderesse principale a assisté à des séances de counseling mensuelles plutôt qu’hebdomadaires. Selon elle, aucun service en santé mentale n’était offert dans les endroits proposés comme PRI. Au vu de la preuve documentaire, toutefois, son opinion subjective est fausse. Elle a également dit à la SPR qu’elle craignait de ne pas pouvoir payer ces services, mais la SAR n’en a pas fait mention. Selon moi, cela s’explique par la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse principale aurait les moyens de couvrir ces dépenses grâce à son travail autonome.

VI. Conclusion

[22] Il incombe au demandeur de démontrer que l’endroit proposé comme PRI est déraisonnable. En l’absence totale de preuve quant aux fonds dont la demanderesse a besoin pour démarrer son entreprise, au pouvoir d’achat que représentent ses revenus potentiels, et au coût des séances de counseling en santé mentale, j’estime que la conclusion selon laquelle les villes proposées comme PRI sont raisonnables était elle‑même raisonnable.

[23] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7685-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7685-19

 

INTITULÉ :

OLAYINKA RASHEEDAT ADERIBIGBE, HUSSEIN DAMLARE ADERIBIGBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par téléconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

le 20 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Letebrhan Nugusse

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Zofia Rogowska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

King Nugusse Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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