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Date : 20040414

Dossier : T-953-03

Référence : 2004 CF 558

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                         LUCIEN MORASSUTTI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                   EXPERTECH NETWORK INSTALLATION INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                M. Lucien Morassutti a été renvoyé de son emploi d'épisseur de câbles par Expertech Network Installation Inc. en 1998. Il avait eu de nombreux problèmes de genoux et son médecin avait recommandé qu'il soit affecté à des tâches moins lourdes. M. Morassutti prétend non seulement qu'Expertech n'a pas tenu compte de ses limites physiques, mais qu'elle l'a renvoyé à cause de celles-ci, et aussi à cause de son âge. Il a présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. L'enquêteur chargé d'examiner cette plainte a conclu que celle-ci n'avait aucun fondement factuel. Souscrivant à cette conclusion, la Commission a rejeté la plainte en application du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. M. Morassutti soutient que l'enquêteur a commis un certain nombre d'erreurs dans son rapport et que la décision de la Commission de souscrire à celui-ci était déraisonnable. Il me demande d'annuler cette décision et d'ordonner à la Commission de réexaminer l'affaire après l'avoir entendu.

[2]                Je ne vois aucune raison d'accorder à M. Morassutti ce qu'il demande. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Question en litige

[3]                La seule question sur laquelle je dois statuer en l'espèce est la suivante :

·            La Commission a-t-elle commis une erreur en souscrivant à la conclusion de l'enquêteur selon laquelle la plainte de M. Morassutti n'était pas fondée?

II. Analyse

[4]                M. Morassutti relève deux erreurs dans le rapport de l'enquêteur. Je les aborderai l'une après l'autre.

[5]                En premier lieu, l'enquêteur a fait clairement une erreur au sujet des faits. Il a dit à tort que le propre enquêteur d'Expertech s'était rendu chez M. Morassutti et avait trouvé des biens appartenant à la société. Expertech reconnaît que l'enquêteur s'est trompé, mais elle soutient que l'erreur n'a rien à voir avec les conclusions générales de l'enquêteur et n'a aucune incidence sur la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Morassutti. Dans les circonstances, je suis d'accord avec elle.

[6]                L'enquêteur devait déterminer si les allégations de discrimination fondée sur l'âge et la déficience de M. Morassutti étaient étayées par des faits. Dans le cadre de son enquête, il a constaté que le renvoi de M. Morassutti était bel et bien justifié. En effet, Expertech avait découvert, après avoir mené sa propre enquête, que M. Morassutti s'était approprié certains biens de la société et était en situation de conflit d'intérêts à cause de contrats conclus avec son fils.

[7]                Les préoccupations de la défenderesse étaient étayées par une preuve abondante à laquelle l'enquêteur a fait référence dans son rapport. Il s'est clairement trompé toutefois en indiquant que l'enquêteur d'Expertech s'était rendu chez M. Morassutti.


[8]                Je suis incapable de voir cependant de quelle façon cette erreur aurait pu influer sur la conclusion finale de l'enquêteur selon laquelle les allégations de discrimination de M. Morassutti étaient sans fondement et le renvoi de ce dernier était justifié. D'autres éléments de preuve étayaient les accusations portées par Expertech contre M. Morassutti. Par exemple, bien que l'enquêteur d'Expertech ne se soit pas rendu chez M. Morassutti, d'autres personnes l'ont fait, et elles ont préparé un inventaire détaillé des biens de la société qu'elles y ont trouvés. Quoi qu'il en soit, il n'était pas nécessaire que l'enquêteur tire des conclusions définitives concernant la véritable raison du renvoi de M. Morassutti. Il devait simplement déterminer si l'âge ou la déficience physique de M. Morassutti avaient joué un rôle dans son renvoi. Selon lui, la plainte de M. Morassutti n'était étayée par aucun élément de preuve. Au contraire, la preuve semblait indiquer que son renvoi était justifié. L'erreur dont fait état M. Morassutti pour discréditer le rapport de l'enquêteur n'a eu aucune incidence apparente sur les conclusions de ce dernier.

[9]                La deuxième erreur relevée par M. Morassutti concerne la conclusion de l'enquêteur selon laquelle Expertech avait répondu à ses besoins. L'enquêteur a constaté qu'Expertech avait affecté M. Morassutti à des tâches moins lourdes après sa blessure au genou survenue en 1995. Il pouvait ainsi travailler assis plutôt que grimper dans des échelles ou descendre dans des trous d'homme. L'enquêteur a indiqué dans son rapport que des collègues de M. Morassutti avaient confirmé qu'Expertech avait confié des tâches plus légères à ce dernier.

[10]            L'un des collègues de M. Morassutti, M. Horne, a cependant écrit dans une lettre qu'il avait travaillé avec M. Morassutti à plusieurs reprises pendant l'été de 1998 et qu'ils devaient, dans le cadre de leurs fonctions, grimper dans des échelles ou descendre dans des trous d'homme. M. Horne a dit que la société ne l'avait jamais informé des limites de M. Morassutti. Il savait toutefois que M. Morassutti avait un problème de genou, et il a offert de grimper dans les échelles à sa place.


[11]            L'enquêteur a aussi indiqué dans son rapport que M. Horne savait effectivement que les tâches confiées à M. Morassutti étaient moins lourdes. M. Morassutti prétend que la conclusion de l'enquêteur contredit la lettre de M. Horne et qu'on ne peut donc pas se fonder sur elle.

[12]            À mon avis, il n'y a pas de contradiction directe entre le résumé de la preuve fait par l'enquêteur sur cette question et la lettre de M. Horne. Il est bien possible que ce dernier ait été au courant des arrangements pris à l'endroit de M. Morassutti sans qu'Expertech ne lui en ait jamais parlé. Il peut en avoir été informé directement par M. Morassutti. En outre, celui-ci peut avoir accepté d'exécuter des tâches plus lourdes cet été-là, lorsque son genou ne le faisait pas trop souffrir, comme l'un de ses superviseurs l'a indiqué à l'enquêteur. Quoi qu'il en soit, la plus grande partie de la preuve dont disposait l'enquêteur indiquait qu'Expertech avait répondu aux besoins de M. Morassutti au cours des ans.

III. Conclusion


[13]            L'enquêteur a rédigé un rapport détaillé et impartial, conformément à l'obligation que la loi lui impose : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.). Il a interrogé tous les témoins importants disponibles et a examiné tous les éléments de preuve pertinents. Les deux parties ont eu la possibilité de répondre au rapport et de soumettre des observations additionnelles à la Commission. Celle-ci a examiné tous les éléments de preuve et documents qui lui ont été présentés avant de rejeter la plainte de M. Morassutti. Rien ne me permet de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable ou que la plainte de M. Morassutti n'a pas fait l'objet d'un examen conforme aux exigences de l'équité procédurale établies dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR JUGE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Les parties peuvent présenter des observations écrites concernant les dépens. Ces observations doivent être signifiées et déposées dans les 10 jours suivant la date du présent jugement.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _            

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                        Annexe


Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6

Irrecevabilité

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H-6

Commission to deal with complaint

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              T-953-03

INTITULÉ :                                                             LUCIEN MORASSUTTI

c.

EXPERTECH NETWORK INSTALLATION INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 7 AVRIL 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                            LE 14 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Paul C. Nesseth                                                         POUR LE DEMANDEUR

Susan L. Crawford                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul C. Nesseth                                                         POUR LE DEMANDEUR

Windsor (Ontario)

Crawford Chondon & Andree LLP                            POUR LA DÉFENDERESSE

Brampton (Ontario)


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