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Date : 20000504


Dossier : IMM-1144-99

Entre :

     OSCAR GUZMAN MUNOZ

     PAULO GUILLERMO GUSMAN ARAVENA

     CHRISTIAN MAURICIO GUZMAN ARAVENA

     CLAUDIA ESTER ARAVENA VILLEGAS

     Demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


A.      INTRODUCTION


[1]      La famille Guzman composée d'Oscar Guzman Munoz, de son épouse, Mme Claudia Ester Aravena Villegas et de leurs enfants mineurs, Paulo et Christian Guzman Aravena, citoyens du Chili, quittèrent ce pays le 24 mars 1996 et arrivèrent le lendemain au Canada où il revendiquèrent le statut de réfugié. Au soutien de leur demande, ils indiquent craindre d'être persécutés au Chili du fait des opinions politiques qui sont imputées au père, le revendicateur principal.

[2]      Le 10 février 1999, la Section du statut de réfugié (le "tribunal") décida que le revendicateur principal, demandeur aux présentes, n'avait aucune crédibilité et conclut que les membres de cette famille ne sont pas réfugiés au sens de la Convention. Avec l'autorisation de cette Cour, par voie de contrôle judiciaire, les demandeurs recherchent l'annulation de cette décision et une nouvelle audience. Ils prétendent que les invraisemblances identifiées dans la décision ne tiennent pas compte des réponses données par le revendicateur principal et que la décision s'appuie sur une étude biaisée de la preuve.

    

B.      LA DÉCISION DU TRIBUNAL

     (a)      Le sommaire du témoignage

[3]      Le tribunal indique que les problèmes du demandeur, M. Munoz, sont liés à certains incidents survenus dans son restaurant impliquant un lieutenant des carabiniers et la police d'investigation. Aux dires du demandeur, ce restaurant, qu'il opérait depuis 1986, était fréquenté par des personnalités politiques et policières importantes. En mars 1988, le demandeur rapporte être devenu membre du Parti socialiste.

[4]      En 1990, le demandeur indiqua au tribunal que le lieutenant des carabiniers, Marcelo Palacios, aurait voulu poser des micros dans une salle privée du restaurant; en réponse à cette demande, il refusa et ce refus sembla être sans conséquences.

[5]      En mars 1991, M. Munoz mentionna l'incident au commissaire des enquêtes de la police d'investigation, Simon Cubillos. Le commissaire Cubillos lui suggéra de le prévenir s'il croyait que la ligne téléphonique du restaurant était sous écoute.

[6]      En décembre 1992, le commissaire Cubillos, en compagnie de quatre autres personnes, se serait présenté au restaurant. Ces derniers auraient travaillé dans ladite salle privée du restaurant et auraient découvert des micros. Lors de cette découverte, le demandeur nia avoir autorisé les carabiniers à installer ces micros.

[7]Le 1er août 1993, le demandeur rapporte avoir été détenu par le lieutenant Palacios qui l'accusait d'avoir participé à une enquête avec les policiers; il aurait été frappé puis transporté à l'hôpital. Suite à cette agression, le demandeur aurait décidé d'enlever les micros de la salle privée de son restaurant.[8]En date du 8 décembre 1993, les carabiniers seraient allés manger dans ladite salle du restaurant où ils auraient alors décidé d'enlever les micros. Deux enquêteurs de la police d'investigation seraient allés, deux jours plus tard, demander au revendicateur qui était responsable du geste. Au lendemain de cette visite, le demandeur rapporta avoir été convoqué chez le commissaire Cubillos qui l'accusa de collaboration avec les carabiniers; suite à cette accusation, on l'aurait mis au cachot pendant une journée.[9]Le 1er septembre 1994, le demandeur aurait été de nouveau arrêté par les carabiniers et mis dans une cellule pendant trois jours. Le 4 avril 1995, le commissaire Cubillos rencontra le demandeur pour lui ordonner de dénoncer les carabiniers en disant que ceux-ci avaient posé des micros dans son restaurant et que les policiers les avaient découverts. [10]Le 11 septembre 1995, le demandeur rapporte avoir été arrêté et emprisonné par un carabinier pendant deux jours. Par la suite, il aurait rencontré le commissaire Cubillos et lui indiqua vouloir consulter un avocat avant de signer la dénonciation. Le commissaire Cubillos l'aurait alors menacé. Suite à ces menaces, le revendicateur et sa famille décidèrent de fuir le Chili, le 25 mars 1996.

     (b)      Les invraisemblances et les contradictions

[11]      Au soutien de sa conclusion, le tribunal énuméra les invraisemblances et les contradictions suivantes:

     (a)      le long délai entre l'offre du lieutenant Palacios de poser des micros dans le restaurant du demandeur, faite en 1990 et la discussion du demandeur avec le commissaire Cubillos, en 1991, à ce sujet;
     (b)      entre le fait que le commissaire Cubillos décida, en décembre 1992, de se présenter au restaurant sans faire part au demandeur de ses doutes quant à la présence de micros et que ce dernier aurait effectivement trouvé des micros dans ledit restaurant;
     (c)      entre le fait que le commissaire Cubillos accusa le demandeur de collaboration avec les carabiniers alors que c'est lui qui les aurait dénoncés en l'informant de la demande de pose de micro. Le tribunal a considéré l'explication du demandeur déraisonnable quant à ce point.

     (d)      entre son FRP où il indique sa décision, en août 1993, d'enlever les micros après l'autorisation donnée par le commissaire Cubillos de poser des micros afin d'y faire du contre-espionnage et son témoignage oral où il indique dans un premier temps, ne pas avoir enlevé les micros puis déclare, dans un deuxième temps, les avoir enlevés pour finalement ajouter qu'il ne les avait pas tous enlevés car il n'avait pas pu tous les repérer et rajouter qu'il n'avait que l'intention de les enlever. Le tribunal est d'avis que "cette confusion atteint la crédibilité du revendicateur".
     (e)      devant le fait que les micros auraient appartenu aux carabiniers ainsi qu'à la police d'investigation. Sur ce point, le tribunal mentionne ce qui suit: "il est invraisemblable que le revendicateur soit accusé par la police d'investigation, d'avoir enlevé les micros alors que ce seraient les carabiniers qui auraient posé le geste". En effet, dit le tribunal, tous et chacun devaient pouvoir s'espionner. Or, selon le tribunal, cette invraisemblance est majeure dans l'histoire du revendicateur.
     (f)      l'existence de confusion dans le témoignage du demandeur sur ce qu'il aurait raconté à son l'avocat: le fait de ne pas avoir mentionné la dénonciation proposée par le commissaire Cubillos mais plus tard indiquer dans son témoignage qu'il aurait tout dit à l'avocat sur ses incarcérations et qu'il aurait à peine parlé de la dénonciation. Il n'aurait pas révélé l'histoire des micros pour la révéler plus tard. Selon le tribunal, "toutes ces tergiversations entament la crédibilité du revendicateur".
     (g)      entre une lettre déposée par le demandeur, confirmant sa sympathie avec la gauche chilienne, et sa déclaration dans sa fiche d'entrée qu'il est membre du Parti démocratique; le tribunal note aussi l'absence dans la fiche d'entrée de toute mention d'avoir été emprisonné.
     (h)      aucune mention faite par le revendicateur principal dans son FRP qu'entre septembre 1995 et mars 1996, il aurait vécu caché chez de la famille et que malgré tout, il aurait poursuivi son travail à la boulangerie. Selon le tribunal, "cette omission et ce comportement sont incompatibles avec une crainte subjective ainsi que le délai à quitter son pays". Le tribunal ajoute que s'il était recherché, il est alors invraisemblable qu'il ait pu obtenir un passeport, légalement, le 1er mars 1996.

[12]      Le tribunal conclut sa décision en écrivant:

L'histoire du revendicateur principal comprend des invraisemblances sur des points majeurs. Le revendicateur s'est également contredit lors de son témoignage oral. Les invraisemblances et contradictions ont entaché la crédibilité du revendicateur.

C.      ANALYSE

[13]      Lorsqu'un tribunal fonde sa conclusion sur le manque de crédibilité d'un revendicateur, les circonstances permettant l'intervention de cette Cour sont très limitées. Il suffit de faire mention de quelques arrêts de la Cour d'appel fédérale sur le sujet.

[14]      Dans Rajaratnam c. Minister of Employment and Immigration (1991), 135 N.R. 300 à la page 306, le juge Stone s'exprime comme suit:

[TRADUCTION] S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe juridique n'habilite cette Cour à intervenir... Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l'absence de crédibilité.

[15]      Dans l'affaire Giron c. Canada (M.E.I.), [1992] F.C.J. No. 481, feu le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale souligne qu'une conclusion sur le manque de crédibilité "based on internal contradictions, inconsistencies, and evasions... is the heartland of the discretion of triers of fact". Dans l'arrêt Wen c. The Minister of Employment and Immigration , prononcé le 10 juin 1994 (A-397-91) le juge Stone indique:

[TRADUCTION] La décision rendue par la Section du statut découle entièrement du fait que celle-ci a conclu à la non-crédibilité de l'appelante. Cette conclusion était en partie fondée sur ce qui lui a semblé être certaines contradictions internes et certaines incompatibilités dans le récit de l'appelante. Bien que l'on puisse peut-être discuter de cette manière de percevoir les choses, il ne faut pas céder à la tentation de le faire dans les cas où il n'a pas été démontré que la Section du statut ne saurait raisonnablement parvenir à une telle conclusion.
     Cela dit, pour conclure à la non-crédibilité de l'appelante, la Section du statut s'est également fondée sur le fait que les réponses formulées par l'appelante étaient [TRADUCTION] "équivoques" et "évasives". La Cour, qui n'a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n'a pas à s'immiscer dans l'appréciation que ceux-ci ont porté sur le comportement ou l'attitude de telle et telle personne. [...]

[16]      Après étude du procès-verbal des notes sténographiques contenu au dossier certifié du tribunal, j'en viens à la conclusion que la preuve permettait au tribunal de conclure que le témoignage du demandeur, revendicateur principal, était, somme toute, invraisemblable et contradictoire. Suivant cette conclusion, c'est donc à bon droit que le tribunal rejeta la demande de statut de réfugié sur l'absence de crédibilité du revendicateur principal.

[17]      À titre d'exemples, je remarque la justesse des observations suivantes: (1) la confusion au sujet de l'enlèvement des micros dans le témoignage du demandeur, cette dernière apparaît clairement aux pages 349 à 351 du dossier certifié; (2) le long délai entre la première rencontre avec le lieutenant Pallacios en 1990, sa conversation avec le commissaire Cubillos en avril 1991 et l'arrivée de celui-ci au restaurant en décembre 1992; cette contradiction est bien établie dans son FRP et dans la preuve (pages 22 et 23 du FRP, 333 et 334 du dossier certifié); (3) la conclusion tirée par le tribunal au sujet de ce que le demandeur indiqua à son avocat, cette conclusion n'est pas déraisonnable à la lecture du témoignage du demandeur contenu aux pages 357 à 362 du dossier certifié; et (4) la conclusion du tribunal quant au comportement du demandeur après la menace reçue du commissaire Cubillos (voir le dossier certifié aux pages 356 et 357).

CONCLUSION

[18]      Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'a été proposée et je ne vois pas la nécessité d'en formuler une.

     "François Lemieux"

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

le 4 mai, 2000

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