Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210423


Dossier : IMM-7177-19

Référence : 2021 CF 355

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Jasdeep PARMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Jasdeep Parmar sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté son appel.

[2] La SAI a conclu que M. Parmar n’avait pas établi que le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], ne s’appliquait pas. La SAI a conclu que le refus de l’agent du haut-commissariat du Canada en Inde était valide en droit et que l’épouse de M. Parmar, Mme Kamaljit Kaur, n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. La SAI a donc rejeté l’appel.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera rejetée.

II. Le contexte

[4] En 2008, M. Parmar, citoyen canadien de naissance et résident du Canada, a d’abord épousé une citoyenne de l’Inde dans le cadre d’un mariage arrangé. Il a parrainé sa première épouse, mais la demande de résidence permanente de celle-ci a d’abord été rejetée. En 2012, la SAI a accueilli l’appel de M. Palmar, mais, peu de temps après, M. Parmar a retiré son parrainage, et les époux ont divorcé. La décision de 2012 de la SAI est incluse dans le dossier certifié du tribunal [le DCT].

[5] Le 27 janvier 2016, M. Parmar a rencontré Mme Kamaljit Kaur par l’entremise de la belle-sœur de sa mère, qui est aussi la cousine de la mère de Mme Kaur. Le 10 février 2016, M. Parmar et Mme Kaur, citoyenne de l’Inde, se sont mariés en Inde dans le cadre d’un mariage arrangé. En juillet 2016, les époux ont déposé leurs demandes de parrainage et de résidence permanente respectives, au titre de la catégorie du regroupement familial.

[6] Le 21 février 2017, une agente du haut-commissariat du Canada en Inde a soulevé des préoccupations au sujet de la demande de résidence permanente de Mme Kaur, et le 20 juillet 2017, l’agente a interrogé Mme Kaur. Au cours de l’entrevue, l’agente s’est dite préoccupée par le fait que le mariage n’était pas conforme aux normes courantes de la culture du couple, soit celles de la foi et de la tradition sikhes. L’agente a souligné que les mariages arrangés dans la région des époux étaient fondés sur la compatibilité du couple, tandis que les époux ont démontré une incompatibilité inexpliquée à certains égards. L’agente a exprimé des préoccupations quant à l’authenticité de la relation et a cité cinq raisons à l’appui de ses préoccupations, donnant à Mme Kaur l’occasion d’aborder chacune d’elles.

[7] Dans une lettre datée du 26 juillet 2017, la Section de l’immigration du haut-commissariat du Canada en Inde a informé Mme Kaur qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’immigration au Canada. La Section de l’immigration n’était pas convaincue que le mariage de Mme Kaur avec son répondant était authentique ou qu’il n’avait pas été contracté principalement dans le but d’acquérir la résidence permanente au Canada. Par conséquent, Mme Kaur n’a pas été considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. Le même jour, un agent d’immigration du haut-commissariat du Canada en Inde a informé M. Parmar que la demande de visa d’immigrant de Mme Kaur avait été refusée.

[8] M. Parmar a fait appel de la décision de la Section de l’immigration auprès de la SAI, en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi sur l’immigration ou la Loi].

III. La décision de la SAI

[9] Le 12 août 2019, la SAI a tenu son audience, où M. Parmar, Mme Kaur et cinq membres de leur famille ont témoigné. M. Parmar a témoigné en partie en pendjabi, et la SAI n’a exprimé aucune préoccupation au sujet de la connaissance qu’il avait de la langue (paragraphe 28 de la décision).

[10] La SAI a souligné qu’elle était guidée par les facteurs énoncés dans la décision Chavez v Canada (Citizenship and Immigration) (2005 CarswellNat 7250 [Chavez]) et a énuméré les facteurs qui étaient inclus.

[11] La SAI a souligné qu’il s’agissait d’un mariage arrangé selon les coutumes et les traditions sikhes, et a accepté que le mariage ait eu lieu dans les 13 jours suivant la première rencontre des époux. Toutefois, la SAI a conclu qu’il y avait d’importantes préoccupations au sujet du mariage, qui n’avaient pas été dissipées par les témoignages.

[12] La SAI a examiné certains des facteurs cités dans la décision Chavez, à savoir la compatibilité, la communication, la connaissance de l’autre, le soutien financier et les visites, ainsi que la communication continue. En ce qui concerne la compatibilité, la SAI a souligné que, dans la tradition sikhe, les mariages arrangés sont fondés sur la compatibilité des époux, et que cette norme culturelle n’avait pas été contredite.

[13] La SAI a noté que les conjoints étaient bien assortis sur les plans ethnique et religieux. Toutefois, elle a souligné (1) qu’ils ont une différence d’âge de dix ans; (2) qu’il est divorcé, alors que pour elle, il s’agit de son premier mariage; (3) qu’il a quatre ans d’études collégiales, alors qu’elle a dix ans de scolarité; (4) que Mme Kaur n’était pas au courant, même au moment de l’audience, de l’état de santé de M. Parmar.

[14] La SAI a examiné les témoignages de M. Parmar et de Mme Kaur et a conclu qu’ils n’avaient pas jeté de lumière sur les raisons pour lesquelles les familles croyaient qu’ils formaient un bon couple pour ce mariage sikh traditionnel arrangé.

[15] La SAI a ensuite examiné les témoignages de la famille et relevé des incohérences entre le témoignage de M. Parmar et celui de sa mère, au sujet du moment où sa mère avait parlé pour la première fois à son épouse et de la façon dont l’union avait été expliquée. En fin de compte, sur la base des documents déposés et des témoignages fournis, la SAI a conclu que les raisons données pour déterminer que M. Parmar et Mme Kaur seraient des conjoints potentiels convenables dans le contexte d’un mariage sikh arrangé étaient d’ordre général et superficiel, compte tenu des incompatibilités relevées.

[16] La SAI a ensuite examiné l’état de santé de M. Parmar, comme il est indiqué dans la décision de 2012 de la SAI concernant son premier parrainage. Selon la preuve, M. Parmar souffre d« épilepsie dépendante de la vitamine B6 », contrôlée, à tout le moins en 2012, avec des suppléments de vitamine B-6, cette maladie entraînant une déficience intellectuelle importante. La SAI a souligné que Mme Kaur n’était pas au courant de ce problème, même au moment de l’audience, car elle avait cru comprendre qu’il prenait de la vitamine B6 en raison d’un manque de vitamine, tout comme la mère de Mme Kaur.

[17] La SAI a souligné que le conseil de M. Parmar avait soutenu que sa capacité mentale n’était pas une préoccupation dans le cadre du premier appel, en 2012, et que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait dans le présent appel, eu égard à la capacité mentale de M. Parmar. La SAI a conclu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas. Le critère selon lequel la même question avait été tranchée n’était pas satisfait, puisque la procédure antérieure portait sur l’authenticité de son premier mariage et que la présente procédure concernait son deuxième mariage. La SAI a confirmé que la connaissance de la condition de M. Parmar par Mme Kaur était un facteur pertinent dans un contexte où la compatibilité est importante, et qu’elle n’en était pas au courant.

[18] La SAI a également conclu que les époux avaient discuté au cours de leur première rencontre du fait qu’ils vivraient au Canada.

[19] Comme aucune explication satisfaisante n’avait été donnée au sujet de leurs incompatibilités, la SAI a conclu que ces facteurs ne témoignaient pas de l’intention que le mariage soit une relation conjugale authentique.

[20] En ce qui concerne la connaissance qu’avaient les époux l’un de l’autre, la SAI a souligné que le témoignage des époux n’appuyait pas leur affirmation selon laquelle ils se parlaient quotidiennement et ne faisait pas ressortir une connaissance mutuelle. La SAI a également souligné que leurs témoignages étaient incohérents quant à leurs tentatives d’avoir un enfant, puisque Mme Kaur a clairement indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’avoir un enfant avant d’arriver au Canada, tandis que M. Parmar et sa mère ont confirmé que le couple essayait de concevoir. Ceci a miné la crédibilité des deux témoins quant à l’authenticité de leur mariage.

[21] En ce qui concerne le soutien financier, la SAI a accordé un poids limité à la preuve documentaire de transferts d’argent en tant qu’élément de preuve de l’authenticité du mariage, puisque M. Parmar n’avait pas pu préciser quand et pourquoi les transferts avaient eu lieu, et puisque sa mère effectuait les transferts (selon le témoignage de M. Parmar).

[22] En ce qui concerne la communication continue, la SAI a pris note de la preuve selon laquelle M. Parmar avait rendu visite à son épouse en Inde et avait communiqué avec elle par téléphone, et la SAI a conclu que ces éléments constituaient des indications positives d’une relation matrimoniale authentique, mais a jugé que ce facteur était insuffisant pour contrebalancer les conclusions défavorables précitées.

[23] Au bout du compte, la SAI a rejeté l’appel de M. Parmar. Comme il a été mentionné précédemment, la SAI a décidé que M. Parmar n’avait pas établi que le paragraphe 4(1) du Règlement ne s’appliquait pas. La SAI a conclu que le refus de l’agent du haut-commissariat du Canada en Inde était valide en droit et que l’épouse de M. Parmar, Mme Kamaljit Kaur, n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. La SAI a donc rejeté l’appel.

IV. Les observations des parties

[24] M. Parmar soulève trois questions, à savoir si la SAI (1) a violé les principes d’équité procédurale en omettant de prendre en compte et d’analyser la preuve pertinente (Cepeda-Guttierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 [Cepeda-Guttierrez]) ou a tiré des conclusions erronées sans tenir compte de la preuve; (2) a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse à la loupe de la preuve; (3) a rendu une décision raisonnable.

[25] À l’audience, M. Parmar a confirmé que la SAI avait fondé sa décision sur un seul des deux volets du critère énoncé à l’article 4 du Règlement, soit l’authenticité du mariage (alinéa 4(1)b)). Il a confirmé que la formulation ou l’application du critère juridique n’était donc pas en cause.

[26] Dans son mémoire, M. Parmar passe en revue les facteurs suggérés dans la décision Chavez pour déterminer si la SAI les a examinés, et comment.

[27] En ce qui concerne la compatibilité des époux, M. Parmar soutient qu’il s’agissait du principal facteur dans le rejet de son appel et qu’une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la SAI vicierait donc sa décision. M. Parmar soutient que la différence d’âge entre lui et son épouse est de 8 ans et 10 mois, et non de 10 ans, comme le déclare la SAI, et que celle-ci n’a pas expliqué pourquoi ce facteur contredisait leurs antécédents religieux et ethniques par ailleurs compatibles. Au sujet du rejet par la SAI des explications données durant les témoignages concernant le statut de divorcé de M. Parmar, ce dernier fait remarquer que les témoignages sont présumés véridiques (Yotheeswaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1236 au para 4). Il fait valoir que la SAI a mis en doute les témoignages des témoins sans raison valable et sans conclure à un manque de crédibilité, ce qui constitue une erreur de droit susceptible de contrôle. M. Parmar soutient que la preuve testimoniale concernant le mariage et les raisons pour lesquelles l’épouse s’est mariée concordaient et que la SAI a illégalement écarté les explications concernant leurs supposées incompatibilités.

[28] En ce qui concerne l’évolution de la relation, M. Parmar fait valoir que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte du facteur et en ne lui accordant pas de poids, puisqu’elle a reconnu l’enchaînement pertinent des faits, sans tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[29] En ce qui concerne l’intention des parties au mariage, M. Parmar fait valoir que la SAI n’a pas tenu compte de l’intention des parties de vivre ensemble après le mariage, sans tirer de conclusions défavorables quant à la crédibilité. M. Parmar soutient également que son témoignage et celui de son épouse concernant leur intention d’avoir des enfants étaient cohérents, à l’exception du fait qu’il ne savait pas qu’elle voulait attendre de s’installer au Canada pour fonder une famille. M. Parmar soutient que la conclusion de la SAI sur ce facteur est déraisonnable.

[30] En ce qui concerne la communication entre les époux, M. Parmar soutient que la preuve documentaire démontre qu’il y a eu de nombreuses communications téléphoniques entre les époux.

[31] En ce qui concerne le soutien financier, M. Parmar concède que la décision de la SAI d’accorder un poids limité à la preuve documentaire appartenait aux issues possibles raisonnables.

[32] En ce qui concerne la connaissance qu’avaient les époux l’un de l’autre, M. Parmar souligne des faits qui n’ont pas été mentionnés par la SAI, comme les antécédents familiaux et le mode de vie des époux. M. Parmar soutient que la SAI a limité son analyse à deux questions adressées à l’épouse de M. Parmar, au sujet de ce qu’elle avait en commun avec son époux et aimait à son sujet, et aux questions à M. Parmar, au sujet de ce qu’il aimait au sujet de son épouse, et lui a demandé d’en dire davantage au tribunal au sujet de son épouse. M. Parmar soutient que cela était déraisonnable ou erroné, compte tenu des autres faits qu’il mentionne et de l’attitude de son épouse à l’audience (qui était réservée, et non vague). M. Parmar soutient que la SAI n’a pas tenu compte des antécédents des époux et de leur exposition antérieure à témoigner devant un tribunal. Il fait valoir que la SAI s’est livrée à une analyse à la loupe (citant Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 510 au para 68). Enfin, M. Parmar soutient que la SAI n’a pas tenu compte du fait qu’il avait retiré sa demande de parrainage pour sa première épouse, ce qui avait aidé à maintenir l’intégrité du système d’immigration. M. Parmar fait valoir que cela aurait dû donner de la crédibilité à ses intentions. M. Parmar soutient donc que la conclusion de la SAI sur sa crédibilité est déraisonnable.

[33] En ce qui concerne les connaissances, la participation et les contacts des familles des époux, M. Parmar soutient que tous les témoins ont déclaré que les familles respectives des époux avaient participé activement à l’organisation, au développement et au maintien de la relation. Cela était étayé par la preuve documentaire. La SAI a donc commis une erreur en n’accordant pas de poids à ce facteur et en se livrant à une analyse à la loupe. M. Parmar fait valoir que la SAI a ainsi manqué à l’équité procédurale.

[34] Au sujet des visites entre les époux, M. Parmar ne semble pas contredire la conclusion de la SAI.

[35] Dans l’ensemble, M. Parmar soutient que la décision de la SAI est entachée d’erreurs de droit susceptibles de contrôle et justifiant l’intervention de la Cour, et ajoute que la décision devrait être annulée.

[36] Le ministre répond que les conclusions et la décision de la SAI étaient raisonnables à la lumière de la preuve et qu’elles sont correctes en droit. Le ministre soutient que M. Parmar est simplement en désaccord avec la conclusion de la SAI ainsi que ses constatations de fait dans le cadre de son appréciation de la preuve, et il demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, ce qui dépasse la portée du contrôle judiciaire.

[37] Le ministre soutient ce qui suit : (1) il était certainement loisible à la SAI de tirer une inférence défavorable du témoignage générique et superficiel; (2) il était loisible à la SAI de tenir compte du fait que ni Mme Kaur ni sa famille n’étaient parfaitement au courant de l’état de santé de M. Parmar, et ce, même au moment de l’audience; (3) il était loisible à la SAI de tirer une inférence défavorable au sujet de l’authenticité du mariage à partir des témoignages contradictoires concernant leur tentative d’avoir un enfant; (4) la SAI a le droit d’examiner les facteurs tant favorables que défavorables et de leur attribuer le poids qu’elle juge approprié; (5) compte tenu des incohérences dans la preuve et du caractère vague des témoignages sur des éléments cruciaux concernant les transferts d’argent, il était loisible à la SAI de tirer une inférence défavorable et de mettre en doute l’authenticité du mariage.

[38] Le ministre souligne également que l’analyse de la SAI a été effectuée en tenant compte du contexte culturel des mariages arrangés et de la tradition sikhe. Le ministre soutient que, dans l’ensemble, la décision de la SAI est raisonnable.

V. Décision

[39] Les parties s’entendent pour dire que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], a établi le cadre servant à déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Le point de départ est une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique, présomption qui peut être réfutée dans certaines situations, aucune d’elles n’étant présente en l’espèce. Par conséquent, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[40] Il semble que M. Parmar allègue à tort un manquement à l’équité procédurale, en citant la décision Cepeda-Guttierrez, car son argument porte plutôt sur l’appréciation de la preuve par la SAI, et non sur une question de procédure. Il ne soutient pas que la norme de contrôle relative à un manquement à l’équité procédurale s’applique, ce qui est révélateur.

[41] Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[42] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a déclaré ce qui suit : « Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” » (au para 125; voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdo, 2007 CAF 64 au para 13). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[43] Selon l’article 12 de la Loi sur l’immigration, le critère de sélection applicable à l’étranger qui souhaite immigrer au Canada au titre de la catégorie « regroupement familial » est la relation qu’il a avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux. Pour que ce statut d’époux soit valide pour l’application de la Loi et conforme à l’article 4 du Règlement, le mariage qui unit les époux doit être authentique et ne pas viser l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

[44] Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Moise, 2017 CF 1004, la Cour a souligné le fardeau des demandeurs :

[15] Le fardeau sur la défenderesse est de satisfaire, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut. En effet, un mariage sera disqualifié si l’une ou l’autre des conditions prévues à l’alinéa 4(1)a) et b) ne sont pas satisfaites (Mahabir c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 546, et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077). C’est dire que la défenderesse doit satisfaire aux deux conditions. Un mariage contracté aux fins de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sera vicié même s’il est devenu authentique par la suite. Par ailleurs, le mariage contracté validement peut devenir vicié aux fins d’immigration lorsqu’il perd son caractère authentique.

[16] À sa face même, la disposition prévoit deux temps différents où les évaluations doivent être faites. Pour ce qui est de l’authenticité du mariage, le Règlement parle au présent ce qui fait en sorte que l’évaluation de l’authenticité de celui-ci a lieu au moment où la décision est prise. D’autre part, l’évaluation de l’intention avec laquelle le mariage a été contracté, à savoir principalement pour l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, est au passé. En français, on dit qui « visait » alors qu’en anglais, on utilise le « was entered »; c’est donc au moment où le mariage est contracté que l’évaluation se fait.

[45] Il est clair, contrairement à ce que M. Parmar a laissé entendre à l’audience, que le fardeau incombait à M. Parmar et à Mme Kaur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que leur mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut. Il n’incombe pas à la SAI de démontrer qu’il n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut.

[46] J’ai examiné attentivement le dossier ainsi que la décision de la SAI, et M. Parmar ne m’a pas convaincue que l’intervention de la Cour était justifiée.

[47] La Cour fait remarquer que M. Parmar n’a présenté aucune source faisant autorité à l’appui de son argument selon lequel la SAI devait examiner tous les facteurs énoncés dans la décision Chavez. Au contraire, les facteurs énoncés dans la décision Chavez ne sont ni exhaustifs ni déterminants. La SAI peut soupeser d’autres facteurs et mener sa propre analyse en ayant ces facteurs comme guides (voir, p. ex., Top c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 736 au para 18; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 978 au para 22; Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2019 CF 923 au para 30).

[48] L’affirmation de la SAI selon laquelle la compatibilité est un facteur important dans un mariage sikh arrangé n’a pas été contredite devant la SAI et n’entrait donc pas en jeu. Il était par conséquent raisonnable pour la SAI de l’apprécier en profondeur. De même, selon le dossier, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que les témoignages étaient vagues et superficiels, et les contradictions relevées par la SAI sont corroborées dans le dossier.

[49] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que M. Parmar, compte tenu de la nature de ses arguments, demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve pour en arriver à un résultat différent qui serait favorable à son épouse et à lui-même. Comme il a été mentionné précédemment, ce n’est pas le rôle de la Cour (Vavilov, au para 125). Il était raisonnable pour la SAI de conclure que les époux ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait.

[50] Je suis convaincue que la décision est fondée sur une chaîne d’analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, et qu’elle possède « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité ».

VI. Conclusion

[51] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7177-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-7177-19

 

INTITULÉ :

JASDEEP PARMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) – PAR VIDÉOCONFÉRENCE ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 23 avril 2021

COMPARUTIONS :

Mark Gruszczynski

POUR LE DEMANDEUR

Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Gruszczynski

Westmount (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.