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Date : 20210601

Dossier : T‑616‑20

Référence : 2021 CF 513

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LIGNES AÉRIENNES SKY REGIONAL INC.

demanderesse

et

GRIGORIOS TRIGONAKIS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision arbitrale (la décision arbitrale) datée du 12 mai 2020, dans laquelle un arbitre nommé en application du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [le Code] a conclu que le congédiement du défendeur était injuste et a ordonné un dédommagement pour la perte subie.

  • [1] La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision arbitrale, de confirmer le congédiement et d’obliger le défendeur à rembourser toutes les sommes qu’il a reçues conformément à la décision arbitrale. Subsidiairement, elle demande que l’affaire soit renvoyée à un nouvel arbitre.

  • [2] Pour les motifs exposés ci‑après, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un nouvel arbitre avec des directives.

  • [3] La demanderesse, Lignes Aériennes Sky Regional Inc. (SRA), est une compagnie aérienne canadienne titulaire d’un permis d’exploitation aérienne délivré par le ministre des Transports qui l’autorise à mettre des aéronefs en service conformément à la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‑2 et au Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433 [le RAC].

  • [4] Le défendeur est un pilote de l’aviation commerciale qui a été retiré de son poste en raison d’inquiétudes concernant son aptitude à exercer adéquatement ses fonctions. Le défendeur a commencé à travailler comme premier officier en novembre 2010. Il est devenu commandant de bord en mars 2014 jusqu’à sa cessation d’emploi, le 6 juillet 2017. Avant cet emploi, le défendeur avait travaillé pendant 14 ans comme ingénieur.

II. Faits

A. Les parties


 

B. La décision initiale de retirer le défendeur du service actif

  • [5] Le 18 février 2017, un rapport anonyme a été déposé par la personne A en vertu du système de gestion de la sécurité (le SGS) au sujet du malaise engendré par le comportement et l’attitude du défendeur. Ce rapport fait état plus particulièrement d’une réticence à dénoncer le défendeur à plusieurs occasions auparavant, étant donné ses réactions hostiles, et de la nécessité du tout dernier signalement, étant donné que l’attitude du défendeur dans le poste de pilotage [traduction] « pourrait facilement mener à un incident ou à un accident ».

  • [6] Par conséquent, une rencontre a eu lieu le 1er mars 2017 entre le directeur principal des opérations aériennes, M. Foster, et les personnes suivantes : M. Card, responsable de la formation à l’époque; M. Chubbs, directeur de la formation et des normes à l’époque; M. Sattler, pilote en chef à l’époque; M. Ward, directeur du SGS et de la qualité; Mme Zamat, vice‑présidente aux affaires juridiques et administratives. Il a alors été décidé conjointement, mais en l’absence du pilote en chef à l’époque, M. Sattler, à cause de circonstances n’ayant rien à voir avec l’affaire, de retirer le défendeur du service actif en attendant l’issue de l’enquête. M. Turner, chef de la direction et président, a aussi été consulté et a souscrit à la décision.

  • [7] M. Foster a mentionné dans son témoignage que cette décision se fondait sur le principe qu’un transporteur aérien n’est pas autorisé à laisser quiconque piloter un aéronef [traduction] « s’il a des raisons de croire » que cette personne n’est pas apte à faire son travail. Après avoir examiné le rapport du SGS de février 2017, on a tenu compte d’un courriel daté de novembre 2015, présenté par M. Chubbs le 1er mars, qui décrivait des inquiétudes semblables à celles qu’exprimait la personne A. Dans ce courriel, un pilote d’expérience, M. Carbonneau, a affirmé que jamais, après avoir formé des pilotes pendant plus de 25 ans, il n’avait été témoin d’un comportement semblable à celui du défendeur; il s’agissait selon lui d’un risque pour la sécurité.

  • [8] Le défendeur a été informé de la décision au téléphone par son supérieur immédiat, M. Sattler.

  • [9] Le 3 mars, M. Ward et le responsable de la sécurité, M. Hebb, se sont entretenus avec le défendeur relativement au rapport du SGS, dont une version caviardée lui a été fournie. Rien n’indique que le courriel de M. Carbonneau n’ait été mentionné à ce moment‑là au défendeur. Bien qu’on n’ait relevé aucun manquement aux procédures d’exploitation normalisées de la compagnie aérienne et que les enquêteurs aient recommandé le retour au travail du défendeur, les inquiétudes quant à l’agressivité de ce dernier ont fait surface durant le processus et ont été communiquées à M. Foster, qui a alors ordonné de poursuivre l’enquête.

  • [10] Le lendemain, deux autres rapports du SGS ont été portés à l’attention de M. Foster et énonçaient les mêmes inquiétudes, remontant à juillet et octobre 2016, où la personne B et la personne C parlaient d’accès de colère troublants ainsi que du recours à un langage menaçant et vulgaire dans le poste de pilotage, ce qui posait des problèmes de sécurité. M. Foster a également reçu le 4 mars un appel du défendeur qui, selon M. Foster, a alors adopté une attitude menaçante et qualifié l’enquête de complot.

  • [11] Trois jours plus tard, le 7 mars, le défendeur s’est servi du compte de courriel de l’entreprise pour envoyer un message aux quelque 800 employés de SRA relativement à l’enquête en cours. Le défendeur y affirmait que l’enquête n’était pas justifiée, qu’il s’agissait [traduction] « d’une forme moderne de chasse aux sorcières », [traduction] « implacable et radicale » qui [traduction] « visait clairement à [lui] nuire », puis il a ajouté : [traduction] « si c’est moi aujourd’hui, ça pourrait être vous demain ». Il a demandé pardon à ceux qui lui avaient [traduction] « causé du tort pour avoir voulu bien faire », mentionnant M. Sattler [traduction] « malgré ses fautes... commises des années auparavant ». Il a également fait valoir qu’il tenait tête « à des hommes corrompus d’entendement et privés de la vérité », lui qui tentait seulement d’agir comme un bon chrétien [traduction] « qui essaie d’élever [ses] enfants suivant les mêmes valeurs et croyances ». Il se demandait dans le courriel si cette situation se serait produite en présence d’un syndicat et a sollicité la rétroaction des destinataires afin qu’ils lui fassent part [traduction] « d’éléments qu’ils jugeaient positifs sur [son] caractère ».

  • [12] Le 15 mars 2017, M. Foster a reçu des informations supplémentaires d’un autre premier officier (la personne D). Ce dernier a notamment raconté que le défendeur [traduction] « s’agite facilement et cède souvent à la colère, au sarcasme, et installe une atmosphère extrêmement tendue dans le poste de pilotage », ce qui pouvait être [traduction] « extrêmement dangereux en vol, et encore plus dans une situation d’urgence ». La personne D a signalé également que le défendeur [traduction] « éprouve des difficultés incroyables à comprendre que sa personnalité est peut‑être la source de ses problèmes dans l’entreprise et n’accepte pas bien la moindre critique constructive de ses collègues de travail, qu’il prend comme une attaque personnelle, et il fait alors tout pour prouver aux autres qu’ils ont tort ».

  • [13] Par suite des événements ci‑dessus, le 16 mars, Mme Zamat a sollicité l’avis du médecin externe du transporteur aérien, le Dr Knipping, médecin‑examinateur de l’aéronautique civile (MEAC). Le courriel de Mme Zamat renfermait l’intégralité du message expédié par le défendeur à l’ensemble de l’entreprise le 7 mars ainsi que la teneur du courriel de la personne D daté du 15 mars 2017.

  • [14] À la suite du courriel de Mme Zamat, le Dr Knipping a recommandé que le défendeur subisse un examen médical indépendant, appelé « consultation médicale en aviation » (CMA). Il a enjoint aussi à SRA d’obtenir une opinion indépendante d’un psychologue autre que lui‑même puisqu’il « était convaincu que l’affaire est susceptible d’aboutir à un litige ». Le Dr Knipping a précisé par ailleurs qu’il était important pour l’entreprise de désigner le psychologue afin de s’assurer que les inquiétudes mentionnées par les équipages et la compagnie aérienne soient clairement prises en compte et non pas écartées si le défendeur devait choisir le psychologue lui‑même. Il a également signalé qu’il ne serait pas possible de ne pas communiquer ou de dissimuler les renseignements cruciaux qui lui ont été fournis, car le psychologue en aurait besoin pour la CMA.

  • [15] Le 17 mars 2017, Mme Zamat et M. Chubbs ont rencontré le défendeur pour discuter des problèmes de sécurité soulevés par ses collègues. Le défendeur est arrivé avec un cartable rempli de documents visant à réfuter les problèmes de sécurité, dont SRA n’a pas voulu discuter. Plus tard dans la même journée, le défendeur a fait parvenir un courriel de suivi exprimant son souhait de réintégrer son poste de pilote et demandant à Mme Zamat de préciser par écrit ce qu’on attendait de lui à cette fin.

  • [16] Le 20 mars, Mme Zamat lui a transmis par messager « sous réserve de tout droit » une lettre précisant qu’un rendez‑vous avec le Dr Knipping avait été fixé au 23 mars et enjoignant au défendeur de lui retourner le consentement joint au courriel dûment signé pour les besoins du rendez‑vous. La lettre était libellée ainsi :

C. La décision de poursuivre l’enquête

D. Les autres préoccupations mises au jour durant la suite de l’enquête

E. Les efforts déployés par la demanderesse pour vérifier l’aptitude au travail du défendeur

[traduction]

Puisque votre personnalité et votre conduite résident au cœur des inquiétudes pour la sécurité, nous sommes tenus de vous demander de consulter un médecin choisi par Lignes Aériennes Sky Regional aux fins d’une consultation médicale en aviation, à nos frais, puis de vous soumettre à toute recommandation ou évaluation de suivi jugée nécessaire par le médecin.

...

Si vous refusez de vous soumettre à cette évaluation ou que vous ne coopérez pas avec le médecin ou avec tout autre spécialiste ou encore si vous refusez les tests supplémentaires requis, nous aurons l’obligation d’en informer le bureau de Médecine aéronautique civile de Transports Canada, conformément à l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique. [Non souligné dans l’original.]

  • [17] Le défendeur a répondu à la lettre de Mme Zamat le 21 mars 2017 et mentionné alors qu’il était prêt à coopérer à toute enquête, mais en soulignant entre autres reproches qu’il n’y avait rien dans son dossier d’employé avant le rapport du SGS de la personne A qui signalait un problème de comportement de sa part. Il a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Quant vous faites allusion à « plusieurs » de mes collègues, il n’est pas dit clairement de combien de personnes il s’agit ni qui sont ceux qui soulèvent ces questions de sécurité. Y a‑t‑il eu d’autres rapports du SGS? Quels vols sont visés par ces problèmes de sécurité et pourquoi font‑ils surface en ce moment seulement? Ces « collègues » ont‑ils été interrogés et, le cas échéant, par qui? Est‑ce que c’est un groupe d’employés qui se liguent avec le pilote en chef pour lancer des accusations fausses et vexatoires au sujet de ma personnalité et de ma conduite?

  • [18] Cette lettre n’a donné lieu à aucune réponse. Le défendeur a ensuite refusé de se présenter à la CMA prévue le 23 mars 2017 sans aviser qui que ce soit, et a fait de même pour une autre CMA fixée du 30 mars 2017. Par conséquent, le Dr Knipping a envoyé un courriel à Mme Zamat qui mentionnait que les allégations soulevaient la possibilité d’un trouble de la personnalité chez le défendeur ou une autre affection de nature médicale, sociale ou liée à des substances gênant les opérations aériennes, ce qui nécessitait une enquête approfondie sans délai. Il a mentionné également qu’il était obligé, vu le refus de coopérer du défendeur, d’informer le bureau de Médecine aéronautique civile aux termes de l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique et a demandé de recevoir de plus amples renseignements au regard de cette exigence.

  • [19] Le 27 mars 2017, en réponse à des courriels du défendeur, Mme Zamat a réitéré le droit de SRA de choisir le MEAC.

  • [20] Le 30 mars, Mme Zamat a informé le défendeur de son intention de lui imposer un congé sans solde en raison de son « insubordination » et lui a fait savoir que son manque de coopération pourrait entraîner des mesures disciplinaires allant jusqu’au congédiement motivé.

  • [21] Le 11 avril 2017, la veille d’une autre réunion prévue, le défendeur a envoyé un courriel à M. Card accompagné d’un court billet médical, daté du 10 avril 2017; ce billet ne donnait aucune précision sur l’information sous‑jacente et précisait que le défendeur avait rencontré la Dre Boulanger, qui était son MEAC depuis 2010 et l’avait déclaré apte à exercer ses fonctions de pilote. La Dre Boulanger n’avait reçu aucun des renseignements utilisés par SRA pour obliger le défendeur à se présenter à une CMA. Ce billet médical a donc été jugé insuffisant en soi pour établir l’absence de danger pour la sécurité aérienne.

  • [22] Le défendeur a ensuite été informé, le 12 avril 2017, qu’il était suspendu sans solde jusqu’au 26 avril 2017, en raison de son utilisation inappropriée du service de courriel de l’entreprise le 7 mars et de son refus de coopérer en vue de fournir des renseignements médicaux supplémentaires. La demanderesse a finalement continué de verser au défendeur sa paye et ses avantages sociaux durant la période de suspension.

  • [23] Le 17 avril 2017, le défendeur a envoyé un long courriel où il fustige la demanderesse pour sa conduite et s’y exprime comme suit au sujet de l’omission de SRA de lui fournir de l’information, invoquant la lettre du 20 mars 2017 de Mme Zamat :

[traduction]

Vous n’avez en aucun temps mentionné d’enjeux ou de problèmes de sécurité précis et vous m’avez en fait confirmé le 17 mars 2017 que, à l’exception du rapport d’événement du premier officier O. Lambert, il n’y avait aucun autre rapport d’événement ni quoi que ce soit dans mon dossier d’employé : aucun accident, aucun incident, aucun fait et aucun rapport ni aucune lettre dénotant un problème lié à ma personnalité ou à ma conduite. Cependant, pour les questions de sécurité que vous invoquez, vous me demandez dans la même lettre de consulter un médecin‑examinateur de l’aviation civile que vous avez choisi pour une consultation médicale aéronautique.

  • [24] Le 27 avril 2017, Mme Zamat a réécrit au défendeur pour lui demander de coopérer et de se présenter à son rendez‑vous avec le Dr Knipping. Le défendeur a refusé et offert plutôt à Mme Zamat qu’elle communique avec sa médecin, la Dre Boulanger, pour toute autre demande relative à sa santé mentale. Dans la correspondance du 4 mai 2017, le défendeur a affirmé également qu’une tierce partie pouvait être choisie afin de procéder à l’évaluation s’il advenait qu’une deuxième opinion était nécessaire.

  • [25] Mme Zamat a proposé ensuite par courriel, le 18 mai, que les médecins respectifs des parties se consultent pour choisir une tierce partie convenable. Le lendemain, le défendeur a rejeté cette proposition.

  • [26] Le 31 mai 2017, Mme Zamat a répondu par lettre qu’elle ne communiquerait pas directement avec la médecin du défendeur, puisqu’elle n’était pas elle‑même médecin ni en mesure de discuter de questions médicales avec la Dre Boulanger. Cette lettre suggérait un autre compromis, où le médecin choisi par la compagnie aérienne consulterait la Dre Boulanger relativement au billet médical et que, s’ils étaient tous deux convaincus de l’aptitude à travailler du défendeur au regard des renseignements que pouvait apporter la Dre Boulanger, aucune évaluation ne serait nécessaire et le défendeur pourrait retourner au travail.

  • [27] Le défendeur a refusé ce compromis et a continué d’insister pour que Mme Zamat communique avec sa médecin au sujet de son aptitude à travailler. Mme Zamat a répondu le 12 juin 2017 en demandant encore une fois la coopération du défendeur pour qu’il consente seulement à ce que les deux médecins communiquent entre eux. Encore une fois, à cause de son refus de coopérer, le défendeur a été mis en congé sans solde à compter du 21 juin. La demanderesse a précisé que le défendeur n’était pas congédié, contrairement à ce qu’il affirme. Cette mesure a été contestée par le défendeur le 17 juin 2017. Le 21 juin 2017, le défendeur s’est vu offrir une dernière possibilité de se conformer aux exigences; il avait jusqu’au 29 juin pour ce faire.

  • [28] Comme le défendeur a refusé de répondre, la demanderesse lui a fait transmettre une lettre de congédiement, datée du 6 juillet 2017, indiquant qu’elle avait demandé pendant plus de quatre mois au défendeur de coopérer, que celui‑ci n’avait pas démontré de volonté d’obéir aux demandes d’information et que, par conséquent, il était congédié sur‑le‑champ.

  • [29] Le congédiement a été contesté en application du Code devant un arbitre, qui a jugé que le congédiement était injustifié.

  • [30] Dans ses délibérations, l’arbitre a conclu que la demanderesse n’avait pas de motifs raisonnables lui permettant de douter de l’aptitude au travail du défendeur et n’avait pas le droit non plus de le retirer de ses fonctions.

  • [31] Selon l’arbitre, le rapport du SGS de la personne A concernait [traduction] « certaines procédures de vol et une mauvaise attitude à son endroit » et ne faisait pas état [traduction] « d’un motif sérieux ni d’un danger imminent nécessitant des mesures correctives immédiates ».

  • [32] De plus, la rencontre avec les enquêteurs n’a mis en lumière aucun motif raisonnable de mettre en doute l’aptitude du défendeur ou la sécurité aéronautique, et il n’y avait non plus aucune raison évidente de suspendre le défendeur. L’arbitre a jugé que la décision de M. Foster était arbitraire et injustifiée, ajoutant qu’elle visait, tout comme la suspension, à punir le défendeur.

  • [33] L’arbitre a ensuite conclu qu’il était déraisonnable de demander au défendeur de se présenter à un MEAC pour une CMA et, en outre, que les droits du défendeur avaient été bafoués du fait que la demanderesse [traduction] « continuait de soutenir que la décision appartenait en dernier recours au médecin qu’elle avait choisi, sans d’abord envisager une solution moins intrusive ».

  • [34] Il a jugé que l’obligation de se soumettre à un examen médical constituait une [traduction] « mesure draconienne » et que c’est seulement dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles » qu’il aurait dû être exigé que ce soit un médecin choisi exclusivement par l’employeur qui procède à cet examen. L’arbitre a évoqué le retrait initial du défendeur de ses fonctions, l’absence d’inquiétude au sujet de son aptitude à exercer ses fonctions, le billet médical fourni par le défendeur attestant qu’il était apte à piloter et le fait que sa suspension était fondée sur des allégations, des hypothèses, du ouï‑dire et des rumeurs. Il a conclu qu’il n’était pas nécessaire de contraindre le défendeur à rencontrer le médecin choisi par l’entreprise, médecin dont le défendeur se méfiait puisqu’il avait été informé qu’il était un bon ami d’un dirigeant non identifié de l’entreprise.

  • [35] La décision de mettre fin à l’emploi du défendeur en raison du fait qu’il ne coopérait pas aux mesures visant à vérifier son aptitude au travail a ensuite été jugée injuste et inéquitable. L’arbitre a conclu qu’il était inacceptable dans les circonstances que le SGS, de nature non punitive, devienne la justification du congédiement.

  • [36] En outre, l’arbitre ne voyait pas de refus de coopérer chez le défendeur, puisque ce dernier a participé à l’enquête de M. Ward, qu’il s’est déplacé pour rencontrer Mme Zamat et d’autres personnes le 17 mars 2017 et qu’il a fourni sa propre évaluation médicale de son aptitude au travail. Il a souligné que l’incapacité du défendeur de coopérer était attribuable au fait que l’employeur retenait délibérément des informations en refusant de lui donner des précisions tels que des noms, des événements précis, des numéros de téléphone, des dates et des copies des rapports, en plus des motifs de sa suspension, ce qui l’a empêché de donner sa version des faits en vue de réfuter les allégations et de démontrer l’absence de risques pour la sécurité.

  • [37] L’arbitre a formulé la conclusion suivante au paragraphe 191 :

III. La décision contestée

[traduction]

Après avoir entendu et observé la plupart des témoins de l’employeur répéter la même conclusion, à la suite de nombreuses allégations vagues et non corroborées, et après avoir considéré que le plaignant n’avait jamais eu pleinement la possibilité de s’expliquer ou de réfuter les allégations en raison du caractère confidentiel du SGS, je suis d’avis que les décisions ou les mesures prises par l’employeur ont été, pour beaucoup, motivées par son intérêt personnel et tenaient du camouflage, de l’exagération et des abus.

[Non souligné dans l’original.]

  • [38] Par conséquent, l’allégation suivant laquelle le défendeur n’était pas apte à exercer ses fonctions et qu’il était interdit pour la demanderesse de le laisser agir comme pilote, sur la foi d’un seul rapport du SGS, a été jugée non étayée par la preuve et non crédible dans les circonstances. Le congédiement du défendeur était donc inacceptable, car la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle avait un motif sérieux justifiant cette décision.

  • [39] L’arbitre a alors conclu que le congédiement du défendeur était injuste et a accueilli la plainte déposée en application du Code.

  • [40] L’arbitre a jugé par la suite que la réintégration n’était pas une réparation appropriée dans les circonstances, à la lumière de plusieurs conclusions factuelles au sujet de la conduite du défendeur à l’audience et dans le cadre de son emploi qui démontraient que le maintien en poste n’était pas viable.

  • [41] Dans son analyse de l’indemnité à accorder, l’arbitre a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé que le défendeur aurait pu se trouver un autre travail s’il avait déployé plus d’efforts à cette fin. En outre, il était satisfait des mesures raisonnables prises par le défendeur pour atténuer ses dommages. Le défendeur avait donc le droit d’être indemnisé relativement à sa perte de rémunération, y compris tous les avantages sociaux, durant la période pertinente, soit de juillet 2017 jusqu’à la date de la décision.

  • [42] L’arbitre était d’avis également que le défendeur était en droit de recevoir une indemnité au lieu d’être réintégré ou au titre de la perte de rémunération future calculée en fonction d’une période de préavis raisonnable, établie à 12 mois de salaire.

  • [43] De surcroît, l’arbitre a jugé que la demanderesse n’avait pas fait preuve de bonne foi dans la manière dont elle avait mis fin à l’emploi et, suivant les précédents à cet égard, a accordé un montant de 10 000 $ pour dommages moraux. L’arbitre a notamment tenu compte du sentiment qu’a eu le défendeur d’être puni, stressé, humilié et isolé. Il a souligné aussi que la conduite de l’employeur avait été malveillante et si choquante qu’une sanction s’imposait.

  • [44] En outre, le défendeur a eu droit aux intérêts sur l’indemnité au titre de la perte de revenus, parce qu’il n’a touché aucun revenu pendant une longue période. L’arbitre a ordonné à la demanderesse de prendre à sa charge les frais de préparation et les débours relatifs à l’audience en sus des frais nécessaires pour que le défendeur puisse obtenir de nouveau sa qualification de pilote.

  • [45] Selon la demanderesse, les questions en litige sont les suivantes :

IV. Les questions en litige

  • 1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • 2) Le droit de la demanderesse à l’équité procédurale et au respect des principes de justice naturelle a‑t‑il été violé en raison de la crainte de parti pris de la part de l’arbitre?

  • 3) La décision arbitrale est‑elle déraisonnable?

  • [46] Le défendeur ne soulève aucune question, mais il a résumé ses observations au sujet du congédiement aux paragraphes 74 et 75 de son mémoire, libellés comme suit, avec les soulignés de la Cour :

[traduction]

74. Quant à la décision de la demanderesse de suspendre puis de congédier le défendeur, il est évident que l’affaire en l’espèce ne se fonde pas sur les soi‑disant refus de coopérer et/ou insubordination du défendeur, mais plutôt sur la question de savoir si la situation donnait ou non à l’employeur un motif sérieux justifiant qu’il suspende le défendeur de ses fonctions et le congédie ultérieurement, étant donné l’avis d’expert en sens contraire.

75. La preuve montre que les conclusions de l’arbitre s’appuyaient sur les éléments qui lui ont réellement été présentés. Elle établit aussi clairement que le défendeur n’a jamais eu pleinement la possibilité de s’expliquer ou de réfuter les allégations, en raison du caractère confidentiel du SGS et des nombreuses décisions ou mesures prises par la demanderesse qui étaient purement intéressées, visaient à dissimuler la vérité, étaient exagérées et abusives (voir le paragraphe 191 de la décision).

  • [47] La Cour conclut que les questions qu’elle doit examiner sont celles qui ont été présentées par la demanderesse, outre le passage souligné du paragraphe 75 ci‑dessus relatif à l’équité.

  • [48] Conformément à l’arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse permettant de déterminer la norme de contrôle repose sur la présomption que la décision contestée est raisonnable (Vavilov au para 16).

  • [49] L’analyse du caractère raisonnable doit être axée sur le raisonnement sous‑jacent et le résultat de la décision effectivement rendue par le décideur. La Cour devrait intervenir uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire (Vavilov aux paras 17, 84–86). Le tribunal de révision doit trancher la question de savoir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 85, 99 et ss). Une décision raisonnable doit se justifier au regard des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur celle‑ci – « il ne suffit pas que la décision soit justifiable [...] le décideur doit également [...] [la] justifier » (Vavilov aux para 85–86). La cour de révision doit se demander si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99). En dernier lieu, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

  • [50] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable relativement à une question d’interprétation législative, la cour de révision « ne procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande “ce qu’aurait été la décision correcte” » (Vavilov au para 116). Elle doit s’assurer simplement que le décideur administratif a interprété la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, c’est‑à‑dire en appliquant les principes modernes en matière d’interprétation des lois (Vavilov au para 121).

  • [51] En outre, la cour de révision doit veiller à la cohérence générale des décisions administratives. Comme l’a prévenu la Cour suprême du Canada dans Vavilov au para 129 :

V. La norme de contrôle

Les personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon et que les résultats ne dépendent pas seulement de l’identité du décideur — des attentes qui ne s’évaporent pas du simple fait que les parties ne comparaissent pas devant un juge.

VI. Analyse

A. Le régime réglementaire et contractuel permettant de s’assurer de l’aptitude au travail des pilotes

  • [52] Bien qu’ils soient à peine mentionnés dans les motifs, l’article 602.02 du RAC et l’article 19 du contrat de travail se conjuguent pour conférer aux compagnies aériennes un pouvoir et une procédure qu’elles peuvent utiliser pour juger si les pilotes sont aptes à travailler et pour les retirer de leur poste dans un contexte non disciplinaire lorsqu’ils sont inaptes au travail. En voici les dispositions pertinentes, avec nos soulignés :

Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433

RAC

602.02 Il est interdit à l’utilisateur d’un aéronef d’enjoindre à une personne d’agir en qualité de membre d’équipage de conduite et à toute personne d’agir en cette qualité, si l’utilisateur ou la personne a des raisons de croire, compte tenu des circonstances du vol à entreprendre, que la personne est :

a) fatiguée ou sera probablement fatiguée;

b) de quelque autre manière inapte à exercer correctement ses fonctions de membre d’équipage de conduite.

602.02 No operator of an aircraft shall require any person to act as a flight crew member and no person shall act as a flight crew member, if either the person or the operator has any reason to believe, having regard to the circumstances of the particular flight to be undertaken, that the person

(a) is suffering or is likely to suffer from fatigue; or

(b) is otherwise unfit to perform properly the person’s duties as a flight crew member.

[traduction]

Contrat de travail au 1er mars 2017

Il incombe au pilote de s’assurer du renouvellement de sa licence en se soumettant à un examen médical aux intervalles établis et imposés à cette fin par Transports Canada.

Seul un médecin nommé par Transports Canada peut procéder à cet examen. Le choix du médecin est laissé à la discrétion du pilote.

La société ne peut demander les résultats de l’examen ni y avoir accès sans le consentement écrit du pilote.

Lorsque la société a des raisons de croire que le pilote est inapte à exercer ses fonctions, à cause de son état de santé ou de son état physique, elle peut lui demander de se soumettre à un examen médical effectué par un médecin‑examinateur de l’aviation civile (MEAC). Tant que les résultats de l’examen médical ne sont pas reçus, le pilote est suspendu avec solde et avantages sociaux. Le pilote doit recevoir une copie du rapport médical [clause de renvoi à une CMA]

Le pilote qui est tenu par la société de se soumettre à un examen médical prévu aux dispositions ci‑dessus est avisé par écrit des raisons qui justifient cet examen. [clause de notification]

Si les résultats indiquent que le pilote est médicalement apte à réintégrer son poste, le pilote est retourné en service actif. Si le médecin juge que le pilote n’est pas médicalement apte à réintégrer son poste, le pilote doit demander des prestations d’invalidité à court terme de la société.

  • [53] La clause de renvoi à une CMA du contrat de travail sert à mettre en application l’article 602.02 dans les cas de nature médicale, lorsqu’il y a des inquiétudes quant au risque que le pilote soit « de quelque autre manière inapte à exercer correctement ses fonctions de membre d’équipage de conduite », en obligeant le pilote à se soumettre à une CMA effectuée par un MEAC.

  • [54] La demanderesse plaide que l’article 602.02 du RAC suffisait pour permettre que le défendeur soit suspendu initialement en raison du rapport SGS de la personne A. Logiquement, la compétence accordée par l’article 602.02 du RAC s’étendrait aux décisions de maintenir la suspension du pilote pendant l’enquête de même qu’à la conclusion tirée de la CMA, soit que le pilote est inapte à exercer ses fonctions.

  • [55] La contestation de ces décisions en vue de les écarter semblerait donc relever de la portée d’une instance de contrôle judiciaire, puisqu’elles sont le résultat de l’application de dispositions législatives fédérales. Sinon, les dispositions de l’article 19 du contrat de travail sur le renvoi à une CMA et la notification régissent l’enquête et l’obligation du pilote de se présenter à un MEAC pour une CMA.

  • [56] Cependant, la Cour conclut que l’arbitre, dès qu’il a jugé que le congédiement du défendeur était injuste, avait le droit d’examiner l’intégralité de la conduite des décideurs relativement aux mesures qu’ils ont prises, y compris l’équité de leurs décisions et leur bonne foi, si elles sont pertinentes au regard de la plainte de congédiement injuste fondée sur le Code. C’est ce que l’arbitre a fait en l’espèce.

  • [57] Ce faisant, l’arbitre doit appliquer les normes juridiques et contractuelles appropriées pour tirer des conclusions quant à la légalité de la conduite de l’employeur, qui sont pertinentes dans le cas d’une plainte pour congédiement injuste. C’est l’omission de l’arbitre d’appliquer les normes légales et contractuelles appropriées, du fait qu’il s’est appuyé sur la norme du « motif valable » et non pas sur le principe que l’employeur doit avoir des « raisons de croire », qui réside au cœur du raisonnement de la Cour et m’amène à déclarer la décision arbitrale déraisonnable. Ce raisonnement ne s’applique pas toutefois aux questions relatives à l’obligation d’équité.

  • [58] Même s’il est reconnu que l’arbitre a compétence sur les plaintes de congédiement injustes visées à l’article 240 du Code, l’affaire n’a qu’un lien indirect avec le fait que l’employeur ait eu ou non un motif sérieux pour suspendre le défendeur puis le congédier. L’insubordination n’est pas contestée, contrairement aux motifs, ce qui soulève des questions touchant l’équité.

  • [59] La question de l’équité est en fin de compte restreinte à la preuve touchant l’omission de SRA de fournir au défendeur les documents ou les motifs sous‑tendant la décision d’imposer une CMA. L’arbitre s’est détourné de l’aspect équitable des motifs justifiant le renvoi à un MEAC pour se concentrer plutôt sur la décision d’exiger une CMA et a appliqué plus particulièrement le critère du « motif valable » au lieu du critère fondé sur des « raisons de croire ».

  • [60] Il a donc écarté les observations sur l’équité en tentant de démontrer que l’information utilisée par SRA était irrecevable ou insuffisamment probante pour justifier d’imposer une CMA au défendeur, et il a appliqué à cette fin la norme du motif valable étayée par des conclusions relatives à la mauvaise foi et à l’existence d’un complot. Le critère applicable était plutôt l’existence de « raisons de croire », lesquelles seraient difficile à établir, étant donné le généreux pouvoir discrétionnaire qu’emporte ce critère.

  • [61] Les parties, du moins le défendeur et son avocat, ainsi que l’arbitre, n’ont pas relevé la clause la plus évidente, et peut‑être la plus déterminante, du contrat de travail, soit celle qui porte sur la notification relative à la CMA. La Cour en a pris conscience seulement après l’audience, quand je me suis attardé plus longuement aux contraintes juridiques entourant la décision, bien que la clause en question n’ait pas été mentionnée dans les documents ou les observations orales des parties.

  • [62] Je répète le passage pertinent de la disposition sur la notification relative à la CMA en ajoutant les soulignés de la Cour : [traduction] « le pilote qui est tenu par l’entreprise de se soumettre à un examen médical prévu aux dispositions ci‑dessus est avisé par écrit des raisons qui justifient cet examen ».

  • [63] Le terme « ci‑dessus » désigne le paragraphe précédent du contrat de travail, soit la clause de renvoi à une CMA énoncée à l’article 19. La compagnie aérienne y est autorisée à obliger le pilote à se soumettre à une CMA si elle a des [traduction] « motifs de croire » que le pilote [traduction] « est inapte à exercer ses fonctions, en raison de son état de santé ou de son état physique » [non souligné dans l’original]. Les motifs justifiant le renvoi à une CMA seraient ceux que la demanderesse était tenue de fournir au défendeur par écrit.

  • [64] Sur ce point, la Cour constate que le terme « raisons » employé dans le RAC et le contrat de travail désigne un « motif » ou une « justification ». Il n’est pas nécessaire d’exprimer la notion du caractère raisonnable, car il est entendu que celle‑ci constitue un élément essentiel de tout bon processus décisionnel. En d’autres termes, la clause de renvoi à une CMA signifie essentiellement que la compagnie doit avoir des raisons ou des motifs raisonnables de croire que le pilote est inapte à exercer ses fonctions. Par conséquent, la clause de notification exige aussi implicitement que l’obligation de se soumettre à une CMA repose sur des motifs raisonnables.

  • [65] La Cour présume que la demanderesse a contrevenu à cette disposition. Le seul élément qui pourrait porter à croire que cette exigence a été respectée, par écrit ou autrement, se retrouve dans le courriel de Mme Zamat envoyé au défendeur le 20 mars 2017, mentionné ci‑dessus dans le résumé des faits. Mme Zamat y précise que des inquiétudes pour la sécurité attribuables à la personnalité et à la conduite du défendeur, soulevées par plusieurs de ses collègues, ont justifié l’imposition d’une CMA.

  • [66] Comme je l’ai mentionné plus haut, le défendeur a indiqué clairement dans son courriel du 17 avril 2017 qu’il n’avait reçu aucune information quant à des problèmes ou incidents quelconques, hormis le rapport du SGS de la personne A, qui permettrait de connaître la nature de ces inquiétudes pour la sécurité.

  • [67] La Cour souligne que l’obligation d’avoir des « raisons » justifiant l’imposition d’une CMA ne signifie pas que la compagnie aérienne est tenue de donner des éléments détaillés pour étayer ces raisons ou qu’elle doit contrevenir aux dispositions du SGS relatives à l’anonymat, autorisées par le RAC. La compagnie aérienne doit énoncer avec suffisamment de détails la substance et le principe de ce qu’elle considère être ses raisons valables de croire que le défendeur doit se présenter au MEAC qu’elle a choisi pour se soumettre à une CMA.

  • [68] Dans la présente affaire, selon le témoignage de M. Foster, les raisons pourraient notamment se retrouver dans une déclaration où SRA précise qu’elle avait des motifs de croire que le défendeur était inapte à exercer ses fonctions, et que c’est ce qui l’avait incitée à exiger une CMA sur la foi d’un résumé de l’information, y compris des propos de collègues du défendeur qui tiennent du ouï‑dire et n’étaient pas nécessairement validés. Cette déclaration serait probablement suffisante pour satisfaire au critère fondé sur des « raisons de croire » si elle faisait état d’une tendance du défendeur depuis un certain temps à avoir un comportement agressif inapproprié dans le poste de pilotage, suivant un nombre suffisant d’allégations non vérifiées d’autres membres d’équipage qui s’inquiètent pour la sécurité.

  • [69] Il serait étonnant par ailleurs que le défendeur soit tenu de prouver qu’il se serait soumis à la CMA si les raisons de son renvoi à une CMA lui avaient été fournies. En effet, la jurisprudence en matière arbitrale a déterminé que le congédiement s’appuie sur un « motif valable » si, dans les circonstances, le fait de préciser ce motif n’aurait rien changé à la « justification » du congédiement, c’est‑à‑dire que le défendeur aurait refusé de se soumettre à la CMA de toute façon.

  • [70] Ce critère ne semble pas s’appliquer, parce que l’obligation de motiver la CMA qui est énoncée dans le contrat de travail constitue une modalité contractuelle, c’est‑à‑dire une condition préalable au pouvoir de l’employeur d’obliger le défendeur à se soumettre à une CMA. Cette distinction est faite par la Cour d’appel fédérale dans Bell Canada c Hallé, [1989] ACF no 555 [Bell Canada], où, dans le passage suivant, la Cour emploie le terme « condition » pour décrire la procédure :

B. Une dilemme pour la Cour

En premier lieu, je dirais que le congédiement de l’intimée, si on le suppose par ailleurs justifié, ne pouvait être jugé injuste pour le seul motif que la requérante n’avait pas suivi à la lettre la procédure de congédiement décrite dans ses directives internes. À ce que je sache, cette procédure n’est pas une condition des contrats de travail des employés de Bell Canada. [Non souligné dans l’original.]

  • [71] Dans la présente affaire, la clause de notification relative à la CMA constitue une condition du contrat de travail qui exige que des raisons soient données par écrit lorsqu’un pilote est obligé de se soumettre à une CMA.

  • [72] Cette conclusion s’appuie également sur trois facteurs qui, selon la Cour, guident l’application de la clause de renvoi à une CMA :

  • 1) L’obligation d’équité intervient, aussi bien sur le plan de la forme que de la fonction, afin de permettre au défendeur de répondre par écrit aux raisons qui lui sont données, dans le but de convaincre la compagnie aérienne de modifier sa décision de le suspendre;

  • 2) Le défendeur doit être informé des motifs, ce qui lui permet de décider en toute connaissance de cause s’il va se soumettre ou non à la CMA compte tenu du risque d’être congédié pour insubordination;

  • 3) Il faut s’assurer que le MEAC puisse prendre une décision éclairée en fonction de tous les éléments de preuve possibles, pertinents et non dénaturés présentés par le pilote, en ce qui concerne non seulement la décision elle‑même, mais aussi la procédure qui exige que les questions pertinentes soient posées au regard des inquiétudes et du point de vue du défendeur.

  • [73] Il semble y avoir peu de marge pour faire valoir que les observations de la demanderesse relatives au parti pris pourraient modifier la décision suivant laquelle SRA n’a pas respecté la clause contractuelle sur la notification relative à la CMA. Les faits concernant l’omission de fournir des raisons ne semblent pas être contestés, et l’arbitre n’avait apparemment pas connaissance de la disposition.

  • [74] Un dilemme surgit en quelque sorte, parce qu’il est généralement considéré comme inapproprié que la Cour prenne en considération pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire une question qui n’était pas soulevée devant le décideur. La situation est d’autant plus troublante que c’est la Cour qui souligne l’existence de la nouvelle question.

  • [75] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22–26 [Alberta Teachers’ Association], a établi les règles fondamentales qui s’appliquent quand une partie soulève une nouvelle question à l’étape du contrôle judiciaire.

  • [76] Selon la Cour suprême, un juge jouit du pouvoir discrétionnaire de ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il serait inopportun de le faire. Elle a précisé que, en règle générale, ce pouvoir discrétionnaire ne sera pas exercé au bénéfice de la partie qui demande le contrôle judiciaire lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif, mais ne l’a pas été.

  • [77] La Cour suprême a décrit ainsi les trois considérations justifiant sa réticence à permettre qu’une nouvelle question soit soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire :

(1) le législateur a confié au tribunal administratif la tâche de trancher la question; la cour de justice doit donc respecter le choix du législateur de désigner le tribunal administratif comme décideur de première instance et laisser à ce tribunal administratif la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis;

(2) le principe vaut particulièrement lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées, car la Cour doit alors être bien consciente que si elle accepte de se pencher sur la question, elle le fera sans pouvoir connaître l’opinion du tribunal administratif;

(3) soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher.

  • [78] Étant donné que la Cour conclut que la décision de l’arbitre doit être réexaminée par un nouveau décideur, puisqu’elle est déraisonnable pour plusieurs raisons et injuste, les trois considérations décrites dans Alberta Teachers’ Association qui empêcheraient qu’une nouvelle question puisse être soulevée lors du contrôle judiciaire ne s’appliquent pas à la présente affaire. La nouvelle question relative à l’équité n’est mentionnée ici que dans le but d’enjoindre au nouvel arbitre qui sera saisi de l’affaire d’en tenir compte.

  • [79] La Cour prend cette initiative inhabituelle dans l’intérêt de la justice pour, on l’espère, contribuer à centrer et à accélérer l’audience en vue d’éviter qu’elle ne s’étende sur 17 jours, comme ce fut le cas pour l’audience précédente. Le défendeur se représentait lui‑même. L’arbitre aurait dû prendre connaissance du contrat de travail, qu’il n’a pas mentionné dans la section analytique de ses motifs. Il existe également la possibilité que l’employeur ait enfreint délibérément la clause de notification relative à la CMA, ce qui peut constituer un traitement inéquitable.

  • [80] La demanderesse fait valoir que l’arbitre a créé et appliqué un critère juridique qui n’est pas compatible avec l’article 602.02 du RAC.

  • [81] La Cour convient qu’il y a une incompatibilité manifeste entre la norme utilisée par l’arbitre et celle qui est énoncée dans la disposition réglementaire. En outre, le défaut d’appliquer la bonne norme souligne à grands traits le côté déraisonnable de la décision à bien des égards tout au long des motifs de l’arbitre.

  • [82] Selon l’article 602.02 du RAC, l’existence de « raisons de croire » constitue le critère que doivent appliquer les compagnies aériennes pour juger si un pilote est apte ou non à exercer ses fonctions. Malheureusement, la demanderesse n’a pas présenté à la Cour une interprétation des termes « raisons de croire ».

  • [83] Néanmoins, puisque la présente décision est susceptible d’appel, ce qui peut mener à un examen du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre, la Cour est tenue d’examiner les motifs de l’arbitre. En outre, comme la Cour s’inquiète du risque que le raisonnement de l’arbitre soit invoqué pour guider des décisions futures, il est préférable qu’elle annule une partie du raisonnement. L’examen commence par une interprétation de l’article 602.02 du RAC.

  • [84] Selon l’approche moderne en matière d’interprétation législative, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21).

  • [85] Dans son sens ordinaire, une croyance désigne quelque chose qu’une personne a en tête, et non pas quelque chose de factuel. Un fait doit être prouvé concrètement comme quelque chose qui est jugé vraisemblable ou probable à la suite de l’évaluation et de l’analyse des éléments de preuve. Si la croyance porte sur une question factuelle, il s’agit d’un fait indéterminé ou hypothétique, c’est‑à‑dire une possibilité.

  • [86] Par définition et logiquement, donc, une croyance renvoie à une chose qui est possible; à quelque chose qui pourrait se produire ou être prouvé comme étant un fait. En tant que norme juridique, une croyance n’exige pas d’éléments probants qui permettent de conclure qu’elle est probable ou que sa véracité est susceptible d’être prouvée.

  • [87] Bien qu’il semble qu’aucun tribunal n’ait directement tenté d’interpréter l’expression « raisons de croire » qu’on retrouve dans les lois fédérales, diverses décisions confirment qu’il s’agit d’une « possibilité » associée à une norme décrivant que quelque chose « peut » ou « pourrait » survenir ou exister. Par exemple, dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd c Canada (Santé), 2012 CSC 3 au para 64, la Cour suprême a cité des décisions rendues par les cours fédérales dans Twinn c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 CF 368 à la p 373, conf. par [1987] ACF no 834 (QL) (CAF), où les raisons de croire sont exprimées par le verbe « pourrait » :

C. Les autres questions soulevées par les parties : caractère raisonnable, parti pris et équité procédurale

(1) La décision est‑elle déraisonnable

a) Interprétation et application de l’article 602.02 du RAC

(i) Introduction
(ii) Les raisons de croire évoquent une possibilité
(iii) La gradation des possibilités

[L]a condition essentielle préalable à l’émission de l’avis est que l’intimé a lieu de croire que la communication du document pourrait aller à l’encontre de son obligation de ne pas en donner communication, imposée par l’article 20. [Non souligné dans l’original.]

  • [88] De même, dans l’arrêt Symbol Technologies Canada ULC c Barcode Systems Inc, 2004 CAF 339 au para 16, la Cour d’appel fédérale a adopté une interprétation de l’expression « motifs [...] de croire » qui avait été énoncée dans National Capital News Canada v Milli Ken (2002), 23 CPR (4th) 77 (Tribunal de la concurrence). Selon la Cour d’appel fédérale, la norme exige des « éléments de preuve crédibles suffisants pour qu’on puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d’une pratique susceptible d’examen et que cette pratique pourrait faire l’objet d’une ordonnance ».

  • [89] Cependant, ces arrêts ne donnent aucune directive quant à la norme juridique énoncée par les mots « raisons de croire », plus précisément le rang que cette expression occupe dans la taxonomie des normes relatives à des possibilités. La norme juridique fondée sur la possibilité s’applique à des faits possédant une valeur probante différente. Elle s’exprime habituellement au moyen de termes qui décrivent la valeur probante nécessaire des éléments requis compte tenu de la manière bien précise dont est énoncée la possibilité dans les circonstances. Les possibilités posent problème, parce qu’il n’existe pas de minimum et qu’elles constituent au mieux une hiérarchie décrite par des mots qui permettent de les qualifier selon leur degré de vraisemblance.

  • [90] Les normes fondées sur des possibilités ne ressemblent en rien à la norme de probabilité ou de vraisemblance. Cette dernière favorise le recours à un processus décisionnel dichotomique clair et relativement facile à appliquer, où il faut établir si une chose est vraisemblable ou non. Les probabilités servent de critère minimal pour évaluer les éléments qui servent à prouver un fait aussi bien que la norme de preuve civile permet de déterminer l’issue d’une affaire en fonction de la « prépondérance des probabilités ». Les probabilités constituent la solution idéale en droit, tandis que les possibilités doivent normalement être laissées de côté sauf si elles sont inévitables.

  • [91] Ainsi, alors qu’une possibilité sera généralement énoncée comme quelque chose qui « pourrait » se produire en tant qu’événement ou fait possible, l’atteinte d’une constance dans l’interprétation de ces termes d’un décideur à l’autre n’est pas chose aisée, puisqu’ils ne s’assortissent d’aucun minimum. Au mieux, ils expriment une échelle qui peut servir utilement à mesurer la force probante des éléments de preuve requis dans différents contextes, où les possibilités jouent le rôle de normes juridiques.

  • [92] Cette échelle peut être le mieux illustrée par un pourcentage minimum théorique ou une échelle de possibilités qui peuvent être évaluées par rapport à la « certitude », laquelle est chiffrée à 100 %.

  • [93] Suivant cette méthode, l’échelle des possibilités se voit attribuer un pourcentage variant entre 1 % à 50 % par rapport à la certitude de 100 %. Les possibilités sont plafonnées à 50 %, parce que les probabilités commencent à 51 % et grimpent jusqu’à la certitude. L’échelle des probabilités fait entrer en jeu d’autres normes plus élevées comme la « preuve hors de tout doute raisonnable », qui semble être un sosie des critères fondés sur des raisons de croire ou de douter, mais dans l’échelle des probabilités.

  • [94] Il semble que la Cour fédérale ait donné quatre descriptions générales où elle établit une distinction entre les échelles ou les critères minimaux des possibilités. Cependant, elle n’a jamais tenté d’y rattacher une valeur probante ni de les classer hiérarchiquement. La Cour décrit de la façon suivante les normes fondées sur les possibilités au moyen d’un concept numérique théorique :

1. Une « parcelle » ou de « simples possibilités » – notion utilisée en droit des brevets pour qualifier l’utilité requise d’une invention, l’utilité étant fondamentalement un critère impossible à classer, soit l’équivalent d’environ 10 %;

2. « Plus qu’une simple possibilité », norme parfois citée à tort en droit des réfugiés quand il faut prouver la persécution visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, soit l’équivalent d’environ 20 %;

3. « Avoir des raisons/motifs de croire ou de douter », notion qu’on retrouve dans diverses lois, y compris l’article 602.02 du RAC, et qui correspond à environ 30 %;

4. Une « sérieuse possibilité », soit la définition la plus populaire de la possibilité, qui est utilisée par exemple pour décrire la crainte fondée de persécution en droit du refuge et qui équivaut à environ 40 %, plus une marge de 15 % destinée à faciliter la séparation entre les possibilités et le point minimum de l’échelle des probabilités.

 

(iv) La gradation des « raisons de croire »
  • [95] Les valeurs numériques hypothétiques ci‑dessus rattachées aux possibilités servent uniquement à attribuer un rang de façon générale au critère fondé sur les « raisons de croire » en tant que norme juridique située quelque part entre « plus qu’une simple possibilité » et une « possibilité sérieuse ».

  • [96] Cependant, il faut souligner que le fait d’avoir des « raisons de croire » se situe dans le bas de l’échelle pour ce qui est de la force probante des éléments qui permettent d’établir l’inaptitude à travailler. Ce critère laisse aux exploitants de compagnies aériennes et aux MEAC un large pouvoir discrétionnaire de suspendre un pilote ou de juger qu’il doit se soumettre à une CMA.

  • [97] Une interprétation généreuse et non interventionniste de l’article 602.02 du RAC accorde aux dirigeants des compagnies aériennes et aux MEAC des pouvoirs discrétionnaires assez vastes dans des situations où l’aptitude à travailler d’un pilote est mise en doute. Elle s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur et permet de favoriser une grande sensibilité aux questions de sécurité dans les activités aéronautiques.

  • [98] Cette interprétation est appuyée contextuellement par d’autres normes législatives et réglementaires, notamment l’obligation pour les compagnies aériennes de mettre en place et d’appliquer un SGS.

  • [99] Les dispositions de la Loi sur l’aéronautique et de son règlement d’application visent non seulement à garantir que les normes de sécurité les plus strictes sont respectées dans les activités aéronautiques canadiennes, mais aussi à montrer aux voyageurs que toutes les mesures raisonnables possibles sont prises pour éviter les catastrophes aériennes, y compris celles liées aux pilotes.

  • [100] Ces politiques confirment le large pouvoir discrétionnaire dont disposent les compagnies aériennes pour s’assurer de l’aptitude au travail des pilotes, pouvoir qui impose à ceux‑ci le fardeau de prouver qu’ils sont aptes à exercer leurs fonctions. Le pilote doit prouver son aptitude, et c’est pourquoi il est tenu de se soumettre à des examens médicaux périodiques afin de conserver ses licences.

  • [101] Autrement dit, l’article 19 du contrat de travail n’énonce pas une forme quelconque de droit de gestion. Il s’agit de dispositions édictées dans l’intérêt public, soit de protéger les voyageurs et les membres d’équipage. Le décideur qui analyse les mesures prises par les gestionnaires de compagnies aériennes en vue d’appliquer l’article 602.02 du RAC par l’intermédiaire du contrat de travail devrait présumer de prime abord que les gestionnaires agissent de bonne foi pour le compte des voyageurs et des collègues.

  • [102] N’oublions pas non plus que l’article 602.02 du RAC et les dispositions pertinentes de l’article 19 du contrat de travail visent à mettre en œuvre l’obligation réglementaire de s’assurer que les pilotes sont aptes à exercer leurs fonctions, chose qui peut être déterminée en fin de compte uniquement par un MEAC. La clé, par conséquent, consiste à faciliter le processus dans les cas indéterminés où un MEAC est saisi d’un risque d’inaptitude possible.

  • [103] Il est reconnu que la norme fondée sur les « raisons de croire » aux fins de l’évaluation de l’inaptitude d’un pilote s’applique à toutes les procédures entreprises par la compagnie aérienne pour déterminer l’aptitude des pilotes et qu’elle guide ces procédures. En l’espèce, cette norme s’étend à la décision initiale de suspendre le pilote, aux procédures d’enquête, au renvoi du pilote à un MEAC pour qu’il subisse une CMA et à la décision du MEAC quant à l’aptitude du pilote.

  • [104] Cependant, lorsque l’inaptitude au travail est en jeu, le gestionnaire a pour tâche de réaliser une évaluation préliminaire du pilote dont la conduite suscite des doutes pour établir s’il va ou non lui demander de se présenter à un MEAC. Dans le cadre de cette évaluation préliminaire, même avec l’aide d’un médecin comme le Dr Knipping, le gestionnaire ne possédera pas toute l’information que le MEAC aura en main quand il procède à l’évaluation.

  • [105] Par exemple, lorsque le Dr Knipping a informé Mme Zamat des coûts possibles d’un examen médical indépendant dans son courriel du 16 mars 2017, il a déclaré que ces coûts dépendaient [traduction] « des tests psychométriques et de la nécessité d’interroger des membres d’équipage et de la famille, ou d’autres médecins, etc. » Ce sont les fondements factuels du travail du MEAC, et ces fondements sont beaucoup plus exhaustifs que ceux dont disposait M. Foster quand lui et les autres membres du personnel qu’il avait consultés ont pris la décision initiale de suspendre le défendeur ou, par la suite, d’exiger que celui‑ci se présente à un MEAC.

  • [106] Cela signifie que les raisons de croire qu’un pilote est inapte à exercer ses fonctions et doit se soumettre à une CMA seront moins fiables que les raisons justifiant la décision finale du MEAC. Elles se situeront dans la partie inférieure de l’échelle des possibilités et représenteront donc l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire plus généreux que celui du MEAC. Le pouvoir discrétionnaire de celui‑ci sera circonscrit par les informations et l’expertise médicale plus approfondies sous‑jacente à la décision. Autrement dit, lorsqu’il est question du renvoi à un MEAC, la balance devrait pencher en faveur de ce renvoi puisque c’est le MEAC qui prendra réellement la décision.

  • [107] Si ce raisonnement est appliqué à la présente situation, en supposant hypothétiquement que l’arbitre avait choisi de considérer que l’imposition d’une CMA au défendeur était raisonnable à la lumière de la norme fondée sur les « motifs raisonnables » de croire que le défendeur était inapte à exercer ses fonctions, il y aurait très peu de raisons de tirer une conclusion différente, étant donné le large pouvoir discrétionnaire de la compagnie aérienne.

  • [108] Par conséquent, bien que la même norme fondée sur « des raisons de croire » s’applique tout au long des procédures, il est évident qu’elle doit être recadrée et analysée dans son application selon le contexte factuel de chaque décision, déterminé par l’étendue d’éléments probants fiables qui appuient la décision. L’examen porte sur une situation historique analysée après le fait et où l’objectif de sécurité prime. Ce qui compte, c’est l’information dont dispose le décideur au moment où il s’est prononcé. Dans ce contexte, la question consiste à savoir s’il existait un fondement objectif permettant à l’arbitre de remettre en question la décision, comme cela a été fait au sujet de la suspension initiale du défendeur par SRA.

  • [109] Il ne s’agit pas, contrairement à ce que comprend le défendeur et à ce que semble avoir accepté l’arbitre, d’un exercice semblable à l’audition d’un grief, où toute l’information est connue et où on s’attend à ce qu’elle soit prise en considération par des témoins qui défendent leurs décisions dans un contexte contradictoire fondé sur des probabilités factuelles et juridiques. Il n’est pas obligatoire que les personnes A, B, C ou D viennent témoigner même si leur anonymat n’était pas protégé par les dispositions réglementaires et les politiques fédérales. C’est d’autant plus le cas quand la décision d’exiger une consultation médicale représente une forme d’examen collectif en vue d’une décision prise par de hauts dirigeants, un peu comme une corrélation entre différents éléments de preuve.

  • [110] Les résultats ou l’intégralité des plaintes antérieures relatives à des incidents sont donc pertinents, mais ne joueront pas nécessairement un rôle déterminant dans l’évaluation de la fiabilité ou de l’utilité des informations qui vont influer sur la décision d’exiger que le pilote se soumette à une CMA. Il appartient aux gestionnaires de se fier à des documents historiques faisant état de situations semblables qui portent à croire à l’inaptitude du pilote, comme dans la présente affaire, en raison de plaintes formulées dans le passé par de nombreux pilotes relativement aux relations interpersonnelles difficiles avec le défendeur.

  • [111] L’arbitre a décrit la norme fondée sur un « motif sérieux » au paragraphe 139 de ses motifs. Il l’applique ensuite au paragraphe 140 afin de rejeter la décision initiale de SRA de suspendre le défendeur pendant la tenue de l’enquête sur son aptitude à exercer ses fonctions. L’arbitre mentionne cette décision tout au long de ses motifs comme étant la preuve que SRA a imposé des sanctions et transformé un processus non disciplinaire en un processus disciplinaire. Les paragraphes en question des motifs de l’arbitre sont libellés ainsi, avec les soulignés de la Cour :

(v) L’application contextuelle du critère fondé sur les raisons de croire

b) L’arbitre a formulé sa propre norme juridique différente de ce qui est énoncé à l’article 602.02 du RAC

[traduction]

[139] La suspension soudaine d’un commandant de bord en bonne santé, avant qu’une enquête quelconque soit réalisée et que le commandant soit informé de l’incident ou des faits allégués, suspension qui a donné lieu au congédiement, doit reposer sur un motif sérieux et un danger imminent qui nécessitent des mesures correctives immédiates.

[140] Quand j’ai lu le rapport du SGS anonyme du 28 février 2017, qui est une plainte du premier officier contre son commandant de bord, à propos de certaines procédures de vol et d’une mauvaise attitude à son endroit, je n’ai pas vraiment constaté à première vue, sans enquête, un motif sérieux, un danger ou un manquement aux règles de sécurité qui nécessiterait des mesures vigoureuses.

  • [112] Dans Vavilov, aux para 120–121, il est précisé qu’il incombe au décideur, quand le sens d’une disposition législative est contesté, de démontrer dans ses motifs qu’il était conscient de ces éléments essentiels et qu’il a tenté d’interpréter la disposition d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet de la loi.

  • [113] L’arbitre n’a pas démontré qu’il était conscient de la norme juridique correcte, même si la demanderesse a fait valoir clairement qu’il devait appliquer le critère énoncé à l’article 602.02 du RAC, soit l’existence de « raisons de croire » que le pilote n’était pas apte à exercer ses fonctions. En outre, l’arbitre n’a cité aucune jurisprudence appuyant son recours à la norme juridique du « motif sérieux ».

  • [114] L’arbitre applique une autre fois à tort la norme du « motif sérieux » à une situation factuelle, par exemple quand il interprète mal et de façon inhabituelle l’essence évidente du rapport du SGS de la personne A au paragraphe 140 de ses motifs :

[traduction]

« [...] à propos de certaines procédures de vol et d’une mauvaise attitude à son endroit, je n’ai pas vraiment constaté à première vue, sans enquête, un motif sérieux, un danger ou un manquement aux règles de sécurité qui nécessiterait des mesures vigoureuses.

  • [115] Le rapport du SGS donne plusieurs exemples des inquiétudes éprouvées par la personne A du fait que la [traduction] « mauvaise attitude » du défendeur créait une situation peu sécuritaire dans le poste de pilotage, y compris ce qui suit :

[traduction]

Je n’ai rien dit à ce propos parce que je m’étais déjà heurté à sa mauvaise attitude et que c’est là que ça devenait peu sécuritaire ...

Durant son exposé du matin, il se dit toujours ouvert à ce que nous exprimions notre point de vue en tout temps si nous avons des inquiétudes ou s’il y a quoi que ce soit qui nous rend mal à l’aise, mais chaque fois que quelque chose ne fonctionne pas à sa façon ou qu’un événement se produit, son attitude change d’une manière qui rend inconfortable.

Ce genre de comportement dans un poste de pilotage pourrait facilement mener à un incident ou accident.

J’espère que quelqu’un va lui parler, mais en respectant mon anonymat.

  • [116] Au nom de la transparence des motifs, l’arbitre doit au moins prendre en considération et analyser les déclarations claires d’un pilote professionnel qui fait part cordialement d’une inquiétude pour la sécurité, sans rien qui laisse croire à de l’animosité ou à de mauvaises intentions, si ce n’est pour demander à la direction de s’entretenir avec le défendeur pour l’aider à changer ses méthodes. En revanche, le défendeur a répliqué par une attaque de front et sans merci, laissant entendre que la personne A avait besoin de formation supplémentaire et que son rapport contenait [traduction] « des faussetés évidentes qui devraient faire l’objet de discussions avec la personne ».

  • [117] M. Foster a mentionné dans son témoignage que la plainte pouvait laisser croire [traduction] « à un risque de rupture dans la gestion des ressources de l’équipage sur les vols en question » et qu’il a été prouvé que [traduction] « ce genre de rupture dans la cabine avait constitué un important facteur contributif aux accidents d’avion dans le passé ». L’arbitre n’a cité aucun élément de preuve quelconque lui permettant de rejeter l’opinion d’un directeur des opérations aériennes chevronné suivant laquelle le rapport du SGS témoignait que cette forme de conduite dans le poste de pilotage avait été [traduction] « un important facteur contributif aux accidents d’avion dans le passé ».

  • [118] La demanderesse plaide que le défaut, par l’arbitre, de comprendre et d’appliquer la norme fondamentale fondée sur des « raisons de croire » devrait amener la Cour [traduction] « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur », reprenant encore une fois le propos formulé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 122 de l’arrêt Vavilov :

[...] Toutefois, s’il est manifeste que le décideur administratif aurait pu fort bien arriver à un résultat différent s’il avait pris en compte un élément clé du texte, du contexte ou de l’objet d’une disposition législative, le défaut de tenir compte de cet élément pourrait alors être indéfendable et déraisonnable dans les circonstances. Comme d’autres aspects du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, les omissions ne justifient pas à elles seules l’intervention judiciaire : il s’agit principalement de savoir si l’aspect omis de l’analyse amène la cour de révision à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur. [Non souligné dans l’original]

  • [119] La Cour convient que l’arbitre a commis une erreur en n’appliquant pas la norme juridique énoncée à l’article 602.02 du RAC afin d’évaluer la légalité de la suspension du défendeur. La Cour est aussi d’avis que l’arbitre a, tout au long de ses motifs, appliqué ses propres normes juridiques pour conclure que M. Foster avait fait preuve de mauvaise foi et puni le défendeur. Il a généralement accusé de mauvaise foi tous les témoins de SRA et tiré les conclusions suivantes au paragraphe 190 :

[traduction]

En dernière analyse, il est important [...] de souligner que, selon moi, le plaignant avait raison d’affirmer que l’employeur n’agissait pas de bonne foi.

  • [120] Afin de parvenir à cette conclusion, l’arbitre a persisté à appliquer la mauvaise norme du début à la fin de son raisonnement. Il a continuellement assimilé la suspension initiale du défendeur à une mesure visant à convertir une procédure non disciplinaire en une procédure disciplinaire, refusant de reconnaître que le point de bascule était la décision d’exiger que le défendeur se soumette à une CMA et son refus d’obtempérer. La norme fondée sur les « raisons de croire » n’est mentionnée nulle part dans les motifs.

  • [121] L’exemple le plus éloquent se retrouve au seul endroit dans les motifs où l’article 602.02 du RAC est mentionné, soit au paragraphe 195 :

[traduction]

Le fait d’alléguer qu’un pilote est inapte à exercer ses fonctions, au titre du Règlement de l’aviation canadien (art 602.02), et qu’il est interdit à l’employeur de lui permettre d’exercer ses fonctions, sur la foi d’un seul rapport du SGS, n’est pas corroboré par la preuve et n’est pas crédible dans les circonstances. Il n’est pas acceptable de congédier le plaignant quand l’employeur n’a pas prouvé qu’il avait un motif sérieux justifiant sa décision. [Non souligné dans l’original.]

  • [122] La norme du « motif sérieux » ne peut s’appliquer compte tenu des « raisons de croire » qui sont évoquées à l’article 602.02 du RAC. Par conséquent, la mention du Règlement pour la forme et, en même temps, la répétition tout au long des motifs de la même norme erronée du « motif sérieux » démontrent que l’arbitre a mal interprété le rôle de la disposition réglementaire applicable lorsqu’il devait établir la norme de révision régissant l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de la demanderesse d’imposer une CMA au défendeur.

  • [123] L’arbitre a plutôt appliqué la jurisprudence générale en matière d’emploi, au paragraphe 152 de ses motifs, quand il affirme que le fait d’exiger un examen médical constituait une [traduction] « mesure draconienne » qui doit reposer sur un [traduction] « solide fondement » et qui ne sera requise que dans de [traduction] « rares cas ». Non seulement l’utilisateur [d’un aéronef] doit avoir simplement des « raisons de croire » que le pilote est inapte à exercer ses fonctions, mais la décision au stade de l’évaluation préalable des gestionnaires des pilotes de SRA, fondée sur l’opinion d’un médecin comme le Dr Knipping, est également assujettie à une norme vraisemblablement moins stricte pour justifier que le défendeur soit tenu de se présenter à un MEAC, car les fondements factuels à cette fin sont considérablement plus restreints.

  • [124] En conclusion, la Cour souscrit aux observations de la demanderesse, soit que l’interprétation erronée de l’article 602.02 du RAC, y compris l’application erronée de la mauvaise norme à la suspension initiale du défendeur par SRA et tout au long des motifs, constitue une erreur importante qui amène la Cour à perdre confiance dans le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre.

  • [125] La demanderesse décrit deux situations où, à son avis, les commentaires de l’arbitre à l’audience suscitent une crainte raisonnable de parti pris. Dans un cas, l’arbitre aurait déclaré que les documents présentés par la demanderesse étaient [traduction] « suspects » puis, plus tard, qu’il se sentait [traduction] « menacé » par l’avocat de la demanderesse. Celle‑ci lui a demandé d’expliquer ces affirmations, ce qui n’a pas été fait. La Cour estime qu’il y a peu d’avantages à analyser ces commentaires pour ce qui est de leur incidence sur la décision qui a été rendue, mais ils ajoutent aux inquiétudes quant à l’existence d’un parti pris plus général et étendu chez l’arbitre envers la demanderesse.

  • [126] L’autre allégation de parti pris, qui mettait en cause le Dr Knipping, est toutefois pertinente, outre le fait qu’elle constitue une attaque injuste contre la réputation du médecin, de sorte que la Cour s’y attardera plus longuement.

  • [127] Selon la demanderesse, il y a eu manquement à l’équité procédurale et aux principes de justice naturelle en raison des commentaires faits par l’arbitre dans une conversation qu’il avait eue avec le Dr Knipping en l’absence de l’avocat, où l’arbitre a laissé entendre que SRA et le médecin faisaient valoir injustement leur cause contre le défendeur.

  • [128] Le Dr Knipping affirme solennellement que l’arbitre a engagé la conversation avec lui en l’absence de l’avocat, qui s’était absenté pour aller agrafer des documents, avant la reprise de l’interrogatoire principal après la pause du midi. Dans son affidavit, le Dr Knipping décrit les commentaires de l’arbitre et les craintes qu’ils ont suscitées dans son esprit :

(2) La crainte de parti pris

a) La conversation officieuse de l’arbitre avec le Dr Knipping

[traduction]

16. ... L’arbitre Goulet m’a demandé si je pensais qu’il était juste que les sociétés d’assurance engagent des psychiatres grassement payés pour rejeter les demandes d’indemnisation d’employés présentant des problèmes de santé mentale.

17. ... J’ai eu l’impression qu’il faisait une analogie entre une société d’assurance qui décide d’engager un psychiatre afin qu’il évalue l’aptitude physique et mentale d’un employé, ce qu’il qualifie d’« injuste », et la décision de la demanderesse de me consulter dans la présente affaire au sujet de l’aptitude physique et mentale du défendeur.

18. ... L’arbitre Goulet a ensuite exprimé son opinion personnelle en disant qu’il considérait injuste que des sociétés d’assurance engagent des professionnels de la santé pour évaluer l’état physique et mental d’employés et que ces derniers ne devraient pas perdre leurs prestations à la suite d’un examen médical ordonné par une entreprise.

  • [129] En réponse au témoignage du Dr Knipping, le défendeur a déclaré sous serment qu’il n’y avait jamais eu de discussion semblable alors qu’il se trouvait dans la salle et qu’à son avis, [traduction] « cette supposée discussion était malheureusement un pur mensonge ».

  • [130] Vu le manque de nuance entre ces deux déclarations totalement incompatibles – l’arbitre a tenu ces propos ou pas – la Cour accepte le témoignage du Dr Knipping, parce qu’il n’est pas vraisemblable qu’il invente cette histoire. Sa version est corroborée de façon très solide par l’affidavit de l’avocat de la demanderesse ainsi qu’au moyen de documents manuscrits et d’un mémoire où sont décrits en détail les événements qui se déroulaient quand l’avocat est revenu dans la salle d’audience, à la fin de la discussion. Les tribunaux s’attendent à ce que les avocats plaidants, à titre d’officiers de justice, communiquent honnêtement et sans ambiguïté avec eux en suivant leurs règles de déontologie. Qui plus est, les événements décrits par le Dr Knipping ne ressemblent pas à quelque chose qu’une personne inventerait, c’est‑à‑dire des mentions concernant l’iniquité des médecins engagés par des sociétés d’assurance.

  • [131] En outre, le Dr Knipping possède des compétences impressionnantes qui démontrent son dévouement pour la santé mentale des pilotes dans l’industrie aéronautique, de sorte que ses opinions et sa réputation ne devraient pas être dénigrées sans preuve convaincante. Le Dr Knipping est un spécialiste de la thérapie cognitive du comportement qui a consacré une partie importante de sa carrière à réaliser des évaluations psychologiques et à offrir des services de psychothérapie directement aux pilotes privés et professionnels en plus d’agir comme consultant pour l’industrie aéronautique. Il est MEAC depuis 1986 et, en plus de 30 ans, il a évalué des milliers de pilotes dans le but de vérifier leur aptitude mentale et physique à exercer leur travail et a traité des centaines de pilotes éprouvant des problèmes de santé mentale qui ont été dirigés vers lui.

  • [132] La Cour est consciente d’autres cas où le défendeur a accusé l’auteur d’un document préjudiciable à son endroit d’avoir tout inventé, notamment quand il parle des [traduction] « faussetés évidentes » relatées par la personne A.

  • [133] L’arbitre a également exprimé ses inquiétudes au sujet des accusations portées par le défendeur contre les gens avec qui il était en désaccord, par exemple au paragraphe 217 de ses motifs, où il refuse d’ordonner la réintégration du défendeur et tient les propos suivants :

[traduction]

217. Au lieu de se montrer préoccupé de la façon dont certains incidents mineurs ont été perçus, il a prétendu que toutes les allégations étaient « fausses et vexatoires ». De plus, le plaignant a affirmé que l’entreprise avait détruit intentionnellement des documents pour masquer le fait qu’elle mettait en service des aéronefs qui n’étaient apparemment pas sûrs. Sans preuve ni témoignage à l’appui, il a déclaré qu’avec le temps, Sky Regional était devenue un « monstre ».

b) Les déclarations dénotant un parti pris

  • [134] Afin de se prononcer sur l’existence d’une crainte de parti pris, il faut se demander à quelle conclusion en arriverait une personne sensée et raisonnable, « bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 à la p 394; Trevor Nicholas Construction Co c Canada (Ministre des Travaux publics), 2003 CAF 277 au para 8).

  • [135] Les commentaires de l’arbitre portent effectivement à croire qu’il a un parti pris. Tout d’abord, le fait de poser des questions à un témoin en l’absence de l’avocat au milieu d’un interrogatoire sur un sujet qui se rapproche beaucoup des questions liées à l’équité dont l’arbitre est saisi dénote un manque de jugement et une incompréhension du rôle d’un arbitre, même compte tenu du contexte moins formel.

  • [136] Les questions posées ne concernaient pas le Dr Knipping, mais plutôt le caractère équitable de l’embauche de médecins [traduction] « grassement payés » par les sociétés d’assurance pour rejeter les demandes d’indemnisation d’employés présentant des problèmes de santé mentale. La Cour est d’avis que, dans les circonstances, on pourrait raisonnablement faire une analogie entre ce commentaire et le fait que SRA ait engagé le Dr Knipping afin que le défendeur soit congédié pour des raisons médicales, ce qui semble avoir été le point de vue adopté par l’arbitre, sans fondement, tout au long des motifs.

  • [137] En outre, l’arbitre a répondu à sa propre question lorsqu’il avait mentionné qu’il était injuste, à son avis, que les sociétés d’assurance agissent de la sorte. L’iniquité est attribuée à SRA, mais il est clair que le Dr Knipping était interrogé en tant que complice de SRA, puisqu’il a été allégué que le médecin avait été engagé dans le but de mettre fin à l’emploi du défendeur pour des raisons médicales.

  • [138] Il est particulièrement pertinent que l’arbitre accuse, à tort, les sociétés d’assurance qui embauchent des médecins grassement payés d’être inéquitables, étant donné qu’il conclut que le défendeur a été traité injustement et inéquitablement par SRA.

  • [139] Les commentaires démontrent également que l’arbitre ne comprend absolument pas les raisons d’intérêt public qui sous‑tendent les dispositions réglementaires applicables et l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique. Il ne semble pas saisir non plus l’importance de suspendre des pilotes inaptes à exercer leurs fonctions dès que des préoccupations sont soulevées. L’arbitre a plutôt examiné cette question, et la plupart des questions en jeu ici, en fonction du paradigme habituel opposant l’employeur et l’employé. Le contexte disciplinaire n’a aucune incidence en l’espèce, sauf en fin d’analyse, quand il faut établir si le refus du défendeur de se soumettre à une CMA constituait de l’insubordination, et un motif valable de congédiement, ce qui n’était pas en cause dans la présente affaire.

  • [140] Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte de la crainte raisonnable de parti pris envers le Dr Knipping, puisque la demanderesse a omis de soulever ce point à l’audience et qu’elle le présente pour la première fois ici. La Cour convient que SRA n’a pas mentionné ce point devant l’arbitre.

  • [141] Selon ce genre d’observation, habituellement, il y aurait eu « renonciation » au droit d’invoquer la crainte de parti pris parce que cette crainte n’a pas été signalée à l’arbitre le plus tôt possible. La Cour d’appel fédérale a décrit de la façon suivante les principes applicables à la renonciation au droit d’invoquer le parti pris, en le mettant sur un pied d’égalité avec les observations relatives à l’équité procédurale, au paragraphe 20 de l’arrêt Hennessey c Canada, 2016 CAF 180 [Hennessey] :

c) La renonciation à invoquer le parti pris

Je ne peux ajouter fois [sic] à toutes ces assertions de partialité et d’injustice pour un autre motif. Il est notoire que des assertions de partialité et de manquement à l’équité procédurale en première instance ne sauraient être invoquées en appel ou dans un contrôle judiciaire si elles pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun devant la juridiction inférieure, en l’occurrence la Cour fédérale (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 R.C.F. 85; Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), page 113; Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, par. 67‑68).

  • [142] La Cour conserve son pouvoir discrétionnaire de déterminer si les assertions fondées sur renonciation à invoquer la crainte de parti pris « pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun ». La Cour comprend que les termes « pouvaient raisonnablement être soulevées » doivent être analysés dans le contexte d’un système contradictoire et à la lumière de l’intérêt supérieur du client représenté par avocat.

  • [143] En l’espèce, la Cour conclut que la demanderesse n’a pas renoncé à son droit d’invoquer la crainte de parti pris face à l’arbitre concernant le Dr Knipping et ce, pour plusieurs raisons.

  • [144] Premièrement, les propos ont été tenus dans un contexte officieux, soit en l’absence de l’avocat de la demanderesse. Ils montrent de toute évidence que l’arbitre avait des doutes quant à l’équité dont fait preuve n’importe quelle partie, un assureur, une compagnie aérienne, etc., qui embauche des médecins [traduction] « grassement payés » pour défendre leur cause, particulièrement dans la présente affaire, où l’arbitre a conclu que SRA avait traité injustement le défendeur.

  • [145] Qui plus est, par sa déclaration, l’arbitre fait abstraction du fait que la véritable question à trancher dans l’affaire se fonde sur des aspects médicaux qui nécessitent la participation factuelle d’un médecin pour aider les gestionnaires de pilotes, qui n’ont pas de formation médicale, à prendre la bonne décision au sujet d’une inaptitude physique latente au travail suffisante pour exiger que le défendeur se soumette à une CMA.

  • [146] Deuxièmement, la Cour éprouve certains problèmes, dont il est question ci‑après, à l’égard des décisions et des conclusions défavorables tirées par l’arbitre relativement à la preuve, lesquelles laissent entendre que le Dr Knipping a agi de mauvaise foi contre les intérêts du défendeur. Les commentaires officieux de l’arbitre sont pertinents pour corroborer le caractère déraisonnable du jugement négatif qu’il a porté contre le Dr Knipping.

  • [147] Il s’ensuit que, quand la question franchit la limite entre une crainte de parti pris et une conduite qui pourrait être considérée par la cour de révision comme une partialité réelle, si cette conduite est confirmée par un manque de transparence ou l’absence de preuve, la règle exigeant que cette question soit soulevée « en première instance » ne s’applique plus.

  • [148] Les termes « parti pris » et « partialité » sont parfois utilisés de façon interchangeable. Toutefois, il y a une différence entre les deux expressions. Le parti pris découle d’un état d’esprit, alors que la partialité se déduit d’un comportement. La distinction a été signalée par le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R v Parks (1993), 15 OR (3d) 324 aux para 35–36, citée avec approbation dans R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 107.

  • [149] La partialité se dégage à la fois de l’état d’esprit et du comportement. Elle évoque la personne qui a certaines idées préconçues et qui, malgré les mesures de protection destinées à contrer leur présence au procès, laissera ces préjugés influencer son verdict. Un juré partial est un juré qui a un parti pris et qui fera preuve de discrimination contre les parties au litige en fonction de ce parti pris. Pour être pertinente aux fins de la partialité, une série de questions doit concerner à la fois l’état d’esprit et le comportement qui en découle.

  • [150] Le parti pris d’un juré ne le rendra partial que si ses préjugés ont une incidence sur la décision à laquelle il parvient d’une manière qui est incompatible avec le devoir de rendre un verdict fondé seulement sur les éléments de preuve et sur une application des règles de droit décrites par le juge de procès.

  • [151] Il faut distinguer également l’apparence d’un parti pris et la partialité (réelle). L’apparence d’un parti pris peut être inférée de l’état d’esprit rattaché aux relations du témoin, à son statut et à ses préférences, etc., qui tendent à prédire sa partialité durant son témoignage. La partialité est démontrée concrètement durant le témoignage, par exemple si le témoin devient militant, s’il exagère ses propos ou s’il devient évasif ou déraisonnable relativement à des questions de fond dans les opinions qu’il exprime à l’intention de la Cour.

  • [152] Troisièmement, il est difficile de savoir clairement quelles mesures, de nature corrective ou autre, l’arbitre pourrait imposer si une partie fait valoir que ses commentaires suscitent une crainte de parti pris. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Hennessey, a analysé les questions de procédure qui pourraient être corrigées, et s’est exprimée ainsi au paragraphe 21 :

Une partie doit présenter ses objections au moment où elle prend conscience d’un problème de procédure en première instance. Elle doit donner au premier décideur la chance d’aborder la question avant qu’il n’en résulte un préjudice, d’essayer de réparer tout préjudice causé ou de s’expliquer. Une partie, consciente d’un problème de procédure en première instance, ne peut demeurer tapie dans l’herbe, pour bondir une fois que l’affaire est devant la cour d’appel. [Non souligné dans l’original.]

  • [153] Dans la présente affaire, les déclarations de l’arbitre suscitent une crainte de parti pris. Ces déclarations ne peuvent être supprimées. Les circonstances en l’espèce ne ressemblent en rien à celles dont il est question dans Hennessey, où les propos relatifs au parti pris font partie de remarques incidentes. La Cour d’appel a rejeté les faits allégués qui dénotaient supposément un parti pris. Dans d’autres arrêts, comme Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, les problèmes soulevés concernaient l’incompétence d’un interprète et auraient pu être corrigés en première instance. La règle exigeant que les questions de parti pris soient soulevées en « première instance » existe pour éviter qu’une partie reste « tapie dans l’herbe » et pour que les mesures correctives soient prises sur‑le‑champ afin d’empêcher que le jugement soit infirmé ultérieurement.

  • [154] Il devrait y avoir aussi une présomption générale portant que l’avocat n’est pas tenu de prévenir le décideur qu’il se comporte d’une manière suscitant une crainte de parti pris. C’est la règle qui s’applique quand le décideur se trouve en conflit d’intérêts, dans un situation où il est inapproprié de demander le point de vue des parties sur une question qui doit être tranchée par la Cour. Sauf s’il est clairement possible de remédier à la crainte de parti pris, et donc qu’il y a gaspillage des précieuses ressources judiciaires si l’avocat n’en fait pas mention, il est du devoir de l’avocat en tant que fonctionnaire judiciaire d’éviter ce genre de situation.

  • [155] Qui plus est, dans la réalité d’un milieu très tendu comme une salle d’audience, la plupart des avocats éprouvent de la réticence à remettre en question les décideurs lorsqu’ils semblent agir de façon inéquitable, étant donné que les juges sont des êtres humains. Je sais bien, d’après mon expérience, que peu d’avocats vont risquer de déplaire à un juge, si le parti pris semble être son état d’esprit de prédilection, à moins qu’il soit extrêmement clair que la conduite du juge se rapproche de la partialité et ne peut être corrigée.

  • [156] La Cour ne voit aucune raison justifiable permettant de croire qu’une crainte de parti pris disparaîtra au milieu d’une audience mal dirigée, dans le cas où les commentaires inacceptables du décideur revêtent une importance pour l’issue de l’affaire – ce qui peut être corroboré ultérieurement et venir appuyer en fin de compte la présence d’une crainte de parti pris se rapprochant de la partialité.

  • [157] La Cour est d’avis qu’il faut user de prudence en appliquant la règle de la « première instance » pour exclure une preuve claire et irrémédiable de parti pris. La barre est déjà assez haute pour ce qui est de la preuve d’une crainte de parti pris. S’il existe des éléments de preuve contraires, il est possible que la cour de révision donne l’impression d’accorder plus d’importance aux intérêts de la juridiction inférieure ou du tribunal administratif au détriment de ceux des parties qui n’ont pas gain de cause et qui s’attendent à ce qu’il y ait apparence de justice, étant donné qu’elles ont déjà l’impression d’avoir été victimes du parti pris évident du décideur.

  • [158] La meilleure façon de dissiper une crainte de parti pris consiste à formuler des motifs très solides à l’appui de la décision. Si celle‑ci est fondée sur des conclusions factuelles et des principes juridiques inattaquables, la crainte de parti pris – qui n’est pas de la partialité – ne devrait pas avoir d’incidence sur l’issue de l’affaire. Le cas échéant, le décideur devrait expliquer à la partie déboutée que, « n’eut été » de certains éléments, la crainte de parti pris aurait modifié le résultat.

  • [159] La Cour est d’avis que, globalement, l’arbitre décrit le témoignage du Dr Knipping en des termes extrêmement désapprobateurs qui confirment les inquiétudes de la demanderesse relativement à un parti pris possible de la part de l’arbitre.

  • [160] Un exemple de parti pris dénigrant le Dr Knipping se trouve au paragraphe 155 des motifs. L’arbitre répète à tort la déclaration qui constitue du double ouï‑dire faite par le défendeur relativement à la réputation du Dr Knipping afin d’expliquer pourquoi il a refusé de se soumettre à un examen médical effectué par ce dernier :

d) La preuve d’un parti pris entachant les conclusions de l’arbitre au sujet du témoignage du Dr Knipping

(i) L’atteinte à la réputation du Dr Knipping lorsqu’il est souligné que celui‑ci est un bon ami d’un haut dirigeant de la compagnie aérienne

[traduction]
[...] Il craignait pour l’impartialité de l’évaluation médicale; il avait reçu de la part d’une personne de confiance des renseignements concernant la réputation de ce médecin que l’employeur avait choisi unilatéralement. Il suffit de démontrer une réticence à vouloir laisser ce médecin, qui était un bon ami d’un des hauts dirigeants de l’entreprise, décider de sa capacité de piloter un aéronef. [Non souligné dans l’original.]

  • [161] La demanderesse soutient que la déclaration relative aux liens d’amitié entre le Dr Knipping et un haut dirigeant de la compagnie aérienne est mensongère et non corroborée par le dossier de la preuve. L’arbitre n’identifie pas le haut dirigeant en question et ne mentionne aucun élément prouvant que cette personne serait un bon ami du Dr Knipping; il accepte simplement les propos du défendeur, qui reposent sur du ouï‑dire, comme s’ils étaient véridiques. En plus, selon le compromis qui semblait avoir reçu l’assentiment de tous et avait été offert quand le défendeur s’est opposé à ce que le Dr Knipping se charge de l’examen, le Dr Knipping et la Dre Boulanger choisiraient ensemble le MEAC qui procéderait à la CMA.

  • [162] L’arbitre a soulevé une question corollaire au paragraphe 156, où il critique le refus de SRA d’accepter l’évaluation de la Dre Boulanger :

[traduction]

À partir de ce moment‑là, Mme Zamat avait la preuve que le plaignant était apte à exercer ses fonctions de pilote. Son refus d’accepter les documents médicaux du plaignant et de communiquer avec la Dre Boulanger, médecin‑examinatrice de l’aviation civile (MEAC), afin d’obtenir des précisions au sujet du billet médical, montre qu’à ce stade‑là, la société était motivée par des intentions douteuses. [Non souligné dans l’original.]

  • [163] L’évaluation de la Dre Boulanger ne pouvait être utilisée, parce que la médecin avait effectué son examen, à son insu, sans avoir été informée des éléments qui avaient suscité des inquiétudes quant à l’aptitude mentale du défendeur à exercer ses fonctions. Il est vrai que le défendeur ne disposait pas de ces renseignements parce que SRA ne les lui avait pas transmis, même pas sous forme condensée. Il demeure que, sans l’information qui avait motivé SRA, le rapport de la Dre Boulanger ne servait pas à grand‑chose en ce qui a trait à la détermination de l’aptitude du défendeur à exercer ses fonctions de pilote.

  • [164] De plus, le Dr Knipping avait prévu cette éventualité même avant qu’elle se produise, car il avait mis Mme Zamat en garde dans son courriel du 16 mars 2017 :

[traduction]

Il est important de commencer avec un psychologue de notre choix, parce que nous devons être certains que les inquiétudes mentionnées par l’équipage et la compagnie aérienne soient clairement prises en compte et non écartées par un psychologue ou un psychiatre qu’il pourra choisir lui‑même.

(ii) L’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique
  • [165] L’arbitre reproche également au Dr Knipping d’avoir signalé le refus du défendeur de se soumettre à une CMA au bureau de Médecine aéronautique civile de Transports Canada, comme il y est tenu à l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique. L’arbitre s’exprime ainsi :

[traduction]

46. Le plaignant, qui n’a jamais été le patient du Dr Knipping, n’avait jamais entendu parler de la grave dénonciation jusqu’à ce que le Dr Knipping témoigne à l’audience. [...]

48. En conséquence, il est clair que le Dr Knipping n’était pas en mesure de fournir un avis médical crédible ni de poser de diagnostic hypothétique. Sur le plan professionnel, sa recommandation de signaler le plaignant à Transports Canada et sa décision de le faire au moyen d’un avis motivé est pour le moins professionnellement douteuse dans les circonstances. Son témoignage selon lequel Sky Regional devait, suivant son avis médical, prendre des mesures pour s’assurer que le plaignant était apte à exercer ses fonctions n’est pas très crédible, compte tenu des sources sur lesquelles il s’est appuyé, du choix des renseignements qui lui ont été fournis et du fait qu’il n’est pas un témoin tout à fait désintéressé et impartial.

[Non souligné dans l’original.]

  • [166] L’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique est libellé ainsi; la Cour souligne :

6.5 (1) Le médecin ou optométriste qui a des motifs raisonnables de croire que son patient est titulaire d’un document d’aviation canadien assorti de normes médicales ou optométriques doit, s’il estime que l’état de l’intéressé est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne, faire part sans délai de son avis motivé au conseiller médical désigné par le ministre.

6.5 (1) Where a physician or an optometrist believes on reasonable grounds that a patient is a flight crew member, an air traffic controller or other holder of a Canadian aviation document that imposes standards of medical or optometric fitness, the physician or optometrist shall, if in his opinion the patient has a medical or optometric condition that is likely to constitute a hazard to aviation safety, inform a medical adviser designated by the Minister forthwith of that opinion and the reasons therefor.

  • [167] Même si l’article 6.5 se rapporte à une relation médecin‑patient, il décrit une obligation de signaler tout problème de santé chez un pilote lui donnant des motifs raisonnables de croire qu’il est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne. La situation du médecin est semblable à celles de travailleurs, comme les enseignants, qui ont l’obligation légale de dénoncer les cas soupçonnés de maltraitance d’enfants aux organismes de services à l’enfance et qui, s’ils ne s’acquittent pas de cette obligation, peuvent subir des conséquences négatives sur le plan professionnel et peut‑être juridique. L’objectif et le principe sous‑tendant l’article appuient une interprétation généreuse de sa portée qui permet au médecin de signaler un employé, non pas un patient, quand il prend connaissance de l’état de santé du pilote, d’après des renseignements qu’il a obtenus lorsque l’employeur du pilote l’a mandaté pour évaluer l’aptitude de celui‑ci à exercer ses fonctions.

  • [168] Cet article est semblable aux dispositions de l’article 19 du contrat de travail sur le renvoi à une CMA. Ces deux articles ont pour but tous deux d’obliger le médecin qui décèle des problèmes de santé chez un pilote constituant un risque pour la sécurité aérienne à imposer une CMA au patient, sauf que l’exigence relative à la CMA dans la Loi sur l’aéronautique est indirecte, car la situation compromettante dans laquelle se trouve le pilote doit être signalée à Transports Canada.

  • [169] Par conséquent, les mêmes considérations de principe dont il est question ci‑dessus concernant le RAC et l’article 19 du contrat de travail, qui se fondent sur la nécessité de détecter et de prévenir les situations posant des risques graves pour la sécurité, s’appliquent à l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique.

  • [170] Faisant fi des considérations de principe sur lesquelles reposent ces dispositions, l’arbitre a encore une fois mal interprété la norme légale obligeant un médecin à signaler un pilote à Transports Canada dont il est question à l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique. Il suffit que le médecin ait des motifs raisonnables de croire que l’état de santé du pilote est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne.

  • [171] Dans les faits, « avoir des motifs raisonnables de croire » s’apparente beaucoup à « avoir des raisons de croire », car les deux expressions se fondent une croyance inférieure à une sérieuse possibilité, ce qui reflète encore l’intention d’appliquer des normes de sécurité exceptionnelles destinées à prévenir les catastrophes aériennes.

  • [172] Nulle part ne figure le fait de donner un « avis médical » ou de poser un « diagnostic », quand le but consiste à diriger le pilote vers un médecin dont le mandat est de fournir l’avis médical ou le diagnostic au sujet de l’aptitude du pilote à exercer ses fonctions. Le Dr Knipping a pour seule tâche d’effectuer une évaluation préalable des pilotes dont la conduite soulève des inquiétudes pour la sécurité aérienne. Si le Dr Knipping pouvait poser un jugement en vertu de l’article 19 du contrat de travail, il lui était aussi possible d’évaluer l’état de santé du défendeur conformément à l’article 6.5 de la Loi sur l’aéronautique, qui sert aussi à permettre l’évaluation préalable.

  • [173] Encore plus important sans doute, l’arbitre passe outre au fait que c’est le refus du défendeur de se soumettre à une CMA qui a contraint le Dr Knipping à conclure qu’il devait respecter la disposition obligatoire, parce que c’était la seule façon de s’assurer qu’un MEAC procéderait à une CMA. Un pilote ne devrait pas pouvoir conserver sa licence quand, suivant le SGS, il est établi que son aptitude à exercer ses fonctions devrait être évaluée.

  • [174] On s’attend dans de telles circonstances, compte tenu des obligations imposées au médecin par le législateur, que le Dr Knipping passe à l’étape supérieure du processus et informe Transports Canada d’une situation où il y a un risque pour la sécurité aérienne. Cette possibilité permet au gouvernement fédéral d’intervenir pour faire en sorte que le pilote réfractaire se soumette à une CMA, au cas où il perdrait son poste avant l’évaluation et se mettrait à la recherche d’un autre emploi de pilote.

  • [175] L’arbitre n’a pas fait preuve de transparence non plus quand il a dépeint le Dr Knipping sous un jour défavorable au paragraphe 41 de ses motifs, en citant les conseils donnés par le médecin à Mme Zamat après avoir été engagé, soit [traduction] « que l’affaire est susceptible d’aboutir à un litige, alors il conviendrait d’obtenir l’avis indépendant d’un psychologue plutôt que le mien ». Au paragraphe 42, l’arbitre critique le fait que le Dr Knipping ait reçu le mandat d’effectuer une évaluation psychologique complète qu’il n’a finalement pas réalisée, puis qu’il soit néanmoins venu témoigner à l’audience.

  • [176] L’arbitre n’a pas mentionné les documents appropriés dans ses motifs lorsqu’il a décrit la source des commentaires du Dr Knipping, qui portaient notamment sur les autres rapports du SGS et le courriel de M. Carbonneau.

  • [177] Le Dr Knipping a exprimé ses préoccupations relativement à la possibilité d’un litige après avoir pris connaissance de l’information que Mme Zamat avait copiée textuellement dans son courriel, c’est‑à‑dire 1) le courriel envoyé par le défendeur aux 800 employés de SRA et 2) le courriel de la personne D.

  • [178] L’arbitre n’a pas considéré que de ces documents sous‑tendaient l’inquiétude formulée par le Dr Knipping sur la possibilité que ce dossier se retrouve devant les tribunaux. S’il l’avait fait, ce qui aurait été raisonnable, il aurait constaté qu’il existait effectivement des raisons de conclure provisoirement que le dossier donnerait lieu à un litige. Cette déclaration du Dr Knipping visait seulement à informer SRA qu’il valait mieux ne pas le désigner comme MEAC pour évaluer le défendeur, ce qui est exactement le contraire de ce qu’affirme l’arbitre.

  • [179] Les commentaires de la personne D relativement au courriel envoyé par le défendeur à tous les employés de SRA sont également pertinents ici :

(iii) La susceptibilité d’aboutir à un litige

[traduction]

[Avec le courriel envoyé aux employés de SRA], tout le monde vient de constater en plus qu’il a de réels problèmes de personnalité qui doivent être réglés immédiatement. Il éprouve des difficultés incroyables à comprendre que sa personnalité est peut‑être la source de ses problèmes dans l’entreprise et n’accepte pas bien la moindre critique constructive de ses collègues de travail, qu’il prend comme une attaque personnelle, et il fait alors tout pour prouver aux autres qu’ils ont tort. [Non souligné dans l’original.]

  • [180] Le courriel envoyé à l’ensemble des employés montre une personne qui est prête à répondre agressivement à quiconque remet en question son aptitude à exercer ses fonctions de pilote, et même l’arbitre était d’avis que cet envoi justifiait une sanction disciplinaire. Conjugué aux commentaires de la personne D confirmant que le défendeur [traduction] « prend [les critiques] comme une attaque personnelle [...] et fait alors tout pour prouver aux autres qu’ils ont tort », ce fait montre qu’il n’était pas exagéré pour le Dr Knipping d’invoquer le risque de litige pour recommander que la CMA ne lui soit pas confiée. En outre, cette approche de la part du médecin témoigne de sa bonne foi, étant donné qu’il se soucie de l’apparence d’équité dans le traitement du dossier, et il en va de même pour sa recommandation de ne pas dissimuler l’information justifiant la tenue d’une CMA.

  • [181] La Cour ne nie pas que les commentaires de la personne D pouvaient sembler injustes aux yeux du défendeur si l’enjeu était de nature disciplinaire et qu’il fallait justifier le congédiement. Par contre, c’est le défendeur lui‑même qui a envoyé la lettre à l’ensemble des employés, et rien au dossier ne permet de réfuter la conclusion de la personne D, soit que le défendeur fait tout son possible pour prouver aux gens qu’ils ont tort quand il est l’objet de reproches. Par exemple, il défie la direction, il attaque des personnes publiquement en des termes diffamatoires, où il semble recourir à des arguments religieux pour justifier ses accusations. Tous ces comportements amenaient à conclure que le dossier risquait de donner lieu à un litige, particulièrement quand on considère que les propos du Dr Knipping constituaient des conseils valables et justes.

  • [182] Par conséquent, la Cour s’inquiète de l’apparence d’iniquité qui découle de l’importance accordée par l’arbitre à une déclaration qui n’était pas vraiment pertinente. Il qualifie de façon erronée la preuve sous‑jacente et souligne la désignation du Dr Knipping comme MEAC par SRA, désignation qui n’était pas interdite par les règles professionnelles, mais que le Dr Knipping avait lui‑même déconseillée. L’arbitre aurait pu adresser des reproches à la direction de SRA, mais pas au Dr Knipping. Ce fait, ajouté à toutes les autres allégations sans fondement faites contre le médecin, amène la Cour à s’interroger sur la partialité de l’arbitre.

  • [183] L’arbitre reproche également au Dr Knipping de n’avoir jamais rencontré le défendeur et de ne pas avoir non plus déterminé la véracité de toutes les allégations sur lesquelles il s’est fondé dans les divers documents, mais en s’appuyant par ailleurs sur du ouï‑dire, puis d’avoir néanmoins procédé à sa propre analyse de l’aptitude du défendeur à exercer ses fonctions (para 43–45 des motifs).

  • [184] J’ai déjà souligné que l’arbitre a appliqué une jurisprudence générale en matière de travail au paragraphe 152 de ses motifs lorsqu’il a affirmé que l’obligation pour un employé de se soumettre à un examen médical constituait une « mesure draconienne » et ne devrait être requise que dans de « rares cas ».

  • [185] L’arbitre, en n’appliquant pas la norme appropriée fondée sur des « raisons de croire », ne saisit pas qu’il serait très improbable que l’information nécessaire pour respecter la disposition sur le renvoi à une CMA soit fournie par le médecin traitant du pilote. C’est pour cette raison que le Dr Knipping ne voulait pas rencontrer le défendeur afin d’évaluer son aptitude à travailler. Il s’est appuyé sur les témoignages des pilotes reproduits dans les divers documents sans savoir s’ils étaient vrais, mais il pouvait utiliser à des fins de corroboration des sources qui devraient généralement être considérées comme étant fiables, y compris de l’information qui constitue du ouï‑dire, et il quand même a effectué sa propre analyse limitée et de haut niveau de l’aptitude du défendeur à exercer ses fonctions de pilote, analyse qui n’atteignait aucunement le même degré de soin qu’une évaluation faite par le MEAC.

  • [186] Essentiellement, la décision d’exiger qu’un pilote se soumette à une CMA est prise par des pilotes chevronnés qui évaluent la conduite professionnelle du pilote visé par rapport aux normes régissant le comportement qu’on attend des pilotes, et c’est ce qu’ont fait M. Foster et les pilotes d’expérience qui se sont adressés à lui ainsi que d’autres sources dont la fiabilité est généralement reconnue. Le Dr Knipping a joué seulement un rôle secondaire de confirmation; ces éléments et les conclusions du gestionnaire, conjuguées à l’expérience du Dr Knipping comme MEAC, ont justifié l’imposition d’une CMA.

  • [187] L’évaluation médicale est fondamentale pour déterminer l’aptitude d’un pilote à exercer ses fonctions. Le SGS n’est pas conçu pour judiciariser le processus de renvoi d’un pilote à un MEAC pour qu’il se soumette à une CMA. Si les normes énoncées par l’arbitre étaient appliquées, c’est‑à‑dire celles qui relèvent d’un contexte disciplinaire en matière de travail en général, à peu près aucun pilote ne serait soumis à une CMA ou le processus deviendrait tellement compliqué sur le plan administratif à cause des obligations de preuve ou des confrontations judiciaires, que la sécurité aérienne au Canada serait compromise.

  • [188] L’arbitre a gravement dépassé les limites des conclusions raisonnables que peut tirer un décideur lorsqu’il a laissé entendre que le Dr Knipping n’avait pas suivi les règles de sa profession, qu’il n’était pas complètement désintéressé ni impartial quand il a donné des conseils à la demanderesse au sujet de son rôle dans l’imposition d’une CMA au défendeur et qu’il avait finalement agi de mauvaise foi en participant à un complot ourdi par l’ensemble de la compagnie aérienne pour congédier le défendeur.

  • [189] La partialité de l’arbitre ressort de ses commentaires inacceptables sur l’injustice d’avoir des médecins [traduction] « grassement payés » qui défendent des entreprises comme SRA, laissant sous‑entendre que le Dr Knipping faisait partie de cette catégorie de médecins.

  • [190] La Cour conclut que la preuve met en lumière une crainte raisonnable de parti pris suscitée par les déclarations de l’arbitre et par la façon dont il a traité le témoignage du Dr Knipping. Toutefois, il semble que ses conclusions soient en majeure partie attribuables à son interprétation gravement erronée des normes applicables, qui l’ont amené à conclure que toutes les parties impliquées au sein de SRA agissaient de mauvaise foi. Ses commentaires relatifs au Dr Knipping viennent seulement confirmer cette conclusion.

  • [191] La Cour a déjà conclu que les dispositions sur l’imposition d’une CMA à l’article 19 du contrat de travail supplantaient de fait toute règle semblable en matière d’équité qui avait pu avoir été élaborée par la common law et la jurisprudence arbitrale. Néanmoins, étant donné la possibilité d’un appel et l’ordonnance de la Cour portant que l’affaire soit renvoyée à un arbitre différent pour examen par un autre arbitre, je décrirai maintenant le raisonnement qui amène la Cour à annuler la conclusion de l’arbitre suivant laquelle SRA a traité le défendeur injustement.

  • [192] Selon l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Bell Canada, sous le régime du Code, l’employeur est tenu d’être équitable quand il congédie un employé. Cette obligation subsiste, qu’il y ait ou non manquement aux directives internes de l’employeur relatives à la procédure de congédiement, à moins que la procédure ne soit une condition d’emploi et non pas une simple directive. La partie pertinente de ce jugement, où j’ai ajouté des soulignés et des numéros pour qu’il soit plus facile de suivre le raisonnement de la Cour d’appel fédérale, est rédigée ainsi :

(iv) Le recours à une preuve non confirmée

(3) SRA a‑t‑elle traité le défendeur injustement?

a) Les règles de droit relatives à l’obligation d’équité procédurale de SRA à l’endroit du défendeur

10 ... À ce que je sache, cette procédure n’est pas une condition des contrats de travail des employés de Bell Canada. La requérante peut donc y déroger sans que l’on puisse s’en plaindre sauf dans les cas où la dérogation serait source d’injustice. Il n’importe donc pas, contrairement à ce qu’a cru l’arbitre, que la requérante n’ait pas suivi la procédure décrite dans ses directives avant de congédier l’intimée. La question qui se posait à lui était celle de savoir si l’intimée avait été injustement congédiée [1]. Pour y répondre, il devait d’abord s’interroger sur la nature, la suffisance et le bien‑fondé des motifs de congédiement. En l’espèce, l’arbitre aurait donc dû se demander si la requérante avait eu raison de se plaindre du rendement de l’intimée et s’il y avait là motif à congédiement. Si l’arbitre avait répondu affirmativement à ces questions [2], il aurait dû ensuite se demander si la procédure suivant laquelle l’employée avait été congédiée était juste. Cependant, il aurait alors fallu qu’il porte un jugement sur le caractère juste ou injuste de la procédure de congédiement suivie par l’employeur considérée en elle‑même sans égard à la procédure décrite dans les directives. Et si l’arbitre en était venu à la conclusion que la procédure suivie en l’espèce était, en elle‑même, injuste et que, à cause de cela, le congédiement était injuste, [3] il aurait alors dû, en évaluant l’indemnité à laquelle l’intimée avait droit en conséquence du congédiement, tenir compte du fait que le congédiement, quoique prématuré, n’était pas dépourvu de motifs. [Note de bas de page omise; non souligné dans l’original.]

  • [193] Il est entendu que la procédure se déroule ainsi : (1) il y a d’abord un examen de la légalité ou du caractère raisonnable du congédiement, où l’équité de ce dernier n’entre pas en ligne de compte; si le congédiement est justifié, (2) l’arbitre doit ensuite s’interroger « sur le caractère juste ou injuste de la procédure de congédiement suivie par l’employeur considérée en elle‑même sans égard à la procédure décrite dans les directives ». Il est entendu aussi que l’expression « en elle‑même » emporte un examen exhaustif de tous les facteurs qui déterminent l’équité du processus. Il s’agirait entre autres de facteurs de causalité qui portent à croire, que, sans égard à la procédure, le même résultat se serait produit, de sorte que le congédiement est juste. Dans la présente affaire, par exemple, on pourrait faire valoir que le défendeur aurait refusé de se soumettre à une CMA même s’il avait été informé des motifs.

  • [194] Il est entendu par ailleurs que l’étape [3] se rapporte aux situations où l’indemnité serait pourrait être réduite parce que le congédiement « n’était pas dépourvu de motifs ».

  • [195] L’arbitre a conclu que la demanderesse avait manqué à son obligation d’équité envers le défendeur quand elle avait omis de lui fournir des renseignements détaillés sur ses collègues qui avaient critiqué son comportement et des précisions sur ce qui lui était reproché. Selon l’arbitre, cette information était nécessaire pour permettre au défendeur de faire valoir sa cause.

  • [196] L’arbitre impute le refus d’accès à cette information au SGS. Il a conclu que la demanderesse ne pouvait se prévaloir des règles du SGS relatives à la confidentialité, compte tenu des renseignements nécessaires pour permettre la tenue d’une audience équitable. Il s’ensuit qu’elle devait communiquer l’information protégée. Le défaut de le faire était une autre preuve de sa mauvaise foi ou, comme l’exprime l’arbitre au paragraphe 191 des motifs, du fait que [traduction] « les actes de l’employeur ont été [...] motivés par son intérêt personnel et tenaient du camouflage, de l’exagération et des abus. ».

  • [197] La Cour interprète ces événements à partir de divers paragraphes d’une analyse dénuée de structure, comportant de multiples facettes et souvent redondante. Ils semblent ressortir le plus clairement dans leur ensemble des paragraphes 176, 183, 185 et 191 des motifs de l’arbitre. À cause de la navrante manie de ce dernier d’aborder plusieurs questions dans un même paragraphe puis de les répéter dans d’autres paragraphes, j’ai tenté de mettre en relief les facteurs pertinents en ajoutant des numéros entre crochets pour qu’il soit plus facile de suivre le raisonnement de l’arbitre. Les paragraphes sont rédigés ainsi : la Cour souligne :

(i) Les dispositions du SGS en matière de confidentialité empêchant la divulgation du nom des dénonciateurs et de tout détail qui peut permettre de les identifier

[traduction]
176.
Il y a également collaboration lorsque l’employé [1] qui est maintenu intentionnellement dans l’ignorance par son employeur s’acharne pendant des mois à demander des détails tels que [2] des noms, des faits, des numéros de téléphone, des dates, des copies de rapports et les motifs de sa mise à l’écart. Le plaignant [3] souhaitait donner sa version des faits, réfuter les allégations fausses ou expliquer sa position et prouver à son employeur qu’il n’y avait pas de problèmes de sécurité.

...

183. [1] Le tribunal ne peut s’appuyer sur aucune preuve, à moins que les parties aient reçu la possibilité de la commenter ou de la réfuter. [2] Si une partie n’obtient pas les noms de ses dénonciateurs, elle est privée de la possibilité pleine et entière de prouver ce qu’elle avance, de réfuter l’allégation et de faire valoir que cette dernière est fausse. [3] Devant le tribunal, il est exceptionnel que des renseignements soient protégés au titre d’un privilège et on ne peut y invoquer le fait qu’un système impose la confidentialité pour passer outre aux principes et aux règles de justice naturelle. [4] L’omission d’appeler à la barre d’importants témoins ou les auteurs de propos qui constituent du ouï‑dire dans le but de lever certaines ambiguïtés discrédite la thèse de la partie [5] qui doit établir la faute ou l’inconduite grave.

...

185. Par exemple, les quatre (4) documents que l’employeur a produits à l’audience [1] sans faire témoigner leurs auteurs ni même [2] révéler leur identité au plaignant, et sans lui préciser les incidents visés et les dates auxquelles ces documents ont été déposés (il s’agit des rapports d’incident des « personne A », « personne B », « personne C » et du courriel de la « personne D ») [3] ne respectent pas les exigences minimales découlant des principes d’équité procédurale dans un dossier concernant la sécurité.

...

191. Après avoir entendu et observé la plupart des témoins de l’employeur répéter la même conclusion à la suite de nombreuses allégations vagues et sans fondement, [1] et après avoir pris en considération le fait que le plaignant n’avait jamais eu de véritable possibilité de s’expliquer ou de réfuter ces allégations [2] en raison de la prétendue confidentialité du SGS, [3] je suis d’avis que les décisions et les actes de l’employeur ont été, pour beaucoup, motivés par son intérêt personnel et tenaient du camouflage, de l’exagération et des abus.

  • [198] La Cour relève des déclarations semblables dans les paragraphes qui sont précisés ci‑après :

  • 1) Le refus de donner accès aux informations protégées (SGS) : paragraphes 176[2], 183[2] et 185[2];

  • 2) Le fait de ne pas avoir assigné comme témoins les auteurs des commentaires préjudiciables : paragraphes 183[4], 185[1] et l’ensemble du paragraphe 184, non reproduit ci‑dessus;

  • 3) La priorité accordée à l’obligation d’équité dans le cadre de l’arbitrage plutôt qu’aux règles du SGS visant à protéger la confidentialité : paragraphes 183[3], 191[2] et, implicitement, 185[3];

  • 4) Le but visé par la demande d’information, soit donner au défendeur l’occasion de raconter sa version des faits, de réfuter les fausses allégations ou d’expliquer sa position et de prouver à l’employeur qu’il n’avait aucune raison de s’inquiéter pour la sécurité : paragraphes 176[3], 183[1] et 191[1];

  • 5) La conduite de SRA décrite ci‑dessus, assimilée à de la mauvaise foi : paragraphes 176[1] et 191[3];

  • 6) Le fait que la conduite du défendeur ne constituait ni une faute ni une inconduite grave : paragraphe 183[5].

  • [199] La Cour conclut que les déclarations de l’arbitre mentionnées aux points 1) à 3) du paragraphe ci‑dessus sont erronées, parce qu’elles donnent préséance au devoir d’équité, qui oblige la demanderesse à dévoiler le nom des témoins et contraint ces derniers à témoigner dans une audience sur un congédiement injuste, malgré les dispositions du SGS sur la confidentialité.

  • [200] La demanderesse a contesté la conclusion tirée des faits par l’arbitre, soit que le défendeur n’a jamais été informé de l’identité des personnes A, B et C qui avaient porté plainte contre lui et, par conséquent, qu’il n’avait jamais eu la possibilité de les assigner à témoigner et de les interroger pendant qu’elles étaient sous serment. Le défendeur n’a pas nié ce fait. La demanderesse a fait valoir dans ses observations en réponse devant l’arbitre que le défendeur connaissait l’identité de ces trois personnes et qu’il a mentionné chacune par son nom tout au long de l’audience et durant ses plaidoiries finales. Le défendeur aurait affirmé à l’audience qu’il ne voulait pas convoquer ces personnes comme témoins parce qu’il savait de qui il s’agissait et qu’il était en mesure de répliquer à leurs allégations. L’arbitre a omis de le mentionner ou d’en tenir compte dans ses motifs, alors que si cette observation est vraie, elle contredit la majeure partie de ses conclusions au sujet de l’incapacité du défendeur de confronter ses collègues ou de répondre à leurs allégations.

  • [201] En outre, les documents des personnes A, B, C et D ont été déposés en tant que pièces au dossier, mais pouvaient être caviardés afin que soient respectées les règles du SGS sur la confidentialité. Le défendeur aurait pu convoquer les personnes A, B et C comme témoins, sauf qu’elles auraient pu refuser de témoigner en raison des dispositions du SGS protégeant l’anonymat des dénonciateurs. Le défendeur a contesté l’information donnée par les quatre personnes durant les 17 jours d’audience, et l’arbitre semble s’être appuyé là‑dessus.

  • [202] De surcroît, au paragraphe 191 de ses motifs, l’arbitre est allé jusqu’à faire des dispositions du SGS sur la confidentialité le principal facteur justifiant à ses yeux de conclure que le défendeur n’a jamais eu la pleine possibilité de s’expliquer ou de réfuter ces allégations et qu’il avait donc été traité injustement. L’avocat du défendeur en l’espèce a reproduit textuellement les conclusions de l’arbitre au paragraphe 75 de son mémoire et plaidé en faveur de ces conclusions, [traduction] « puisqu’elles prouvent que le défendeur n’a jamais eu pleinement la possibilité de s’expliquer ou de réfuter les allégations en raison du caractère confidentiel du SGS ».

  • [203] Ces assertions montrent que l’arbitre rattachait le manquement allégué de la demanderesse à son obligation d’équité non pas au refus de dévoiler le nom des collègues et leurs propos, mais plutôt au fait qu’il était injuste pour SRA de se conformer aux règles du SGS sur la confidentialité à cette fin. Aucune jurisprudence, aucune analyse ni aucun raisonnement n’ont été avancés pour justifier que l’obligation d’équité procédurale dans le cadre d’un dossier de congédiement injuste ait préséance sur la confidentialité du SGS.

  • [204] L’arbitre consacre plusieurs paragraphes de ses motifs au SGS de SRA, notamment l’obligation pour SRA, en vertu de la Loi sur l’aéronautique, d’établir un SGS. Ce système a été décrit comme étant un programme non punitif conçu pour permettre la communication anonyme d’informations sur des éléments susceptibles de poser un risque pour l’exploitation sécuritaire d’une compagnie aérienne. Le SGS de la compagnie doit être approuvé par Transports Canada.

  • [205] Le SGS de SRA, reconnu conforme, comportait un engagement à protéger l’anonymat des personnes qui signalent des incidents, de façon à mettre les dénonciateurs à l’abri de représailles. L’article pertinent du SGS de SRA est libellé comme suit :

[traduction]

1.3.3 Communications des employés

L’employeur recommande aux employés de communiquer les dangers ainsi que les incidents et accidents liés au travail. L’entreprise s’assure que les rapports sont examinés [...] Le caractère personnel ou délicat des renseignements confidentiels obtenus est protégé de la façon la plus rigoureuse qui soit.

Le rapport confidentiel du SGS précise en outre que ces communications peuvent être faites sans qu’aucun nom soit dévoilé si une personne désire garder l’anonymat.

  • [206] De toute façon, comme je l’ai précisé plus haut, il n’est pas concevable que la disposition contractuelle sur l’imposition d’une CMA qui figure à l’article 19 soit interprétée de manière à permettre une contestation devant les tribunaux par laquelle le pilote peut, en conséquence, faire annuler le renvoi à une CMA. La disposition sur la CMA obligatoire est censée s’appliquer de concert avec la disposition sur la notification. Elle oblige SRA à préciser ses raisons (raisonnables) de croire que le pilote devait se soumettre à une CMA. Les mots « raisons de croire » utilisés pour exprimer l’obligation signifient qu’il n’est pas obligatoire de fournir les documents appuyant l’imposition d’une CMA quand il y a des enjeux de confidentialité. Manifestement, l’idéal serait de donner autant de renseignements que possible sans divulguer l’identité de l’auteur du rapport du SGS. Si les raisons de l’imposition d’une CMA doivent être abordées, le régime mis en place pour les signalements, les enquêtes et les renvois semble faire en sorte que ces discussions doivent survenir durant l’examen médical. Comme l’a mentionné le Dr Knipping, la compagnie aérienne serait tenue de fournir ces raisons et probablement les documents afférents au MEAC, ce qui laisse au médecin le soin de régler toute la question sur la confidentialité ou sur la fiabilité de ces motifs et documents.

  • [207] Les énoncés tirés des motifs, réunis au paragraphe 4) ci‑dessus, décrivent pourquoi l’arbitre a jugé qu’il était inéquitable de refuser de fournir les documents et de dévoiler le nom des dénonciateurs. Ces renseignements étaient nécessaires pour que le défendeur puisse [traduction] « réfuter les allégations fausses ou expliquer sa position et prouver à son employeur qu’il n’y avait pas de problèmes de sécurité ». Cette stratégie reposait sur la conviction erronée que la décision d’obliger le défendeur à se présenter devant un MEAC reviendrait à appliquer la norme fondée sur la faute appliquée dans les cas de congédiement injuste.

  • [208] Comme je l’ai déjà souligné, il est improbable que cette stratégie porte ses fruits. Si le défendeur ou l’arbitre s’étaient rendu compte que la preuve devait être évaluée en fonction de la norme correcte, soit celle de l’existence de « raisons de croire », ils auraient peut‑être compris la difficulté de faire valoir des arguments quand un gestionnaire est investi d’un pouvoir discrétionnaire aussi large et relativement peu circonscrit d’imposer une CMA à un pilote, comparativement aux situations où il faut prouver l’existence d’un motif valable selon la prépondérance des probabilités.

  • [209] Même si les collègues dénonciateurs s’étaient présentés, disons après avoir été assignés à comparaître, et avaient été contraints par un moyen quelconque à témoigner, ils auraient probablement eu peu d’incidence sur la décision, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles. En effet, le point en litige et les éléments de preuve ont trait aux données historiques sur lesquelles SRA s’est appuyée en mars 2017 pour décider que le défendeur devait se soumettre à une CMA. La preuve aurait un effet cumulatif et supplanterait toute préoccupation précise concernant un processus antérieur ou l’acceptation du ouï‑dire. On ne doit pas perdre de vue le fait que la question en litige ne visait que le renvoi à un MEAC, mesure qui n’avait aucun caractère disciplinaire et visait plutôt à promouvoir la sécurité aérienne.

  • [210] Selon le défendeur, le contrat de travail accordait au pilote le pouvoir de choisir le MEAC. Il a fait valoir cet argument à Mme Zamat, qui s’est efforcée du mieux qu’elle le pouvait de le convaincre du contraire, et à l’arbitre. La position de ce dernier à ce sujet n’est pas claire.

  • [211] Dans la mesure où l’arbitre a reconnu le pouvoir de SRA de choisir le MEAC, il a aussi émis une réserve en mentionnant que SRA devait d’abord envisager une solution moins intrusive, comme on le lit au paragraphe 193 des motifs :

(ii) La stratégie mal avisée du défendeur de contester la validité de l’information donnée par les personnes A, B, C et D
(iii) SRA pouvait choisir le MEAC

193. Le plaignant a également été injustement privé des droits qui lui sont reconnus par la loi en ce qui concerne l’approbation et la participation du service du contentieux, lorsque l’employeur a persisté à exiger une évaluation médicale effectuée par le Dr Knipping et à soutenir que la décision appartenait en dernier recours au médecin qu’il avait choisi, et ce, sans d’abord étudier des solutions moins intrusives.

Peu importe, le principe que SRA pouvait seulement imposer une CMA après avoir envisagé des options moins intrusives est une pure invention de l’arbitre. Ce dernier a aussi commis une erreur d’interprétation de la preuve dans l’énoncé ci‑dessus, où il affirme que le Dr Knipping serait le MEAC désigné. Cette désignation a été abandonnée dès que le défendeur a exprimé son opposition.

  • [212] La Cour conclut que l’opinion de l’arbitre décrite ci‑dessus découle du fait qu’il n’a pas tenu compte de l’article 19 du contrat de travail, même si les deux parties s’y sont reportées quand elles ont débattu de la question de savoir qui détenait le pouvoir de choisir le MEAC. L’arbitre s’est plutôt appuyé sur ses déclarations antérieures, soit que l’employeur pouvait imposer un examen médical à un employé seulement dans des circonstances « draconiennes » et exceptionnelles, après avoir d’abord démontré que d’autres méthodes d’évaluation moins intrusives ne pouvaient pas être appliquées. Ce point de vue n’est pas compatible avec l’article 19 du contrat de travail, mais est conforme à l’omission globale de l’arbitre de se reporter au contrat de travail, malgré les arguments des parties.

  • [213] Selon l’interprétation que fait la Cour de l’article 19, l’employeur est autorisé à choisir le MEAC dans la disposition relative à l’imposition d’une CMA. Il est vrai que cet article dispose simplement que la compagnie aérienne [traduction] « peut lui demander de se soumettre à un examen médical effectué par un médecin‑examinateur de l’aviation civile (MEAC) », sans préciser si ce dernier est choisi par la compagnie. Néanmoins, compte tenu de l’objet visé et du contexte, la disposition doit être interprétée de manière à confier la décision à la compagnie aérienne.

  • [214] SRA a refusé d’accepter l’évaluation médicale de la Dre Boulanger, parce que la médecin n’avait pas en main les documents faisant état des inquiétudes relatives à l’aptitude du défendeur. Ce sont ces documents qui ont rendu la CMA nécessaire initialement. Qui plus est, il serait parfaitement raisonnable que l’employeur ne souhaite pas que le défendeur soit évalué par le même MEAC qui confirmait régulièrement son aptitude à exercer ses fonctions aux fins du renouvellement de sa licence. Cette position est sensée, autant pour sauver les apparences que pour obtenir un regard neuf. Je présume que la Dre Boulanger fournirait les dossiers médicaux au MEAC désigné, car c’est la procédure normale suivie en médecine légale.

  • [215] Sur le plan contextuel, la Cour constate qu’en ce qui concerne l’examen régulier effectué aux fins du renouvellement des licences, l’article 19 laisse le choix du médecin à la discrétion et aux frais du pilote. En outre, la compagnie peut obtenir les résultats seulement avec le consentement du pilote. Par contre, la disposition relative au renvoi à une CMA précise en toutes lettres que le pilote doit recevoir une copie du rapport médical, ce qui montre le besoin du rédacteur de décrire ce qui était la pratique habituelle dans une situation où le choix du MEAC appartient au pilote. Cela signifie aussi que l’original du rapport médical est détenu par l’employeur qui prend en charge les coûts de l’examen, ce qui est logique, lorsqu’il n’y a aucune mention du droit de SRA d’avoir accès au rapport.

  • [216] En résumé, la Cour juge déraisonnables les conclusions de l’arbitre portant que le défendeur avait le droit de refuser de se soumettre à une CMA effectuée par un MEAC choisi par la demanderesse et que l’imposition d’une CMA par SRA était conditionnelle à ce que la compagnie envisage d’abord une option moins intrusive. De même, l’arbitre suit un raisonnement qui n’est pas raisonnable quand il affirme que c’est Mme Zamat qui est responsable du rejet de la solution de compromis, soit d’impliquer une tierce partie, à cause de son refus de rencontrer la Dre Boulanger. Mme Zamat n’avait pas les compétences pour participer à une discussion visant à choisir un médecin‑examinateur indépendant. Il n’était pas raisonnable de conclure également que la Dre Boulanger serait influencée par sa discussion avec le Dr Knipping, ce qui compromettrait le choix conjoint d’un médecin approprié pour réaliser la CMA.

  • [217] L’énoncé de l’arbitre qui démontre peut‑être le plus clairement sa perte d’objectivité et son parti pris contre SRA se retrouve au paragraphe 160, dans l’introduction sommaire où il explique pourquoi on ne pourrait reprocher au défendeur son manque de coopération avec la demanderesse :

[traduction]

À la question « Sky Regional était‑elle fondée à mettre fin à l’emploi du plaignant lorsqu’il a refusé de coopérer au processus visant à vérifier s’il était apte au travail? », il est possible de donner une réponse relativement simple, car l’analyse de chaque fait et chaque décision se rapportant à cette question m’incite à croire que l’employé en cause a été traité de manière très inéquitable et injuste. [Non souligné dans l’original.]

  • [218] La Cour conclut que le parti pris non fondé de l’arbitre contre le personnel de SRA et le Dr Knipping, qui découle peut‑être en partie de son défaut d’appliquer les normes appropriées et de ses erreurs dans l’interprétation des éléments de preuve importants, comme les présents motifs l’ont décrit seulement de façon partielle, suffit en soi à justifier l’annulation de la décision.

  • [219] La Cour a examiné les arguments du défendeur au sujet de l’équité qui ont été repris par l’arbitre et les a rejetés pour plusieurs raisons, énoncées ci‑dessus. Il s’agit notamment de l’absence d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle que la Cour pourrait suivre à partir des motifs énoncés portant sur la question de l’équité.

  • [220] Le défendeur n’a pas soutenu qu’il serait présenté à la CMA s’il avait été informé des motifs pour lequel on lui demandait de s’y soumettre, ce qui aurait tué dans l’œuf toute allégation d’insubordination. Puisqu’il n’a pas avancé cet argument, il n’y a aucune observation à ce sujet que la Cour pourrait analyser et à laquelle elle pourrait répondre.

  • [221] Néanmoins, puisque la Cour ordonne que la présente affaire soit réexaminée par un arbitre différent, il est possible que ce point soit soulevé ultérieurement et doive être tranché. La Cour présume que le défendeur pourrait faire valoir que la demanderesse n’a pas respecté les dispositions de l’article 19 du contrat de travail relatives à la notification, qui est une condition préalable à la réalisation de la CMA, ce qui établirait un fondement permettant d’accueillir une plainte pour congédiement injuste au titre de l’article 240 du Code.

  • [222] Toutefois, si les dispositions relatives à la notification ne sont pas considérées comme une clause contractuelle d’emploi, l’observation du défendeur peut être analysée à la lumière des principes soulignés dans l’arrêt Bell Canada. Le cas échéant, l’arbitre pourrait conclure que la demanderesse a agi inéquitablement en ne fournissant pas les motifs justifiant la CMA. En revanche, la demanderesse pourrait opposer en défense un argument de type « peu importe », qui s’articulerait autour du fait que, peu importe qu’elle ait contrevenu ou non aux dispositions relatives à la notification, la situation serait restée la même, puisque le défendeur aurait continué de refuser de se soumettre à une CMA.

  • [223] L’argument « peu importe » supposera un examen de tous les faits analysés dans la présente affaire jusqu’à la rencontre du défendeur avec Mme Zamat, le 17 mars, pendant laquelle les motifs justifiant la CMA auraient hypothétiquement été fournis. Ensuite, il incombera à la demanderesse de démontrer la probabilité, au regard des actions antérieures du défendeur, que celui‑ci aurait refusé de se soumettre à une CMA, sous quelque forme que ce soit.

  • [224] Il est reconnu généralement que l’employeur doit prouver deux éléments en ce qui concerne l’atténuation des dommages : premièrement, que l’employé n’a pas fait d’efforts raisonnables pour se trouver un autre emploi et, deuxièmement, que l’employé se serait vraisemblablement trouvé un autre emploi s’il avait fait des efforts raisonnables en ce sens.

  • [225] Les arguments de la demanderesse présentés à l’arbitre relativement aux principes juridiques applicables au sujet de l’atténuation des dommages prévue au Code sont énoncés succinctement au paragraphe 109 de ses observations en réponse à l’arbitre et sont libellés ainsi :

(iv) Le défendeur se serait‑il soumis à la CMA si des motifs lui avaient été fournis?

D. L’indemnisation et l’atténuation des dommages

[traduction]

(i) L’employeur n’est pas tenu de présenter des éléments de preuve, par exemple des articles de journaux, montrant qu’il y avait du travail pour l’employé au moment opportun, s’il peut être démontré en contre‑interrogatoire que l’employé n’a pas fait suffisamment d’efforts pour atténuer ses dommages [(Bauer c Seaspan International Ltd, 2005 CAF 292 aux para 12–13].

(ii) Un employé ne peut rester sans rien faire et doit plutôt prendre les mesures que prendrait une personne raisonnable pour essayer d’atténuer ses dommages [(Re Welch and Canada Post Corp, [2007] CLAD No 238 aux para 60, 62)].

(iii) L’obligation d’atténuer les dommages énoncée dans le Code s’accroît avec le temps, et une personne devra envisager d’autres postes et d’autres endroits pour travailler qui peuvent supposer des déplacements afin de s’acquitter de cette obligation [(Re Larocque and Louis Bull Tribe, [2006] CLAD No 111 au para 48; Re Anderson and Nekeneet First Nation, 2014 RACwellNat 8774 au para 29; Re Smoke and Fishing Lake First Nation, 2013 RACwellNat 3093 au para 9)].

  • [226] Selon l’arbitre, SRA n’a pas prouvé que le défendeur aurait pu se trouver un autre emploi comme pilote s’il avait fait plus d’efforts en ce sens. Il a jugé que les efforts du défendeur étaient suffisants entre la date du congédiement et la conclusion de l’audience, soit une seule recherche faite sur le site Web « AVCANADA » pour y consulter les offres d’emploi pour une embauche directe comme commandant de bord au sein d’une compagnie aérienne canadienne basée à Montréal.

  • [227] Plus particulièrement, l’arbitre a déclaré que l’atténuation n’obligeait pas l’employé congédié à accepter n’importe quel emploi. Cette obligation consiste [traduction] « à prendre les mesures qu’une personne raisonnable, se trouvant dans la situation de l’employé congédié, aurait prises dans son propre intérêt – c’est‑à‑dire pour maintenir son revenu et son rang dans son secteur d’activité, son métier ou sa profession » (Forshaw v Alumininex Extrusions Ltd (1989), 39 BCLR (2d) 140 au para 17).

  • [228] À cet égard, l’arbitre a souligné qu’il serait presque impossible pour le défendeur de travailler comme pilote au Canada en raison de la position dominante d’Air Canada dans l’industrie, des questions non résolues relatives à son aptitude à exercer ses fonctions et de la plainte déposée auprès du bureau de Médecine aéronautique civile de Transports Canada.

  • [229] À l’audience devant la Cour, la demanderesse a fait valoir que les efforts du défendeur étaient insuffisants, étant donné qu’il n’a même pas essayé de communiquer avec un seul employeur, qu’il n’a participé à aucun atelier de formation professionnelle et qu’il n’a pris aucune des autres mesures qu’un employé serait censé prendre pour se trouver un nouveau travail et atténuer ainsi ses dommages.

  • [230] La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas présenté d’éléments de preuve de l’existence d’autres emplois possibles, parce que le défendeur avait reconnu, durant son contre‑interrogatoire devant l’arbitre, qu’il avait choisi de ne pas envisager de travail autre qu’un poste de pilote basé à Montréal et qu’il n’avait pas postulé non plus dans aucun secteur, que ce soit au sein de l’industrie aéronautique ou ailleurs, durant toute la période pertinente.

  • [231] La demanderesse a soutenu également que l’arbitre n’avait pas reconnu que le passage des années était un facteur clé lorsqu’il faut évaluer si l’obligation d’atténuer les dommages a été respectée, se reportant encore une fois à la décision Re Larocque and Louis Bull Tribe, [2006] CLAD No 111, aux para 48 et 50 :

[traduction]

Étant donné qu’un employé peut [en vertu du Code] être indemnisé sur une période qui dépasse la durée de la poursuite pour congédiement injuste, les efforts d’atténuation, notamment étendre la recherche d’un emploi en dehors de la zone géographique du domicile de l’employé, doivent s’intensifier au fur et à mesure que le temps passe.

...

Il est nettement insuffisant d’avoir posé sa candidature à un seul endroit dans les 24 mois de 2004 et 2005. Aucun élément de preuve n’indique que M. Larocque a sérieusement cherché du travail dans le Sud de l’Alberta ou dans le Nord canadien ou encore dans d’autres provinces. Dès 2004 et 2005, M. Larocque aurait dû étendre ses recherches.

  • [232] La Cour convient avec la demanderesse que l’arbitre n’a pas tenu compte de son observation suivant laquelle le fardeau relatif à une réclamation en dommages présentée au titre du Code s’alourdit au fur et à mesure que le temps passe : voir Larocque, ci‑dessus.

  • [233] C’est particulièrement vrai puisque, comme l’arbitre l’a souligné, les probabilités pour le défendeur de se trouver un poste de pilote au Canada n’étaient pas bonnes. Il semble donc que la question non réglée relativement à l’aptitude du défendeur à travailler aurait dû raisonnablement l’inciter à se chercher un emploi à l’étranger ou dans un autre domaine, comme en ingénierie, où il travaillait avant de devenir pilote.

  • [234] La Cour souscrit aussi aux arguments de la demanderesse fondés sur la jurisprudence portant qu’il est rare que des dommages‑intérêts soient octroyés au titre d’un préavis raisonnable en sus des arriérés de salaire et que, en l’espèce, l’arbitre a omis d’énoncer un raisonnement transparent où il expliquait pourquoi le défendeur avait droit aux deux.

  • [235] La Cour constate que la seule explication donnée par l’arbitre pour justifier l’octroi de dommages au titre du préavis, au paragraphe 235 des motifs, figure dans l’expression inintelligible [traduction] « au regard de l’ensemble des circonstances ». Dans la mesure où ces termes renvoient aux conclusions tirées par l’arbitre au sujet de la mauvaise foi de la demanderesse, que la Cour a jugé dénuées de fondement, par conséquent, ce raisonnement ne justifie pas une indemnisation au titre du préavis en plus du versement des arriérés de salaire.

  • [236] La Cour conclut également que l’indemnité pour dommages moraux ne respecte pas les contraintes juridiques relatives à cette forme de réparation. Cette indemnité découle de la conclusion que la demanderesse a fait preuve de mauvaise foi en punissant le défendeur au moyen d’un abus du système de gestion de la sécurité. Encore une fois, j’estime qu’il n’y a aucun fondement à cette conclusion justifiant l’octroi de dommages‑intérêts moraux, et cette indemnité doit être annulée.

  • [237] En dernier lieu, conformément au paragraphe 10 des motifs de la Cour d’appel fédérale dans Bell Canada, l’arbitre « aurait alors dû, en évaluant l’indemnité à laquelle l’intimée avait droit en conséquence du congédiement, tenir compte du fait que le congédiement, quoique prématuré, n’était pas dépourvu de motifs. »

  • [238] Lorsqu’un autre arbitre se saisira de l’affaire, il est entendu que toutes ces questions devront être réexaminées de toute façon, y compris le coût des démarches visant à récupérer une licence de pilote, dont il est question au paragraphe 251 des motifs de l’arbitre.

  • [239] La Cour conclut qu’il est inapproprié d’adjuger des dépens au nom de l’intérêt de la justice étant donné qu’il s’agissait d’une longue instance où une partie se représentait elle‑même et où l’arbitre n’a pas cerné les questions et les normes essentielles qui auraient dû régir l’audience. Le contrat de travail n’a pas été examiné, mais s’il l’avait été, l’audience aurait pu être différente, plus courte et peut‑être favorable au défendeur.

  • [240] Ordonnance

VII. Dépens

La demande est accueillie, la décision du 12 mai 2020 est annulée et l’affaire doit être réexaminée par un arbitre différent, lequel devra se conformer à la directive suivante :

Dans le cadre du réexamen de la plainte du défendeur, le nouvel arbitre devrait permettre aux parties de présenter des observations sur l’article 19 du contrat de travail et examiner ces observations. Cet article est libellé ainsi : [traduction] « Le pilote qui est tenu par la société de se soumettre à un examen médical prévu aux dispositions ci‑dessus est avisé par écrit des raisons qui justifient cet examen. »

Le défendeur n’est pas tenu de rembourser à la demanderesse les sommes qu’il a déjà reçues au titre des indemnités accordées par l’arbitre en attendant que le nouvel arbitre se prononce sur l’affaire.

Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente instance.


JUGEMENT dans le dossier T‑616‑20 :

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie, la décision du 12 mai 2020 est annulée et l’affaire doit être réexaminée par un arbitre différent.

  2. Dans le cadre du réexamen de la plainte du défendeur, le nouvel arbitre devrait permettre aux parties de présenter des observations sur l’article 19 du contrat de travail et examiner ces observations. Cet article est libellé ainsi : [traduction] « Le pilote qui est tenu par la société de se soumettre à un examen médical prévu aux dispositions ci‑dessus est avisé par écrit des raisons qui justifient cet examen. »

  3. Le défendeur n’est pas tenu de rembourser à la demanderesse les sommes qu’il a déjà reçues au titre des indemnités accordées par l’arbitre en attendant que le nouvel arbitre se prononce sur l’affaire.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente instance.


 

« Peter B. Annis »

Blank

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

t‑616‑20

INTITULÉ :

LIGNES AÉRIENNES SKY REGIONAL INC. C GRIGORIOS TRIGONAKIS

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 janvier 2021

JUGEMENT ET MOTFS :

monsieur le juge ANNIS

DATE DES MOTIFS :

le 1er juin 2021

COMPARUTIONS :

John‑Paul Alexandrowicz, Joseph Marcus

POUR LA DEMANDERESSE

 

Grigorios Trigonakis

POUR LE DÉFENDEUR

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

John‑Paul Alexandrowicz, Joseph Marcus

Hicks Morley Hamilton Stewarts Storia LLP

POUR LA DEMANDERESSE

 

Grigorios Trigonakis

 

LE DÉFENDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

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