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     Date : 19990316

     Dossier : T-2018-95

ENTRE :

     MUSHTAQ HUSSAIN, exploitant une entreprise

     sous la dénomination KHOKHAR JEWELLERS,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      Dans le cadre d'une enquête plus vaste sur la contrebande présumée de bijoux au Canada, la GRC a fait une perquisition dans les locaux commerciaux de Mushtaq Hussain le 24 juin 1995 et a saisi des documents et des bijoux. Le 8 septembre 1995, l'avocat qui représentait M. Hussain à ce moment-là a envoyé à la Division de l'arbitrage de Revenu Canada une lettre dans laquelle il déclarait que M. Hussain désirait interjeter appel de la saisie des bijoux. L'appel a été rejeté au motif qu'il était prescrit.

[2]      Le 25 septembre 1995, M. Hussain a déposé devant la Cour une déclaration en vue d'obtenir la restitution des bijoux. Il alléguait qu'il n'avait pas importé ces bijoux au Canada en violation de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

[3]      Par la requête dont je suis saisi, le ministre du Revenu national cherche à faire radier la déclaration du demandeur au motif que la Cour n'a pas compétence pour accorder la réparation demandée.

[4]      Le ministre fait valoir qu'un appel formé auprès du ministre est le seul recours que peut exercer une personne relativement à des marchandises saisies sous le régime de la Loi sur les douanes. Comme le demandeur n'a pas exercé ce droit d'appel dans le délai prescrit, délai que la Cour n'a pas le pouvoir de proroger, rien ne permet, en droit, à la Cour d'ordonner la restitution des biens demandée dans la déclaration.

[5]      Le seul point de droit que soulève la présente requête est la date de départ du délai de trente jours accordé pour interjeter appel de la saisie des marchandises. Le ministre soutient que la loi est parfaitement claire : ce délai commence à courir le jour où les marchandises sont saisies.

[6]      Pour sa part, le demandeur affirme que puisqu'un agent de la GRC l'a amené à croire que ce délai commençait à courir à une date ultérieure, le délai devrait commencer à courir à cette date, et que l'avis d'appel a été déposé dans les trente jours suivant cette date.

B.      LE CADRE LÉGISLATIF

[7]      Les dispositions législatives de la Loi sur les douanes qui s'appliquent à la présente requête sont les suivantes. J'ai souligné les passages les plus pertinents :

123. The forfeiture of goods or conveyances seized under this Act or any money or security held as forfeit in lieu thereof is final and not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by section 129.

123. La confiscation des marchandises ou des moyens de transport saisis en vertu de la présente loi, ou celle des montants ou garanties qui en tiennent lieu, est

définitive et n'est susceptible de révision, de restriction, d'interdiction, d'annulation, de rejet ou de toute autre forme d'intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l'article 129.


129. (1) Any person

(a) from whom goods or a conveyance is seized under this Act,

(b) who owns goods or a conveyance that is seized under this Act, ...

may, within thirty days after the date of the seizure ... request a decision of the Minister under section 131 by giving notice in writing to the officer who seized the goods or conveyance or served the notice or caused it to be served, or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place or the notice was served.

(2) The burden of proof that notice was given under subsection (1) lies on the person claiming to have given the notice.

129. (1) Les personnes suivantes peuvent, dans les trente jours suivant la saisie [...] en s'adressant par écrit à l'agent qui a saisi les biens ou a signifié ou fait signifier l'avis, ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie ou de la signification, présenter une demande en vue de faire rendre au ministre la décision prévue à l'article 131 :

a) celles entre les mains de qui ont été saisis des marchandises ou des moyens de transport en vertu de la présente loi;

b) celles à qui appartiennent les marchandises ou les moyens de transport saisis en vertu de la présente loi; [...]

(2) Il incombe à la personne qui prétend avoir présenté la demande visée au paragraphe (1) de prouver qu'elle l'a présentée.


131.1 (1) After the expiration of the thirty days referred to in subsection 130(2), the Minister shall, as soon as is reasonably possible having regard to the circumstances, consider and weigh the circumstances of the case and decide

(a) in the case of goods or a conveyance seized or with respect to which a notice was served under section 124 on the ground that this Act or the regulations were contravened in respect of the goods or the conveyance, whether the Act or the regulations were so contravened;

131. (1) Après l'expiration des trente jours visés au paragraphe 130(2), le ministre étudie, dans les meilleurs délais possible en l'espèce, les circonstances de l'affaire et décide si c'est valablement qu'a été retenu, selon le cas :

a) le motif d'infraction à la présente loi ou à ses règlements pour justifier soit la saisie des marchandises ou des moyens de transport en cause, soit la signification à leur sujet de l'avis prévu à l'article 124;


131. (3) The Minister's decision under subsection (1) is not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to

the extent and in the manner provided by subsection 135(1).

131. (3) La décision rendue par le ministre en vertu du paragraphe (1) n'est susceptible d'appel, de restriction, d'interdiction, d'annulation, de rejet ou de toute autre forme d'intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 135(1).


135. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and

the Minister is the defendant.

135. (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l'article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d'action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

C.      ANALYSE

[8]      Il semble ressortir de la lecture de ces dispositions que le délai de trente jours qui est accordé pour déposer un avis d'appel auprès du ministre commence à courir le jour où les marchandises sont saisies. En l'espèce, cette date est le 24 juin 1995. Par conséquent, le délai de prescription a expiré environ un mois plus tard, et l'avis d'appel déposé par l'avocat de M. Hussain le 8 septembre 1995 était nettement hors délai.

[9]      Ces dispositions législatives semblent également préciser qu'en dehors du droit d'interjeter appel auprès du ministre et du droit d'interjeter appel de la décision du ministre auprès de la Cour, la confiscation des marchandises saisies est définitive et sa légalité n'est pas susceptible de contrôle dans une instance judiciaire.

[10]      De plus, l'avocate du défendeur m'a renvoyé à des décisions de la Cour dans lesquelles il a été statué que les droits d'appel accordés par ces dispositions de la Loi sur les douanes sont exclusifs, et que la Cour n'a pas compétence pour connaître d'autres procédures, quelles qu'aient pu être les irrégularités procédurales de la perquisition et de la saisie. En outre, la Cour n'a pas compétence pour proroger les délais de prescription prévus par la Loi sur les douanes. Les affaires suivantes ont été invoquées au soutien de ces affirmations : Miucci c. Ministre du Revenu national (1991), 52 F.T.R. 216 (C.F. 1re inst.); Smith c. Ministre du Revenu national (1992), 58 F.T.R. 287 (C.F. 1re inst.); Dawe c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1994), 174 N.R. 1 (C.A.F.); et Caron c. Ministre du Revenu national (1996) 108 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.).

[11]      L'avocat du demandeur a prétendu que, d'après les faits de l'espèce, il serait manifestement injuste que le ministre invoque le délai de prescription pour priver le demandeur d'une réparation légale et que, en droit, le délai de prescription prévu par la Loi sur les douanes doit être interprété en fonction de la règle de la possibilité de découvrir le dommage qui a été énoncée dans l'arrêt Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549.

[12]      Pour ce qui est des faits, l'avocat a porté à ma connaissance les notes prises par le gendarme Pelletier, qui est l'un des agents de la GRC qui étaient présents au moment de la perquisition des locaux du demandeur et de la saisie des marchandises, et lorsqu'un relevé de saisie et un formulaire K19 ont été remis au demandeur le 7 juillet 1995. Ces documents énuméraient les bijoux qui avaient été saisis et qui allaient être traités comme des biens confisqués en attendant le paiement de l'amende pour importation illégale, et précisaient qu'une demande en vue de faire rendre une décision au ministre doit être présentée par écrit dans les trente jours suivant la saisie. Le gendarme Pelletier précise dans ses notes que l'un des agents a déclaré au demandeur le 7 juillet 1995, date à laquelle le relevé de saisie a été remis, que le délai de trente jours commençait à courir ce jour-là.

[13]      L'avocat du demandeur a également fait observer que M. Hussain avait récupéré une partie de ses biens, et que l'avocat qui représentait M. Hussain à ce moment-là avait tenté de conclure un règlement afin que le demandeur n'ait pas à payer le montant intégral de l'amende avant que le restant de ses biens lui soit restitué.

[14]      Je fais remarquer que l'avis d'appel qui a finalement été déposé au nom du demandeur l'a aussi été bien après les trente jours suivant le 7 juillet 1995. Cependant, l'avocat du demandeur a soutenu qu'un relevé de saisie et un formulaire K19 modifiés ont été remis au demandeur le 9 août 1995, et que M. Hussain pouvait valablement déduire de l'avis qu'il avait reçu de l'agent de la GRC que le délai de trente jours commençait à courir le jour où on lui a remis les formulaires modifiés.

[15]      D'après la preuve qui m'a été soumise, il est loin d'être clair qu'on a dit au demandeur que le délai de prescription commençait à courir le jour où les formulaires lui ont été remis, ou que celui-ci croyait qu'il en était ainsi. Premièrement, le demandeur a déclaré dans son affidavit qu'il savait qu'il avait trente jours pour interjeter appel de la saisie, mais il n'a pas précisé quand il pensait que ce délai commençait à courir. Deuxièmement, le gendarme Pelletier a déclaré dans son affidavit que le gendarme Chauhan, qui était également présent lorsque les formulaires ont été remis au demandeur le 7 juillet 1995, avait avisé le demandeur en punjabi qu'il avait trente jours à compter de la date de la saisie des bijoux pour interjeter appel.

[16]      Même si j'acceptais que les notes du gendarme Pelletier sont exactes et qu'un autre agent a induit le demandeur en erreur en lui disant qu'il avait trente jours à compter de la remise du relevé de saisie et du formulaire K19 pour interjeter appel, et que le demandeur en a déduit que le délai de trente jours commençait à courir le jour où il a reçu les formulaires modifiés, soit le 8 août, j'arriverais quand même à la conclusion que la Cour n'a pas compétence à l'égard de la déclaration du demandeur.

[17]      Un agent de la GRC n'est pas autorisé par la loi à proroger le délai prévu par la Loi sur les douanes en donnant un faux renseignement sur la date à laquelle le délai commence à courir. Vu le libellé clair du formulaire K19 et de la Loi sur les douanes, le demandeur et l'avocat dont il a retenu les services peu après le 7 juillet 1995 se sont fiés, à leurs risques et périls, à la déclaration attribuable à l'agent ou au règlement possible de l'affaire. Aucun fait qui aurait empêché le demandeur de déposer un avis d'appel en temps opportun n'a été découvert après l'expiration du délai de prescription. Par conséquent, la " règle de la possibilité de découvrir le dommage " qui a été énoncée dans l'arrêt Peixeiro ne s'applique pas aux faits de l'espèce.

[18]      Je reconnais que ce résultat peut sembler dur, mais compte tenu des dispositions législatives claires concernant le délai pour interjeter appel et excluant l'exercice d'autres recours, je suis obligé de faire droit à la requête du défendeur et de rejeter l'action du demandeur. Le demandeur peut examiner la question de savoir si un recours peut être exercé contre l'avocat dont il aurait retenu les services en juillet 1995 et qu'il a chargé d'interjeter appel de la saisie des bijoux.

                                 " John M. Evans "

                                         J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 16 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-2018-95

INTITULÉ :                          MUSHTAQ HUSSAIN, exploitant une entreprise sous la dénomination KHOKHAR JEWELLERS

                             - et -

                             LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE LUNDI 15 MARS 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le mardi 16 mars 1999

COMPARUTIONS :                  Pradeep B. Pachai

                                 Pour le demandeur

                             Nancy Noble

                                 Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Kissoon, Pachai-Associates

                             Avocats
                             5414, rue Dundas ouest
                             Bureau 303
                             Etobicoke (Ontario)
                             M9B 1B5
                                 Pour le demandeur
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                            
                                 Pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990316

     Dossier : T-2018-95

Entre :

     MUSHTAQ HUSSAIN, exploitant une entreprise

     sous la dénomination KHOKHAR JEWELLERS,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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