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Date : 20210531


Dossier : T‑984‑20

Référence : 2021 CF 505

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

CATALYST PHARMACEUTICALS, INC.

et KYE PHARMACEUTICALS INC.

demanderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et MÉDUNIK CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demanderesses, Catalyst Pharmaceuticals, Inc. [Catalyst] et KYE Pharmaceuticals Inc. [KYE], sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 10 août 2020 par laquelle le ministre de la Santé [le ministre] a délivré à Médunik Canada [Médunik] un avis de conformité à l’égard de la présentation de drogue nouvelle concernant son produit d’amifampridine, le RUZURGI [la décision].

[2] Les demanderesses contestent la décision du ministre, affirmant qu’elle est contraire aux dispositions relatives à la protection des données que l’on trouve à l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [le Règlement sur les aliments et drogues].

[3] Les demanderesses sollicitent plusieurs réparations, dont : (1) l’annulation de la décision du ministre et de l’avis de conformité délivré à Médunik; (2) l’interdiction pour le ministre de délivrer un avis de conformité à Médunik relativement à son produit, le RUZURGI, jusqu’au 1er août 2028 (huit ans après la date de la délivrance à Catalyst d’un avis de conformité pour son produit au phosphate d’amifampridine, le FIRDAPSE); (3) à titre subsidiaire, le renvoi de l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision conformément à l’alinéa C.08.004.1(3)b) du Règlement sur les aliments et drogues.

[4] En bref, et à titre préliminaire, je conclus que les demanderesses ont qualité pour présenter leur demande de contrôle judiciaire [la demande], étant donné qu’elles sont directement touchées par la décision du ministre au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F-7 [la Loi sur les Cours fédérales]). En particulier, et comme je l’explique en détail plus loin, j’estime que la contestation des demanderesses ne vise pas la décision du ministre sur l’innocuité et l’efficacité du RUZURGI, mais l’application des dispositions susmentionnées du Règlement sur les aliments et drogues relatives à la protection des données.

[5] Sur le fond, et pour les motifs ci-après exposés, je ferai droit à la demande, annulerai la décision du ministre et renverrai l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[6] Conformément aux directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le Procureur général du Canada [PGC] et Médunik ont respectivement exposé à la Cour les contraintes juridiques et factuelles dont la Cour doit tenir compte pour examiner la décision. Ils ont d’une part affirmé que les contraintes juridiques dont ils font état sont raisonnables et ont reçu l’aval de la Cour dans le jugement Hospira Healthcare Corporation c Canada (Santé), 2015 CF 1205 [Hospira 2015] et, d’autre part, que le ministre a effectivement tenu compte de ces contraintes juridiques avant de délivrer à Médunik son avis de conformité.

[7] La Cour n’est pas convaincue que l’interprétation par les défendeurs des dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues, telle qu’elle a été proposée par le PGC par l’intermédiaire de sa déposante, Mme Kendra Cann, agente de brevets « Questions juridiques, Santé Canada », et telle qu’elle a été soumise par les défendeurs dans les observations qu’ils ont formulées, est valide ou qu’elle a reçu l’aval de la Cour dans le jugement Hospira 2015. Toutefois, même en supposant que cette interprétation soit valide, la preuve ne démontre pas que le ministre a effectivement appliqué le régime législatif proposé avant de délivrer à Médunik son avis de conformité. Faute de motifs dans la décision elle-même, d’éléments d’information dans le DCT et dans la preuve, et de déclaration d’un déposant ayant une connaissance plus directe de la démarche qui a été suivie pour prendre cette décision – en supposant que la connaissance du déposant puisse compenser l’absence de motifs et d’éléments d’information –, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si l’interprétation proposée par les défendeurs correspond effectivement à celle adoptée par le ministre au moment où il a pris sa décision, ou si le ministre a même tenu compte de la protection accordée au FIRDAPSE avant de délivrer son avis de conformité à Médunik.

[8] Pour ces motifs, j’annulerai donc la décision et renverrai l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision.

II. Contexte

[9] Catalyst est une société biopharmaceutique établie en Floride, qui se définit comme une entreprise se concentrant sur l’investissement dans des activités scientifiques de pointe axées sur le développement et la commercialisation de thérapies innovantes pour les porteurs de maladies rares ou extrêmement rares. KYE est une société canadienne fondée et constituée en juillet 2019. Le premier produit de KYE à être commercialement lancé sur le marché est le FIRDAPSE, à la suite d’un accord conclu avec Catalyst.

[10] Médunik est un fabricant et fournisseur de produits pharmaceutiques établi à Blainville, au Québec.

[11] L’amifampridine sert à traiter une affection auto‑immune invalidante et extrêmement rare appelée « syndrome myasthénique de Lambert-Eaton » (le SMLE). À l’heure actuelle, environ 200 Canadiens souffrent du SMLE. Jusqu’à l’homologation du FIRDAPSE, l’amifampridine n’était pas disponible dans le commerce au Canada. On ne pouvait l’obtenir qu’au moyen du Programme d’accès spécial (le PAS) de Santé Canada, un programme offrant l’accès à certains médicaments qui ne peuvent autrement être vendus ou distribués au Canada. Les médicaments accessibles grâce au PAS sont délivrés directement par les fabricants aux praticiens qui prescrivent le médicament, en général des médecins. L’amifampridine était délivrée grâce au PAS par Jacobus Pharmaceuticals Co, la société pharmaceutique du New Jersey qui a finalement concédé une licence à Médunik pour le Ruzurgi.

[12] Le 15 août 2019, Catalyst a demandé le statut de « traitement prioritaire » pour sa présentation de drogue nouvelle [PDN] relative à son produit d’amifampridine, le FIRDAPSE, et, le 18 octobre 2019, Santé Canada a fait droit à la demande de Catalyst, abrégeant ainsi la période d’examen du ministre, la faisant passer des 300 jours habituels à 180 jours.

[13] Le 6 novembre 2019, Catalyst a soumis sa PDN pour son produit, le FIRDAPSE. Dans ses documents, elle a sollicité la protection de ses données et demandé au ministre de classer le FIRDAPSE comme « drogue innovante » au titre de l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues. Le 19 novembre 2019, le ministre a informé Catalyst que le FIRDAPSE semblait être une « drogue innovante » admissible à la protection des données.

[14] Le 7 février 2020, à la suite de la réponse donnée à un avis d’insuffisance lors de l’examen préliminaire, l’examen de la PDN relative au FIRDAPSE a été autorisé (paragraphe 33 de l’affidavit de Mme Cann; dossier des demanderesses [DD], à la page 1951).

[15] Médunik a également obtenu que sa PDN relative à son produit d’amifampridine, le RUZURGI, fasse l’objet du « traitement prioritaire » qu’elle demandait et, en décembre 2019, elle a déposé sa PDN.

[16] La copie de la monographie originale annotée du produit RUZURGI, soumise par Médunik avec sa PDN et versée au dossier certifié du tribunal [le DCT] (DD, aux pages 16 à 46), montre que Médunik renvoie à l’information posologique 2018 des États-Unis concernant le FIRDAPSE. Mme Cann estime que cette référence indique que la source d’information est la United States Prescribing Information [information posologique des États‑Unis ou USPI] approuvée par la Food and Drug Administration des États-Unis en ce qui concerne l’autorisation de mise sur le marché du FIRDAPSE aux États-Unis (paragraphe 37 de l’affidavit de Mme Cann; DD, aux pages 1951‑152). On y mentionne deux études portant sur le FIRDAPSE, la première sur la cancérogénicité et la seconde sur la toxicité pour l’appareil reproducteur et le développement (DD, à la page 40).

[17] Le 31 juillet 2020, le ministre a délivré un avis de conformité à Catalyst pour son produit d’amifampridine, le FIRDAPSE (phosphate ďamifampridine), sous forme de comprimés de 10 mg à prendre par voie orale (DD, à la page 89). L’avis de conformité est signé par le Dr J. Patrick Stewart, CCFP(EM), directeur général de la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada, et la monographie de produit et le document certifié d’information sur le produit y sont annexés.

[18] L’avis de conformité délivré à Catalyst n’est pas motivé. Il confirme simplement que la PDN est conforme aux exigences des articles C.08.002 et C.08.005.1 du Règlement sur les aliments et drogues, et qu’il est délivré conformément à l’article C.08.004 dudit Règlement.

[19] Il n’est pas contesté qu’en tant que premier produit d’amifampridine homologué au Canada, le FIRDAPSE a été reconnu comme « drogue innovante ». Il pouvait donc bénéficier de la protection des données conférée par le paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues.

[20] Le 10 août 2020, le ministre a délivré un avis de conformité à Médunik pour son produit d’amifampridine, le RUZURGI, sous forme de comprimés de 10 mg à prendre par voie orale (DCT, à la page 76). L’avis de conformité est également signé par le Dr J. Patrick Stewart, et la monographie de produit et le document certifié d’information sur le produit y sont là encore annexés.

[21] Tout comme l’avis de conformité délivré à Catalyst, l’avis de conformité délivré à Médunik n’est pas motivé. Il confirme simplement que la PDN respecte les dispositions applicables et qu’il est délivré conformément à l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues.

[22] Il nous faut donc consulter le DCT, établi et certifié par Mme Cann, de même que son affidavit et la transcription de son contre‑interrogatoire pour avoir un aperçu de ce qui est advenu de la PDN relative au RUZURGI, notamment entre le 31 juillet 2020, date à laquelle un avis de conformité a été délivré à Catalyst pour son produit, le FIRDAPSE, qui a été reconnu comme drogue innovante, et le 10 août 2020, date à laquelle un avis de conformité a été délivré à Médunik pour son produit, le RUZURGI.

[23] En ce qui concerne la PDN relative au RUZURGI, le DCT (aux pages 77 et suivantes) révèle que, le 31 juillet 2020, la directrice de la DSNC [Division du système nerveux central] a adressé une [TRADUCTION] « note de service clinique » à la directrice du BCASN [Bureau de cardiologie, des allergies et des sciences neurologiques]. Aux pages 2 et 3 de cette note de service, la directrice affirme : [traduction] « [à] l’heure actuelle, il n’existe aucun remède ou traitement approuvé pour le SMLE au Canada » et [traduction] « [i]l n’existe actuellement aucun produit pharmaceutique approuvé au Canada pour le traitement du SMLE », tout en reconnaissant que le FIRDAPSE, qui est produit par un autre fabricant que celui du RUZURGI, a été homologué en Europe en 2009.

[24] Le 4 août 2020, Mme Jacqueline Farah a fait parvenir à Catalyst l’avis de conformité qui avait été délivré à cette dernière le 31 juillet, avec la page couverture de la monographie du produit homologué et du document certifié d’information sur le produit.

[25] Le 5 août 2020, la directrice du BCASN a fait parvenir un « résumé de la demande pharmaceutique » [le résumé] au directeur général de la Direction des produits thérapeutiques [DPT], qui fait partie du dossier relatif à l’avis de conformité (DD, aux pages 52 et suivantes). À la deuxième page de ce résumé, la directrice affirme de nouveau qu’[traduction] « [à] l’heure actuelle, il n’existe aucun remède ou traitement approuvé pour le SMLE au Canada ». Cette affirmation est reprise à la page 3, où la directrice reconnaît de nouveau que le FIRDAPSE a été homologué en Europe en 2009.

[26] En date du 5 août 2020, la preuve documentaire que l’on trouve dans le DCT au sujet de la PDN relative au RUZURGI ne faisait aucune référence au fait que la PDN d’un autre fabricant était en cours d’examen, et encore moins au fait qu’un avis de conformité avait été délivré à Catalyst pour le FIRDAPSE, le 31 juillet 2020, en tant que « drogue innovante » avec la protection des données qui en découlait. Au contraire, le 31 juillet et le 5 août 2020, les documents de la PDN relative au RUZURGI confirmaient à plusieurs reprises qu’aucun médicament de ce type n’avait encore été homologué au Canada.

[27] Le 5 août 2020, la monographie du RUZURGI a été approuvée. Le nom du FIRDAPSE n’est plus cité en lien avec les études sur la cancérogénicité et sur la toxicité pour la reproduction.

[28] Le synopsis de l’avis de conformité du RUZURGI que l’on trouve à la page 88 du DD indique que ANGZHANG (Mme Angel Zhang, dont nous expliquerons le rôle plus loin) [traduction] « a effectué une vérification de la propriété intellectuelle », sans préciser les conséquences de cette vérification ou la façon dont elle avait été effectuée. La date de la vérification de la propriété intellectuelle n’est pas claire, car deux dates apparaissent dans le synopsis : le 5 août et le 11 août 2020.

[29] La section du synopsis du dossier de l’avis de conformité du RUZURGI intitulée [traduction] « notes à l’intention de la DG » (pages 50 et 51 du DD, et annexe W de l’affidavit de Mme Cann) contient une case consacrée au BMBL, c’est-à-dire le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, qui fait partie du Bureau des présentations et de la propriété intellectuelle [le BPPI]. Les informations contenues dans cette case concernent (1) la « vérification de la propriété intellectuelle », où il est indiqué que le RUZURGI [traduction] « est soustrait à la mise en suspens pour cause de propriété intellectuelle »; (2) la « protection des données », où la mention [traduction] « pas de protection de DONNÉES à ajouter » est mise en évidence; (3) les « exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) », où la mention [traduction] « pas de brevets à ajouter » est mise en évidence. Le 10 août 2020, à 15 h 51, Mme Zhang a ajouté une note dans la colonne de droite de la case consacrée au BMBL, dans laquelle elle indique : [traduction] « NOTE à l’intention du BMBL : n’est plus admissible à la protection des données ».

[30] En ce qui concerne la mise en suspens pour cause de propriété intellectuelle, Mme Cann indique, au paragraphe 63 de son affidavit (page 1957 du DD), que [traduction] « [l]orsqu’il conclut qu’un avis de conformité ne peut être délivré en raison de l’application des dispositions relatives à la protection des données, le BPPI met la présentation en suspens pour cause de propriété intellectuelle et en avise le fabricant qui a soumis la PDN ». Il n’y a aucune information permettant de savoir si le RUZURGI a déjà été mis en suspens pour cause de propriété intellectuelle, puis soustrait à la mise en suspens pour cause de propriété intellectuelle, ou s’il a toujours été soustrait à la mise en suspens pour cause de propriété intellectuelle.

[31] Rien ne permet de savoir si le résumé adressé le 5 août 2020 au directeur général de la DPT, qui semble être la personne qui a signé l’avis de conformité du RUZURGI, a été modifié pour indiquer qu’un autre médicament (« innovant ») avait été homologué.

[32] Il n’est pas contesté dans la présente instance que Médunik n’a pas modifié ou complété sa PDN après le 31 juillet 2020. Toutefois, je n’ai trouvé au dossier aucun élément indiquant qu’une vérification a été faite par les autorités compétentes pour savoir si une modification avait été faite entre le 31 juillet et le 10 août 2020.

[33] Le 10 août 2020, soit dix jours après la délivrance de l’avis de conformité à Catalyst pour le FIRDAPSE, et le jour même de la délivrance de l’avis de conformité relatif au RUZURGI, l’agent des brevets du Bureau des sciences du BMBL a transmis son évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données à la directrice de la BPPI, et il a déterminé que le FIRDAPSE était admissible à la protection des données.

[34] Un relevé extrait le 13 août 2020 du registre des drogues innovantes (DCT, aux pages 117 et suivantes) confirme que le FIRDAPSE est désigné comme « drogue innovante » avec un avis de conformité daté du 31 juillet 2020, une période de « non-dépôt » de six ans expirant le 31 juillet 2026 et une protection des données prenant fin le 31 juillet 2028. La protection des données est donc apparemment accordée à compter de la date de délivrance de l’avis de conformité, mais il n’y a aucune indication quant au statut de commercialisation du FIRDAPSE (voir analyse ci-dessous).

[35] Le 14 août 2020, Catalyst et KYE ont signé un contrat de licence. KYE a déposé une demande de PDN administrative, et, le 24 septembre 2020, le ministre a délivré un avis de conformité à KYE.

[36] Le 26 août 2020, les demanderesses ont déposé leur avis de demande, dans lequel elles avaient initialement désigné le ministre au nombre des défendeurs. Le ministre a par la suite été mis hors de cause aux termes d’une ordonnance rendue avec le consentement des parties, le 15 septembre 2020. Dans leur avis de demande, les demanderesses demandent notamment, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [les Règles], que le ministre leur fasse parvenir, ainsi qu’au greffe, tout en prenant les mesures appropriées pour assurer la confidentialité, une copie certifiée conforme de tous les documents examinés et créés par le ministre, y compris tous les documents et communications internes se rapportant à la décision du ministre.

[37] Le 15 septembre 2020, Mme Cann a attesté que les documents joints à son certificat étaient des copies conformes des documents réclamés par les demanderesses, et qu’ils étaient produits conformément aux articles 317 et 318 des Règles. Mme Cann a joint 13 documents à son certificat, conformément à l’article 318 des Règles, y compris un extrait du registre des drogues innovantes en date du 13 août 2020, donc après que le ministre eut pris sa décision. En contre‑interrogatoire, Mme Cann a expliqué qu’elle avait choisi les documents en consultation avec trois autres personnes du BMBL et du BPPI, en l’occurrence Mme Michelle Ciesielski, gestionnaire du BMBL, Mme Anne Bowes, directrice du BPPI et Mme Angel Zhang (DD, à la page 2454).

[38] Le 16 septembre 2020, la protonotaire Aylen a rendu une ordonnance préventive, qui a été modifiée le 20 octobre 2020.

[39] Le 26 octobre 2020, KYE a informé Santé Canada qu’elle avait commencé à vendre le FIRDAPSE au Canada (affidavit souscrit en réponse par M. Douglas Reynolds, au para 3; DD, à la page 950).

[40] Le 16 octobre 2020, Médunik a écrit à Santé Canada pour lui faire part des réponses du promoteur au sommaire des motifs de la décision [le sommaire] que Santé Canada avait fourni (pages 2644 et suivantes du DD). Le sommaire expose les raisons pour lesquelles l’homologation du RUZURGI était recommandée. Mme Cann a qualifié ce sommaire de document clé. Là encore, des mois après l’homologation du FIRDAPSE, le sommaire de Santé Canada renferme l’énoncé suivant : [traduction] « [à] l’heure actuelle, il n’existe aucun remède ou traitement approuvé pour le SMLE au Canada ». Médunik a biffé ce passage et ajouté que le FIRDAPSE avait été homologué en juillet 2020 (DD, à la page 2648).

[41] Le 5 novembre 2020, Médunik a déposé sa requête en radiation de l’avis de demande (pour défaut de qualité pour agir) et sa requête en exclusion de la preuve des demanderesses [la requête]. Les questions d’exclusion de la preuve concernaient spécifiquement des affidavits dont le ministre ne disposait pas au moment où il a pris sa décision, à savoir quatre affidavits portant sur les faits et un affidavit souscrit par un expert. Les demanderesses ont également déposé un projet d’affidavit souscrit en réponse par M. Reynold, qui, selon Médunik, est également inadmissible.

[42] J’ai tranché cette requête séparément. Toutefois, les parties ont convenu qu’il serait décidé de l’admissibilité de l’affidavit souscrit en réponse dans la présente instance. Je vais admettre en preuve l’affidavit souscrit en réponse, qui fournit essentiellement des renseignements sur la commercialisation du FIRDAPSE (ces renseignements n’ont aucune incidence sur ma décision). Je vais néanmoins radier du dossier le paragraphe 4 de l’affidavit, dans lequel M. Reynolds semble donner une preuve d’opinion non corroborée ou une preuve d’expert non admissible sur le processus de délivrance des avis de conformité et sur la commercialisation des médicaments homologués.

III. Qualité des demanderesses pour présenter la demande de contrôle judiciaire

[43] Je n’ai pas exercé mon pouvoir discrétionnaire pour me prononcer sur la question de la qualité pour agir lorsque j’ai rendu mon ordonnance en réponse à la requête de Médunik, ayant seulement conclu que Médunik n’avait pas satisfait au critère rigoureux applicable en matière de radiation des demandes. Je dois donc tout d’abord décider si les demanderesses ont ou non qualité pour présenter la présente demande, selon les observations formulées par les parties au sujet de la requête.

[44] Je conclus que les demanderesses ont effectivement qualité pour présenter leur demande de contrôle judiciaire, car j’estime qu’elles ne contestent pas la décision du ministre de délivrer un avis de conformité pour des raisons d’innocuité et d’efficacité. C’est plutôt au sujet de la question de savoir si la délivrance de l’avis de conformité contrevenait aux dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues qu’elles contestent la décision.

[45] L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales permet au PGC ou à quiconque est directement touché par l’objet de la demande de présenter une demande de contrôle judiciaire. Pour reprendre les propos de la protonotaire Tabib dans la décision Hospira Healthcare Corporation c Canada (Santé), 2014 CF 179 au para 9 [Hospira 2014] :

[…] le critère applicable pour déterminer si une partie a un intérêt direct est le même selon que la partie est un demandeur proposé ou un défendeur proposé, et […] l’énoncé le plus récent de ce critère par la Cour d’appel fédérale figure au paragraphe 20 de l’arrêt Forest Ethics Advocacy Assn. c Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236, que voici :

20. Selon le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, une partie a un « intérêt direct » lorsque ses droits sont touchés, lorsque lui sont imposées des obligations en droit ou qu’elle subit d’une certaine manière un préjudice direct : Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Odynsky, 2012 CAF 307, aux paragraphes 57 et 58; Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (M.R.N.), 1976 CanLII 1163 (CAF), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.); Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (P.G.), 2009 CAF 116.

[46] En ce qui concerne la contestation de l’avis de conformité, les parties conviennent qu’une jurisprudence constante de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale, citée par Médunik dans son dossier de requête, confirme qu’un fabricant de médicaments n’a pas qualité pour contester la décision du ministre de délivrer un avis de conformité pour des raisons d’innocuité et d’efficacité.

[47] Toutefois, comme le souligne même le PGC, cette jurisprudence n’empêche pas nécessairement un fabricant de médicaments de contester l’avis de conformité délivré à un autre fabricant de médicaments sur la question distincte et bien précise de savoir si la délivrance de cet avis de conformité contrevenait aux dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues.

[48] Deux des décisions citées par les parties concernent les dispositions relatives à la protection des données et ce sont donc celles qui sont les plus pertinentes en l’espèce. Il s’agit de : (1) Lundbeck Canada Inc c Canada (Santé), 2008 CF 1379 [Lundbeck], où le médicament du fabricant innovateur n’avait pas été, et ne pouvait pas être, inscrit au registre des drogues innovantes, et où la Cour ne s’intéresse pas aux principes régissant la qualité pour agir qui pourraient s’appliquer aux dispositions relatives à la protection des données; et de (2) Hospira 2014, dans laquelle il a été décidé que l’innovateur dont le produit est inscrit au registre des drogues innovantes est une personne directement touchée par l’objet de la demande qui doit être constituée partie défenderesse à la demande (la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Corporation des soins de santé Hospira c Canada (Santé), 2014 CAF 194, que cette conclusion n’était pas manifestement erronée et qu’il y avait effectivement lieu d’établir une distinction avec la décision Lundbeck). Je conclus que les demanderesses se trouvent dans une position semblable à celle de Sanofi dans l’affaire Hospira 2014, même si, dans cette affaire, la décision du ministre avait eu pour effet de constituer Sanofi, l’innovateur, partie défenderesse, étant donné que le ministre avait refusé de délivrer un avis de conformité à Hospira, alors qu’en l’espèce, Catalyst et KYE, qui sont également des innovateurs, sont les demanderesses, puisque l’avis de conformité a été délivré à Médunik.

[49] Je signale que le paragraphe 4 de la décision Hospira 2014 et les paragraphes 1 à 15 et 17 de la décision Hospira 2015 confirment que Hospira avait effectivement déposé une PDN.

[50] À l’instar des demanderesses, j’estime que cette jurisprudence confirme que l’innovateur dont le médicament est inscrit au registre des drogues innovantes a qualité pour contester l’avis de conformité délivré à une autre entreprise s’il allègue que cet avis a été délivré en violation de la protection des données dont bénéficie son propre produit.

[51] Or, la difficulté en l’espèce réside peut-être dans la réponse à la question de savoir si les demanderesses allèguent en fait uniquement que l’avis de conformité de Médunik a été délivré en violation de la protection des données de Catalyst ou si, comme l’affirme le PGC, on peut soutenir que la demande soulève une véritable question portant sur l’interprétation ou l’application des dispositions relatives à la protection des données plutôt que sur la contestation de la décision relative à l’innocuité et à l’efficacité.

[52] J’estime que la contestation des demanderesses vise l’interprétation et l’application des dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues, que leurs droits sont touchés et qu’elles ont un intérêt direct au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[53] Par conséquent, compte tenu des décisions susmentionnées qui confirment que les demanderesses ont qualité pour contester la décision du ministre de délivrer un avis de conformité à Médunik si elles se fondent sur les dispositions relatives à la protection des données, et compte tenu du fait que j’estime que la contestation des demanderesses vise l’application des dispositions relatives à la protection des données, je conclus que les demanderesses ont qualité pour présenter leur demande.

IV. Le cadre réglementaire

[54] Selon le paragraphe C.08.002(1) du Règlement sur les aliments et drogues, tous les fabricants de médicaments qui souhaitent vendre ou annoncer une drogue nouvelle au Canada doivent d’abord obtenir un avis de conformité en déposant une présentation de drogue nouvelle auprès du ministre.

[55] La présente instance concerne des présentations de drogues nouvelles [PDN] et non des présentations abrégées de drogues nouvelles [PADN]. Dans le cas d’une PDN, si celle-ci est conforme au paragraphe C.08.002(2) et qu’il est convaincu de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue, le ministre est tenu, aux termes du paragraphe C.08.004(1), de délivrer un avis de conformité conformément au régime de la protection des données.

[56] Le PGC soutient que l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues crée un régime de protection des données. Ce régime a été établi pour mettre en œuvre certains traités internationaux. Aux termes de ces traités, le Canada a accepté de protéger les fabricants de médicaments contre l’exploitation déloyale dans le commerce des données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées que les fabricants doivent déposer auprès de Santé Canada pour obtenir l’autorisation de mise en marché – par le biais d’un avis de conformité – d’un médicament qui utilise une nouvelle entité chimique.

[57] Les dispositions relatives à la protection des données ne s’appliquent que lorsqu’un avis de conformité a été délivré pour une « drogue innovante ». Ce terme s’entend de toute drogue qui contient un ingrédient médicinal non déjà approuvé dans une drogue par le ministre et qui ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé tel un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe (paragraphe C.08.004.1(1) du Règlement sur les aliments et drogues).

[58] Les drogues qui répondent à la définition de « drogues innovantes » sont inscrites au registre des drogues innovantes, que le ministre doit tenir conformément au paragraphe C.08.004.1(9) du Règlement sur les aliments et drogues.

[59] Lorsqu’un avis de conformité a été délivré pour une « drogue innovante », le paragraphe C.08.004.1(3) protège pour les périodes prévues au Règlement les données non divulguées qui ont été déposées pour obtenir cet avis de conformité en interdisant le dépôt et l’approbation d’une présentation qui vise à obtenir l’homologation d’un médicament « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte » avec la drogue innovante.

[60] L’article C.08.004.1 dispose en effet :

(3) Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante :

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette nouvelle drogue avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

[61] Le paragraphe C.08.004.1(5) prévoit que le paragraphe C.08.004.1(3) ne s’applique pas si la drogue innovante n’est pas commercialisée au Canada.

[62] La question de savoir si un fabricant d’une drogue nouvelle sollicite un avis de conformité sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre la nouvelle drogue et une drogue innovante, et contrevient ainsi aux dispositions relatives à la protection des données, est distincte de celle de savoir si, selon le ministre, une présentation satisfait aux exigences réglementaires en matière d’innocuité et d’efficacité.

[63] Le cadre réglementaire ne traite pas directement de situations comme celle en cause en l’espèce où deux PDN sont déposées presque simultanément, l’une comparant éventuellement son médicament à l’autre, où les PDN des deux médicaments sont ensuite traitées presque simultanément et où la première est approuvée et le médicament qu’elle vise est considéré comme une drogue innovante et bénéficie ainsi de la protection des données avant que la seconde ne soit approuvée.

[64] Le PGC a exposé son interprétation du cadre réglementaire et du processus de vérification de la propriété intellectuelle qui, selon lui, sont appliqués par Santé Canada. Les défendeurs affirment que ce processus est conforme au Règlement et qu’il a effectivement été suivi pour approuver l’avis de conformité de RUZURGI. Il semble donc utile de décrire ce processus de vérification de la propriété intellectuelle et d’examiner quels éléments contenus au dossier indiquent effectivement que ce processus a été suivi.

V. Vérifications de la propriété intellectuelle au cours du processus suivi par Santé Canada pour approuver une PDN

[65] Le PGC, dans ses observations, et Mme Cann, dans son affidavit, décrivent les vérifications de la propriété intellectuelle qui sont effectuées par le BPPI, d’abord lorsqu’une PDN est déposée, puis au moment de son examen en vue de son approbation.

[66] Ce processus est important tant pour la cause du ministre que pour celle de Médunik, car ils allèguent essentiellement qu’il : (1) correspond effectivement à l’interprétation et à l’application, par le ministre, des dispositions relatives à la protection des données; (2) est conforme aux dispositions relatives à la protection des données et a reçu l’aval de notre Cour dans le jugement Hospira 2015; (3) a été effectivement appliqué au cours du processus ayant conduit à la délivrance d’un avis de conformité à Médunik pour le RUZURGI.

[67] Le processus décrit par le PGC et par Mme Cann consiste en deux vérifications principales, chacune contenant deux étapes. Selon leurs explications, la première vérification a lieu au moment où la PDN est présentée au ministre – c’est-à-dire au moment de son dépôt –, et la seconde vérification intervient avant la délivrance de l’avis de conformité. Toutefois, ces premières explications du processus commandent d’emblée une mise en garde, étant donné que, comme nous l’expliquerons plus loin, Mme Cann a confirmé que la seconde vérification n’a pas, en fait, totalement lieu « avant » la délivrance de l’avis de conformité.

A. Première vérification, au moment du dépôt : examen préliminaire des PDN par le BPPI

(1) Examen préliminaire des PDN par le BPPI selon la description de Mme Cann

[68] Selon l’affidavit de Mme Cann – et je m’en tiendrai à dessein aux mots employés par Mme Cann –, l’examen préliminaire des PDN au moment du dépôt comporte deux étapes : (1) l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données; (2) la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle.

[69] En ce qui concerne l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données, Mme Cann souligne que le BPPI prend deux décisions. Premièrement, il détermine si l’ingrédient médicinal à l’examen est une nouvelle entité chimique et, deuxièmement, il détermine si l’établissement des données présentées à l’appui de l’homologation de l’ingrédient médicinal a demandé un effort considérable.

[70] Si une drogue contient un ingrédient médicinal qui n’a pas déjà été approuvé dans une drogue par le ministre et qui ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé, et si l’homologation est sollicitée sur la base de données dont l’établissement a demandé un effort considérable, la drogue sera jugée admissible à la protection des données. Seule la première drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré pourrait bénéficier de la protection des données.

[71] En ce qui concerne la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle, elle consiste à déterminer si la présentation vise à obtenir l’homologation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante qui est inscrite au registre des drogues innovantes et qui est actuellement commercialisée au Canada.

[72] La pratique du BPPI à cet égard, toujours selon le témoignage de Mme Cann, consiste à examiner chaque présentation pour déterminer, dans un ordre variable : (1) si l’on trouve au registre des drogues innovantes une drogue innovante pertinente ; (2) si la présentation vise à obtenir l’homologation sur la base d’une comparaison avec la drogue innovante; (3) si la drogue innovante est commercialisée au Canada. Le BPPI transmet la présentation pour examen préalable et détermine seulement si aucune drogue innovante ne répond à ces trois critères.

[73] Toutefois, à l’inverse, si aucun médicament homologué au Canada ne peut servir de produit de référence, c’est-à-dire si aucun médicament homologué n’est inscrit au registre des drogues innovantes, le fabricant ne peut demander d’avis de conformité sur la base « d’une comparaison directe ou indirecte entre la drogue nouvelle et la drogue innovante » (qui est actuellement commercialisée au Canada) (DD, aux pages 2491-92). Dans ces circonstances, le BPPI estime que les dispositions relatives à la protection des données n’entrent pas en jeu, et l’examen préalable de la PDN ne peut donc être autorisé.

(2) Examen préliminaire par le BPPI des PDN relatives au FIRDAPSE et au RUZURGI

[74] Il n’est pas contesté que les PDN de Catalyst et de Médunik étaient toutes les deux en instance devant le ministre au même moment. Le ministre a attribué le statut de « traitement prioritaire » aux deux PDN, qui ont donc été examinées dans un délai abrégé.

[75] En ce qui concerne l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données, selon l’affidavit de Mme Cann, le BPPI l’a effectuée autant pour le FIRDAPSE que pour le RUZURGI.

[76] Pour ce qui est du FIRDAPSE, le 15 novembre 2019, un agent de brevets du BMBL a transmis l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données relative au FIRDAPSE. À la page 10 de cette évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données, l’agent des brevets indique que : (1) le phosphate ď amifampridine n’a pas déjà été approuvé dans une drogue par le ministre et ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé; (2) la présentation de drogue relative au FIRDAPSE sollicite un avis de conformité sur la base de données d’essais cliniques nouvelles et importantes et ne constitue pas une présentation fondée sur des publications. L’agent des brevets a conclu que le FIRDAPSE pouvait bénéficier de la protection des données.

[77] Le 19 novembre 2019, Mme Cann a écrit à Catalyst, au nom de Mme Michelle Ciesielski, gestionnaire, BMBL, une lettre dans laquelle elle indiquait : [traduction] « [à] l’heure actuelle, le FIRDAPSE semble être une “drogue innovante” et est donc admissible à la protection des données » (DD, à la page 2100).

[78] De même, le 10 janvier 2020, un agent de brevets du BMBL a transmis l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données relative au RUZURGI. À la page 12 de cette évaluation préliminaire, l’agent des brevets indique que : (1) l’amifampridine n’a pas déjà été approuvée dans une drogue par le ministre et ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé; (2) la présentation de drogue relative au RUZURGI semble solliciter un avis de conformité sur la base de données d’essais cliniques nouvelles et importantes et ne constitue pas une présentation fondée sur des publications (comme le montre la section 4 de ce document). L’agent des brevets a conclu que le RUZURGI était admissible à la protection des données.

[79] Fait à noter, à la section 2 de l’évaluation intitulée [traduction] « homologations antérieures », l’agent des brevets signale que l’amifampridine [traduction] « est mentionnée dans le Système de suivi des présentations de drogues (SSPD) » relativement à la PDN relative au FIRDAPSE, [traduction] « avec, comme date de référence, le 2019.11.06, et une cote de priorité NSA » et est actuellement [traduction] « INACTIVE 45 » (DD, à la page 2120). L’agent note également que la date limite du 2020.01.11 [traduction] « est passée sans qu’une réponse ait été reçue » (DD, à la page 2120).

[80] À la section 4 susmentionnée intitulée [traduction] « informations sur les essais cliniques », l’agent des brevets note : [traduction] « on mentionne des études cliniques ayant trait au FIRDAPSE (phosphate ďamifampridine) portant sur la cancérogénicité et la toxicité pour l’appareil reproducteur et le développement dans la monographie de produit annotée » (DD, à la page 2121 [souligné dans l’original]). Enfin, à la page 12 de l’évaluation, immédiatement après avoir confirmé que le RUZURGI est admissible à la protection des données, l’agent des brevets signale une fois de plus que le statut de la PDN relative au FIRDAPSE est [traduction] « INACTIVE 45 » (DD, à la page 2129).

[81] Comme nous le verrons plus loin, Mme Cann a confirmé que le BPPI s’était fondé sur l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données du RUZURGI pour sa vérification finale de la propriété intellectuelle. On ignore comment, ou si, les indications selon lesquelles le FIRDAPSE est « inactif » ont été prises en compte.

[82] Le 13 janvier 2020, Mme Michelle Ciesielski a écrit à Médunik une lettre dans laquelle elle indiquait : [traduction] « [à] l’heure actuelle, le RUZURGI semble être une “drogue innovante” et est donc admissible à la protection des données » (DD, aux pages 2114-2115).

[83] L’annexe J de l’affidavit de Mme Cann, dont cette dernière a confirmé qu’elle faisait partie de l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données du RUZURGI, contient la note suivante : [traduction] « médicament homologué après vérification à l’étape de l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données » (DD, à la page 2165). Mme Cann s’est abstenue de spéculer sur la signification de cette note et la Cour ignore également ce qu’elle veut dire.

[84] Mme Cann a toutefois confirmé de nouveau que le ministre s’était fondé sur l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données lors de la vérification finale de la propriété intellectuelle.

[85] En ce qui concerne la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle, Mme Cann a confirmé que la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle du BPPI s’était soldée par l’autorisation de l’examen préalable de la PDN relative au FIRDAPSE. Elle a ajouté qu’au moment du dépôt, il n’y avait au Canada aucun médicament homologué pouvant servir de produit de référence pour le FIRDAPSE, et qu’aucune drogue pertinente n’était inscrite au registre des drogues innovantes.

[86] Mme Cann a également confirmé que la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle du BPPI s’était elle aussi soldée par l’autorisation de l’examen préalable de la PDN relative au RUZURGI (DD, à la page 1951). Comme il n’y avait pas de drogue innovante pertinente inscrite au registre des drogues innovantes au moment où Médunik a déposé la PDN relative au RUZURGI, le BPPI n’avait donc aucune raison de rejeter cette PDN.

[87] Mme Cann a confirmé, dans son affidavit, qu’au cours de sa vérification préliminaire de la propriété intellectuelle, le BPPI vérifie notamment si la présentation vise à obtenir l’homologation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante inscrite au registre et actuellement commercialisée au Canada. Toutefois, en ce qui concerne le RUZURGI, elle a confirmé en contre‑interrogatoire qu’au moment du dépôt, le BPPI n’aurait pas examiné la PDN relative au RUZURGI pour vérifier si on y comparait celui‑ci à une drogue innovante, étant donné qu’aucune drogue innovante n’était inscrite au registre des drogues innovantes. Mme Cann a confirmé qu’en l’absence de drogue innovante inscrite au registre des drogues innovantes, personne n’a examiné la présentation pour vérifier si elle était basée sur une comparaison.

[88] On ignore la raison pour laquelle l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données du 10 janvier concernant le RUZURGI, mentionnée précédemment, contient une note selon laquelle la PDN relative au RUZURGI fait « référence » au FIRDAPSE, ni ce que cela signifie.

[89] Mme Cann a confirmé que, malgré ce sur quoi devait porter, selon ses dires, la vérification préliminaire de la propriété intellectuelle du BPPI, dans le cas du RUZURGI : (1) aucune vérification n’a été effectuée pour déterminer si la PDN relative au RUZURGI sollicitait ou non la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante, étant donné qu’aucune drogue innovante pertinente n’était inscrite au registre des drogues innovantes; (2) aucune vérification n’a été effectuée pour savoir si la drogue était ou non commercialisée au Canada.

B. Deuxième vérification, avant la délivrance de l’avis de conformité : vérifications finales, par le BPPI, des avis de conformité recommandés

(1) Vérification finale, par le BPPI, des avis de conformité recommandés, selon la description de Mme Cann

[90] Selon les observations du PGC et l’affidavit de Mme Cann, une fois que l’examen préliminaire d’une PDN est autorisé, la direction compétente de Santé Canada vérifie si elle est conforme au Règlement sur les aliments et drogues, notamment si elle satisfait aux exigences en matière d’innocuité et d’efficacité. Dans le cas du FIRDAPSE et du RUZURGI, le BCASN, un bureau au sein de la Direction des produits thérapeutiques, a effectué des examens cliniques et des examens non cliniques. Il n’est pas nécessaire que je m’attarde sur ce point en l’espèce.

[91] Mme Cann a expliqué que, lorsque les examinateurs de Santé Canada recommandent la délivrance d’un avis de conformité pour un médicament, ils préparent un « dossier d’avis de conformité » dans lequel sont versés les documents qui appuient leur recommandation. Le dossier d’avis de conformité fait l’objet d’une série d’approbations jusqu’à ce que, finalement, le directeur général de la DPT se prononce sur l’opportunité de délivrer un avis de conformité.

[92] Le dossier d’avis de conformité comprend un résumé exposant brièvement les motifs de la recommandation d’homologation, y compris les résumés et les principales conclusions et questions relatives aux divers types d’examens.

[93] La vérification finale comporte deux étapes, à savoir la vérification finale de la propriété intellectuelle et l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données.

[94] En ce qui concerne la vérification finale de la propriété intellectuelle, Mme Cann a expliqué qu’au cours de son cheminement vers le décideur final, le dossier d’avis de conformité, dans lequel se trouve le résumé susmentionné, est transmis au BPPI pour qu’il procède à la vérification finale de la propriété intellectuelle.

[95] Dans son affidavit et au cours de son contre-interrogatoire, Mme Cann a expliqué que la vérification finale de la propriété intellectuelle comprend les deux étapes suivantes : (1) déterminer si la présentation vise à obtenir une homologation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante inscrite au registre des drogues innovantes qui est actuellement commercialisée au Canada; (2) déterminer quelles présentations nécessitent une évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données.

[96] En ce qui concerne la première de ces deux étapes, selon l’affidavit de Mme Cann (au paragraphe 45; DD, aux pages 1953-54), le processus de vérification finale de la propriété intellectuelle du BPPI consiste à d’abord vérifier si une drogue innovante a été inscrite au registre des drogues innovantes au cours de la période comprise entre le dépôt et l’homologation.

[97] S’il ne trouve aucune drogue innovante lors de cette recherche, le BPPI ne poursuit pas sa vérification finale de la propriété intellectuelle.

[98] S’il décèle l’existence d’une drogue innovante au cours de sa recherche, le BPPI vérifie si, après l’homologation et la commercialisation de la drogue innovante (affidavit de Mme Cann; DD, à la page 1954), la PDN a été modifiée de sorte qu’elle vise à obtenir l’homologation et fait l’objet d’une recommandation sur la base d’une nouvelle comparaison avec la drogue innovante ayant depuis été homologuée et commercialisée. C’est ce qu’on entend par « vérification de la modification ».

[99] Ainsi, si une drogue innovante pertinente a été homologuée et inscrite depuis le dépôt de la PDN, le BPPI détermine : (1) si la PDN a été modifiée depuis l’homologation de la drogue innovante pertinente; (2) si, par suite de cette modification, la PDN a été évaluée et a fait l’objet d’une recommandation d’homologation en tant que [traduction] « PDN visant à obtenir l’homologation sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec la drogue innovante qui a depuis été homologuée et commercialisée » (DD, à la page 1954 [non souligné dans l’original]).

[100] Lorsqu’une telle modification – c’est-à-dire une modification postérieure à la délivrance de l’avis de conformité relatif à la drogue innovante – donne lieu à une telle comparaison – c’est‑à‑dire une comparaison qui est à la base de l’homologation de la nouvelle drogue –, les dispositions relatives à la protection des données entrent en jeu et le BPPI met la PDN en suspens pour cause de propriété intellectuelle jusqu’à l’expiration de la période de protection des données de la drogue innovante.

[101] Ainsi qu’elle l’a confirmé dans son contre‑interrogatoire, Mme Cann n’a pas joint à son affidavit des lignes directrices, des procédures opérationnelles normalisées ou d’autres documents internes du BPPI qui décriraient et confirmeraient le processus qu’elle expose au paragraphe 45 de son affidavit (aux pages 1953-1954).

[102] Mme Cann a souligné que la commercialisation du médicament au Canada est un facteur qui a une incidence sur l’application des dispositions relatives à la protection des données.

[103] En ce qui concerne l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données, il convient de souligner une fois de plus qu’elle est effectuée après que l’avis de conformité a été délivré, parce que, selon le témoignage de Mme Cann, [traduction] « on n’a tout simplement pas le temps de le faire avant la délivrance de l’avis de conformité » (DD, à la page 2465). Mme Cann a confirmé que la décision de délivrer l’avis de conformité est donc basée sur l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données, c’est-à-dire sur l’évaluation effectuée au moment où la PDN est déposée.

[104] L’une des raisons pour lesquelles le BPPI procède à une évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données est qu’un autre médicament pourrait avoir été homologué depuis l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données. Par conséquent, le BPPI vérifie si le ministre a homologué une drogue innovante pertinente et l’a inscrite au registre des drogues innovantes pendant que Santé Canada examinait la nouvelle drogue. Mme Cann a confirmé que le BPPI reconnaît ainsi, en effectuant son évaluation de l’admissibilité à la protection des données, que le cadre réglementaire a pu avoir changé depuis le dépôt de la présentation. En d’autres termes, il est possible qu’une drogue qui a été jugée admissible à la protection des données au moment du dépôt ne le soit plus au moment de l’approbation de l’avis de conformité.

(2) Vérifications finales du BPPI concernant le FIRDAPSE et le RUZURGI

[105] En ce qui concerne la vérification finale de la propriété intellectuelle du FIRDAPSE, le dossier d’avis de conformité comprenait un résumé destiné au directeur général de la DPT, et, avant que le dossier d’avis de conformité ne soit acheminé au directeur général pour approbation finale, il a été transmis au BPPI pour vérification finale de la propriété intellectuelle selon la procédure normale.

[106] Selon l’affidavit de Mme Cann, le fait qu’un avis de conformité a été délivré à Catalyst pour le FIRDAPSE confirme que le BPPI avait conclu, à la suite de sa vérification finale de la propriété intellectuelle, que rien dans les dispositions relatives à la protection des données ne faisait obstacle à sa délivrance.

[107] En ce qui concerne l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données du FIRDAPSE, le 10 août 2020, soit dix jours après la délivrance de l’avis de conformité du FIRDAPSE, l’« agent de brevets – Bureau des sciences » du BMBL a fait parvenir son évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données à la directrice du BPPI, et a jugé que le FIRDAPSE était admissible à la protection des données.

[108] L’extrait du registre des drogues innovantes daté du 13 août 2020 confirme que le FIRDAPSE est une drogue innovante qui bénéficie de la protection des données depuis le 31 juillet 2020. Il n’y a toutefois aucune indication permettant de savoir à quel moment, entre le 10 et le 13 août 2020, le FIRDAPSE a effectivement été inscrit au registre des drogues innovantes, comme pourrait le constater quiconque consulterait le registre.

[109] Je n’ai trouvé aucune mention d’une quelconque vérification de la date de commercialisation du FIRDAPSE, ni d’une quelconque condition assujettissant la protection des données à la commercialisation de ce médicament, ni même d’indication de ce qu’implique la commercialisation. En fait, Mme Cann confirme que le FIRDAPSE a été inscrit au registre des drogues innovantes [traduction] « peu de temps après » (après son homologation) (DD, à la page 1955). En contre‑interrogatoire, Mme Cann a également confirmé qu’aucune vérification n’avait été effectuée au sujet de la commercialisation du FIRDAPSE à aucun moment au cours de l’examen des PDN relatives au FIRDAPSE et au RUZURGI.

[110] En ce qui concerne la vérification finale de la propriété intellectuelle du RUZURGI, le dossier d’avis de conformité comprenait le résumé du 5 août 2020 qui confirmait, et répétait en fait, qu’aucun médicament n’avait été homologué au Canada, ainsi que la note de service de la directrice dans laquelle se trouvait la même mention. Avant que le dossier d’avis de conformité du RUZURGI ne soit acheminé au directeur général de la DPT pour approbation finale, il a été transmis par le BPPI en vue d’une vérification finale de la propriété intellectuelle. Rien ne permet de penser que ces affirmations ont été rectifiées ou modifiées par le BPPI.

[111] Mme Cann ignore à quelle date le dossier de l’avis de conformité du RUZURGI a été reçu ou examiné par le BPPI, ou si cette date était le 10 août 2020 ou avant, c’est-à-dire si cette réception et cet examen ont eu lieu avant ou après l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données du FIRDAPSE, ou avant ou après que le FIRDAPSE soit effectivement inscrit au registre des drogues innovantes.

[112] Selon l’affidavit de Mme Cann, de façon générale, le fait qu’un avis de conformité pour le RUZURGI a été délivré à Médunik confirme que le BPPI a conclu, à la suite de sa vérification finale de la propriété intellectuelle, que rien dans les dispositions relatives à la protection des données ne faisait obstacle à la délivrance de l’avis de conformité. En outre, Mme Cann souligne que les mêmes personnes étaient chargées d’examiner les deux PDN et qu’elles savaient [traduction] « de quoi il en retournait » (DD, à la page 2538).

[113] Toutefois, en octobre 2020, le BPPI continuait à confirmer, dans la documentation relative au RUZURGI (le sommaire), qu’aucune drogue n’avait été homologuée au Canada.

[114] Dans son affidavit et au cours de son contre-interrogatoire, Mme Cann a expliqué que la vérification finale de la propriété intellectuelle comprenait les deux étapes suivantes : (1) déterminer si la présentation vise à obtenir une homologation sur la base d’une comparaison avec une drogue innovante inscrite au registre des drogues innovantes qui est actuellement commercialisée au Canada; (2) déterminer quelles présentations nécessitent une évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données.

[115] En ce qui concerne la première de ces deux étapes, selon l’affidavit de Mme Cann, le BPPI vérifie d’abord si une drogue innovante a été homologuée et inscrite au registre des drogues innovantes depuis que la PDN relative au RUZURGI a été soumise. Mme Cann a confirmé que, s’il ne trouve aucune drogue innovante lors de cette recherche, le BPPI ne poursuit pas plus loin sa vérification finale de la propriété intellectuelle.

[116] Rien n’indique qu’une telle vérification ait été effectuée au cours de la vérification finale de la propriété intellectuelle du RUZURGI. Plus important encore, rien n’indique qu’une recherche dans le registre des drogues innovantes, effectuée au plus tard à la date de l’homologation du RUZURGI, le 10 août 2020, aurait permis d’identifier le FIRDAPSE en tant que drogue innovante, compte tenu de la date à laquelle son évaluation de l’admissibilité à la protection des données a eu lieu et du fait qu’on ignore toujours à quelle date il a effectivement été inscrit au registre des drogues innovantes.

[117] Selon Mme Cann, en supposant qu’une recherche dans le registre des drogues innovantes ait été effectuée lors de la vérification finale de la propriété intellectuelle du RUZURGI, et qu’elle ait donné un résultat positif permettant d’identifier le FIRDAPSE, le BPPI aurait alors procédé à d’autres vérifications pour déterminer si, après l’homologation et la commercialisation de la drogue innovante, la PDN avait été modifiée de sorte qu’elle visait à obtenir l’homologation et faisait l’objet d’une recommandation sur la base d’une nouvelle comparaison avec la drogue innovante ayant depuis été homologuée et commercialisée.

[118] Mme Cann a toutefois confirmé que le BPPI ne savait pas si le FIRDAPSE avait été commercialisé au moment où l’avis de conformité du RUZURGI a été délivré. En outre, rien n’indique que le BPPI ait vérifié si des modifications avaient été apportées à la PDN relative au RUZURGI depuis l’homologation du FIRDAPSE, ou si la PDN relative au RUZURGI avait été établie sur la base d’une comparaison directe ou indirecte.

[119] Comme nous l’avons déjà mentionné, selon le synopsis du dossier de l’avis de conformité du RUZURGI intitulé [traduction] « notes à l’intention de la DG » (aux pages 50 et 51 du DD), le 10 août 2020 à 15 h 51, Mme Zhang a ajouté une note dans la colonne de droite de la case consacrée au BMBL, dans laquelle elle indique : [traduction] « NOTE à l’intention du BMBL : n’est plus admissible à la protection des données ». Il n’y a aucune information sur ce que cela signifie ni sur la raison pour laquelle la note a été ajoutée avant que l’évaluation de l’admissibilité à la protection des données du RUZURGI ne soit effectuée.

VI. Prétentions et moyens des parties

A. Les demanderesses

[120] Les demanderesses soutiennent essentiellement que : (1) la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; (2) la décision est déraisonnable en ce sens que la Cour ne peut, à partir du dossier, procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable; (3) la décision est incompatible avec les contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur était assujetti.

[121] Premièrement, les demanderesses affirment que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, en raison de la présomption énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[122] Deuxièmement, elles affirment que la décision est déraisonnable en ce sens que la Cour ne peut, à partir du dossier, procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, étant donné que la décision n’est pas motivée et qu’aucune justification ne ressort de l’examen du dossier, alors qu’au contraire, le DCT indique que le ministre ne s’est jamais penché sur la question fondamentale de savoir si le Règlement sur les aliments et drogues lui interdisait de délivrer un avis de conformité à Médunik (Vavilov, aux para 85-85, 99-100, 103; Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CAF 227 au para 100 [Leahy]). La décision n’est ni intelligible ni transparente et il ressort du DCT que le ministre n’a pas tenu compte de la protection des données dont bénéficiait le FIRDAPSE. Sans ces éléments d’information, la Cour ne peut remplir le rôle qui lui incombe lors d’un contrôle judiciaire (Canada c Kabul Farms Inc, 2016 CAF 143 [Kabul Farms]). Aucun poids ne doit être accordé au témoignage de Mme Cann sur la décision, témoignage qui complète le DCT, étant donné qu’elle n’avait aucune connaissance personnelle de la décision et que son témoignage constitue du ouï-dire. Des personnes ayant une connaissance directe des éléments d’information pertinents auraient pu témoigner, mais ne l’ont pas fait.

[123] Les demanderesses affirment enfin que la décision est incompatible avec les contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur était assujetti, d’autant plus que : (1) le FIRDAPSE était une drogue innovante; (2) Médunik a sollicité son avis de conformité sur la base d’une comparaison avec le FIRDAPSE; (3) il était donc interdit au ministre de délivrer l’avis de conformité. La décision est contraire au texte, au contexte et à l’objet du Règlement sur les aliments et drogues.

B. L’intimé, le procureur général du Canada

[124] J’ai déjà conclu que la contestation des demanderesses visait à bon droit l’application des dispositions relatives à la protection des données et je ne vais pas m’attarder davantage sur cette question.

[125] Le PGC est d’accord pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, ajoutant par ailleurs que : (1) le dossier est suffisant pour permettre à la Cour de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable; (2) les demanderesses affirment à tort que la décision est totalement erronée; (3) le BPPI a interprété et appliqué raisonnablement l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues; (4) l’interdiction de délivrer un avis de conformité pour le RUZURGI n’est pas la réparation appropriée.

[126] Le PGC fait valoir que le dossier est suffisant pour permettre un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le PGC établit une distinction entre la présente espèce et l’affaire Leahy, car : (1) en l’espèce, le DCT comprend les documents pertinents dont disposait le BPPI, dont des éléments de preuve clairs et explicites sur un aspect fondamental de la question de savoir si les dispositions réglementaires sur la protection des données s’appliquaient, à savoir la pertinence – ou plutôt la non-pertinence – des éléments d’information contestés pour déterminer l’innocuité et l’efficacité du RUZURGI; (2) la décision Leahy est antérieure à l’arrêt Vavilov, dans lequel la Cour suprême du Canada a expressément enjoint aux cours de révision de procéder à un contrôle rigoureux selon la norme de la décision raisonnable en toutes circonstances, peu importe l’état du dossier (Vavilov, aux para 137‑138).

[127] Le PGC s’appuie sur les directives constantes de la Cour suivant lesquelles le décideur ne doit pas compléter ses motifs ou en fournir de nouveaux a posteriori (Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CAF 255 [Sellathurai]), et il insiste pour dire que la preuve qu’il a présentée par l’intermédiaire de Mme Cann, qui n’est pas l’auteur de la décision : (1) fournissait des renseignements généraux sur le cadre réglementaire auquel le BPPI est assujetti et sur le processus et les pratiques d’examen du BPPI; (2) faisait ressortir certaines déductions que l’on pouvait raisonnablement tirer du DCT au sujet des motifs de la décision du BPPI et qui permettaient de penser que rien ne s’opposait à la délivrance d’un avis de conformité pour le RUZURGI, notamment en réponse à l’affidavit souscrit par Mme Costaris sur le même sujet. Le PGC explique qu’il n’aurait pas été permis de soumettre des éléments d’information provenant du décideur.

[128] Le PGC soutient en outre que la preuve contredit l’affirmation des demanderesses suivant laquelle le BPPI a totalement ignoré l’avis de conformité délivré pour le FIRDAPSE. Le PGC attire l’attention sur l’affirmation de Mme Cann – que les mêmes personnes ont examiné les deux PDN – et sur la section du synopsis du dossier de l’avis de conformité du RUZURGI intitulée [traduction] « notes à l’intention de la DG », où il est écrit que le RUZURGI n’est plus admissible à la protection des données.

[129] Le PGC soutient également que le BPPI a interprété et appliqué raisonnablement le paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues. Le PGC fait valoir que l’interdiction qui vise le dépôt de présentations reposant sur une comparaison s’applique au moment du dépôt – à défaut de modification à la présentation – et que toute interprétation contraire serait incompatible avec le texte, le contexte et l’objet du Règlement (citant le jugement Hospira 2015). Le PGC ajoute que l’avis de conformité du RUZURGI n’a pas été délivré sur la base d’une comparaison avec le FIRDAPSE, car une comparaison doit reposer sur des motifs permettant d’établir l’innocuité et l’efficacité de la drogue. Le PGC cite le résumé et le sommaire des motifs de la décision pour démontrer que le ministre ne s’est pas fondé sur les données relatives au FIRDAPSE. Le PGC ajoute qu’il n’est pas permis de déposer en preuve les commentaires formulés par les employés de Santé Canada lors des réunions préalables à l’examen de la PDN relative au FIRDAPSE concernant les études que Santé Canada exige pour approuver une PDN, expliquant que cela irait à l’encontre des lignes directrices publiées par Santé Canada. Enfin, le PGC signale qu’on ne trouve rien dans le DCT concernant la commercialisation du FIRDAPSE en date du 10 août 2020, date à laquelle Catalyst n’avait pas encore signé son entente avec KYE.

[130] Sur la question des réparations, le PGC fait brièvement valoir que la Cour devrait accorder la réparation habituelle si elle conclut que la décision est déraisonnable. La décision devrait être annulée et l’affaire devrait être renvoyée au décideur, qui devra tenir compte des motifs de la Cour.

C. La défenderesse Médunik

[131] La défenderesse Médunik convient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et affirme que la décision du ministre est raisonnable. Elle soutient que le ministre a agi de façon raisonnable en délivrant l’avis de conformité pour le RUZURGI après l’inscription du FIRDAPSE au registre des drogues innovantes.

[132] Médunik rejette la façon dont les demanderesses qualifient la norme de contrôle et l’appliquent aux faits. Médunik ne traite pas directement des conséquences de l’absence de motifs, mais souligne que l’arrêt Vavilov confirme qu’il n’est pas nécessaire de motiver une décision dans tous les cas, que l’obligation d’équité procédurale est souple et tributaire du contexte, et que « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, au para 90).

[133] Médunik soutient en outre que : (1) la pratique antérieure du ministre, c’est-à-dire la façon dont il interprète les dispositions relatives à la protection des données, a été jugée à la fois raisonnable et correcte dans le jugement Hospira 2015, dans lequel le processus de vérification des modifications était en cause; (2) une référence ou même une comparaison effectuée avant la désignation d’une drogue innovante ne tombe pas sous le coup des dispositions relatives à la protection des données; (3) les données « divulguées » ne bénéficient d’aucune protection; (4) les références ne peuvent pas toutes être considérées comme des comparaisons; (5) il n’y a pas eu en fait de comparaison; (6) l’exigence de commercialisation s’appliquait, mais n’a pas été respectée; (7) les lacunes du DCT ou les convictions erronées qui y sont constatées ne rendent pas la décision du ministre déraisonnable; (8) les arguments de Catalyst au sujet de l’équité procédurale sont mal fondés.

[134] Médunik a également demandé à la Cour la possibilité de déposer des observations supplémentaires si la Cour décidait d’annuler la décision du ministre. J’estime que cette mesure n’est pas nécessaire.

VII. Analyse

A. La norme de contrôle en l’absence de motifs écrits

[135] Comme je l’ai mentionné, deux obstacles empêchent essentiellement la Cour de procéder au contrôle selon la norme habituelle de la décision raisonnable en l’espèce. Premièrement, la décision du ministre ne comporte pas de motifs que je pourrais utiliser, du moins comme point de départ, pour examiner sa décision. En second lieu, le dossier ne permet pas de comprendre l’interprétation que le ministre a faite des dispositions relatives à la protection des données ou le fil du raisonnement qu’il a suivi pour arriver à sa décision.

[136] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a établi une présomption selon laquelle la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque notre Cour examine une décision administrative.

[137] La Cour a confirmé les indications qu’elle avait antérieurement données dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], selon lesquelles les cours de révision ne doivent pas se livrer à des spéculations lorsque les motifs sont insuffisants : elles doivent être en mesure de « relier les points » :

En effet, l’arrêt Newfoundland Nurses est loin d’établir que la justification donnée par le décideur à l’appui de sa décision n’est pas pertinente. Cet arrêt nous enseigne plutôt qu’il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision. Nous souscrivons aux observations suivantes du juge Rennie dans l’affaire Komolafe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, par. 11 :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la [cour] toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait [à la cour] ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de [révision] de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées […] (Vavilov au para 97).

[138] Ces indications concernent les affaires dans lesquelles le décideur administratif a effectivement motivé sa décision.

[139] La Cour suprême a également fourni des indications utiles, quoique sommaires, sur la façon dont le contrôle selon la norme de la décision raisonnable devrait être effectué en l’absence de motifs écrits. La Cour a fait tout d’abord observer qu’il n’est pas toujours nécessaire de motiver formellement une décision :

Les décideurs administratifs ne sont pas tenus dans tous les cas de procéder à une interprétation formaliste de la loi. Comme nous l’avons déjà expliqué, il n’est pas toujours nécessaire de motiver formellement une décision. Dans les cas où il faut en fournir, les motifs peuvent revêtir diverses formes. Et même lorsque l’interprétation à laquelle se livre le décideur administratif est exposée dans des motifs écrits, elle pourrait sembler bien différente de celle effectuée par la cour de justice. L’expertise spécialisée et l’expérience des décideurs administratifs peuvent parfois les amener à s’en remettre, pour interpréter une disposition, à des considérations qu’une cour de justice n’aurait pas songé à évoquer, mais qui enrichissent et rehaussent bel et bien l’interprétation. (Vavilov, au para 119).

[140] Sous la rubrique « Le contrôle en l’absence de motifs », la Cour suprême donne les indications supplémentaires suivantes :

[136] Lorsque l’obligation d’équité procédurale ou le régime législatif appellent la communication de motifs à la partie touchée, mais qu’aucuns motifs n’ont été donnés, la décision doit généralement être infirmée et l’affaire, renvoyée au décideur : voir, p. ex., Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine, par. 35. En outre, si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible comme nous l’avons expliqué, la décision sera déraisonnable. Dans de nombreux cas toutefois ni l’obligation d’équité procédurale ni le régime législatif applicable ne requerra la présentation de motifs écrits : Baker, par. 43.

[137] Certes, il est parfois difficile d’employer une méthode de contrôle judiciaire qui accorde la priorité à la justification, par le décideur, de ses décisions dans les cas où aucuns motifs écrits ne sont communiqués. Il en sera souvent ainsi dans le cas où le processus décisionnel ne se prête pas facilement à la production d’une seule série de motifs, par exemple lorsqu’une municipalité adopte un règlement ou lorsqu’un barreau rend une décision au moyen de la tenue d’un vote : voir, p. ex., Catalyst; Green; Trinity Western University. Toutefois, même en pareil cas, le raisonnement qui sous‑tend la décision n’est normalement pas opaque. Il importe de rappeler qu’une cour de révision doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision et qu’elle découvrira alors souvent une justification claire pour la décision : Baker, par. 44. Par exemple, comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans l’arrêt Catalyst, « [l]es motifs qui sous‑tendent un règlement municipal se dégagent habituellement du débat, des délibérations et des énoncés de politique d’où il prend sa source » : par. 29. Dans cette affaire, non seulement « les motifs qui sous‑tendaient le règlement contesté étaient clairs pour tous », mais ils avaient en outre été exposés dans un plan quinquennal : par. 33. À l’inverse, même en l’absence de motifs, il se peut que le dossier et le contexte révèlent qu’une décision repose sur un mobile irrégulier ou sur un autre motif inacceptable, comme dans l’arrêt Roncarelli.

[138] Il existe néanmoins des situations dans lesquelles aucuns motifs n’ont été fournis et où ni le dossier ni le contexte général ne permettent de discerner le fondement de la décision en cause. En pareil cas, la cour de révision doit tout de même examiner la décision à la lumière des contraintes imposées au décideur afin de déterminer s’il s’agit d’une décision raisonnable. Toutefois, il est peut‑être inévitable que faute de motifs, l’analyse soit alors centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur. Il ne s’ensuit pas pour autant que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est moins rigoureux dans ces circonstances; il prend seulement une forme différente.

[141] Il faut toutefois interpréter ces observations en les plaçant dans le contexte plus large de l’incidence de l’arrêt Vavilov sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les indications précitées constituent une exception à la règle qui exige que le décideur justifie sa décision, et cette exception n’oblige pas nécessairement la Cour à s’écarter des principes généraux énoncés dans l’arrêt Vavilov. L’arrêt Vavilov limite de façon générale la mesure dans laquelle les tribunaux saisis d’une demande de contrôle judiciaire peuvent tenir compte du résultat d’une décision pour en justifier le caractère raisonnable à défaut de motifs ou d’éléments d’information démontrant de façon suffisante comment la décision a été prise (Vavilov, aux para 15, 82-87, 96-98; voir également Donald JM Brown & John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, Thomson Reuters, 2009) (édition à feuilles mobiles mise à jour en 2020), « View from the Top : Administrative Law in the Supreme Court of Canada »).

[142] Au paragraphe 87, la Cour suprême fait expressément observer que « [l]a jurisprudence de notre Cour depuis l’arrêt Dunsmuir ne doit pas être interprétée comme ayant délaissé le point de mire du contrôle selon la norme de la décision raisonnable axé sur le raisonnement pour dorénavant s’attarder presque exclusivement au résultat de la décision administrative sous examen ».

[143] Au paragraphe 98, la Cour suprême ajoute : « [l]orsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité ».

[144] Par conséquent, le fait d’examiner le dossier pour comprendre une décision administrative n’équivaut pas à se livrer à des spéculations sur le raisonnement suivi par le décideur.

[145] Bien que l’arrêt Vavilov limite la mesure dans laquelle les tribunaux peuvent examiner le dossier pour compléter des motifs insuffisants et qu’il donne certaines indications sur la façon de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’absence de motifs, il n’a pas modifié le reste du cadre applicable à un tel contrôle en l’absence de motifs écrits ou de motifs complets.

[146] Étant donné que les juridictions inférieures ont encore très peu ajouté aux observations faites par la Cour suprême sur ces questions, et compte tenu de mes conclusions au paragraphe précédent, j’estime nécessaire d’examiner comment la Cour d’appel fédérale interprétait et définissait le cadre régissant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’absence de motifs (suffisants) avant l’arrêt Vavilov.

[147] La Cour d’appel fédérale a d’abord eu l’occasion de clarifier et d’énoncer le cadre applicable à la suite de l’arrêt de la Cour suprême, Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Dans l’arrêt unanime, Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158 [Administration de l’aéroport international de Vancouver], le juge Stratas a écrit :

[17] Les motifs d’un décideur administratif dans de telles situations doivent remplir ces objectifs de façon minimale. Comme les tribunaux évaluent si ces objectifs ont été remplis, il faut fermement garder à l’esprit certains principes importants établis par la jurisprudence :

a) La pertinence de la preuve extrinsèque. La défenderesse souligne que les renseignements concernant les motifs de la décision du décideur administratif peuvent parfois figurer dans le dossier présenté au tribunal et le contexte périphérique. C’est vrai. Les motifs font partie d’un contexte général. Les renseignements qui remplissent les objectifs susmentionnés peuvent provenir de différentes sources. Par exemple, les motifs oraux ou écrits du décideur peuvent être détaillés ou précisés par la preuve extrinsèque, comme les notes qu’il a prises et d’autres questions portées au dossier. Même lorsqu’aucun motif n’a été donné, la preuve extrinsèque peut suffire si elle peut être invoquée pour exprimer le fondement d’une décision. L’arrêt Baker, précité, en donne un bon exemple puisque la Cour suprême a conclu que les notes dans le dossier administratif exprimaient suffisamment le fondement de la décision. Voir également le paragraphe 101 de l’arrêt Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41 (CanLII), [2007] 3 R.C.S. 129, pour le rôle de la preuve extrinsèque dans l’évaluation du caractère suffisant des motifs.

b) Le caractère suffisant des motifs ne se mesure pas par la quantité. Il ne s’agit pas de compter le nombre de mots ou de peser la quantité d’encre répandue sur la page. Il s’agit plutôt de se demander si les motifs, en tenant compte de leur contexte et de la preuve documentaire, remplissent, de façon minimale, les objectifs fondamentaux susmentionnés. Un petit nombre de mots bien choisis peuvent souvent être suffisants. À cet égard, la défenderesse souligne que des motifs très brefs énoncés par des expressions abrégées peuvent être suffisants. C’est vrai, pourvu que les objectifs fondamentaux susmentionnés soient remplis de façon minimale. À cet égard, la défenderesse a cité comme exemple que le Conseil prononce parfois des ordonnances sans donner de motifs. La question de savoir si ces ordonnances sont suffisantes dépend des faits particuliers de l’affaire, mais la méthode pour évaluer le caractère suffisant est claire : les préambules, les attendus et les dispositions des ordonnances, lorsqu’interprétés en tenant compte de leur contexte et de la preuve documentaire, doivent remplir, de façon minimale, les objectifs fondamentaux susmentionnés.

c) La pertinence de l’intention du législateur et du domaine administratif. Les décisions rendues par un juge sur le caractère suffisant des motifs ne doivent pas servir à contrecarrer l’intention du législateur de renvoyer les questions à un décideur spécialisé en droit administratif. Dans bon nombre de cas, le législateur a élaboré des procédures ou a donné le pouvoir au décideur d’élaborer des procédures adaptées à sa spécialisation, afin qu’il puisse rendre justice en temps opportun et de manière efficiente. Lorsqu’ils examinent le caractère suffisant des motifs, les tribunaux devraient tenir compte de la « réalité quotidienne » des tribunaux administratifs, dont un certain nombre sont dotés de non‑juristes : Baker, précité, paragraphe 44; Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System (2009), 2009 ONCA 670 (CanLII), 98 O.R. (3 d) 210, paragraphe 27 (C.A.). Ils devraient également tenir compte des modes d’expression abrégés ancrés dans les compétences du décideur administratif. Toutefois, la réalité quotidienne des décideurs et leurs modes d’expression ne devraient pas servir à s’éloigner des normes. Les motifs doivent remplir des objectifs fondamentaux – objectifs qui, comme nous l’avons vu, reposent sur des principes fondamentaux comme la responsabilité judiciaire, la règle de droit, l’équité procédurale et la transparence.

d) Retenue judiciaire. Lorsqu’il évalue les motifs, le tribunal s’assure uniquement que les objectifs sont remplis de façon minimale; cette évaluation ne constitue pas un contrôle de la rédaction ou une critique littéraire. Voir l’arrêt Sheppard, précité, au paragraphe 26.

[18] Rien dans mes propos sur les objectifs et les principes ne doit être interprété comme ayant pour effet d’encourager les décideurs administratifs à ne viser que les exigences minimales, sans plus. Les décideurs administratifs devraient s’efforcer d’adopter les meilleures pratiques afin de bien servir le public, notamment en fournissant des motifs exemplaires de haute qualité : pour un exemple de bonnes pratiques, voir Ombudsman Saskatchewan, Practice Essentials for Administrative Tribunals (en ligne), Saskatchewan Ministry of Justice and Procureur général, 2009. Sur Internet : <URL : http://www.ombudsman.sk.ca/uploads/document/ files/omb-tribunal-guide_web-en-1.pdf>.

[148] Bien que le dossier dont disposait le décideur puisse être utile, les motifs, lorsqu’ils existent, doivent néanmoins expliquer le pourquoi des conclusions qu’il a tirées. La question de savoir si les motifs sont suffisants dépend du contexte et devrait être évaluée en tenant compte du fait que le droit administratif cherche souvent à créer des moyens plus simples et plus économiques de faciliter l’accès à la justice.

[149] Quoi qu’il en soit, ainsi que le juge Stratas l’a fait brièvement observer, il y a des limites au degré de concision des motifs du décideur. La Cour doit toujours être en mesure d’exercer son rôle de surveillance et d’évaluer le caractère raisonnable de la décision.

[150] Au moment d’appliquer ces principes aux faits dans l’affaire Administration de l’aéroport international de Vancouver, le juge Stratas a rappelé l’objectif qui sous‑tend l’obligation de donner des motifs, qui est de s’assurer que la Cour peut superviser les décideurs administratifs, à la différence de l’approche du type « faites‑moi confiance, j’ai pris la bonne décision ». D’ailleurs, sans ces principes, les décideurs pourraient chercher activement à limiter la longueur et la précision de leurs motifs justement pour échapper au contrôle judiciaire :

[20] À l’égard de 13 des 23 postes jugés comme faisant partie de l’unité de négociation, le Conseil a simplement donné les motifs suivants : « Il n’y a aucune raison d’exclure ce poste étant donné ses fonctions », « Compte tenu des renseignements fournis, il n’y a aucune raison d’exclure ce poste de l’unité de négociation » ou « Les fonctions de ce poste ne nécessitent pas son exclusion.» Le Conseil a‑t‑il appliqué l’un ou l’autre des principes dans ces conclusions? Dans l’affirmative, quels sont‑ils? Nul ne le sait. En effet, les demanderesses ne savent pas pourquoi elles ont été déboutées et ne peuvent valablement évaluer si un contrôle judiciaire est justifié ni formuler des motifs à cet égard dans le cas de ces 13 postes, notre Cour n’est pas en mesure de mener tout rôle de surveillance significatif et il n’y a aucune transparence, justification ou intelligibilité dans les motifs susmentionnés. Tout ce dont nous disposons sont les conclusions, remarquablement définitives, mais terriblement obscures.

[21] En fait, s’agissant de ces 13 postes, le Conseil dit carrément aux parties, à notre Cour et à tous les autres : « Faites-moi confiance, j’ai pris la bonne décision. » À cet égard, l’espèce est très similaire à l’affaire Association canadienne des radiodiffuseurs, précitée, où le décideur administratif a tiré une conclusion élémentaire sans motifs à l’appui, protégeant sa décision contre tout contrôle et se dégageant de toute responsabilité judiciaire.

[151] Toujours dans la décision Administration de l’aéroport international de Vancouver, le juge Stratas a conclu que les motifs en cause, même s’ils fournissaient certains détails – un « indice » – , étaient insuffisants. Le juge Stratas a par ailleurs énoncé un autre principe important dans cette affaire : les arguments concernant le fardeau que représente l’obligation de fournir des motifs plus détaillés échouent le plus souvent, car il suffit pour s’en acquitter d’ajouter quelques mots ou phrases. Voici ce qu’il a dit :

[22] À l’égard de 6 des 23 postes jugés comme faisant partie de l’unité de négociation, le Conseil a donné à peine plus d’un simple motif à l’appui de sa décision. Il a inclus un poste dans l’unité de négociation parce qu’il était « au même échelon de l’organigramme » ou parce qu’il était similaire, pour une raison non mentionnée, à un poste dans l’unité de négociation. Pourquoi l’échelon de l’organigramme ou le poste particulier ont‑ils mené à cette conclusion? Nul ne le sait. En fait, c’est comme si le Conseil nous disait : « Faites-moi confiance, mais voici un indice. » Mais l’indice ne jette pas la lumière sur les fondements de sa décision.

[23] La défenderesse a impudemment tenté d’appuyer les motifs du Conseil, aussi sommaires soient‑ils. Elle a souligné que les principes normalement adoptés par le Conseil dans des cas comme celui qui nous occupe sont relativement bien élaborés et compris par beaucoup d’employeurs, de syndicats et d’observateurs dans ce domaine du droit. De plus, un nombre relativement élevé de postes était en cause (66), chacun visant des faits très précis. La défenderesse a insisté sur le fait qu’il faut faire attention de ne pas imposer au Conseil une obligation de fournir des motifs trop élevée, car cela nuirait à sa capacité de fonctionner efficacement.

[24] Je reconnais que ces facteurs peuvent influencer l’évaluation de notre Cour du caractère suffisant des motifs du Conseil. Ces facteurs concernent la question de savoir si on devrait tenir compte des réalités pratiques et quotidiennes du décideur administratif. Mais les objectifs fondamentaux qui sous‑tendent le caractère suffisant des motifs, comme les préoccupations liées à la transparence et à la révision, doivent tout de même être remplis de façon minimale. L’obligation du Conseil de motiver suffisamment ses décisions et de se pencher sur les objectifs fondamentaux ne peut être réduite à néant.

[25] En l’espèce, les objectifs qui sous‑tendent l’exigence de donner des motifs suffisants auraient pu être remplis sans difficulté, conformément aux réalités pratiques du Conseil. Avec seulement un petit nombre de mots, – « Tout au long de cette décision, nous appliquerons les principes de l’affaire […] » – le Conseil aurait pu démontrer qu’il avait suivi certains principes. À partir de là, le Conseil aurait pu écrire une phrase ou deux pour indiquer comment il allait appliquer ces principes à chacun des postes ou à des groupes de postes qui soulèvent des considérations similaires. En une phrase ou deux, conjointement avec le dossier en l’espèce, le Conseil aurait pu motiver sa décision et remplir tous les objectifs fondamentaux qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs suffisants.

[26] Jusqu’à présent, je me suis penché sur 19 des 23 postes que le Conseil a inclus dans l’unité de négociation. Dans le cas des quatre autres postes, soit « adjoint à la paye », « conseiller en ressources humaines », « gestionnaire de contrats » et « gestionnaire de projet », le Conseil a bien écrit une phrase ou deux. Mais les fondements énoncés dans ces phrases semblent contredire ceux établis pour exclure les autres postes : parfois, un certain facteur est déterminant, d’autres fois, un facteur entièrement différent semble déterminant. La préoccupation principale en l’espèce est l’intelligibilité. Dans un simple paragraphe, peut‑être au début des motifs, le Conseil aurait pu énoncer les principes à suivre ainsi que les décisions faisant autorité. La méthode qu’il a adoptée, soit d’exposer ses motifs en une phrase ou deux, aurait alors été entièrement suffisante. Elle aurait pu répondre aux préoccupations sur le plan de l’intelligibilité en éliminant toute inconsistance apparente en principe.

[27] S’agissant de la preuve extrinsèque, elle n’aide en rien à comprendre les motifs du Conseil. Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de l’insuffisance des motifs du Conseil, rien dans la preuve documentaire, y compris dans le rapport d’enquête, n’aide à justifier sa décision. Le Conseil aurait pu fonder ses conclusions, expressément ou implicitement, sur des parties du dossier (voir Sketchley, précité, paragraphe 37), mais il ne l’a pas fait.

[152] Ces principes ont été confirmés à plusieurs reprises dans la jurisprudence qui a suivi, les tribunaux renvoyant bien souvent à l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver.

[153] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Franchi (2011 CAF 136), la Cour d’appel fédérale a confirmé à l’unanimité l’objectif qui sous‑tend l’obligation de donner des motifs, soit de veiller à ce que les tribunaux puissent adéquatement superviser les décideurs administratifs (au para 36 : « [l]’équité procédurale exige que les motifs d’un tribunal administratif fournissent suffisamment de renseignements aux parties et au public sur le fondement de la décision pour permettre aux parties de déterminer s’il y a lieu d’en appeler ou de présenter une demande de contrôle judiciaire, et pour permettre au tribunal chargé du contrôle de s’acquitter de sa tâche »). La Cour d’appel a également confirmé que l’on peut utiliser le dossier pour évaluer la décision (au para 37) et que les motifs peuvent parfois être brefs (au para 41).Dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général) (2011 CAF 299), la Cour d’appel a de nouveau confirmé à l’unanimité que le dossier peut être utile pour comprendre les motifs du décideur administratif (aux para 36-39). Toutefois, elle a surtout fait observer que le dossier doit fournir des pistes claires, sans quoi il ne peut aider les tribunaux à comprendre les motifs. Elle a dit : « [m]ais il arrive aussi que le dossier ne soit d’aucune utilité. C’est le cas en l’espèce. Bien que le ministre ait disposé d’un dossier étoffé, sa lettre de décision ne donne aucunement à penser qu’il savait qu’il pouvait aller au‑delà de la circulaire d’information. Au contraire, sa lettre de décision montre qu’il croyait – à tort – que seule la circulaire d’information s’appliquait. De plus, tel que cela est expliqué au paragraphe 32 ci‑dessus, le ministre n’a pas semblé prendre pleinement et correctement en compte les éléments essentiels du dossier dont il disposait, à savoir les explications et les justifications qui se trouvaient dans les lettres transmises par les appelantes. Dans de telles circonstances, il n’est pas possible de se servir du dossier pour expliquer les raisons ayant justifié la décision du ministre » (au para 38).

[154] Dans l’arrêt Leahy, la Cour d’appel fédérale a (encore une fois à l’unanimité) profité de l’occasion pour rappeler et approfondir davantage les principes énoncés dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver. On peut considérer que l’arrêt Leahy est devenu l’arrêt de principe sur ces questions.

[155] Dans l’arrêt Leahy, la Cour d’appel a rappelé le rôle qui incombe à la Cour de superviser les décideurs administratifs : « [l]e rôle des tribunaux de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire est bien établi, et consiste à [assurer le respect de la primauté du droit] : Dunsmuir, aux paragraphes 27 à 33. Dans les grandes lignes, cela signifie que le tribunal de révision doit s’assurer que le décideur administratif a accompli la tâche qui lui était confiée et qu’il s’en est acquitté convenablement sur le plan juridique » (au para 117; voir également para 122). La tâche du tribunal est la même, qu’il applique la norme de contrôle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable (au para 118). La Cour d’appel a une fois de plus rejeté l’approche que le juge Stratas avait résumée par la formule « faites-nous confiance, nous avons raison » : « [d]ans les circonstances que nous venons de décrire, les motifs et le dossier offrent si peu de renseignements que cela revient à dire que la Cour devrait accepter les décisions, sans les soumettre à un contrôle. En pratique, l’argument de la Couronne signifie : [TRADUCTION] ʻfaites‑nous confiance, nous avons raisonʼ. Souscrire à un tel argument est incompatible avec notre tâche dans le contexte du contrôle judiciaire » (au para 137).

[156] La Cour d’appel a par ailleurs rappelé que les motifs – et le dossier, le cas échéant – devraient permettre de suivre le fil du raisonnement du décideur : « [s]i les motifs de la décision sont inexistants, obscurs ou à d’autres égards indiscernables, et si le dossier dont disposait le décideur administratif ne permet pas de faire ressortir les raisons pour lesquelles il a tranché ou aurait pu trancher l’affaire comme il l’a fait, l’exigence de transparence et d’intelligibilité des décisions administratives n’est pas remplie » (au para 121; voir également para 124). La Cour d’appel a cité l’arrêt qui venait alors d’être rendu, Newfoundland Nurses (rendu après l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver).

[157] Enfin, la Cour d’appel a formulé des observations qui rappellent celles qu’avait exprimées le juge Stratas dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver au sujet du fardeau imposé aux décideurs. Selon elle, il suffit au décideur de fournir quelques renseignements complémentaires pour satisfaire à son obligation de motiver suffisamment sa décision :

[141] Comme nous le disions, un tribunal de révision n’a besoin que de renseignements suffisants pour pouvoir s’acquitter de sa tâche. Dans les cas comme celui de l’espèce, il s’agit alors de s’assurer que les renseignements suivants figurent dans la lettre de décision ou le dossier : 1) l’identité de la personne qui a rendu la décision dans le dossier; 2) le pouvoir qui lui permet de rendre sa décision; 3) s’est-elle prononcée et sur l’applicabilité des exceptions et sur la possibilité de divulguer malgré tout les renseignements en vertu de son pouvoir discrétionnaire? 4) les critères pris en compte; 5) a-t-elle précisé si ces critères ont été remplis et pourquoi?

[142] Dans de nombreuses affaires, quelques lignes dans la lettre de décision peuvent suffire pour répondre aux premier, deuxième et troisième points.

[143] Le quatrième point ne pose pas davantage de difficultés. Il suffirait de citer une seule décision présentant les critères, ou encore un énoncé de politique interne ou un document explicatif dont le décideur ou ceux qui lui ont adressé des recommandations se sont servis. Normalement, les tribunaux de révision n’admettent pas d’office les énoncés de politique interne ou les documents explicatifs; s’ils s’avèrent pertinents, ces documents devraient donc être identifiés et joints en annexe à l’affidavit produit à l’appui.

[144] Quant au cinquième point, les précisions peuvent être dégagées sans peine des documents mêmes qui n’ont pas été divulgués au demandeur, mais inclus dans un dossier confidentiel, ou de toute annotation faite sur les documents dont on a supprimé des renseignements qui font partie du dossier public. Il pourra arriver à l’occasion qu’un affidavit à l’appui soit produit, ce qui permettra de fournir des renseignements additionnels qui n’apparaissent pas au dossier et qui ne sont pas connus du décideur. Par exemple, en ce qui concerne les documents dont on prétend en l’espèce qu’ils sont visés par le secret professionnel des avocats, l’affidavit aurait dû préciser quels individus étaient avocats et si les documents étaient considérés comme confidentiels.

[158] Ces mêmes principes ont de nouveau été confirmés dans l’arrêt Kabul Farms. La Cour d’appel a conclu que la décision et le dossier de preuve ne permettaient pas « d’élucider [les] choix [du directeur] » (au para 34). La cour ne pouvait donc pas exercer sa fonction de surveillance : « [p]our procéder à un examen du caractère raisonnable, nous serions astreints en l’occurrence à présumer que le directeur avait de bonnes raisons de choisir ces chiffres ou à lui accorder une confiance aveugle. Comme l’a affirmé la Cour au paragraphe 137 de l’arrêt Leahy, ʻ[c’]est incompatible avec notre tâche dans le contexte du contrôle judiciaireʼ. Notre tâche est de faire un contrôle, et non de faire confiance ou de présumer » (au para 34). La Cour d’appel a fait observer qu’en règle générale, il n’est pas loisible au tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire de compléter le dossier pour interpréter le raisonnement ou la justification du décideur (aux para 36 et suivants). La cour a par ailleurs encore rejeté l’argument suivant lequel le fait d’exiger du décideur administratif qu’il motive davantage sa décision l’empêcherait de faire son travail ou serait incompatible avec l’efficacité de la justice administrative : « [e]n l’occurrence, toutefois, rien dans ce qui précède n’empêche le directeur de faire son travail, loin de là. En l’espèce, pour permettre à la Cour de réviser les pénalités imposées, il aurait peut-être suffi que le directeur prenne un petit moment pour ajouter à son résumé des calculs une explication sommaire des raisons pour lesquelles il a choisi les montants de base et les réductions appliqués » (au para 49).

[159] Les mêmes principes ont également été confirmés et appliqués par la Cour d’appel fédérale dans les arrèts Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 (aux para 67-85), Premières Nations de Cold Lake c Noel, 2018 CAF 72 (aux para 26-45), et Sharif c Canada (Procureur général, 2018 CAF 205 (aux para 31-37).

[160] J’ai mentionné plus haut que, bien que l’arrêt Vavilov limite la mesure dans laquelle les tribunaux peuvent consulter le dossier pour compléter des motifs insuffisants et qu’il fournisse certaines indications sur la façon de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’absence de motifs, cet arrêt ne semble pas modifier le reste du cadre applicable au contrôle, selon la norme de la décision raisonnable, des décisions non motivées par écrit ou insuffisamment motivées. Il convient également de souligner que la Cour d’appel fédérale, arrivant apparemment à la même conclusion, a appliqué les grands principes que j’ai exposés ci‑dessus – et qui sont antérieurs à l’arrêt Vavilov – dans des décisions récentes rendues depuis l’arrêt Vavilov, telles que Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72 (aux para 105-107) et Canada (Procureur général) c Kattenburg, 2021 CAF 86 (aux para 9-10, 16-17).

B. La décision Hospira 2015

[161] Le PGC et Médunik font valoir que l’interprétation et l’usage antérieur qu’ils proposent ont été jugés raisonnables et corrects par la Cour dans la décision Hospira 2015. Ils attirent en particulier l’attention sur la proposition suivant laquelle l’interdiction de déposer des présentations qui reposent sur une comparaison s’applique au moment du dépôt, et sur la vérification de la modification dont il est question au paragraphe 45 de l’affidavit de Mme Cann.

[162] Comme je l’ai mentionné, il appert du témoignage de Mme Cann que, lorsqu’il procède à la vérification finale de la propriété intellectuelle, le BPPI vérifie si une drogue innovante a été inscrite au registre des drogues innovantes depuis que la PDN a été soumise. S’il constate au cours de sa recherche qu’une drogue innovante a été inscrite, le BPPI vérifie alors si, après l’homologation et la commercialisation de la drogue innovante, la PDN a été modifiée de sorte qu’elle vise à obtenir l’homologation et fait l’objet d’une recommandation sur la base d’une nouvelle comparaison avec la drogue innovante ayant depuis été homologuée et commercialisée.

[163] Lorsqu’une telle modification – c’est-à-dire une modification postérieure à la délivrance de l’avis de conformité relatif à la drogue innovante – donne lieu à une telle comparaison – c’est‑à‑dire une comparaison qui est à la base de l’homologation de la nouvelle drogue –, les dispositions relatives à la protection des données s’appliquent et le BPPI met la PDN en suspens pour cause de propriété intellectuelle jusqu’à l’expiration de la période de protection des données de la drogue innovante.

[164] Dans l’affaire Hospira 2015, la demanderesse, Hospira Healthcare Corporation [Hospira] contestait la décision du ministre de refuser de lui délivrer un avis de conformité pour son produit. Estimant qu’Hospira sollicitait son avis de conformité sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec la drogue innovante de Sanofi-Aventis Canada, le ministre a appliqué les dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues et a refusé de délivrer l’avis de conformité.

[165] Comme dans le cas de Catalyst et de Médunik en l’espèce, dans l’affaire Hospira 2015, Hospira et Sanofi-Aventis avaient toutes les deux déposé leur PDN à un mois d’intervalle en 2006. Hospira avait déposé sa PDN en premier, mais seule la PDN de Sanofi-Aventis avait obtenu un statut prioritaire.

[166] Rien n’indique qu’Hospira a fait mention du produit de Sanofi-Aventis au moment du dépôt de sa PDN. En fait, la PDN d’Hospira a été rejetée au stade de l’examen préliminaire, sans examen de fond, parce qu’aucune donnée clinique ou préclinique n’avait été soumise – seulement des publications et des rapports concernant l’expérience postcommercialisation.

[167] Un avis de conformité avait été délivré pour le produit de Sanofi-Aventis, le 15 juin 2007.

[168] Hospira contestait la décision du ministre de rejeter sa PDN au stade de l’examen préliminaire. En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a renvoyé le dossier au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision en concluant que, vu l’ambiguïté des motifs du ministre, il était difficile de savoir si, en rendant sa décision – qui portait sur la nature et sur la forme des renseignements considérés comme conformes aux exigences en matière d’innocuité et d’efficacité –, le ministre était conscient de son pouvoir discrétionnaire et si sa décision était conforme à ce pouvoir ou résultait plutôt d’une interprétation erronée de ces dispositions (Hospira 2015, au para 20).

[169] En 2011, la PDN d’Hospira a donc, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, été réexaminée et considérée comme acceptable aux fins d’évaluation, mais la date du dépôt initial de 2006 a été conservée. Après avoir terminé son examen de la PDN d’Hospira, le ministre a délivré un avis de non-conformité. Ainsi qu’il est confirmé au paragraphe 8 de la décision, en pareil cas, le fabricant peut modifier sa PDN.

[170] En 2012, en réponse à l’avis de non-conformité, Hospira a modifié sa présentation et, fait pertinent pour la présente affaire, a indiqué que sa demande d’homologation reposait aussi sur des renvois au sommaire des motifs de la décision concernant le produit de Sanofi-Aventis ainsi qu’à la monographie canadienne de ce produit.

[171] Il était incontestable que la modification effectuée par Hospira avait eu lieu après la délivrance à Sanofi-Aventis d’un avis de conformité pour sa drogue innovante. Fait intéressant à signaler, la décision du ministre de refuser de délivrer à Hospira un avis de conformité semblait basée sur les références d’Hospira aux documents de Sanofi-Aventis (para 64) et il n’était pas contesté que ces références constituaient une comparaison directe ou indirecte.

[172] La Cour devait d’abord décider si le ministre avait manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer Hospira plus tôt que la façon dont il interprétait les dispositions relatives à la protection des données l’empêchait de délivrer l’avis de conformité qu’elle demandait. Lors de l’examen de cette question, le ministre a décrit le processus de vérification qui a lieu entre l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue et l’examen des dispositions relatives à la protection des données, et il a insisté sur le fait qu’aucune décision n’était prise sur la protection des données tant que l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité n’était pas terminée. Mme Bowes a témoigné à ce sujet.

[173] La Cour a expliqué que la deuxième question n’était pas de savoir si la PDN ou le supplément à la PDN d’Hospira établissaient une comparaison directe ou indirecte entre son médicament et celui de Sanofi-Aventis, étant donné que ce fait n’était pas contesté et que la preuve dont disposait la Cour confirmait qu’il y avait une comparaison directe. La Cour a expliqué qu’il s’agissait de savoir si les dispositions relatives à la protection des données s’appliquaient « aux modifications postérieures au dépôt faites en vertu du paragraphe C.08.004(2)) [du Règlement sur les aliments et drogues] ».

[174] La Cour a jugé qu’il était clair que les modifications postérieures au dépôt étaient visées par l’interdiction imposée au ministre par l’alinéa b) du paragraphe C.08.004.1(3).

[175] Je n’ai toutefois rien trouvé qui laisse croire que le processus de vérification des modifications ou la proposition selon laquelle l’interdiction de comparaison s’applique au moment du dépôt ont été examinés dans l’affaire Hospira 2015.

[176] Force m’est de conclure, compte tenu de la décision Hospira 2015, que les modifications effectuées après le dépôt de la PDN sont visées par les dispositions relatives à la protection des données. Mais cette question ne se pose pas en l’espèce.

C. Analyse

[177] En bref, je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que le dossier empêche la Cour de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le ministre n’est pas tenu de motiver sa décision, mais, en l’espèce, la Cour ne dispose d’aucun motif, et aucun raisonnement ne ressort de l’examen du dossier. Sans ces éléments d’information, la Cour ne peut exercer le rôle qui lui incombe lors d’un contrôle judiciaire (Kabul Farms).

[178] En outre, je ne suis pas convaincue que le processus de vérification de la propriété intellectuelle du BPPI, exposé en détail par Mme Cann, soit conforme au texte et au contexte des dispositions relatives à la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues, et j’ai déjà expliqué que la décision Hospira 2015 de notre Cour ne porte pas sur le processus en jeu en l’espèce et, il va sans dire, qu’elle ne l’approuve pas.

[179] Toutefois, même si j’en étais convaincue, je dois conclure que rien dans le dossier ne permet de penser que le ministre a effectivement appliqué ce processus avant d’approuver l’avis de conformité du RUZURGI. Au contraire, la preuve démontre ce qui suit :

a) Mme Cann n’a pas été en mesure de confirmer si le DCT comprenait tous les documents que le décideur a examinés, ou si le décideur a effectivement examiné tous les documents qui se trouvaient dans le DCT;

b) Mme Cann n’a pas participé à la décision et n’a pas pu témoigner au sujet des motifs ayant conduit à l’homologation du RUZURGI malgré le nouveau statut de drogue innovante du FIRDAPSE;

c) Lors du dépôt de la PDN relative au RUZURGI, il n’a pas été question, dans l’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données dont le RUZURFI a fait l’objet, de « références » aux données relatives au FIRDAPSE (le même mot est employé dans la décision Hospira 2015);

d) L’évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données dont le RUZURGI a fait l’objet indique par ailleurs que le FIRDAPSE est inactif;

e) Mme Cann a confirmé que le BPPI s’était fondé sur cette évaluation préliminaire de l’admissibilité à la protection des données pour procéder à la vérification finale de la protection intellectuelle du RUZURGI, étant donné que l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données a lieu après la délivrance de l’avis de conformité;

f) Mme Cann a confirmé qu’au moment du dépôt, aucune drogue innovante n’était inscrite au registre des drogues innovantes si bien que le BPPI n’a pas vérifié si la PDN relative au RUZURGI avait été établie sur la base d’une comparaison directe ou indirecte avec une drogue innovante;

g) Mme Cann a confirmé que le BPPI n’a vérifié le statut de commercialisation du FIRDAPSE à aucun moment au cours de son évaluation de la PDN relative au RUZURGI, et elle a également confirmé qu’elle ignorait ce qu’il fallait entendre précisément par « commercialisation », malgré l’affirmation du PGC et de Médunik suivant laquelle il faut interpréter le paragraphe C.08.004.1(5) du Règlement sur les aliments et drogues comme assujettissant l’application des dispositions relatives à la protection des données au respect d’une exigence en matière de commercialisation;

h) Le DCT ne renferme aucune mention de la protection des données du FIRDAPSE avant le relevé du 13 août 2020, et ce, même si Mme Cann a confirmé que le DCT comprenait les documents consultés avant que l’avis de conformité du RUZURGI ne soit délivré;

i) L’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données du FIRDAPSE, qui est datée du 10 août 2020, ne se trouve pas dans le DCT;

k) Divers documents clés transmis par Santé Canada au cours du processus d’examen de la PDN relative au RUZURGI (note de service clinique de la directrice datée du 31 juillet 2020; sommaire de la demande pharmaceutique du 5 août 2020) confirment qu’il n’y avait, à ce moment-là, aucun médicament homologué au Canada, malgré le fait qu’un avis de conformité avait été délivré à Catalyst pour le FIRDAPSE le 31 juillet 2020; ce qu’on peut difficilement qualifier de lacune (contrairement à ce que prétend Médunik);

l) Le sommaire d’octobre 2020 relatif au RUZURGI reprenait cette affirmation, plus de deux mois après que le FIRDAPSE eut été homologué et eut obtenu le statut de drogue innovante;

m) L’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données du FIRDAPSE, qui confirmait que celui-ci serait inscrit au registre des drogues innovantes, est datée du 10 août 2020, et le synopsis du registre fourni par le ministre est daté du 13 août 2020; il est donc impossible qu’une recherche dans le registre, en supposant qu’elle ait été effectuée lors de la vérification des modifications apportées au RUZURGI (au plus tard le 10 août 2020) n’ait pas permis de constater que le FIRDAPSE était inscrit à titre de drogue innovante;

n) En d’autres termes, rien n’indique qu’une recherche effectuée dans le registre des drogues innovantes le ou avant le 10 août 2020 aurait permis de constater que le FIRDAPSE y était inscrit en tant que drogue innovante, et l’affirmation de Mme Cann suivant laquelle il était pour l’essentiel inutile que le BPPI consulte le registre et se fie à ce dernier parce que les mêmes personnes travaillaient à l’examen des deux PDN et savaient [traduction] « de quoi il en retournait » (DD, à la page 2538) n’est toujours pas corroborée et, en tout état de cause, n’est pas étayée par le Règlement sur les aliments et drogues. Il est troublant de constater que des documents clés relatifs au RUZURGI confirment, au contraire, qu’aucun médicament n’avait été homologué;

o) Mme Cann a confirmé que le BPPI ne suit pas son propre processus final de vérification de la propriété intellectuelle – tel qu’elle l’a décrit –, étant donné que l’évaluation finale de l’admissibilité à la protection des données a effectivement lieu après l’approbation de l’avis de conformité;

p) En supposant que les employés du BPPI ne se soient pas fiés, contrairement à ce qu’exige le processus, à la recherche effectuée dans le registre des drogues innovantes et qu’ils ignoraient qu’une drogue innovante avait été homologuée, rien au dossier ne laisse croire qu’ils ont effectué une vérification de la modification, c’est-à-dire qu’ils ont vérifié si Médunik avait modifié sa PDN relative au RUZURGI après le 31 juillet 2020;

q) Nous savons maintenant qu’aucune modification n’a été effectuée, mais le DCT ne mentionne pas que l’on avait vérifié s’il y avait eu modification;

r) En supposant qu’il y ait eu vérification, rien au dossier ne permet de savoir si quelqu’un a vérifié si la PDN avait été approuvée sur la base d’une comparaison directe ou indirecte ou comment le ministre a interprété ce critère;

s) Rien n’indique, contrairement à ce que prétendent les parties, que les données « divulguées » ne bénéficient d’aucune protection ou que toutes les références ne peuvent pas être considérées comme des comparaisons. Plus important encore, rien n’indique non plus que le ministre s’est livré à des hypothèses ou à des interprétations;

t) Rien n’indique que le ministre a interprété le Règlement sur les aliments et drogues de la manière suggérée par les défendeurs, c.‑à‑d. en considérant que les références ou même les comparaisons antérieures à la désignation d’une drogue innovante n’étaient pas visées par les dispositions relatives à la protection des données;

u) Mme Cann a confirmé qu’aucune vérification n’avait été faite pour déterminer le statut de commercialisation du FIRDAPSE.

[180] Le PGC reconnaît les lacunes que comporte le dossier, mais demande essentiellement à la Cour de tirer une conclusion du fait que : (1) le processus de vérification de la propriété intellectuelle est reconnu et que, puisque l’avis de conformité a été délivré pour le RUZURGI, le processus en question a été suivi; (2) ce sont les mêmes personnes qui ont effectué l’examen des deux PDN, et elles savaient que le FIRDAPSE avait été homologué.

[181] Tout d’abord, comme je l’ai déjà expliqué, je ne peux pas considérer que le processus relatif à la propriété intellectuelle dont il est question en l’espèce a été reconnu par la Cour dans la décision Hospira 2015.

[182] Deuxièmement, la déduction selon laquelle, puisque l’avis de conformité a été délivré pour le RUZURGI, le processus a été suivi, n’est pas convaincante. Elle revient essentiellement à ce que le juge Stratas appelle l’approche du type « faites‑moi confiance, j’ai pris la bonne décision ». La jurisprudence constante et sans équivoque de la Cour d’appel fédérale précitée indique clairement que cette approche n’est pas acceptable et qu’elle empêche la Cour d’exercer le rôle de surveillance qui lui incombe lors d’un contrôle judiciaire.

[183] De plus, Mme Cann n’a joint à son affidavit aucun document de procédure ou document interne qui confirmerait le processus de vérification de la propriété intellectuelle qu’elle décrit (Administration de l’aéroport international de Vancouver). Au contraire, de nombreux éléments indiquent que le processus n’a pas été suivi.

[184] Troisièmement, il se peut que les mêmes employés aient procédé à l’examen des deux PDN, mais, compte tenu du dossier, il nous est tout simplement impossible de savoir s’ils ont tenu compte, au moment de l’homologation du RUZURGI, du fait qu’une autre drogue avait été homologuée et reconnue comme drogue innovante. En présence d’un dossier qui indique sans équivoque qu’en date du 31 juillet 2020, aucune drogue n’avait encore été homologuée au Canada, il est impossible de tirer les conclusions suggérées par le PGC. Les quelques bribes d’information contenues dans le synopsis ne nous permettent pas d’infirmer cette conclusion.

[185] La Cour n’est pas en mesure de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable et elle ne peut conclure que la décision est raisonnable en l’absence de motifs, d’autant plus que le dossier ne fournit aucune indication au sujet du processus suivi ou de l’interprétation retenue par le décideur. Il n’y a tout simplement aucune trace claire de l’existence d’un quelconque document relatif à la protection des données du FIRDAPSE dans le processus suivi pour le RUZURGI. La preuve versée au dossier montre que le décideur disposait – en date du 31 juillet et du 5 août 2020 – de renseignements inexacts selon lesquels aucun médicament n’avait été homologué au moment où Santé Canada avait approuvé la PDN relative au RUZURGI, que le statut de drogue innovante du FIRDAPSE ne figurait pas au registre des drogues innovantes avant le 10 août 2020, et qu’il y a été inscrit le 13 août 2020.

[186] Je ne dispose d’aucun élément me permettant de savoir si l’interprétation par le ministre des dispositions relatives à la protection des données, telle qu’elle a été présentée à la Cour –, qu’elle soit appropriée ou non – est effectivement celle qui a été appliquée, analysée et examinée avant l’approbation de la PDN relative au RUZURGI. (Pour éviter toute confusion, j’emploie le terme « appropriée » au lieu du mot « correcte ».)

[187] Les défendeurs demandent à la Cour de souscrire à l’interprétation proposée par Mme Cann et de conclure, en supposant qu’elle soit même appropriée, que le ministre a suivi cette interprétation, le tout en l’absence du moindre indice quant à l’interprétation que le ministre a effectivement donnée au Règlement au moment où la décision a été prise.

[188] Le rôle de la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, ne consiste pas à indiquer aux décideurs l’interprétation qu’il convient de donner au Règlement sur les aliments et drogues. Il consiste à vérifier si l’interprétation qu’a faite le décideur était raisonnable ou correcte, selon le cas. Comme je l’ai déjà mentionné, ce rôle n’a pas changé de façon significative depuis l’arrêt Vavilov. Il n’y a aucune indication, dans la décision ou le dossier, que le processus de vérification et l’interprétation du Règlement proposés par les défendeurs sont effectivement ceux qui ont été adoptés et appliqués par le ministre lorsqu’il a délivré à Médunik son avis de conformité.

VIII. Conclusion

[189] Compte tenu des faits de l’affaire, il m’est impossible de contrôler la décision du ministre.

[190] Conformément aux directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov et à celles fournies par la Cour d’appel fédérale, je dois, comme la décision n’est pas motivée, examiner le dossier pour déterminer si la façon dont le ministre a interprété et appliqué le droit était raisonnable. Dans le cas qui nous occupe, le dossier ne me permet pas de déterminer comment le ministre a interprété le Règlement sur les aliments et drogues ou de savoir s’il a même tenu compte des dispositions applicables.

[191] Comme le dossier ne me permet pas d’examiner la décision du ministre, je ne peux pas présumer que son interprétation est raisonnable ou me livrer à des suppositions sur ce que pourrait être cette interprétation. Je n’ai d’autre choix que d’annuler la décision.

IX. Réparations

[192] Vu mes conclusions, il m’est impossible de contrôler la décision du ministre. Je vais donc annuler la décision du ministre (portant sur l’avis de conformité du RUZURGI) et renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[193] Les parties ont longuement débattu de l’interprétation qu’il convient de donner au Règlement sur les aliments et drogues, et Catalyst demande à la Cour de donner des indications au ministre, à savoir que : (1) le processus de vérification des modifications suivi par Santé Canada comporte des lacunes; (2) Santé Canada ne devrait pas exiger que la demande d’homologation soit basée sur une comparaison avec une drogue innovante pour appliquer les dispositions relatives à la protection des données; (3) l’application des dispositions relatives à la protection des données ne se limite pas aux renseignements non divulgués.

[194] Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, je ne dispose d’aucun élément tendant à indiquer que ces interprétations, que Catalyst qualifie d’irrégulières, sont effectivement les interprétations qu’a retenues le ministre au moment où la décision a été prise. Rien ne me permet de savoir comment le ministre a effectivement interprété le Règlement sur les aliments et drogues. Dans ces conditions, il serait particulièrement inopportun de la part de la Cour de proposer au ministre des balises en matière d’interprétation.

[195] La demande de Catalyst est incompatible avec les directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. D’ailleurs, lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (au para 85).

[196] Selon l’arrêt Vavilov, il n’est pas loisible à la Cour de substituer à la décision qui a été rendue celle qu’elle aurait préférée (au para 99). Je vais donc décliner l’invitation de Catalyst.

X. Dépens

[197] En ce qui concerne les dépens, Catalyst réclame une somme forfaitaire de 100 000 $, plus les débours, ce qui, selon Catalyst, ne représente qu’une [traduction] « petite fraction » des frais que les demanderesses ont effectivement supportés.

[198] Le PGC sollicite les dépens conformément à la colonne V du tarif B des Règles. Il ne réclame pas de débours.

[199] Médunik réclame les dépens selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B des Règles, plus les débours. Médunik affirme que les critères permettant d’adjuger une somme forfaitaire ne sont pas remplis, étant donné que : (1) les demanderesses n’ont pas réclamé de somme forfaitaire dans leur avis de demande ou dans leur mémoire; (2) dans les décisions citées par les demanderesses, les dépens n’ont probablement pas été adjugés sous forme de somme forfaitaire; (3) la jurisprudence sur l’adjudication de sommes forfaitaires dans les actions en matière de brevets ne s’applique pas aux demandes de contrôle judiciaire; (4) la présente affaire soulève une question nouvelle d’importance publique (en l’occurrence, l’interprétation de l’expression « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte »); (5) les parties ne se sont pas conduites de manière abusive ou vexatoire au cours de la présente instance.

[200] Je constate que Catalyst n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de sa demande de somme forfaitaire, qui ne représenterait qu’une [traduction] « petite fraction » des frais effectivement supportés. Je suis au courant de la jurisprudence qui permet d’adjuger des dépens sous forme de somme forfaitaire, mais j’estime qu’elle ne s’applique pas en l’espèce.

[201] Je vais donc adjuger les dépens aux demanderesses, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B des Règles.


JUGEMENT dans le dossier T-984-20

LA COUR ORDONNE :

  • - l’affidavit souscrit en réponse par M. Douglas Reynolds est admis en preuve, à l’exception du paragraphe 4 de cet affidavit;

  • - la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  • - la décision du 10 août 2020 du ministre est annulée;

  • - le dossier est renvoyé au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision;

  • - les dépens sont adjugés aux demanderesses selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B des Règles.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-984-20

INTITULÉ :

CATALYST PHARMACEUTICALS, INC.

et KYE PHARMACEUTICALS INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et MÉDUNIK CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO) – PAR VIDéOCONFéRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Yael Bienenstock

Alexandra Peterson

POUR Les demanderesses

Jason Markwell

Amy Tang

John Lucki

Karen Lovell

Leah Bowes

POUR LA DÉFENDERESSE, Médunik

POUR LA DÉFENDERESSE, MÉDUNIK

POUR LE DÉFENDEUR, LE PGC

POUR LE DÉFENDEUR, LE PGC

POUR LE DÉFENDEUR, LE PGC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

POUR Les demanderesses

Fasken, Martineau, DuMoulin, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE, Médunik

POUR LA DÉFENDERESSE, MÉDUNIK

POUR LE DÉFENDEUR, LE PGC

 

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