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Date : 20020108

Dossier : T-224-99

Référence neutre : 2002 CFPI 16

ENTRE :

                               JAMES HOFER

                                                                Demandeur

                                  - et -

LA REINE DU CHEF DU CANADA et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN (représentés par le

ministère des Affaires indiennes et ci-après appeléAINC)

                                  - et -

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA TRIBU DES BLOOD représentant

tous les membres de la Bande indienne de Blood (représentés par le

Blood Tribe Department of Lands

(ministère des Terres de la Tribu des Blood) et ci-après appeléBTLD)

                                  - et -

                             LEVI BLACKWATER

                                                               Défendeurs


                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

[1]                 Les deux défendeurs demandent un jugement sommaire rejetant l'action du demandeur avec dépens. Ladite action est décrite dans le mémoire des faits et du droit du demandeur comme suit :

[traduction]

En février 1996, James Hofer, un agriculteur non autochtone, avait conclu une convention conditionnelle avec le chef et le conseil de la Tribu des Blood ainsi que le BTLD stipulant notamment la prorogation de ses permis de cultiver les terres des Blood jusqu'à cinq années au lieu des permis habituels de trois années en échange de la renonciation à son droit aux paiements versés aux titulaires de permis en application du Programme de paiements de transition du grain de l'Ouest (PPTGO). L'argent serait ainsi versé directement à la Tribu des Blood. La convention a été négociée lors d'une réunion à laquelle de nombreux conseillers de la Tribu des Blood ainsi que des superviseurs et des employés du BTLD ont assisté, de même que des représentants du gouvernement fédéral (AINC), y compris les titulaires de permis.

La convention permettait à la Tribu des Blood de recevoir directement les paiements de subvention du PPTGO, lesquels auraient été directement versés aux titulaires de permis. En échange, les titulaires de permis se sont vu accorder des permis de cinq années, pour affermer les terres agricoles des Blood, plutôt que pour les périodes habituelles de trois années.

M. Hofer avait loué la terre agricole de la réserve des Blood depuis le début des années 80 sans aucun problème jusqu'en avril 1998. À cette époque, le ministère des Terres de la Tribu des Blood (BTLD) l'a informé que ses permis agricoles fédéraux (permis » ) délivrés en vertu de l'art. 28 de la Loi sur les Indiens étaient expirés. M. Hofer prétend qu'il lui restait trois autres années sur l'ensemble de ces permis. La Tribu des Blood et le gouvernement fédéral ne sont pas d'accord.

L'annulation des permis a eu pour conséquence que M. Hofer n'a pas été en mesure d'effectuer ses remboursements à la banque. Celle-ci l'a obligé à se retirer en tant qu'actionnaire et administrateur de Western Farms Inc. M. Hofer a perdu tout l'avoir et le fonds commercial qu'il avait acquis pour la société. Comme M. Hofer possédait toujours des permis valides, il a avancé 40 000 $ aux occupants. Maintenant, M. Hofer intente cette action pour réclamer des dommages et intérêts aux défendeurs pour :

a)              rupture de contrat;

b)              perte de récolte due à des sociétés pétrolières;


c)              intrusion et perte d'avoir par suite de la vente forcée de l'équipement agricole.

[2]                 Les documents qui m'ont été présentés indiquent que le demandeur cultivait la terre située à l'intérieur de la réserve des Blood depuis le début des années 80. Il atteste que, depuis le début, il a toujours obtenu des permis agricoles fédéraux pour cultiver ces terres. Les permis, selon lui, étaient normalement négociés par le BTLD et par la suite signés par le représentant régional du ministère des Affaires indiennes et du Nord (AINC). À un moment donné, le demandeur a obtenu l'autorisation de toucher des prestations provenant du Programme de paiements de transition du grain de l'Ouest. Cependant, il semble que le chef et le conseil de la Tribu des Blood aient demandé que ces prestations leur soient remises directement. Le 19 février 1996, le demandeur a donc assisté à une réunion, de même que des conseillers de la Tribu des Blood, des membres du BTLD et des représentants d'AINC.

[3]                 Le demandeur prétend que l'on en est venu à une « convention conditionnelle » lors de ladite réunion. Un texte de ladite « convention conditionnelle » a par la suite été rédigé par le BTLD, et le demandeur l'a signé le 28 février 1996. La première partie dudit texte énonce ce qui suit :

[traduction]

Nous soussignés, James Hofer, titulaire de permis, et le ministère de la Gestion des terres de la Tribu des Blood, représentant le chef et le conseil, en ce qui a trait au Programme de paiements de transition du grain de l'Ouest, convenons des modalités énoncées dans la présente convention. Lesdites modalités sont :

1.              des contrats de cinq (5) années;

2.              trois paiements égaux;


3.              aucune perte de baux;

4.              les taux établis demeurent les mêmes

5.                                    .

La présente convention est conditionnelle à toute convention finale formulée par le chef, le conseil ainsi que les titulaires de permis.

En considération de ce qui précède, je conviens de répudier et délaisser toute réclamation, tout litige, toute contestation relatifs aux débours liés au Programme de paiements de transition du grain de l'Ouest, et d'y renoncer...

[4]                 Le demandeur a ensuite reçu 15 permis dûment remplis pour son occupation de terres de la réserve. Les permis ont été délivrés par la Couronne et approuvés par une résolution du conseil de bande. Ils étaient tous d'une durée de trois années, soit du 1er avril 1995 au 31 mars 1998. Bien que tous les permis portent la signature du demandeur, il affirme que, lorsqu'il a signé, le 20 février 1996, c'est-à-dire avant la date de la « convention conditionnelle » , les pages contenant les modalités de la location étaient en blanc ou ne lui ont pas été montrées. Toutefois, il admet qu'il a reçu les copies complétées des permis en mai ou en juin de 1996 et qu'il n'a pris aucune mesure, mais qu'il a simplement continué l'occupation et la culture des terres en question pendant cette année-là et la suivante.

[5]                 Le principal argument avancé par les défendeurs au soutien de leurs requêtes en jugement sommaire est que la « convention conditionnelle » est nulle parce que non conforme aux articles 2 et 28 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. La partie pertinente de ces articles énonce ce qui suit :


2. (3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l'être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

b) un pouvoir conféré au conseil d'une bande est censé ne pas être exercé à moins de l'être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d'une bande est censé permettre à une personne, autre qu'un membre de cette bande, d'occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

(2) Le ministre peut, au moyen d'un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

2. (3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

28. (1) Subject to subsection (2), any deed, lease, contract, instrument, document or agreement of any kind, whether written or oral, by which a band or a member of a band purports to permit a person other than a member of that band to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise any rights on a reserve is void.

(2) The Minister may by permit in writing authorize any person for a period not exceeding one year, or with the consent of the council of the band for any longer period, to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise rights on a reserve.


[6]                 À mon avis, cet argument est clairement bien fondé. Bien qu'il ne fasse pas de doute que les 15 permis délivrés au demandeur ont été approuvés tant par le ministre que par le conseil de bande, le demandeur ne cherche pas à les faire appliquer. En fait, il soutient qu'ils ne concordent pas avec la « convention conditionnelle » , laquelle prévoyait un terme de cinq années plutôt que de trois. C'est cette dernière convention qui, selon lui, a été violée, ce qui lui a causé des dommages. Comme il n'y a pas la moindre preuve montrant que la « convention conditionnelle » a déjà été approuvée par une résolution du conseil de bande, par une majorité des électeurs ou par le ministre, elle est nulle et inexécutable. Même si les allégations présentées par le demandeur relativement à la fraude ou à de fausses déclarations des représentants de la Couronne et de la bande selon lesquelles ils avaient pleins pouvoirs pour lier le conseil de bande pouvaient être prouvées, elles ne peuvent s'opposer aux exigences de la loi.

[7]                 Mais il y a plus. De par ses modalités, le contrat que le demandeur cherche à faire appliquer est « conditionnel » , et l'on y mentionne expressément qu'il est sujet à [traduction] « toute convention formulée par le chef et le conseil ainsi que les titulaires de permis » . Donc, si les modalités des 15 permis ont, dans les faits, été insérées ou modifiées après que le demandeur les a eu signées, comme l'affirme le demandeur, cela semble avoir constitué ce qui était envisagé dans la convention elle-même. Le demandeur, en acceptant et en continuant l'occupation en vertu desdits permis, même après, selon son témoignage, les avoir reçus dûment remplis et montrant un terme de trois années plutôt que de cinq, doit être tenu pour avoir accepté ledit terme.


[8]                 Cependant, cela ne s'arrête pas là. Le demandeur a cessé de cultiver les terres en question après la récolte de l'année 1997. C'était bien entendu en conformité avec le terme de trois années des 15 permis qu'il détenait. Mais il détenait également deux autres permis dont les termes s'étendaient au-delà du 31 mars 1998, l'un couvrant la période allant du 1er avril 1996 au 31 mars 1999 (permis 240530), et l'autre (permis 256502), la période allant du 1er avril 1997 au 31 mars 2000. Bien qu'il soit clair que le demandeur a cessé son occupation de toutes les terres de la réserve en avril 1998, les raisons pour lesquelles il a fait cela sont obscures et ne peuvent pas être correctement interprétées au stade de ces requêtes en jugement sommaire. Le demandeur affirme que la bande avait refusé d'accepter ses paiements de loyer, alors que les défendeurs soutiennent que le demandeur était en violation de contrat et que les permis étaient annulés. La situation est encore plus confuse du fait que le demandeur réclamait à tort une occupation additionnelle sur les terres couvertes par les 15 permis expirés et que la violation présumée commise par les défendeurs (selon laquelle le demandeur aurait consenti des avances non autorisées à des propriétaires fonciers autochtones) avait apparemment été approuvée - ou du moins tolérée - par la bande par le passé. Ces questions doivent faire l'objet d'un procès.

[9]                 Il en résulte que, bien que l'action du demandeur, qui n'est fondée que sur le contrat, ne puisse pas être accueillie parce qu'elle se fonde sur la « convention conditionnelle » dans la mesure où cette dernière n'a pas été suivie par des permis dûment délivrés en vertu de l'article 28 de la Loi sur les Indiens, il peut y avoir une réclamation légitime pour les dommages résultant des violations des permis 240530 et 256502, qui semblent être conformes à ladite disposition. Les requêtes seront donc accueillies, en partie seulement, et l'action pourra être poursuivie, mais seulement en ce qui a trait aux réclamations relatives aux prétendues violations des contrats attestées par lesdits permis. Une autorisation sera accordée au demandeur pour lui permettre d'apporter les modifications nécessaires à sa déclaration.

[10]            Au sujet des dépens, bien que les défendeurs bénéficient d'un succès partiel, l'action est encore viable. Je suis d'avis d'adjuger à chaque défendeur un montant forfaitaire de 1 000 $ à titre de dépens en sus des débours admissibles.


                                           ORDONNANCE

Les requêtes en jugement sommaire sont en partie accueillies. La réclamation du demandeur est limitée aux prétendues violations des permis 240530 et 256502. Le demandeur a l'autorisation de modifier sa déclaration en conséquence. Chacun des défendeurs requérants, la Couronne et la bande ont droit à un montant forfaitaire de 1 000 $ à titre de dépens et aux débours payables sans délai et quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                            « James K. Hugessen »           

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 8 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                 T-224-99

INTITULÉ :              James Hofer c. Sa Majesté La Reine et al.

REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :    Le 8 janvier 2002

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Jim Gladstone                                       POUR LE DEMANDEUR

Kim Gowin                                            POUR LA DÉFENDERESSE, SA MAJESTÉ LA REINE

Frederick R. Fenwick                          POUR LES DÉFENDEURS, LA BANDE DES BLOOD ET AL., ET LEVI BLACKWATER

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

Jim Gladstone                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Tsuu T'ina (Alberta)

Morris Rosenberg                                 POUR LA DÉFENDERESSE, SA MAJESTÉ

Sous-procureur général du Canada                                               LA REINE

Bureau régional d'Edmonton

Walsh Wilkins                                      POUR LES DÉFENDEURS, LA BANDE DES

Avocats                                                 BLOOD ET AL., ET LEVI BLACKWATER

Calgary (Alberta)

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