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Dossiers : T‑664‑20

T‑863‑20

Référence : 2021 CF 462

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario) le 20 mai 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION CARRY THE KETTLE, MORRIS PASAP,

SHAWN SPENCER, SCOTT EASHAPPIE,

BRADY O’WATCH, CONRAD MEDICINE ROPE ET

ORLEEN DAWN SAULTEAUX

demandeurs

et

JAMES KENNEDY, RAQUEL PASAP, AL HUBBS,

MATTHEW SPENCER, JACQUELINE MAXIE,

DENITA DEEGAN, NELLIE IRON QUILL,

TANIS COTE‑LARTEY, KURT ADAMS,

CONSTANCE GRAY‑BELLEGARDE ET

MILDRED HOTOMANI

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature des affaires

[1] La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire présentées au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Les deux demandes sont présentées par les demandeurs, la Première Nation Carry the Kettle [la PNCTK], Morris Pasap, Shawn Spencer, Scott Easappie, Brady O’Watch, Conrad Medicine Rope, et Orleen Dawn Saulteaux [les demandeurs]. Les demandeurs demandent une révision des ordonnances [les ordonnances] du Tribunal de Cega‑Kin Nakoda Oyate [le Tribunal] datées du 10 décembre 2018, du 11 janvier 2019, du 13 février 2019, du 20 mars 2019, du 22 avril 2020, du 27 avril 2020, du 1er mai 2020 et du 5 mai 2020.

[2] Les demandeurs demandent une ordonnance annulant, infirmant ou déclarant invalides ou illicites les ordonnances. Ils soutiennent que les ordonnances sont invalides, car elles n’ont pas été approuvées par une majorité du Tribunal conformément à l’alinéa 12(7)i) de la Loi électorale coutumière de la bande Cega‑Kin Nakoda Oyate [la Loi électorale].

[3] Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.

II. Contexte

[4] L’article 74 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985) c I‑5 [la Loi sur les Indiens] prévoit la tenue d’élections par une bande. Depuis 2015, les Premières Nations peuvent se soustraire à la Loi sur les Indiens et suivre un modèle électoral défini dans la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN] et dans le Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015‑86. La PNCTK n’a pas adopté de procédure en vertu de la Loi sur les élections au sein de premières nations, mais a plutôt choisi d’adopter son propre code électoral communautaire, la Loi électorale, qui est entrée en vigueur le 29 janvier 2018, par arrêté ministériel.

[5] La Loi électorale prévoit que le chef et les conseillers doivent nommer cinq personnes au Tribunal pour accueillir, entendre et trancher les appels.

[6] À la suite de l’élection du 7 avril 2018, deux membres de la PNCTK, Constance Gray‑Bellegarde et Mildred Hotomani [les parties appelantes] ont interjeté appel des résultats. Le Tribunal a entendu les appels des parties appelantes et il semble que trois membres du Tribunal aient rejeté leur appel dans une décision datée du 15  juin 2018.

[7] Les parties appelantes ont interjeté appel de la décision du Tribunal auprès de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan [la CBRS] et, le 23 novembre 2018, la CBRS a renvoyé l’affaire au Tribunal pour un nouvel examen (Gray‑Bellegarde v Kennedy, 2018 SKQB 324 [Gray‑Bellegarde 2018]). Les demandeurs dans cette affaire ont demandé l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel de la Saskatchewan (CASK), mais cette dernière a finalement refusé cette autorisation le 10 janvier 2019. Les défendeurs soutiennent que les ordonnances rendues dans la décision Gray‑Bellegarde 2018 demeurent en vigueur et exécutoires.

[8] Lorsque les appels des parties appelantes ont été renvoyés au Tribunal, un désaccord est survenu entre les membres du Tribunal concernant la sélection d’un conseiller juridique pour aider le Tribunal à examiner les appels des parties appelantes. Les parties n’ont pas la même version des faits quant à savoir si le conseiller juridique, Nathan Phillips [M. Phillips], a été, en fait, retenu par le Tribunal. Ce différend est au cœur du présent contrôle judiciaire. D’un côté du différend se trouvent le président, James Kennedy [le président] et Tanis Cote‑Lartey [Mme Cote‑Lartey], que j’appelle conjointement les membres de la minorité du Tribunal [les membres minoritaires du Tribunal]. De l’autre côté se trouvent Al Hubbs [M. Hubbs], Matthew Spencer [M. Spencer] et Raquel Pasap [Mme Pasap], les membres de la majorité du Tribunal [les membres de la majorité du Tribunal]. Les membres de la majorité du Tribunal sont les membres du Tribunal qui ont rejeté l’appel des parties appelantes le 15 juin 2018.

[9] Le différend entre les membres de la majorité et les membres minoritaires du Tribunal peut se résumer à un désaccord sur le choix du conseiller juridique chargé d’assister le tribunal et, partant, à l’omission des membres de la majorité du Tribunal d’assister aux réunions convoquées par M. Phillips. Les demandeurs et les défendeurs ne sont pas d’accord sur la question de savoir si M. Phillips a été retenu et quand il l’a été. Les défendeurs affirment également que les membres de la majorité du Tribunal sont étroitement associés au chef et aux conseillers actuels, qui sont les demandeurs dans l’instance en l’espèce.

[10] Les membres minoritaires du Tribunal, par l’intermédiaire de M. Phillips, ont délivré des avis de la tenue des réunions résultant en l’adoption par les membres minoritaires du Tribunal des ordonnances du 10 décembre 2018, du 11 janvier 2019, du 13 février 2019 et du 20 mars 2019. La portée de ces ordonnances couvre, en résumé, la coordination de l’appel des parties appelantes, le maintien en fonction de M. Phillips, l’approbation des paiements à M. Phillips, la disqualification de l’avocat des demandeurs de toute représentation devant le Tribunal et la convocation d’une réunion conjointe du Tribunal et de certains des aînés. Ces ordonnances font l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑863‑20.

[11] En raison de l’ordonnance du 20 mars 2019, une autre réunion s’est tenue le 30 mars 2019 entre les membres minoritaires du Tribunal et certains aînés de la PNCTK, réunion qui a finalement abouti à la décision du 9 avril 2019 par laquelle certains aînés auraient destitué les membres majoritaires du Tribunal et nommé trois remplaçants. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin, mais il suffit de dire que les décisions du 30 mars 2019 et du 9 avril 2019 ne sont pas visées par les demandes de contrôle judiciaire en l’espèce.

[12] En 2019, la PNCTK a déposé devant la CBRS une demande de contrôle judiciaire des ordonnances et de la résolution du 11 janvier 2019, du 13 février 2019, du 20 mars 2019 et du 30 mars 2019. Le 24 septembre 2019, la CBRS a annulé les ordonnances et la résolution (Carry the Kettle First Nation v Gray‑Bellegarde, 2019 SKQB 248). Les membres minoritaires du Tribunal ont interjeté appel du jugement et la CASK a accueilli l’appel, jugeant que la Cour fédérale avait compétence exclusive à l’égard de l’affaire (Kennedy v Carry the Kettle First Nation, 2020 SKCA 32 [Kennedy]).

[13] À la suite de la décision rendue dans l’affaire Kennedy, les membres minoritaires du tribunal, après la prétendue destitution des membres majoritaires du Tribunal et avec les trois nouveaux prétendus membres du Tribunal, ont rendu des ordonnances résumées comme suit :

[traduction]

(1) Le 22 avril 2020, le tribunal a reçu la plainte électorale des parties appelantes et la prochaine réunion du Tribunal se tiendra par conférence téléphonique le 27 avril 2020;

(2) Le 27 avril 2020, une audience de la plainte électorale des parties appelantes est justifiée et la prochaine réunion du tribunal se tiendra par conférence téléphonique le 29 avril 2020;

(3) Le 1er mai 2020, l’audition de la plainte électorale se tiendra en personne après le 19 mai 2020, une fois que les restrictions sur les rassemblements publics seront levées. Le Tribunal a retenu les services de Phillips & Co. pour représenter le Tribunal devant la Cour fédérale et accepte le dossier de requête fourni par les avocats des demandeurs par courriel le 30 avril 2020. Le Tribunal a demandé à Phillips & Co. de préparer un dossier de requête en réponse. M. Kennedy informera les aînés du dossier de la requête, et la prochaine réunion du Tribunal aura lieu par conférence téléphonique le 5 mai 2020;

(4) Le 5 mai 2020, une date de l’audition pour la plainte électorale est fixée au 19 mai 2020, date à laquelle il est prévu que les restrictions en place concernant la COVID‑19 soient supprimées par les agences gouvernementales locales.

[14] Les ordonnances des 22 avril 2020, 27 avril 2020, 1er mai 2020 et 5 mai 2020 font l’objet du dossier T‑664‑20. En octobre 2020, la Cour a ordonné que les deux dossiers soient regroupés et que les futurs documents soient traités sous le dossier T‑664‑20. Le 9 novembre 2020, la Cour a autorisé que les quatre ordonnances dans le dossier T‑664‑20 soient entendues dans le cadre du même contrôle judiciaire.

III. Les questions à trancher et la norme de contrôle applicable

[15] Les demandeurs affirment que le Tribunal n’avait pas compétence pour rendre les ordonnances, parce que seuls deux des cinq membres du Tribunal auraient rendu les ordonnances. Les demandeurs soulèvent quatre questions. Les défendeurs soulèvent dix questions.

[16] Après avoir examiné les observations écrites et entendu les observations orales, la seule question à trancher est la suivante :

A. La norme de contrôle

[17] Les demandeurs soutiennent que cette question est une question de pure compétence. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a conclu que les questions de compétence ne constituent plus une catégorie distincte et qu’elles ne requièrent pas l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov au para 65). De plus, la Cour suprême a conclu que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer, à moins qu’il n’existe certaines exceptions justifiant de s’écarter de cette norme (Vavilov aux para 16, 53 à 64). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[18] Au paragraphe 68 de l’arrêt Vavilov, la Cour a traité du contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans les affaires concernant les décideurs administratifs qui interprètent leurs lois habilitantes :

[68] La norme de la décision raisonnable ne les autorise donc pas à élargir la portée de leurs pouvoirs au‑delà de ce que souhaitait le législateur. Elle vient plutôt confirmer que le régime législatif applicable servira toujours à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs. Même dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir — en les limitant peut‑être à une seule. À l’inverse, lorsque le législateur confère au décideur de vastes pouvoirs au moyen d’un texte législatif rédigé en termes généraux, et ne prévoit aucun droit d’appel devant une cour de justice, il y a lieu de donner effet à son intention d’accorder une plus grande latitude au décideur sur l’interprétation de sa loi habilitante (Vavilov, au paragraphe 68).

B. Les questions préliminaires

[19] Les questions préliminaires à trancher sont les suivantes :

(1) Les affidavits des aînés doivent‑ils être radiés ou écartés en tout ou en partie?

[20] Les demandeurs contestent six affidavits déposés par les défendeurs, en particulier ceux souscrits par certains aînés, à savoir Elsie Jack, James Kennedy, Kathy Leader, Agnes Thomson, Denita Deegan et Howard Thomson [les aînés des défendeurs]. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont produit des témoignages de deux aînés en réponse, à savoir Clint Haywahe et Bernice Saulteaux [les aînés des demandeurs]. Les défendeurs ont ensuite déposé l’affidavit en réponse d’Howard Thompson. Le juge responsable de la gestion de l’instance a laissé le soin au juge de première instance de se prononcer sur la pertinence et l’admissibilité des affidavits en question.

[21] Les demandeurs ont fourni de nombreux exemples des problèmes qu’ils relèvent dans les affidavits des aînés des défendeurs. Premièrement, les affidavits mettent l’accent sur la question de savoir si les aînés qui ont adopté les résolutions du 30 mars 2019 et du 9 avril 2020 avaient la compétence de faire une telle chose. Les demandeurs soutiennent que cela n’est pas pertinent, car ils cherchaient uniquement à faire annuler les ordonnances du Tribunal qui avaient été rendues sans la majorité requise des membres du Tribunal. Deuxièmement, ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit. Enfin, les demandeurs déclarent que l’affidavit d’Howard Thomson ne constitue pas une contre‑preuve appropriée.

[22] Les défendeurs soutiennent que les demandeurs ont présenté des éléments de preuve et des arguments contestant les décisions des aînés et que les défendeurs étaient tenus de répondre à ces preuves et à ces arguments par ces affidavits. En bref, les demandeurs contestent essentiellement les décisions des aînés et, par conséquent, les demandeurs auraient dû désigner les aînés à titre de défendeurs.

[23] Les demandeurs affirment que les défendeurs ne peuvent pas maintenant invoquer des questions de procédure : ils auraient dû présenter une demande fondée sur l’article 58 des Règles des Cours fédérales, mais ils ne l’ont pas fait.

[24] Les défendeurs ont fait valoir que, si la Cour est d’avis que le témoignage des aînés dépasse le cadre de la présente instance et que les affidavits devraient être radiés à l’encontre des deux parties, ils acceptent la même décision.

[25] J’ai conclu que ni les affidavits des aînés des demandeurs ni ceux des aînés des défendeurs ne sont pertinents pour l’examen des questions susmentionnées. Je ne laisse pas entendre que les témoignages des aînés ne sont pas pertinents; je conclus que la Cour n’a pas besoin de la preuve qui était contenue dans ces affidavits et qui portait sur les coutumes et sur la question de savoir si la Loi électorale codifiait toutes les coutumes pour statuer sur la question en litige. Je ne serai guidé que par les preuves relatives à la compétence du Tribunal et à la question de savoir si les membres minoritaires du Tribunal avaient le pouvoir de rendre les ordonnances.

[26] En raison d’une erreur typographique ou d’un oubli, les demandeurs avaient inclus deux dates d’ordonnances ou de décisions contestées qui ne figuraient pas dans leurs avis de demande, à savoir le 30 mars 2019 et le 9 avril 2019. Il s’agit d’une erreur reconnue et le Tribunal précise que les demandeurs ne contestent pas les décisions prises à ces dates. Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la Cour sur la question de la compétence annuleront essentiellement ce qui s’est passé à ces deux dates.

(2) Le caractère théorique

[27] Les défendeurs soutiennent que, depuis que les membres minoritaires du Tribunal ont été remplacés par trois nouveaux membres, le Tribunal fonctionne. Par conséquent, la question dont la Cour est saisie est désormais théorique. Je ne suis pas de cet avis. La question de l’absence de majorité dans les ordonnances contestées est pertinente pour trancher la question de savoir si les membres minoritaires du Tribunal avaient compétence pour rendre l’une ou l’autre des ordonnances qui ont finalement conduit à la révocation et au remplacement des membres majoritaires du Tribunal.

IV. Les positions des parties

A. La position des demandeurs

(1) L’invocation de la coutume pour étendre la compétence

[28] Les demandeurs déclarent que l’article 3 de la Loi électorale fait référence aux lois et coutumes traditionnelles des Cega‑Kin Nakoda Oyate, mais que rien n’indique qu’il existait d’autres lois et coutumes traditionnelles relatives aux élections non codifiées dans la Loi électorale.

[29] Les demandeurs citent également la décision Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2017 CF 364 aux para 31 à 34 et 41 à 42, selon laquelle la majorité des membres de la bande doivent reconnaître et accepter la coutume, mais aussi savoir ce qu’elle a accepté.

(2) La nécessité d’une majorité pour que le Tribunal soit compétent

[30] Les demandeurs affirment que tout refus des membres majoritaires du Tribunal d’assister aux réunions à partir de novembre 2018 était dû au prétendu maintien en fonction de M. Phillips en dépit des objections et que les membres minoritaires du Tribunal ont fait fi de leurs demandes répétées de tenir une réunion du Tribunal en l’absence de M. Phillips.

[31] Les demandeurs soutiennent que les membres minoritaires du Tribunal n’avaient pas la compétence de rendre des décisions, provisoires ou autres, au nom du Tribunal. Par conséquent, les ordonnances ne sont pas des décisions du Tribunal.

[32] En outre, les demandeurs affirment que la [traduction] « règle des trois réunions » prévue à l’alinéa 14(1)vi) de la Loi électorale ne s’applique qu’au chef et au conseil.

B. La position des défendeurs

(1) L’invocation de la coutume pour étendre la compétence

[33] Les défendeurs soutiennent que les seuls motifs valables invoqués par les demandeurs à l’appui des demandes de contrôle judiciaire concernent les questions relatives au pouvoir décisionnel de la majorité par rapport à celui de la minorité et la compétence du Tribunal.

[34] Les défendeurs soutiennent que, même en présence d’une interprétation raisonnable concurrente de la Loi électorale, la Cour devrait s’abstenir d’intervenir dans des décisions où un tribunal et des aînés, forts de leur expertise, ont résolu une incertitude législative en adoptant une interprétation que le libellé de la loi peut raisonnablement appuyer. Cette déférence était particulièrement importante en cas de circonstances imprévues ou atténuantes, citant l’arrêt Lavallee c Ferguson, 2016 CAF 11 aux para 20 à 30.

[35] Les défendeurs déclarent qu’il incombe aux demandeurs d’établir pourquoi la coutume ne s’applique pas ou n’est pas pertinente en l’espèce.

(2) La nécessité d’une majorité pour que le Tribunal soit compétent

[36] Les défendeurs affirment que les membres majoritaires du Tribunal ont omis d’assister à deux réunions consécutives les 28 novembre et 6 décembre 2018. Ainsi, le président a délivré, de bonne foi, un avis de convocation le 6 décembre 2018. Cet avis obligeait tous les membres du Tribunal à être présents le 10 décembre 2018. L’option de participer par conférence téléphonique a également été proposée aux membres qui refusaient d’assister à cette réunion, mais cette proposition fut refusée. Les membres majoritaires du Tribunal ont finalement manqué les réunions du Tribunal du 10 décembre, 11 janvier, 13 février, 20 mars et 30 mars 2019.

[37] Les défendeurs soulignent que le Tribunal avait l’obligation de rendre les décisions, selon l’ordonnance rendue dans la décision Gray‑Bellegarde 2018. Les défendeurs affirment également que les membres de la majorité du Tribunal n’ont pas tenu compte de la réalité à laquelle sont confrontés les décideurs autochtones nécessaires à une autonomie gouvernementale efficace. De plus, ils soutiennent que la Loi électorale a donné aux membres minoritaires du Tribunal le pouvoir d’aller de l’avant sans la pleine participation de tous les membres du Tribunal.

[38] Les défendeurs ont en outre fait valoir que ce contrôle judiciaire est prématuré et que l’intervention judiciaire dans une procédure administrative en cours n’est « justifiée que dans les circonstances les plus exceptionnelles », citant Saskatoon (City) c Wal‑Mart Canada Corp. 2019 SKCA 3, aux para 72 à 82, 90.

[39] Les défendeurs soutiennent également que les demandeurs n’ont pas demandé le contrôle judiciaire des résolutions des aînés du 30 mars 2019 et du 9 avril 2019 et que les demandeurs tentent de contester indirectement ces décisions.

V. Analyse

[40] Les deux parties ont présenté des observations détaillées et ont cité de nombreuses décisions axées sur la façon dont la Cour traite la coutume. Comme j’ai conclu que le présent contrôle judiciaire ne vise pas les résolutions des aînés du 30 mars 2019 et du 9 avril 2019, et comme je ne me suis pas fondé sur les affidavits des aînés des demandeurs ni sur ceux des aînés des défendeurs, il n’est pas nécessaire d’approfondir la question de la coutume ou celle de savoir si la Loi électorale est une articulation complète de la coutume de la PNCTK. L’affaire porte sur l’application et l’interprétation de dispositions du Code électoral que la PNCTK a récemment adopté.

[41] Relativement au point précédent, les deux parties ont également combiné ou lié la question de la compétence du Tribunal à celle de la compétence des aînés; toutefois, la Cour examinera uniquement la compétence du Tribunal et le pouvoir décisionnel de ce dernier. Cela est conforme aux avis de demande ainsi qu’aux observations des défendeurs.

(1) Les membres minoritaires du Tribunal ont‑ils agi sans compétence en rendant les ordonnances?

[42] Indépendamment des raisons pour lesquelles les membres majoritaires du Tribunal n’ont pas assisté aux réunions convoquées par le président, les demandeurs soutiennent que le Tribunal a pris les ordonnances en l’absence de la majorité des membres nommés du Tribunal et qu’il n’avait donc pas compétence.

[43] De plus, les demandeurs soutiennent que l’argument des défendeurs selon lequel le Tribunal peut remplacer les membres majoritaires du Tribunal après que ceux‑ci eurent manqué trois réunions est sans fondement. Ils déclarent que cette règle ne s’applique qu’au chef et au conseil conformément à l’alinéa 14(1)(vi) de la Loi électorale. Les demandeurs soutiennent que si l’article 3 de la Loi électorale prévoit le recours aux lois et coutumes traditionnelles des Cega‑Kin Nakoda Oyate pour interpréter les dispositions de la Loi électorale, cela n’étend pas la compétence du Tribunal de façon à y inclure la destitution et le remplacement des membres du Tribunal.

[44] Les défendeurs affirment que peu importe la raison pour laquelle les membres majoritaires du Tribunal ont manqué des réunions, les membres minoritaires du Tribunal étaient dans l’obligation de rendre les décisions, conformément à l’ordonnance rendue dans l’affaire Gray‑Bellegarde 2018. De plus, ils déclarent qu’une considération importante dans l’évaluation de la question de la compétence est le pouvoir du président, plus précisément, le pouvoir du président de convoquer des réunions en vertu des alinéas 12(7)e) et g) et 12(2)a)b)c)d) de la Loi électorale. De plus, le président a des pouvoirs étendus au‑delà de ceux conférés aux membres du Tribunal pour ce qui est de rendre une décision concernant un appel électoral fondé sur l’alinéa 12(2)c). Enfin, l’alinéa 12(7)i) de la Loi électorale ne prévoit pas de quorum et n’exige pas que les cinq membres du Tribunal soient présents, qu’ils délibèrent et qu’ils tranchent les questions provisoires.

[45] Les défendeurs affirment également que la réparation demandée et les motifs invoqués par les demandeurs ne sont pas clairs. Je ne relève aucune confusion sur cette question. Le motif invoqué par les demandeurs est que les membres minoritaires du Tribunal ont outrepassé leur compétence. La réparation demandée est l’annulation des ordonnances.

[46] Je trouve instructifs les propos formulés par la Cour d’appel fédérale (la CAF) dans l’arrêt Comité de la bande indienne d’Adams Lake c Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37 [Adams Lake]. Dans cette affaire, la CAF a infirmé les conclusions du juge de la Cour fédérale [la CF], qui avait annulé la décision d’un comité parce que la démission d’un de ses membres avait fait perdre au comité son quorum en vertu de ses règles électorales. La CAF a conclu que le Comité avait terminé le processus décisionnel avant de perdre son quorum (Adams Lake au para 18).

[47] Dans l’arrêt Adams Lake, le juge Stratas a formulé l’observation suivante :

[23] […] À mon avis, il existe en l’espèce un argument factuel solide selon lequel il n’y a pas eu perte du quorum exigé à l’article 19. Les cinq membres du Comité, y compris le membre démissionnaire, ont examiné les appels pendant plusieurs jours (voir les paragraphes 6 à 9 des présents motifs). Lorsque les délibérations ont pris fin et que le vote a commencé, les cinq membres, qui ont été mis au courant des opinions des autres membres dans le cadre de leurs délibérations, étaient parvenus à une décision quant au fond des appels :

a) Quatre membres avaient décidé de rejeter les appels. Ces quatre membres ont par la suite attesté la prise de leur décision en signant un document.

b) Le membre démissionnaire avait également pris sa décision. Dans sa lettre de démission, il a exprimé son désaccord avec les autres membres du Comité quant au fond des appels et exposé ses motifs. Il s’agit d’une affaire où, à la différence de l’affaire Mehael, il existe de nombreux éléments de preuve indiquant que le membre démissionnaire a participé au processus global de la prise de décision et était parvenu à une conclusion sur l’affaire.

On pourrait soutenir que les décisions du Comité respectaient l’exigence du quorum imposée par l’article 19 des Règles électorales et qu’elles ne devraient donc pas être annulées.

[24] Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, les parties n’ont pas soulevé ce point dans leurs observations écrites ou orales, de sorte que je m’abstiendrai de me prononcer définitivement à cet égard. Je préfère plutôt trancher le présent appel sur le fondement d’un point qui a été largement débattu – à savoir que la Cour ne devrait pas annuler les décisions du Comité sur le fondement de son pouvoir discrétionnaire.

[48] Le juge Stratas a ensuite analysé le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 18.1(3) des Règles des Cours fédérales confère à la Cour fédérale possède, au regard de l’arrêt Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 RCS [Mining Watch]. Il a déclaré que « [l]e message que contient Mines Alerte Canada est qu’il convient de prendre en considération toute une série de facteurs pratiques et on ne devrait pas accorder une importance indue à une erreur juridique ou à la non‑conformité d’une disposition : les aspects pratiques peuvent l’emporter sur les aspects juridiques » (Adams Lake au para 30). Le juge Stratas a conclu que le juge de la CF n’avait pas tenu compte de toutes les considérations pertinentes. La CAF a ensuite examiné les motifs du membre démissionnaire d’empêcher le Comité d’achever son mandat, le coût et l’impossibilité pratique de la reprise des appels et la difficulté de nommer de nouveaux membres du Comité pour se prononcer sur les appels (Adams Lake aux para 33 à 36).

[49] Comme dans l’affaire Adams Lake, il n’y a pas de disposition spécifique dans la Loi électorale de PNCTK concernant le quorum pour la prise de décision. La Loi électorale ne contient que les dispositions suivantes concernant le quorum ou la majorité :

12(1) Avant l’assemblée de mise en candidature, ou la conclusion de toute élection, le chef et les conseillers de la bande Carry the Kettle doivent adopter une résolution :

a) pour nommer le tribunal Cega‑Kin Nakoda Oyate, composé de cinq (5) personnes, soit quatre (4) membres de la bande Carry the Kettle et un membre n’appartenant pas à la bande, pour assurer la surveillance de l’élection ou de l’élection partielle à venir. L’avocat de la bande peut être consulté, au besoin.

12(7) Les procédures suivantes régissent la tenue des appels électoraux :

i. sans restreindre la portée générale de ce qui précède, le tribunal Cega‑Kin Nakoda Oyate détermine sa propre procédure, tous les aspects relatifs à la tenue de l’appel; toutes les questions en litige sont réglées par une décision majoritaire du tribunal.

[50] Les dispositions mentionnées ci‑dessus n’indiquent guère plus que cinq membres du Tribunal sont nommés et que toutes les questions relatives à un appel et « toutes les questions en litige » doivent être réglées par une décision majoritaire. Il n’y a pas non plus de disposition prévoyant la règle des trois réunions, comme le soutiennent les défendeurs. La Loi électorale elle‑même ne fournit pas beaucoup d’indications à ce sujet.

[51] L’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 [Rizzo] est l’arrêt de principe sur l’interprétation des lois. Le juge Iacobucci a écrit ce qui suit au paragraphe 21 :

[21] Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre [voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)], Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci‑dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro‑Québec, 1997 CanLII 318 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 213**; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto‑Dominion, 1996 CanLII 186 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, 1995 CanLII 62 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 103.

[52] Je considère que l’arrêt Rizzo soutient la proposition selon laquelle, lorsque le libellé d’une disposition est clair et sans ambiguïté, le sens qui en découle naturellement devrait avoir une grande importance dans le processus d’interprétation. Pour réfuter un tel sens, il faudra une preuve considérable portant que le sens ordinaire ne peut pas s’harmoniser avec le texte législatif en question, à moins que la Cour n’adopte un sens différent.

[53] La CAF a jugé que c’est selon cette démarche que doivent être interprétés les codes électoraux coutumiers adoptés par les Premières Nations (Boucher c Fitzpatrick, 2012 CAF 212 [Boucher] au para 25).

[54] Je note qu’il y a certaines incohérences entre les pouvoirs du Tribunal dans son ensemble (paragraphes 12(1) et 12(7)), énoncés ci‑dessus, et les pouvoirs du président. En ce qui concerne le président, il a le pouvoir de [traduction] « prendre des décisions concernant les appels » en vertu de l’alinéa 12(2)c) et de [traduction] « participer à des procédures de règlement des différends si les parties à un appel en conviennent » en vertu de l’alinéa 12(1)d). Il semblerait que ces dispositions exigeraient que l’ensemble du Tribunal participe.

[55] Bien que l’arrêt Adams Lake ait servi de guide, les faits et les circonstances en l’espèce sont différents de ceux dans cette affaire. En dehors de la décision initiale sur l’appel des parties appelantes, aucune décision n’a été rendue après le renvoi de l’affaire au tribunal par la CBRS. En fait, les membres du Tribunal n’ont même pas été capables de tenir une seule réunion ensemble. Pour compliquer les choses, la seule disposition relative à la nomination et au remplacement des membres du Tribunal n’envisage pas une situation comme celle de la présente affaire, où les actions des membres du Tribunal, quel que soit le point de vue que l’on adopte sur la situation actuelle, empêchent le Tribunal de faire son travail.

[56] Il ne s’agit pas d’une situation comparable à celle de l’affaire Adams Lake, où le Tribunal a déjà délibéré sur l’appel dont il est saisi. Il n’y a pas eu de décision à l’égard de l’appel des parties appelantes. La Cour est confrontée à ces circonstances exceptionnelles.

[57] Les observations des demandeurs relatives à une contestation indirecte des résolutions des aînés du 30 mars 2019 et du 9 avril 2019 ne me convainquent pas. Les quatre premières ordonnances dans le dossier T‑863‑20 n’auraient pas dû être rendues par les seuls membres minoritaires du Tribunal, selon mon interprétation de la Loi électorale. Il y a deux interprétations possibles de l’alinéa 12(7)(i) de la Loi électorale : cette disposition ne s’applique qu’à la décision dans un appel après que le Tribunal l’eut entendu ou, subsidiairement, elle s’applique à toute décision du Tribunal. En raison de son ambiguïté, et en appliquant les principes d’interprétation des lois, y compris la disposition de la Loi électorale prévoyant que cinq membres siègent au Tribunal, je conclus que la majorité des membres du Tribunal est requise pour rendre une décision ou une ordonnance.

[58] Toujours en appliquant les règles d’interprétation des lois, un examen de la Loi électorale révèle également que le pouvoir du président n’est pas assez étendu pour écarter l’exigence relative à la participation de tous les membres du Tribunal. Par exemple, le président doit recevoir les appels (alinéa 12(1)a)), examiner les motifs des appels (alinéa 12(1)b)), et confirmer la réception de l’appel et en fournir des copies au Tribunal, aux candidats et aux personnes (alinéa 12(7)d)). En outre, le président doit convoquer une réunion du Tribunal pour examiner les appels (alinéa 12(7)e)), et fixer la date de l’audition de l’appel (alinéa 12(7)g)). Aucune disposition de la Loi électorale ne confère au Tribunal le pouvoir de prendre des décisions ou de rendre des ordonnances avec seulement deux membres.

[59] Compte tenu des faits et des circonstances mentionnés ci‑dessus, ni les membres majoritaires du Tribunal ni les membres minoritaires du Tribunal n’ont agi de façon exemplaire. D’une part, les membres majoritaires du Tribunal ont refusé de participer aux réunions ou d’accomplir les actions, en contravention des obligations qui leur étaient imposées, pour le seul motif qu’ils n’étaient pas d’accord avec le maintien de M. Phillips dans ses fonctions par le président. Ils auraient pu assister à une réunion et utiliser leur majorité pour régler cette question et traiter l’appel des parties appelantes dans les limites de la Loi électorale. D’autre part, les membres minoritaires du tribunal auraient pu tenir compte les besoins de leurs collègues en organisant au moins une réunion sans la présence d’un conseiller juridique. L’insistance du président pour que les réunions se déroulent en présence de M. Phillips en tout temps laisse la Cour perplexe.

[60] En ce qui concerne la question du conseiller juridique, bien que la CBRS et la CASK aient toutes deux fait des commentaires sur les problèmes liés à la rédaction de la Loi électorale, je ferais en outre remarquer que, si un conseiller juridique est nécessaire pour aider à l’interprétation de la Loi électorale, c’est peut‑être parce que la Loi électorale, tel qu’elle est rédigée, doit être modifiée pour la rendre plus compréhensible et plus facile à appliquer.

[61] Mon autre observation est que les organismes décisionnels, tels que le Tribunal, ont une fonction très importante dans les actions prise par les Premières Nations au titre de leur autonomie gouvernementale et de leur autodétermination. La collectivité attend de ses organes décisionnels qu’ils se conduisent conformément à l’esprit et à l’intention de leurs lois. Les organes décisionnels ont une occasion incroyable de créer un corpus jurisprudentiel qui peut être invoqué et appliqué si d’autres problèmes surviennent. Il est regrettable que le Tribunal n’ait pas été en mesure d’accomplir une tâche aussi élémentaire que de se réunir ou de s’accorder sur les principes de base des réunions à venir, et de décider si la présence de M. Phillips était nécessaire pour une réunion, même préliminaire.

[62] Comme l’a observé le juge Russell dans la décision Première Nation Marcel Colomb c. Colomb, 2016 CF 1270 au para 29 :

[29] Le juge Rennie a énergiquement établi la principale question en litige dans la décision Poker c. Première nation des Innus Mushuau, 2012 CF 1 [Poker] :

[30] La Cour ne tire aucune conclusion au sujet de cette allégation tardive. En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir quelles sont les personnes responsables, en tout ou en partie, des irrégularités de l’élection, le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou non la réparation réside dans la confiance des membres de la bande à l’endroit du processus électoral lui‑même. Il existe un intérêt public primordial lié au maintien d’une confiance méritée de la bande à l’endroit des élections qu’elle tient, parce que cette confiance renforce sa gouvernance. En conséquence, eu égard à l’importance du processus électoral, la réparation ne sera pas refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[63] De même, je conviens que les membres de la PNCTK doivent avoir confiance dans le processus électoral et la procédure d’appel. Le bon déroulement d’un appel renforcera sans aucun doute la gouvernance de la communauté et renforcera la foi et la confiance de la communauté dans le fait que tous les différends seront traités de manière professionnelle.

[64] Je conclus que les membres minoritaires du Tribunal n’avaient pas le pouvoir requis pour rendre les ordonnances décrites ci‑dessus. En d’autres termes, les membres minoritaires du Tribunal n’avaient pas compétence pour rendre une décision ou une ordonnance en l’absence des membres majoritaires du Tribunal. Ces derniers ont clairement précisé les raisons de leur absence et ont demandé la tenue d’une réunion à laquelle seuls les membres du Tribunal seraient présents, et non le conseiller juridique. Les membres minoritaires du Tribunal n’ont simplement pas tenu compte de cette demande et ils ont continué à convoquer des réunions et à rendre des ordonnances, ce qu’ils n’avaient pas le pouvoir de faire en l’absence des membres majoritaires du Tribunal. Il s’ensuit qu’en l’absence de toute disposition dans la Loi électorale permettant au conseil de bande ou aux aînés de remplacer les membres majoritaires du tribunal, je conclus que les membres majoritaires du Tribunal demeurent des membres du tribunal.

[65] Je tire cette conclusion en dépit de l’orientation des arrêts Adams Lake et Boucher; suivant ainsi la mise en garde donnée par la CAF et par la CSC dans MiningWatch à l’égard de l’attribution d’un poids excessif aux considérations juridiques. Je ne suis pas en désaccord avec cette orientation, mais je remarque que les circonstances en l’espèce sont vraiment exceptionnelles. La validité de la nomination du Tribunal initial n’a jamais été contestée. Le libellé de la Loi électorale indique clairement que le Tribunal est composé de cinq membres et la seule interprétation raisonnable de la Loi électorale est que la décision du Tribunal doit être prise à la majorité des membres. Permettre aux seuls membres minoritaires du Tribunal de choisir un conseiller juridique et d’organiser des réunions n’est pas conforme aux dispositions de la Loi électorale, laquelle a été approuvée par les électeurs de la PNCTK. Si la collectivité est d’avis que la Loi électorale nécessite des modifications, alors les dispositions de l’article 17 devraient être appliquées.

[66] Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T‑863‑20 et T‑664‑20 sont accueillies. Les ordonnances du Tribunal datées du 10 décembre 2018, du 11 janvier 2019, du 13 février 2019, du 20 mars 2019, du 22 avril 2020, du 27 avril 2020, du 1er mai 2020 et du 5 mai 2020 sont annulées. Les ordonnances à l’examen dans le dossier T‑863‑20 n’ont pas été rendues à la majorité requise des cinq membres du Tribunal et ont donc été rendues sans compétence. Il s’ensuit que toutes les ordonnances qui auraient été prononcées par la suite, telles que celles à l’examen dans le dossier T‑664‑20, ont également été rendues sans compétence et sans la participation des cinq membres originaux et nommés en bonne et due forme du Tribunal.

[67] La Cour a reconnu à plusieurs reprises qu’elle préfère trouver la façon la moins intrusive de superviser les questions électorales, par respect pour les efforts déployés par la Première Nation et ses membres afin d’adopter des règles régissant leurs processus électoraux. (Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2017 CF 364; Loonskin c Tallcree, 2017 CF 868; Première Nation de Sweetgrass c Gollan, 2006 CF 778). Malgré la réticence de la Cour à trop intervenir, à la lumière de ma décision et de la réparation que j’ai accordée, et compte tenu de la conduite des parties dans le contexte de leur litige, je suis d’avis que le Tribunal gagnerait à être guidé par la Cour dans le traitement de l’appel des parties appelantes.

[68] Comme il a été indiqué, il s’agit là d’une occasion unique pour le Tribunal d’inspirer confiance à la collectivité relativement à la manière avec laquelle il traite les appels des parties appelantes. Le Tribunal serait bien avisé d’adopter des principes d’équité procédurale lors de l’audition des appels. L’équité procédurale comporte deux aspects essentiels : le droit d’être entendue et le droit d’une personne de présenter des observations avant qu’une décision ayant une incidence sur ses intérêts ne soit rendue (Tsetta c Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux‑Jaune, 2014 CF 396 au para 39).

[69] De même, une fois que l’appel des parties appelantes aura été instruit, la décision du Tribunal doit être intelligible et comporter des motifs suffisants pour illustrer la façon dont il a analysé les éléments de preuve.

VI. Conclusion

[70] Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T‑664‑20 et T‑863‑20 sont accueillies. Les décisions datées du 10 décembre 2018, du 11 janvier 2019, du 13 février 2019, du 20 mars 2019, du 22 avril 2020, du 27 avril 2020, du 1er mai 2020 et du 5 mai 2020 sont annulées.

[71] Bien que la Cour soit réticente à analyser en profondeur le fonctionnement des Premières Nations et de leurs tribunaux d’appel, les circonstances sont telles que je dois accélérer le processus. Comme il reste moins d’un an au mandat de quatre ans, je vais établir un calendrier accéléré dans lequel le Tribunal doit entreprendre ses travaux. Par conséquent, le Tribunal reconfirmé se réunira dans les 14 jours suivant la présente ordonnance. Il exercera ensuite ses activités de manière à ce qu’une décision sur les appels des parties appelantes soit rendue au plus tard le 16 juillet 2021.

[72] En ce qui concerne les dépens, le juge Grammond, dans la décision Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119, a résumé, au paragraphe 27, les diverses catégories de dépens et a énoncé les principes applicables à l’adjudication de dépens :

Je résumerai de la façon suivante les principes applicables :

· Dans les affaires de gouvernance des Premières Nations, comme dans d’autres affaires, l’adjudication des dépens est laissée à la discrétion du juge de première instance, qui doit exercer ce pouvoir en tenant compte de tous les facteurs pertinents;

· Le déséquilibre qui existe entre les ressources financières du demandeur et celles de la Première Nation, ou avec celles de la partie dont les frais juridiques sont payés par la Première Nation, est un facteur pertinent;

· Pris isolément, toutefois, le déséquilibre des ressources n’est pas un facteur suffisant pour justifier une adjudication des dépens sur la base avocat‑client;

· Le fait que la demande a contribué à clarifier l’interprétation des lois ou du cadre de gouvernance d’une Première Nation peut être pris en compte lors de l’adjudication des dépens, mais toutes les demandes ne tombent pas dans cette catégorie.

[73] Les demandeurs ont gain de cause. Toutefois, étant donné que la présente instance a trait au premier appel interjeté en vertu de la Loi électorale, et compte tenu de l’intérêt de la collectivité à obtenir une certaine orientation quant à l’interprétation de la Loi électorale, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger des dépens.




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