Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210528


Dossier : IMM-2159-20

Référence : 2021 CF 508

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MARIA DEL SOCORRO SANCHEZ ROVIROSA

GLADYS STEFANY SANTOS SANCHEZ

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 mars 2020 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la décision). Dans la décision, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) avait rejeté la demande d’asile des demanderesses au motif qu’elles disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Mexico.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, la présente demande est rejetée parce que l’analyse de la PRI effectuée par la SAR est raisonnable.

II. Contexte

[3] Les demanderesses sont une femme (la demanderesse principale) et sa fille (la demanderesse mineure), toutes deux citoyennes du Mexique. Elles ont demandé l’asile au Canada parce qu’elles craignaient d’être persécutées et estimaient leur vie menacée par le père de la fille, appelé EV dans la décision.

[4] La demanderesse principale a entretenu une relation avec EV pendant environ un an et affirme qu’il l’a agressée physiquement et sexuellement. Elle a mis fin à la relation lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte. EV a continué de la harceler de diverses manières après la fin de leur relation. Elle affirme qu’il a continué de l’appeler, qu’elle tombait sur lui à différents endroits et qu’il s’est présenté ivre à sa résidence à plusieurs reprises.

[5] En 2018, la demanderesse principale a commencé à planifier un voyage au Canada pour elle et sa fille, mais elle avait besoin du consentement d’EV pour voyager avec leur fille. Il a d’abord refusé, mais a ensuite signé un document dans lequel il donnait son consentement ainsi qu’un autre document déclarant que la demanderesse principale avait la garde de leur fille, après s’être fait donner l’impression qu’ils se rendraient tous les trois ensemble au Canada. La demanderesse principale lui a ensuite dit qu’elle ne voulait plus le voir, et il s’est mis en colère et est devenu violent. Au cours de cette altercation, il a crié qu’il la ferait payer pour s’être moquée de lui.

[6] En mai 2018, deux hommes ont tenté d’enlever la demanderesse mineure alors qu’elle rentrait de l’école à pied. Les demanderesses croient qu’EV était à l’origine de la tentative d’enlèvement. Elles affirment que cela les a fait craindre pour leur sécurité et les a amenées à demander l’asile au Canada.

[7] La SPR a estimé que la plupart des allégations des demanderesses étaient crédibles, mais elle a rejeté leur demande d’asile. Elle a conclu que la demanderesse principale avait établi un lien avec un motif prévu par la Convention parce qu’elle était une victime de violence fondée sur le sexe, mais qu’il n’existait pas un tel lien dans le cas de sa fille et que les demanderesses disposaient d’une PRI viable à Mexico.

[8] Les demanderesses ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Dans la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce, la SAR a rejeté leur appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demanderesses n’avaient pas qualité de réfugiées au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger.

III. Décision de la Section d’appel des réfugiés

[9] La SAR a commencé son analyse en évaluant la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse mineure n’avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention. La SAR a établi que la SPR avait commis une erreur dans cette conclusion parce que les menaces d’EV proférées à l’endroit de la demanderesse principale concernaient aussi sa fille et s’inscrivaient dans un comportement soutenu de violence fondée sur le sexe.

[10] La SAR s’est ensuite penchée sur la question de savoir si les demanderesses disposaient d’une PRI, en appliquant pour ce faire le critère à deux volets de l’évaluation d’une PRI posé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1992] 1 CF 706 (CAF) :

  1. [Le tribunal] doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon [lui], il existe une possibilité de refuge ou que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture dans la PRI;

  2. La situation dans la partie du pays que l’on estime constituer une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur d’asile.

[11] En ce qui a trait au premier volet du critère d’analyse, la SAR a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi qu’elles étaient exposées à une possibilité sérieuse de persécution à Mexico, car elles n’avaient pas démontré qu’EV avait les moyens de les retrouver là‑bas ni qu’il était toujours motivé à les retrouver. Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a également tenu compte des arguments des demanderesses selon lesquels la SPR s’était trompée en tirant certaines conclusions défavorables en matière de crédibilité, mais elle les a rejetés. La SAR a également déterminé que les demanderesses n’étaient pas exposées à une possibilité sérieuse de persécution à Mexico en raison de leur sexe.

[12] Quant au deuxième volet du critère, la SAR a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi qu’il serait déraisonnable pour elles de se réinstaller à Mexico. La SAR a pris note des arguments des demanderesses selon lesquels, de façon générale, le Mexique n’était pas sûr pour les femmes, et elles n’auraient pas de réseaux sociaux ou professionnels à Mexico ni d’endroit où vivre et, par conséquent, elles subiraient un préjudice indu. La SAR a accepté ces arguments, mais elle a aussi pris en considération la scolarité, la formation et l’expérience professionnelle de la demanderesse principale et a estimé que, même si la réinstallation des demanderesses serait difficile, cette difficulté ne serait pas excessive. Par conséquent, elle a conclu que la ville de Mexico constituait une PRI valable pour les demanderesses et elle a rejeté leur appel pour cette raison.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Les demanderesses exposent comme suit les questions soulevées en l’espèce :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la validité de l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demanderesses disposaient d’une PRI viable à Mexico?

[14] Les demanderesses soutiennent — et je suis du même avis — que la norme de contrôle applicable à ces deux questions est celle du caractère raisonnable. Comme les conclusions en matière de crédibilité font partie de l’analyse de la PRI, j’examinerai les deux questions ensemble.

V. Analyse

A. Premier volet du critère relatif à la possibilité de refuge intérieur – risque sérieux de persécution dans la PRI proposée

[15] En procédant à l’analyse fondée sur le premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi qu’elles étaient exposées à des risques sérieux de persécution à Mexico, car elles n’avaient pas démontré qu’EV avait les moyens de les retrouver là‑bas ni qu’il était toujours motivé à les retrouver. C’est au cours de cette analyse que la SAR a formulé les conclusions en matière de crédibilité que les demanderesses contestent. Elles soutiennent que la SAR s’est trompée en confirmant les conclusions erronées en matière de crédibilité tirées par la SPR sur la base d’omissions dans les renseignements fournis par la demanderesse principale au point d’entrée (PDE) à son arrivée au Canada, mais également dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA).

[16] L’omission dans le formulaire FDA tenait au fait que la demanderesse principale n’avait pas mentionné, dans son exposé circonstancié, qu’elle avait vu EV lorsque sa fille et elle se trouvaient à Mexico environ 13 ans auparavant. La SPR a estimé que cette omission minait la crédibilité de ses affirmations. La SAR a convenu avec la SPR qu’il s’agissait d’un détail important et pertinent par rapport aux allégations des demanderesses, et que son omission jetait le doute la crédibilité de la demanderesse principale. Les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur, car on ne peut attendre des demanderesses qu’elles incluent chaque incident dans leur formulaire FDA, d’autant plus que ce détail n’a pris de l’importance que lorsque la SPR a évoqué la possibilité que Mexico soit une PRI.

[17] Le défendeur soutient que cet argument ne permet pas d’affirmer qu’il y a eu là une erreur susceptible de révision de la part de la SAR, car il ne s’agissait pas d’une conclusion déterminante. La SAR a plutôt conclu à titre subsidiaire que, même si les demanderesses avaient vu EV à Mexico 13 ans auparavant, cela n’établissait pas qu’il avait les moyens et la motivation de les retrouver dans cette ville aujourd’hui. La SAR a conclu que rien dans le dossier ne donnait à penser qu’il s’agissait d’autre chose qu’une rencontre fortuite; que rien n’indiquait qu’EV les ait même vues; et qu’il n’y avait aucune raison de penser qu’il les avait suivies jusqu’à Mexico.

[18] Les demanderesses contestent également le caractère raisonnable de cette analyse subsidiaire, en faisant valoir que la conclusion selon laquelle EV les avait trouvées de manière fortuite à Mexico était hypothétique et que, s’il les avait trouvées à Mexico une fois, il n’y avait aucune raison pour qu’il ne puisse le faire de nouveau. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision selon ces arguments. La conclusion de la SAR représente non pas une conclusion hypothétique selon laquelle le fait d’avoir vu EV à Mexico était le résultat d’une rencontre fortuite, mais plutôt une conclusion selon laquelle les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer le contraire. Rien ne permet à la Cour de juger déraisonnable la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait aucune preuve qu’EV les avait retrouvées.

[19] Vu le caractère raisonnable de cette analyse subsidiaire, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question de savoir si la SAR a raisonnablement examiné la question de la crédibilité liée à l’exposé circonstancié du formulaire FDA ne saurait avoir une incidence sur le caractère raisonnable de l’analyse en regard du premier volet du critère d’évaluation d’une PRI.

[20] Pour arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte l’argument des demanderesses selon lequel le raisonnement de la SAR dénote une incohérence ou une logique circulaire. Elles soutiennent que la conclusion de la SAR, selon laquelle la rencontre à Mexico constituait un détail à ce point important et pertinent quant à leurs allégations que son omission minait la crédibilité de la demanderesse principale, ne cadre pas avec la conclusion ultérieure de la SAR selon laquelle cette rencontre n’était pas suffisamment importante pour miner le caractère raisonnable de la PRI.

[21] Je ne relève aucune erreur de logique dans le raisonnement de la SAR. La rencontre avec EV à Mexico était manifestement un événement qui nécessitait d’être examiné, de sorte que son omission a soulevé des préoccupations quant à la crédibilité. Toutefois, cet examen n’a pas permis de conclure qu’EV souhaitait localiser les demanderesses à Mexico ou qu’il était en mesure de le faire. Après avoir examiné l’argument des demanderesses quant au lien entre cette analyse de la crédibilité et la conclusion relative au premier volet du critère relatif à la PRI, et tenu compte du caractère raisonnable de l’analyse subsidiaire de la SAR, j’estime qu’il n’y a aucune raison pour que l’analyse de la crédibilité influe sur le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la SAR relativement au critère.

[22] L’autre conclusion en matière de crédibilité contestée par les demanderesses concerne le fait que la demanderesse principale n’a pas mentionné, à son arrivée au PDE, qu’elle croyait qu’EV était à l’origine de la tentative d’enlèvement de sa fille. La SPR a estimé que cette omission minait la crédibilité de son affirmation selon laquelle EV était responsable de cette tentative. La SAR a convenu avec la SPR que cette omission était importante. Les demanderesses soutiennent que la SAR a mal interprété la jurisprudence sur laquelle elles se sont appuyées dans le cadre de l’appel, et selon laquelle c’est une erreur que de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur en se fondant uniquement sur un manque de détails fournis lors d’une entrevue au PDE (voir Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, aux para 50‑51). Elles soutiennent également que, de manière déraisonnable, la SAR n’a pas admis l’explication de la demanderesse principale quant à l’omission en question, à savoir qu’au moment où elle se trouvait au PDE, elle avait peur, et tout ce à quoi elle pouvait penser était de garder sa fille en sécurité.

[23] Comme dans le cas de l’analyse défavorable en matière de crédibilité concernant l’omission dans le formulaire FDA, la SAR a tiré des conclusions subsidiaires en ce qui a trait aux renseignements omis au PDE. Elle a estimé que, même en admettant que les demanderesses croyaient EV responsable de la tentative d’enlèvement, rien ne démontrait clairement un tel fait, compte tenu en particulier des éléments de preuve objectifs selon lesquels les tentatives d’enlèvement sont assez fréquentes au Mexique. Les demanderesses contestent également cette conclusion subsidiaire au motif qu’elle ne s’accorde pas avec les éléments de preuve indiquant qu’EV a menacé à plusieurs reprises de faire du mal à la demanderesse mineure.

[24] Toutefois, la SAR a également estimé que, même si elle admettait qu’EV était responsable de l’enlèvement, cela n’établissait pas qu’il aurait les moyens de localiser les demanderesses à Mexico. Par conséquent, j’examinerai maintenant les arguments des demanderesses concernant cette dernière conclusion, car, si elle est raisonnable, toute lacune dans la conclusion défavorable en matière de crédibilité ou dans la conclusion sur l’absence de preuve qu’EV a orchestré l’enlèvement ne peut constituer une erreur susceptible de révision.

[25] En concluant que l’éventuelle participation d’EV à la tentative d’enlèvement ne voulait pas dire qu’il avait les moyens de localiser les demanderesses à Mexico, la SAR a relevé qu’il n’y avait aucune preuve que l’enlèvement ait été associé au crime organisé ou à des acteurs étatiques. Les demanderesses soutiennent qu’il n’est pas nécessaire qu’un agent de persécution soit lié à des acteurs étatiques ou au crime organisé pour déduire qu’il a les moyens de localiser une personne. Elles font valoir qu’EV est comptable, ce qui signifie qu’il touche un revenu, et ajoutent qu’il s’est rendu par le passé dans la PRI proposée, où il a trouvé les demanderesses.

[26] À mon avis, ces arguments ne minent pas le caractère raisonnable de l’analyse de la SAR. Je ne vois pas la décision comme laissant entendre qu’il est obligatoire qu’un agent de persécution soit lié à des acteurs étatiques ou au crime organisé pour justifier une conclusion selon laquelle il a les moyens de localiser un demandeur d’asile. La SAR a examiné la question parce que l’existence d’un tel lien pouvait appuyer une conclusion en ce sens. La SAR a également observé que la tentative d’enlèvement avait eu lieu à quelques rues du domicile des demanderesses, ce qui ne permettait pas d’affirmer qu’EV avait la capacité de les localiser dans la PRI. En outre, dans la mesure où les demanderesses s’appuient sur le fait qu’EV les a trouvées à Mexico dans le passé, cet argument est incompatible avec la conclusion de la SAR quant à l’absence de preuve qu’il se soit agi d’autre chose que d’une rencontre fortuite ou qu’EV les ait même vues à cette occasion. La SAR a également pris en considération la nature de l’emploi d’EV, qui occupait un poste de comptable dans un hôtel, mais elle a conclu que rien dans le dossier ne donnait à penser qu’il exerçait un type d’emploi susceptible de l’aider à localiser les demanderesses.

[27] En ce qui concerne la conclusion de la SAR selon laquelle les demanderesses n’ont pas établi qu’EV avait toujours la motivation de les localiser, ces dernières soutiennent qu’une telle conclusion contredit le fait qu’EV les a menacées pendant une vingtaine d’années. Elles s’appuient à cet égard sur la décision AHA c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 787 [AHA], dans laquelle le juge Shore avait estimé que la conclusion de la SAR selon laquelle l’agent de persécution dans l’affaire n’avait pas la motivation nécessaire pour localiser les demandeurs d’asile dans une PRI était déraisonnable. Comme en l’espèce, l’affaire AHA avait trait à un contexte de violence familiale au Mexique, et le juge Shore avait conclu que la SAR n’avait pas tenu compte de la dynamique de la violence familiale et du harcèlement, qui aurait pourtant dû éclairer son analyse.

[28] Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que la dynamique de la violence familiale peut appuyer une conclusion selon laquelle l’agresseur est toujours motivé à sévir. Cependant, cela ne mène pas à la conclusion qu’il est déraisonnable pour la SAR de conclure autrement en fonction des faits d’une affaire donnée. Comme le fait remarquer le défendeur, les conclusions qui, dans l’affaire AHA, avaient été tirées quant à la motivation et aux moyens de l’agent de persécution pour localiser les demandeurs d’asile reposaient en partie sur ses contacts avec des criminels et des policiers et sur la mobilité de son emploi, des facteurs qui ne sont pas présents en l’espèce. En l’espèce, la SAR a souligné l’absence de toute preuve, après le départ des demanderesses du Mexique, selon laquelle EV se serait rendu à leur ancienne résidence ou aurait autrement déployé des efforts pour communiquer avec elles. Rien ne me permet de trancher que l’analyse et la conclusion de la SAR sur ce point sont déraisonnables.

[29] Comme je l’ai déjà souligné ci‑dessus, étant donné ma conclusion selon laquelle la SAR a raisonnablement estimé qu’EV n’avait pas les moyens ni la motivation pour localiser les demanderesses à Mexico, je n’ai pas besoin d’examiner les arguments des demanderesses sur la conclusion défavorable en matière de crédibilité liée à l’omission au PDE ou sur la conclusion d’absence de preuve qu’EV avait orchestré l’enlèvement. En effet, je ne vois dans ces conclusions aucune erreur susceptible de révision.

[30] Dans son analyse fondée sur le premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a également cherché à savoir si les demanderesses seraient exposées à un risque sérieux de persécution dans la PRI proposée en raison de leur sexe. Elle a examiné les documents sur les conditions dans le pays et a conclu que, bien que les femmes au Mexique subissent un certain degré de discrimination, y compris des préoccupations en matière de violence fondée sur le sexe, cela n’équivalait pas à de la persécution. Les demanderesses contestent cette conclusion, en soutenant qu’elle représente une très mauvaise interprétation de la preuve. Elles citent un certain nombre de points du cartable national de documentation (le CND) où il est question du caractère généralisé de la violence faite aux femmes au Mexique.

[31] La SAR est réputée avoir pris en considération les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays, même sans faire référence aux points précis sur lesquels les demanderesses s’appuient. Cette présomption peut être réfutée si certains éléments de preuve sont suffisamment incompatibles avec la conclusion de la SAR pour permettre de conclure qu’ils n’ont pas été examinés (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux para 15‑17). Or en l’espèce, rien ne me permet de conclure que la SAR n’a pas examiné ou a déraisonnablement omis de prendre en considération des éléments de preuve en l’espèce. La SAR a souligné que la violence fondée sur le sexe était une préoccupation au Mexique, en faisant référence au CND qui l’atteste, mais elle a conclu que cela n’équivalait pas à de la persécution. Comme le souligne le défendeur, certains des éléments de preuve invoqués par les demanderesses font état de la violence familiale comme étant la principale source de cette préoccupation, mais, comme je l’ai exposé plus haut, la SAR a établi que les demanderesses ne seraient pas menacées par l’ancien conjoint de la demanderesse principale dans la PRI.

[32] Les demanderesses soutiennent également que la SAR a commis une erreur en affirmant que la violence fondée sur le sexe est moins répandue que d’autres formes de violence au Mexique et que des hommes sont statistiquement plus susceptibles d’être victimes de violence que les femmes. Elles affirment que la SAR a appliqué le mauvais critère dans son analyse, car le critère relatif au risque sérieux de persécution ne consiste pas à établir si un groupe de personnes fait davantage l’objet de violence qu’un autre.

[33] Je conviens que le critère n’est pas de nature comparative, puisque l’accent doit être mis sur le risque de persécution auquel fait face le groupe protégé par la Convention, pour un motif qui y est prévu. Toutefois, je ne considère pas que les observations de la SAR sur le caractère plus généralisé de la violence au Mexique érigent cette partie de son analyse en un critère selon lequel le groupe protégé doit être davantage victime de violence que d’autres groupes. L’analyse globale de la SAR démontre plutôt qu’elle s’est penchée sur la question qu’elle devait évaluer, à savoir si la discrimination à l’égard des femmes dans la société patriarcale mexicaine, comme elle l’a dit, équivalait à de la persécution.

[34] Enfin, les demanderesses dénoncent le fait que la SAR se soit appuyée sur les mesures prises par les autorités mexicaines pour renforcer les sanctions pénales à l’endroit des auteurs de violence fondée sur le sexe, de même que sur la présence de femmes dans divers domaines d’emploi et sur les programmes destinés à favoriser cette présence. Elles soutiennent que cette analyse va à l’encontre de l’exigence selon laquelle une analyse raisonnable de la protection de l’État doit porter sur le caractère adéquat de cette protection dans les faits, plutôt que sur les efforts déployés par l’État (voir p. ex., Henguva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 912, au para 10).

[35] Bien que les demanderesses énoncent correctement la jurisprudence relative à la protection de l’État, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’analyse de la SAR portait sur le risque de persécution dans la PRI proposée, et non sur l’accessibilité de la protection de l’État contre ce risque. Je ne relève aucune erreur dans le fait que la SAR se soit appuyée sur la preuve qu’elle a citée pour déterminer si les femmes étaient exposées, de façon générale, à un risque sérieux de persécution à Mexico.

B. Deuxième volet du critère relatif à la PRI – caractère raisonnable d’une réinstallation dans la PRI proposée

[36] Les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant qu’elles n’avaient pas réussi à établir que leur réinstallation à Mexico serait déraisonnable ou excessivement difficile pour elles. Elles font valoir que la conclusion de la SAR n’est pas un résultat acceptable, compte tenu de leur situation particulière en tant que survivantes de violence fondée sur le sexe, de l’absence de membres de la famille pour les soutenir et de l’effet négatif de la discrimination à l’égard des femmes de l’âge des demanderesses à Mexico sur leur capacité de trouver un logement et un emploi.

[37] Mais les demanderesses n’ont pas soulevé de motifs qui permettraient à la Cour de modifier la conclusion de la SAR concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI. En effet, elles demandent à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve et d’arriver à une conclusion différente de celle de la SAR, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 125). La SAR a examiné les éléments de preuve, y compris ceux concernant la scolarité, la formation et l’expérience particulières de la demanderesse principale, et elle est parvenue à une conclusion appartenant aux issues acceptables, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait et du droit applicable.

VI. Conclusion

[38] Comme je n’ai relevé aucune erreur susceptible de révision dans l’analyse de la PRI effectuée par la SAR, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-2159-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juillet 2021.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2159-20

INTITULÉ :

MARIA DEL SOCORRO SANCHEZ ROVIROSA

GLADYS STEFANY SANTOS SANCHEZ

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À PARTIR DE TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 28 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Astrid Mrkich

POUR LES DEMANDEresseS

Nick Continelli

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mrkick Law

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEResseS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.