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Date: 19980430


Dossier: 98-T-21

Entre :

     ANNIE CHÉLIN

     Requérante

     ET

     PETIT FAUNE

     Intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


[1]      Il s'agit d'une requête de la requérante sous le paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R. (1985), ch. T-13, afin que cette Cour proroge d'une période de quatre mois le délai de deux mois prévu à ce même paragraphe pour en appeler d'une décision du registraire des marques de commerce (le registraire).


[2]      Par sa décision en date du 19 février 1998, le registraire a rejeté l'opposition formée par la requérante quant à l'enregistrement par l'intimée de la marque de commerce PETIT FAUNE. Le délai pour se pourvoir en appel contre cette décision expirait donc le 19 avril 1998. Le paragraphe 56(1) prévoit toutefois que:

                      56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans un tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.                 

Les faits

[3]      Le dossier nous indique que depuis le 29 janvier 1998, la requérante bénéficie d'une décision du registraire par laquelle ce dernier a rejeté une opposition logée à l'encontre de la demande d'enregistrement de la requérante pour la marque en litige. Cette décision du registraire a été portée en appel devant cette Cour par les opposantes.

[4]      On retient de l'affidavit de la requérante que depuis plusieurs années cette dernière est aux prises en France avec une affaire qu'elle qualifie "d'annulation de contrat de franchise et réclamation de dommages". À cet égard, des éléments de preuve pour constituer le dossier en appel de la requérante en les présentes se trouveraient toujours entre les mains d'un procureur français. On doit comprendre du même affidavit que la requérante s'est déplacée en France le ou vers le 22 avril 1998 pour tenter de récupérer ces éléments de preuve. La requérante doit être de retour au pays le 15 mai 1998.

[5]      D'autre part, la requérante nous informe que ce n'est que le 10 mars 1998 qu'elle a reçu de ses procureurs canadiens la décision du registraire datée du 19 février 1998. Toutefois, ce ne serait qu'en recevant une lettre de son procureur en France que la requérante aurait réalisé le 10 avril 1998 "la gravité de la présente affaire".

Analyse

[6]      Dans l'arrêt Centre Ice Ltd. v. National Hockey League (1995), 63 C.P.R. (3d) 490, la Cour a rappelé les quatre éléments qui doivent être établis par un requérant pour obtenir une prolongation du délai sous le paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce. En page 494 de l'arrêt, l'honorable juge Nadon les rappelle ainsi:

                      In sum, then, there are four factors that should guide this court in determining whether a retroactive extension of time to appeal a decision of the Registrar of Trade Marks should be granted:                 
                 (1)      the appellant must have an appeal that is at least arguable, as opposed to being frivolous or vexatious;                 
                 (2)      there must be no prejudice to the respondent;                 
                 (3)      there must be evidence of a genuine intention to appeal; and                 
                 (4)      there must be a good reason for the delay.                 

[7]      En page 497 du même arrêt, il précise comme suit le fait que le plus important de ces quatre éléments est celui qui vise les explications fournies pour n'avoir pu respecter le délai imparti:

                      As Reed J. pointed out in Food Roll Sales, supra, the most important factor to be taken into consideration is the reason for the delay.                 

[8]      Dans le cas qui nous occupe, c'est à l'égard principalement de cet élément que le bât blesse. En ce qui a trait aux deux premiers éléments, je tiens pour acquis que l'appel de la requérante présente à sa face même un aspect défendable vu l'enregistrement qu'elle possède depuis janvier 1998 sur la marque en litige. De l'aveu même de l'intimée, je crois pouvoir retenir de plus que l'absence de préjudice est admise. À tout hasard, j'en serais moi-même venu à cette conclusion sur cet élément.

[9]      Quant à la preuve d'une véritable intention d'en appeler, je pense que l'on pourra aisément y apporter réponse après avoir regardé les explications fournies par la requérante pour n'avoir pu former son appel dans les deux mois suivant le 19 février 1998.

[10]      À cet égard, il m'apparaît plus qu'étonnant que le jour même de la réception de cette décision, soit le 10 mars 1998, la requérante n'ait pas réalisé tout le sérieux de la situation et n'ait pas dès ce jour consulté un procureur au lieu d'attendre au 14 avril suivant pour agir ainsi. En effet, tel que mentionné plus avant, la requérante possède depuis janvier 1998 une décision du registraire lui reconnaissant le droit à l'enregistrement de la marque PETIT FAUNE. En recevant le 10 mars une décision en sens contraire, n'aurait-elle pas dû sursauter et entreprendre dès lors des démarche d'appel?

[11]      Bien plus, elle dit n'avoir réagi que le 10 avril en recevant une lettre de son procureur en France. Elle n'a donc posé elle-même aucun geste entre le 10 mars et le 10 avril pour s'attaquer à la situation. On doit s'interroger de plus quant à savoir si la requérante aurait à ce jour posé quelque geste à l'égard de cette décision du 19 février 1998 si elle n'avait pas reçu le 10 avril une lettre de son procureur étranger.

[12]      D'autre part, l'affidavit de la requérante n'indique pas également la nature exacte de la preuve qui lui manque et pour laquelle elle a quitté pour la France. Ayant quitté pour la France aussitôt son affidavit paraphé, elle n'a pas pu être interrogée sur celui-ci malgré une demande en ce sens.

[13]      Ces deux lacunes font en sorte à mon avis qu'il m'est très difficile de sortir des quatre éléments à couvrir et de faire appel, tel que l'a suggéré le procureur de la requérante, à une dynamique qui serait plus favorable à cette dernière. En ce sens, la jurisprudence qui porte sur le paragraphe 704(7) des Règles de la Cour fédérale (maintenant la règle 312 des Règles de la Cour fédérale (1998)) et plus spécialement les arrêts Immuno Concepts, Inc. v. Immuno AG (1996), 69 C.P.R. (3d) 384 (C.F. 1ère inst.) et Munsingwear Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F. 541 (C.A.) ne peuvent être invoqués.

[14]      Je considère donc que la requérante n'a pas fourni dans son affidavit des explications suffisantes pour une période substantielle de son délai original, soit la période du 10 mars au 14 avril 1998, et qu'à ce titre le quatrième élément de l'arrêt Centre Ice n'est pas rencontré. Pour les mêmes motifs, il m'apparaît que l'on doit conclure que la requérante n'a pas démontré pendant la même période qu'elle avait l'intention d'en appeler de la décision du registraire du 19 février 1998.

[15]      Pour ces motifs, je n'entends pas faire droit à cette requête de la requérante en prorogation de délai.

[16]      C'est là certes un résultat malheureux pour cette dernière et un qui permet potentiellement à ce que deux parties - soit la requérante d'une part et l'intimée d'autre part - puissent avoir droit à l'enregistrement d'une même marque de commerce pour des marchandises similaires. C'est là certes un résultat à éviter. Toutefois ce n'est pas, du moins ici, avec l'affidavit soumis par la requérante que l'on peut chercher à l'éviter.

[17]      En conséquence, cette requête sera rejetée avec dépens.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 30 avril 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

98-T-21

ANNIE CHÉLIN

     Requérante

ET

PETIT FAUNE

     Intimée

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 27 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 30 avril 1998

A COMPARU:

Me Benoit Archambault pour la requérante

Mme Paragiota Kautsogiannis                  pour l"intimée

PROCUREUR INSCRIT AU DOSSIER:

Me Benoit Archambault pour la requérante

Landreville & Ferreira

Montréal (Québec)

Mme Paragiota Kautsogiannis                  pour l"intimée

Léger Robic Richard

Montréal (Québec)


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