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Date : 20210601


Dossier : IMM‑1404‑20

Référence : 2021 CF 521

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2021

En présence de l’honorable juge Brown

ENTRE :

THI THU PHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 5 février 2020 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la décision]. En 2018, la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la mesure de renvoi que la Section de l’immigration [la SI] avait, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR], prise contre elle en raison de sa fausse déclaration sur son mariage de convenance.

[2] La décision de la SAI a été annulée par la juge Strickland dans la décision Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 435 [Phan 2019], qui a renvoyé l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

[3] La SAI a rejeté une deuxième fois l’appel de la demanderesse dans sa décision rendue en 2020 sur laquelle la Cour doit se prononcer en l’espèce, et a refusé d’accorder une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

II. Les faits

[4] La demanderesse est une citoyenne du Vietnam. Elle est devenue résidente permanente du Canada en août 2007, après avoir contracté un mariage de convenance. La demanderesse avait 18 ou 19 ans au moment de ce mariage, qui, selon elle, a été arrangé par sa tante. La demanderesse est arrivée au Canada en août 2006. Elle et son premier mari ont divorcé dans l’année qui a suivi.

[5] À l’automne 2008, la demanderesse a rencontré son mari actuel. En juin 2009, elle a donné naissance à leur premier enfant, puis, en septembre 2014, elle a donné naissance à leur deuxième enfant. La demanderesse et son mari canadien ont donc aujourd’hui deux enfants canadiens, lesquels étaient âgés de dix et cinq ans au moment de la décision. La demanderesse et son mari ont dit lors de leur témoignage que si la demanderesse était renvoyée du Canada, les enfants et leur père resteraient au Canada afin de maintenir leur établissement.

[6] La demanderesse et son mari possèdent et exploitent un salon de manucure, avec un nombre variable mais restreint d’employés.

[7] En 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a ouvert une enquête sur son premier mariage non authentique et son parrainage au Canada. La demanderesse a faussement déclaré que son premier mariage était authentique, et qu’il s’était soldé par un échec.

[8] Selon l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, un résident permanent est interdit de territoire s’il fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants:

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[9] En mai 2016, l’ASFC a déféré l’affaire à la SI pour enquête.

[10] Lors de l’enquête, la demanderesse a reconnu avoir contracté un mariage de convenance, et une mesure d’exclusion a été prise contre elle. Elle a fait appel de cette décision auprès de la SAI.

[11] Devant la SAI, la demanderesse n’a pas contesté la validité de la mesure de renvoi, mais a invoqué des motifs d’ordre humanitaire. La SAI a rejeté l’appel de la demanderesse et a conclu que sa fausse déclaration initiale, ainsi que le peu de remords qu’elle a exprimés, l’emportaient sur les motifs d’ordre humanitaire qui jouaient en sa faveur. De plus, la SAI a conclu que les enfants de la demanderesse ne subiraient pas de difficultés importantes au Vietnam, et que leur renvoi n’irait pas à l’encontre de leur intérêt supérieur.

[12] La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, et la juge Strickland a conclu, dans la décision Phan 2019, que la SAI n’avait pas adéquatement pris en compte l’établissement et l’intérêt supérieur des enfants. Le contrôle judiciaire a été autorisé et l’affaire a été renvoyée pour nouvelle décision.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[13] Le 19 novembre 2019, la SAI a tenu l’audience lui permettant de rendre la nouvelle décision, conformément à l’ordonnance prononcée par la juge Strickland. Lors de cette audience, la demanderesse et son mari ont apporté des précisions sur des éléments de preuve antérieurs, et ont fait le point sur leur situation. La SAI s’est également appuyée sur la transcription des témoignages livrés par la demanderesse et son mari à la première audience devant la SAI.

[14] La SAI a de nouveau rejeté l’appel de la demanderesse. Elle a conclu, entre autres, que la participation de la demanderesse à son mariage frauduleux et le peu de remords qu’elle avait exprimés constituaient d’importants facteurs défavorables. La SAI a estimé qu’elle était modérément établie au Canada, ce qui ne favorisait que légèrement l’octroi de mesures spéciales. Même si la demanderesse et son mari ont affirmé que les enfants n’accompagneraient pas leur mère au Vietnam, la SAI a conclu qu’ils y retourneraient tous ensemble, et que les enfants n’y subiraient pas de difficultés importantes.

[15] Dans l’ensemble, la SAI a conclu que, même si certains facteurs favorisaient modérément ou légèrement les mesures spéciales demandées, ils étaient surpassés par des facteurs défavorables importants, comme la fausse déclaration initiale et l’absence de remords.

IV. La question en litige

[16] La seule question en litige qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la décision est raisonnable.

V. La norme de contrôle

[17] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], le juge Rowe dit que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], établit un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Le point de départ est une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans certaines circonstances, mais aucune n’est présente en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[18] Dans l’arrêt Postes Canada, le juge Rowe explique les éléments nécessaires pour conclure au caractère raisonnable d’une décision, et les obligations qui incombent à la cour de révision lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[19] La Cour suprême du Canada dit ce qui suit au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov : « [I]l ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[20] En outre, l’arrêt Vavilov indique clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, sauf en cas de « circonstances exceptionnelles » :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[21] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable pour plusieurs motifs, notamment parce que la SAI a eu tort de prendre en compte deux fois la fausse déclaration de la demanderesse, et que son analyse des motifs d’ordre humanitaire a porté de manière excessive sur les difficultés.

[22] À mon avis, la question déterminante en l’espèce porte sur le fait que la fausse déclaration de la demanderesse sur son mariage aurait été prise en compte deux fois, bien qu’il y ait également eu des préoccupations concernant les difficultés.

[23] La demanderesse fait valoir que la SAI était tenue d’évaluer si les motifs d’ordre humanitaire permettaient de justifier une dispense, à partir des facteurs énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 [Ribic] :

[14] [...] Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l’espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada. Ces circonstances incluent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques. [...]

[24] Selon la demanderesse, la SAI était tenue de soupeser chacun des facteurs au regard de la fausse déclaration initiale, puis de décider si les facteurs favorables l’emportaient sur les facteurs défavorables. Je conviens que cette méthode est l’une de celles qui permettent à un décideur de statuer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[25] La demanderesse soutient par ailleurs que la SAI a eu tort d’accorder une importance moindre à un facteur en raison de la fausse déclaration sous‑jacente, puis de faire aussi une évaluation globale à la baisse dans sa pondération finale. Cette erreur a été reconnue par la Cour comme une erreur de double prise en compte. À mon avis, la présente espèce ressemble à l’affaire Jiang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 413 [la juge Simpson], parce que la SAI a pris en compte deux fois la fausse déclaration sous‑jacente relativement au même facteur tiré de la décision Ribic, parce qu’elle avait accordé moins d’importance au degré d’établissement de la demanderesse en raison de la fausse déclaration, puis avait aussi fait une évaluation globale à la baisse dans son appréciation finale :

[9] En l’espèce, la SAI s’est trompée dans l’appréciation du deuxième facteur, soit le degré d’établissement, en omettant de lui attribuer un poids indépendamment des autres facteurs. Cette erreur apparaît au paragraphe 26 de la décision contrôlée, ainsi rédigé :

Compte tenu des actifs et de l’emploi à long terme de l’appelant, je suis convaincue que l’appelant est établi au Canada; cependant, l’importance que j’accorde à ce facteur est diminuée par le fait que, s’il n’avait pas fait de fausse déclaration, l’appelant n’aurait pas pu s’établir au Canada. J’accorde donc un poids favorable minimal à ce facteur.

[10] L’erreur de la SAI est d’avoir comparé le poids de la fausse déclaration à celui du degré d’établissement au moment de l’examen de celui‑ci et d’avoir de nouveau pris en considération la fausse déclaration au paragraphe 37 de sa décision, où elle formule la conclusion suivante :

Il n’est jamais facile de séparer les membres d’une famille, mais l’appelant ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. J’ai attentivement évalué tous les facteurs en l’espèce, mais j’ai conclu que la gravité de la fausse représentation, en conjonction avec l’absence de remords de l’appelant relativement à son comportement, l’emporte selon moi sur tous les autres facteurs. Le fait d’accorder un sursis à la mesure de renvoi dans ces circonstances serait inutile.

[11] Le problème est ici que la SAI, en dernière analyse, a inscrit en double la gravité de la fausse déclaration, en l’utilisant d’abord pour réduire le poids attribuable au facteur du degré d’établissement, puis en la réutilisant dans son appréciation finale.

[12] Je ne puis considérer cette erreur comme négligeable, étant donné que si la SAI avait évalué le degré d’établissement indépendamment de la fausse déclaration, le compte final pourrait très bien avoir inclus deux notes « très favorable » et deux notes « très défavorable » plutôt que de se présenter comme nous l’avons vu plus haut. La SAI aurait donc peut‑être rendu une décision différente si elle n’avait pas commis cette erreur de méthode.

[Non souligné dans l’original.]

[26] La demanderesse fait valoir que le fait pour la SAI d’avoir doublement pris en compte la fausse déclaration relativement à son degré d’établissement constitue une erreur susceptible de contrôle. Je suis d’accord. Plus précisément, en ce qui concerne le facteur important que constitue l’établissement, la SAI a conclu que la demanderesse était modérément établie au Canada, mais elle a ensuite réduit le poids attribué à ce facteur parce que l’établissement avait été acquis grâce à la fausse déclaration. En raison de la double prise en compte, l’établissement modéré ne favorisait que légèrement l’octroi de mesures spéciales. C’est ce qui ressort de la conclusion suivante de la SAI sur l’établissement :

[traduction]

[45] Cela dit, je conclus que l’appelante a démontré qu’elle travaille au salon depuis environ huit ou neuf ans. L’établissement modéré de l’appelante au Canada au cours des 12 dernières années et le soutien dont elle a bénéficié sont des facteurs qui lui sont favorables. J’estime que le poids attribué à cet établissement est atténué par le fait qu’il n’a été possible que grâce au statut que l’appelante a illégitimement obtenu au moyen de sa fausse déclaration et parce qu’elle a continué de faire cette fausse représentation pendant un certain nombre d’années.

[46] Compte tenu de ce qui précède, bien que l’établissement de l’appelante au Canada au cours des 12 dernières années soit un facteur favorable, j’estime qu’il ne milite que légèrement en faveur de l’octroi de mesures spéciales.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Il était certes loisible à la SAI de tirer cette conclusion quant à l’établissement, mais il ressort clairement de l’extrait suivant de la conclusion générale de la SAI que la fausse déclaration a été prise en compte deux fois :

[traduction]

[77] Des facteurs favorables militent de légèrement à modérément en faveur de l’appelante, notamment ceux liés à son établissement, à ses liens familiaux et communautaires, à l’éclatement de la famille, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de ses enfants, mais les facteurs fondamentaux dans le cadre du présent appel sont les deux importants facteurs défavorables : la fausse déclaration grave et délibérée qui a eu lieu pendant de nombreuses années, ainsi que l’absence de remords véritable à l’égard de ces actes. Je conclus que le poids cumulatif des facteurs favorables ne permet pas de contrebalancer le poids des facteurs défavorables.

[Non souligné dans l’original.]

[28] La SAI se livre à cette même double prise en compte dans son évaluation de la famille [de la demanderesse] au Canada et des conséquences sur la famille que le renvoi entraînerait. Il s’agissait d’un autre élément très important de l’appréciation de la SAI. À cet égard, la SAI a conclu comme suit :

[traduction]

[61] Bien que j’accorde un poids favorable à ce facteur dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire, son poids est atténué par le fait qu’il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que la famille choisirait de se séparer en cas de rejet de l’appel, et par la présence de peu de difficultés si la famille choisissait de se réinstaller au Vietnam. Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que ce facteur ne milite que légèrement en faveur de l’octroi de mesures spéciales.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Or, la SAI a aussi fait une évaluation globale à la baisse dans le cadre de sa conclusion générale :

[traduction]

[77] Des facteurs favorables militent de légèrement à modérément en faveur de l’appelante, notamment ceux liés à son établissement, à ses liens familiaux et communautaires, à l’éclatement de la famille, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de ses enfants, mais les facteurs fondamentaux dans le cadre du présent appel sont les deux importants facteurs défavorables : la fausse déclaration grave et délibérée qui a eu lieu pendant de nombreuses années, ainsi que l’absence de remords véritable à l’égard de ses actes. Je conclus que le poids cumulatif des facteurs favorables ne permet pas de contrebalancer le poids des facteurs défavorables.

[30] À mon avis, la double prise en compte de ces facteurs, vu leur importance, constitue une erreur susceptible de contrôle.

[31] Je n’ai pas besoin d’examiner les autres questions, même si je crois que la SAI a peut‑être accordé plus d’importance aux difficultés qu’elle n’aurait dû le faire, étant donné que l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, exige que les difficultés soient appréciées en fonction des facteurs énoncés dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351.

VII. Conclusion

[32] À mon humble avis, la décision de la SAI est déraisonnable parce que le fait pour elle d’avoir deux fois évalué à la baisse les facteurs favorables à la demanderesse en raison de la fausse déclaration démontre qu’elle n’a pas suivi la jurisprudence comme elle est tenue de le faire.

VIII. Question à certifier

[33] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1404‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1404‑20

 

INTITULÉ :

THI THU PHAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Ali Esnaashari

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Esna Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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