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Date : 20210409


Dossier : IMM‑564‑20

Référence : 2021 CF 306

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

RU LIU

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 10 janvier 2020 (la décision) par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) faisait droit à la demande de réouverture de l’appel qu’avait présentée par Mme Ru Liu à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour prise contre elle en 2016. La mesure d’interdiction de séjour était fondée sur le défaut de Mme Liu de se conformer à l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Pour les motifs énoncés dans le présent jugement, la demande de contrôle judiciaire du ministre sera accueillie et la décision sera annulée. L’analyse de la SAI manque de justification au regard des dispositions pertinentes de la LIPR et du dossier de la preuve. La décision reflète l’opinion de la SAI sur la conduite du conseil de Mme Liu en 2017 par rapport à des éléments de preuve disponibles pour la première fois en 2019 et ne comporte pas d’évaluation rationnelle du processus d’appel de Mme Liu en 2017. Je suis consciente du retard que causera le réexamen de la demande de réouverture de Mme Liu, mais l’importance des erreurs contenues dans la décision nécessite l’intervention de la Cour.

I. Aperçu

[3] Mme Liu est une citoyenne de la Chine. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 2004, mais est retournée en Chine en 2014 et y a vécu pendant trois ans. À son retour au Canada, le 4 mars 2017, une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre elle, au motif qu’elle ne s’était pas conformée à son obligation de résider au Canada pour au moins 730 jours pendant la période quinquennale qui s’étendait de mars 2012 à mars 2017 (art 28 de la LIPR).

[4] Mme Liu a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour à la SAI. Elle ne s’est pas présentée à son audience devant la SAI le 15 septembre 2017, et son conseil a indiqué qu’il avait l’impression qu’elle souhaitait se désister de l’appel. La SAI a prononcé le désistement de l’appel au titre du paragraphe 168(1) de la LIPR (la décision de la SAI relative au désistement a été signée le 6 octobre 2017).

[5] Deux ans plus tard, le 2 octobre 2019, Mme Liu a demandé le rétablissement de son appel, au titre de l’article 51 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 (les Règles de la SAI). Les observations de Mme Liu à l’appui de sa demande étaient centrées sur l’état de sa santé mentale à l’été 2017. Elle a déclaré qu’elle était dans un état dépressif grave à son retour au Canada depuis la Chine et qu’elle avait trop peur de sortir de chez elle pour assister à son audience. Mme Liu a fondé ses observations sur un rapport psychiatrique du Centre universitaire de santé McGill daté du 24 septembre 2019 (la rapport McGill de 2019).

[6] La SAI a accueilli la demande de Mme Liu, ce qui a donné lieu à la décision visée par le contrôle. La SAI a conclu que le conseil de Mme Liu, au moment de l’audience relative à l’appel, n’aurait pas dû indiquer au tribunal initial de la SAI que Mme Liu souhaitait se désister de son appel. La SAI a remis en question la conduite du conseil à la lumière du rapport McGill de 2019 et du fait que Mme Liu avait fourni au conseil des éléments de preuve relatifs à des motifs d’ordre humanitaire dans les semaines précédant la date de son audience de 2017.

II. Question préliminaire – S’agit‑il d’une décision définitive?

[7] Mme Liu soutient que la décision n’est pas une décision définitive et qu’elle ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle par la Cour. Je ne souscris pas à sa prétention. La décision tranche définitivement dans une instance, soit aux termes de l’article 51 des Règles de la SAI (rétablissement d’un appel) ou de l’article 71 de la LIPR (réouverture de l’appel). Je fais référence à l’article 71, parce qu’il semble que la SAI a procédé en se fondant sur le fait que Mme Liu avait demandé la réouverture plutôt que le rétablissement de son appel.

[8] La Cour examine régulièrement des décisions de la SAI rendues au titre de l’article 71 de la LIPR (voir, par exemple El‑Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1008 (El‑Hassan); Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 505 (Kaur); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Philistin, 2014 CF 762; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kang, 2009 CF 941), et je ne vois aucune raison de m’écarter de la jurisprudence de la Cour.

[9] L’article 71 de la LIPR permet à la SAI de rouvrir un appel « sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle ». L’article 71 est une disposition autonome qui énonce le critère auquel un demandeur doit satisfaire. La façon dont la SAI a traité ce critère dans la décision est au centre des arguments du ministre. La position de Mme Liu, si elle était adoptée par la Cour, signifierait qu’il est interdit au ministre de demander le contrôle judiciaire d’une décision de la SAI accordant la réouverture d’un appel, que la SAI ait ou non tenté de justifier sa décision par rapport aux contraintes juridiques pertinentes. Mme Liu fait valoir que le ministre ne serait pas, dans tous les cas, empêché de demander le contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu de l’article 71 et que le ministre pourrait le faire pour des motifs stratégiques, mais cette suggestion introduit un caractère arbitraire inutile pour les deux parties.

[10] De plus, Mme Liu soutient qu’une décision rendue au titre de l’article 71 n’est interlocutoire que si la SAI conclut en faveur de la partie demanderesse. Son raisonnement est qu’une décision en faveur du ministre ne fait que rétablir l’appel et que le ministre aura l’occasion de contester le bien‑fondé de l’appel au cours de la procédure de réouverture de l’appel à la SAI. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. D’abord, le fait que le ministre puisse toujours contester le bien‑fondé de l’appel d’un demandeur n’explique pas pourquoi le ministre ne pourrait pas demander à la SAI qu’elle applique raisonnablement le critère énoncé à l’article 71. En outre, le ministre serait incapable, dans le cadre de l’appel sur le fond, de soulever des arguments pour contester la décision de la SAI de rouvrir l’appel en raison du manque de pertinence. Il pourrait également se voir opposer l’argument selon lequel il aurait dû demander un contrôle judiciaire de la décision de réouverture.

[11] Deuxièmement, Mme Liu n’a cité aucun précédent selon lequel une décision rendue au titre de l’article 71 ne peut être qualifiée d’interlocutoire que si elle est rendue en faveur de la partie demanderesse. Dans la décision Weekes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 293, la Cour s’est penchée sur une demande de prolongation du délai pour interjeter appel d’une mesure de renvoi. Dans la décision Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153 (Ali), la Cour a examiné le rejet d’une demande de réouverture d’une demande d’asile. En d’autres termes, le décideur, la Section de la protection des réfugiés, avait rendu une décision favorable au ministre. Le demandeur d’asile a demandé le contrôle judiciaire de la décision défavorable, et la Cour a conclu que sa requête en réouverture était une procédure interlocutoire qui confirmait le statu quo (Ali aux para 18‑19). Cependant, la Cour a invoqué l’obligation d’équité procédurale en common law pour affirmer que des motifs devaient être donnés en raison de l’importance de la décision pour le demandeur d’asile.

[12] Le raisonnement dans la décision Ali n’appuie pas la position de Mme Liu et va à l’encontre des intérêts des demandeurs en général. S’il est interdit à la SAI de prendre une décision déraisonnable en rouvrant un appel contre le ministre, il devrait aussi lui être interdit de rendre une décision déraisonnable contre un demandeur.

[13] Un tribunal administratif est tenu d’appliquer les lois et règlements auxquels il est assujetti. Mme Liu s’appuie sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) de la Cour suprême du Canada pour faire valoir que la Cour doit être guidée par le principe selon lequel la justice administrative doit pouvoir suivre son cours avec un minimum d’intervention. Cependant, la Cour suprême souligne l’importance du cadre législatif auquel est assujetti un tribunal. (Vavilov au para 68) :

[68] La norme de la décision raisonnable ne permet pas aux décideurs administratifs d’interpréter leur loi habilitante à leur gré et ne les autorise donc pas à élargir la portée de leurs pouvoirs au‑delà de ce que souhaitait le législateur. Elle vient plutôt confirmer que le régime législatif applicable servira toujours à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs. Même dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir — en les limitant peut‑être à une seule […]

[14] Je ne prétends pas que l’interprétation de l’article 71 par la SAI est limitée à un seul résultat raisonnable. Cependant, la SAI est tenue de justifier sa décision, qu’elle soit favorable ou défavorable, en fonction du critère énoncé dans cet article. Si la SAI accorde la réouverture d’un appel, le ministre a le droit de contester cette décision et de présenter des observations fondées sur le critère énoncé à l’article 71, la jurisprudence applicable et les paramètres établis par la Cour suprême pour le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable.

[15] Je conclus que la décision de la SAI rendue en application de l’article 71 de la LIPR est une décision définitive qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour.

III. La norme de contrôle

[16] La question de fond dont je suis saisie est de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision de rouvrir l’appel de la mesure d’interdiction de séjour interjeté par Mme Liu. Je conviens avec les parties que la décision doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, norme de contrôle présumée lorsqu’une cour se penche sur le fond d’une décision administrative (Vavilov aux para 10, 25). Aucune des situations cernées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov qui permettent de s’écarter de la norme de contrôle présumée ne s’applique en l’espèce. Un contrôle du caractère raisonnable de la décision est également conforme à la jurisprudence de la Cour antérieure à l’arrêt Vavilov sur la réouverture des appels à la SAI au titre de l’article 71 (El‑Hassan au para 11).

[17] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, aux para 31‑32). Il s’ensuit que j’examine d’abord la décision prise par la SAI pour établir si cette dernière a appliqué le droit pertinent aux faits de l’affaire et si son raisonnement est intrinsèquement cohérent (Vavilov aux para 84‑85, 108). En plus d’utiliser un raisonnement suivi pour rendre une décision, la SAI doit justifier le résultat obtenu (Vavilov au para 83).

IV. Analyse

[18] J’ai examiné attentivement les observations et les éléments de preuve présentés par Mme Liu, en particulier ses éléments de preuve médicale portant sur la période allant de 2017 à 2019. Comme l’affirme le ministre, il ne fait aucun doute qu’elle a depuis longtemps des troubles de santé mentale. Néanmoins, j’estime que la décision contient des erreurs importantes et des lacunes dans le raisonnement logique, de sorte qu’elle doit être annulée.

[19] Premièrement, même s’il semble que la SAI se soit fondée sur l’article 71 de la LIPR, je ne suis pas en mesure d’établir si la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la contrainte juridique énoncée dans cet article, telle qu’interprétée par la jurisprudence. L’incertitude découle en partie du fait que le commissaire n’a pas cité l’article sur lequel il s’est appuyé, mais, fait plus important encore, il n’a pas appliqué le critère de l’article 71. Cette dernière omission constitue une lacune importante de la décision.

[20] Par souci de commodité, l’article 71 est reproduit ci‑dessous :

Réouverture de l’appel

Reopening appeal

71 L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

71 The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice

[21] La SAI cite la décision Kaur, une décision rendue au titre de l’article 71, à l’appui de la proposition selon laquelle elle peut tenir compte non seulement de sa propre conduite, mais aussi de celle des autres dans une demande de réouverture d’un appel. Le commissaire a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

[9] Cependant, le tribunal est prêt à accorder le bénéfice du doute sur certaines questions. De plus, le tribunal tient compte de la décision Coward [sic], selon laquelle les décisions relatives à la réouverture d’un dossier ne se limitent pas aux violations de la justice naturelle commises par la SAI, et il ne semble pas y en avoir en l’espèce. Cependant, d’autres facteurs tels que les comportements ou les manquements d’autres parties, notamment le conseil de l’appelant, sont également des facteurs qui pourraient être pris en considération.

[22] Dans la décision Kaur, le juge Noël a conclu que, lorsque l’incompétence du conseil entraîne une violation de l’équité procédurale qui modifie l’issue d’une demande d’asile, l’intervention de la SAI pour permettre la réouverture d’un appel serait justifiée (au para 23) :

[23] Étant donné que le conseil joue un rôle d’agent, il est généralement admis que ses actions ne peuvent être distinguées de celles de son client. Cette règle bien connue tient au fait qu’un client qui choisit librement un agent doit accepter d’assumer les conséquences du choix qu’il a fait pour sa représentation. Il existe toutefois des exceptions à cette règle, dans des cas où la conduite du conseil est empreinte d’une telle négligence que ses actions (ou son incompétence) équivalent à un manquement à l’équité procédurale. Lorsque l’incompétence du conseil est assimilable à un manquement à l’équité procédurale qui modifie l’issue de la demande, l’intervention de la SAI en vue de rouvrir l’appel en application de l’article 71 de la LIPR serait justifiée. À cette fin, le demandeur en question doit satisfaire à un critère à trois volets énoncé dans la jurisprudence […].

[23] Le juge Noël a ensuite cité le critère à trois volets qu’un demandeur doit respecter pour établir l’incompétence de son conseil (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269 aux para 17, 24 (Yang)).

[24] La façon dont la SAI a appliqué le critère de l’article 71 à la décision n’est pas conforme à la jurisprudence sur laquelle elle se fonde. La SAI n’a pas conclu à l’incompétence du conseil dans la décision et n’a pas non plus examiné les trois volets du critère énoncé dans la décision Yang. Le commissaire a plutôt déclaré qu’il était quelque peu surpris que le conseil de Mme Liu ait informé la SAI en 2017 qu’elle avait l’intention de se désister de l’appel et qu’il y aurait [traduction] « également eu des malentendus avec son ancien conseil ». La SAI n’a fait aucune mention de la déclaration de Mme Liu figurant dans la demande qu’elle a présentée en 2019 au titre de la règle 51, selon laquelle son absence à l’audience relative à l’appel était due à un trouble de santé mentale [traduction] « plutôt qu’à une quelconque faute commise par elle‑même ou par son ancien conseil ». Le commissaire a noté [traduction] « qu’il aurait peut‑être été sage » que la SAI envisage de nommer un représentant désigné, mais a reconnu que la demande de réouverture n’était pas le cadre dans lequel cette question devait être examinée. La SAI a conclu que l’ancien conseil de Mme Liu aurait dû faire preuve de plus de diligence.

[25] L’article 71 nécessite que la SAI conclut à l’existence d’un manquement à un principe de justice naturelle au cours de la procédure d’appel d’un demandeur. Le manquement doit avoir été causé par la SAI elle‑même ou, aux fins de la présente affaire, par la négligence ou l’incompétence du conseil qui atteint le seuil du manquement à un principe de justice naturelle. Comme indiqué ci‑dessus, la SAI n’a tiré aucune conclusion de ce genre dans sa décision. La SAI était également tenue de prendre en compte les trois facteurs énoncés dans la décision Yang et ne l’a pas fait. Je conclus que l’analyse de la SAI n’est pas justifiée par rapport au cadre législatif et jurisprudentiel dans lequel elle était tenue d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

[26] Deuxièmement, la décision n’est pas suffisamment justifiée par rapport au dossier de la preuve. La SAI a énoncé ce qui suit :

[TRADUCTION]

[11] En outre, en considérant l’état mental de Mme Liu et le fait qu’elle a changé de médicament et aurait tenté de se suicider peu avant son appel, il semble que, selon la prépondérance des probabilités, elle n’était pas en état de décider correctement par elle‑même à ce moment‑là.

[27] La SAI s’est appuyée sur le rapport McGill de 2019 pour arriver à sa conclusion. Mme Liu a été évaluée le 24 septembre 2019 par la Dre Desmarais (R5 en psychiatrie) à la demande du conseil actuel de Mme Liu en prévision d’une prochaine date d’audience. Le frère de Mme Liu était également présent. Il a été demandé à la Dre Desmarais d’examiner si un trouble psychiatrique aurait pu entraver la capacité de Mme Liu à assister à son appel de septembre 2017.

[28] Sur la base de ses propres observations et des souvenirs de Mme Liu et de son frère concernant son état mental en 2017, la Dre Desmarais a conclu que Mme Liu souffre d’un trouble bipolaire. Son impression clinique était que Mme Liu vivait un épisode de dépression grave en septembre 2017. La Dre Desmarais a estimé que l’état mental de Mme Liu avait gravement compromis sa capacité à participer à l’audience de la SAI et à comprendre les conséquences d’un défaut de comparution.

[29] Les éléments de preuve médicale dont disposait le conseil de Mme Liu en 2017 et qui ont été présentés au tribunal initial de la SAI étaient une série de rapports du DTran, le médecin généraliste de Mme Liu depuis 2009. Le DTran voyait Mme Liu tous les mois au cours de l’été 2017. Les notes du DTran indiquent ceci : 1) 17 juillet 2017 : Le comportement de Mme Liu était plat (« affect plat »), mais elle était cohérente et son jugement était « O.K. »; elle n’avait pas d’hallucinations ni d’idées suicidaires. Mme Liu a discuté de ses médicaments, mais, malgré un stress récent, n’était pas déséquilibrée outre mesure. Le DTran a modifié la médication de Mme Liu; 2) 18 août 2017 : Mme Liu a déclaré qu’elle était plus anxieuse que déprimée. Le DTran a noté que Mme Liu parlait peu, mais était à nouveau cohérente et que son jugement était « O.K. ».

[30] La SAI n’a pas fait référence aux éléments de preuve médicale du DTran dans la décision et je conclus que cette omission constitue une erreur déterminante (Varatharajah c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 149 au para 25). Le commissaire de la SAI a ignoré des éléments de preuve médicale importants et contemporains. La SAI conclut à la faute dans une procédure de 2017 en se fondant sur des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles à ce moment‑là.

[31] En 2017, les éléments de preuve médicale indiquaient que Mme Liu était cohérente et qu’elle pouvait exercer son jugement. Rien ne permet de penser qu’il était ou aurait dû être évident que la consultation d’un spécialiste était nécessaire. La SAI semble supposer que le conseil était qualifié pour affirmer que les éléments de preuve médicale du DTran étaient inadéquats. Je conclus que la SAI était tenue d’exposer le raisonnement qui l’a amenée à conclure que le conseil et le tribunal initial de la SAI auraient dû se comporter différemment, de sorte qu’une réouverture de la décision relative au désistement était justifiée.

[32] En résumé, la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Elle n’est justifiée ni par rapport aux contraintes juridiques pertinentes qui pèsent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI au titre de l’article 71 de la LIPR, ni par rapport au cadre factuel reflété dans la preuve. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire du ministre est accueillie et la demande de réouverture de l’appel présentée par Mme Liu sera renvoyée à la SAI pour réexamen.

[33] J’ordonne que le réexamen de la demande de Mme Liu soit effectué par un autre commissaire de la SAI.

[34] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑564‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑564‑20

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c RU LIU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET MONTRÉAL (QUÉBEC) (LES PARTIES)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 MARS 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE :

le 9 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Chantal Chatmajian

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Pia Zambelli

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Pia Zambelli

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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