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                                                                                                                                  Date : 19980129

                                                                                                                             Dossier : T-1469-97

Entre :

                                                        KENNETH R. MCKENZIE,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                          - et -

                                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                       défenderesse.

                                                                                                                             Dossier : T-1510-97

Et entre :

                                                        KENNETH R. MCKENZIE,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                          - et -

                                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                       défenderesse.

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le protonotaire JOHN A. HARGRAVE

[1]         Les présents motifs se rapportent à quatre requêtes écrites introduites dans le cadre de deux actions par lesquelles le demandeur Kenneth R. McKenzie, se fondant sur l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, conclut à divers jugements déclaratoires contre la Couronne. Les deux requêtes de M. McKenzie tendent au jugement par défaut, tandis que celles de la Couronne tendent à la radiation des déclarations sans possibilité de modification. En ce qui concerne l'action no T-1469-97, la Couronne conclut à la radiation de la déclaration par divers motifs, y compris le défaut d'articuler les faits essentiels, l'absence de cause raisonnable d'action, le fait qu'elle n'est pas essentielle ou est redondante, qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire, ou qu'elle constitue par ailleurs un abus de procédure, lesquels motifs correspondent à la plupart des fins de non-recevoir prévues à la règle 419(1). En ce qui concerne l'action no T-1510-97, la fin de non-recevoir opposée par la Couronne est tirée de l'absence de cause raisonnable d'action (règle 419(1)a)).

[2]         La déclaration dans l'action no T-1469-97 est très brève. Le demandeur y indique qu'un agent de la Gendarmerie royale du Canada lui a signifié à tort sept documents, qu'il qualifie tout simplement d'affidavits, au bureau de la Section des délits commerciaux de la GRC à Vancouver. Le demandeur conclut à jugement déclarant que les sept affidavits et les pièces jointes vont à l'encontre de l'alinéa 2d) de la Charte.

[3]         La déclaration dans l'action no T-1510-97, qui invoque aussi l'article 2 de la Charte, est bien plus longue. Elle semble consister, du moins en partie, en un commentaire suivi des fragments de jugement qui y sont cités, lequel commentaire est parsemé d'allégations de parjure et d'allégations d'erreur de la part du juge qui présidait le 8 janvier 1997, à la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, une action en défaut de déclaration d'impôt sur le revenu pour la période allant de 1988 à 1994. Elle fait cependant état aussi d'une falsification de pièces déposées auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le demandeur conclut à jugements déclarant que les procédures aboutissant aux procès devant la Cour provinciale et la Cour suprême de la Colombie-Britannique ainsi que ces procès eux-mêmes portent atteinte à ses droits et libertés, tels que les garantit la Charte.

ANALYSE

Les requêtes en jugement par défaut

[4]         Les déclarations ont été déposées le 8 et le 14 juillet 1997 respectivement. Le demandeur a introduit les requêtes en jugement par défaut vers le milieu d'août et au début de septembre respectivement, peu après l'expiration du délai de trentaine de dépôt des défenses. Un jugement par défaut n'est jamais automatique, mais relève de l'appréciation discrétionnaire de la Cour; v. Muller c. Canada, [1989] 2 C.F. 303, p. 308 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, il y a deux raisons qui engagent la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre jugement par défaut. En premier lieu, dans les cas où la Charte est invoquée, il ne convient pas de rendre justice par voie de jugement par défaut; v. Laird c. M.R.N. (1987), 9 F.T.R. 121, p. 122 (C.F. 1re inst.). En second lieu, le jugement par défaut n'est pas indiqué dans les cas où les faits sont articulés de façon aussi confuse et aussi embrouillée que dans ces deux déclarations. J'en viens maintenant aux requêtes en radiation, lesquelles ont été aussi déposées promptement.

Les requêtes en radiation

[5]         La preuve produite à l'appui d'une fin de non-recevoir est soumise à une norme rigoureuse : le critère applicable sous le régime de la règle 419(1) est très strict. La partie qui oppose la fin de non-recevoir doit démontrer qu'il est visible et indubitable que l'action est vaine. Lorsque la fin de non-recevoir est tirée de l'absence de cause raisonnable d'action, les faits articulés doivent être tenus pour avérés, à moins qu'ils ne soient trop tirés par les cheveux pour être crédibles. Ce n'est que quand l'action est futile que la déclaration doit être radiée. La possibilité d'y remédier par voie de modification doit être envisagée; ce n'est que s'il n'y a pas l'ombre d'une cause d'action qu'il faut rejeter la demande sans que l'autorisation de modification en soit donnée. Enfin, le témoignage par affidavit, sauf dans les questions touchant à la compétence, n'est pas admissible pour établir l'absence de cause d'action sous le régime de la règle 419(1)a).

[6]         La déclaration dans l'action no T-1469-97 est à première vue défectueuse en ce qu'elle est si brève et si dépourvue de faits articulés qu'il est impossible de la comprendre et d'y répondre. Ainsi que je l'ai souligné dans Sim c. Canada (1996), 98 F.T.R. 92, p. 98, il faut que la déclaration soit une articulation intelligible de façon qu'après l'avoir lue du début à la fin, la partie défenderesse et la Cour puissent comprendre les prétentions de la partie demanderesse. En l'absence d'une telle articulation intelligible des faits, comme c'est le cas en l'espèce, il faut radier la déclaration parce qu'elle est vexatoire, frivole, embarrassante pour la défenderesse et, surtout, parce qu'elle constitue un abus de procédure.

[7]         Pour ce qui est de la modification, le demandeur a déposé des arguments et un affidavit pour s'opposer à la fin de non-recevoir de la défenderesse dans l'action no T-1469-97. Il semble que les affidavits et pièces jointes dont le demandeur conclut qu'ils portent atteinte aux droits que lui garantit la Charte, sont des affidavits signés sous serment par un agent de la GRC, qui témoigne que le 13 décembre 1995, il a signifié une lettre émanant du directeur de l'Impôt, Revenu Canada, Bureau de district de Vancouver, au demandeur pour le mettre en demeure de faire sa déclaration d'impôt pour 1994. Cette lettre jointe à l'affidavit explique les pénalités frappant le défaut de déclaration d'impôt. Il semble que les six autres affidavits sont du même genre, ainsi que l'indique la déclaration du demandeur dans l'action no T-1510-97, c'est-à-dire des demandes de déclaration d'impôt pour les années 1988 à 1993. Je ne vois pas comment la signification de ces lettres, et encore moins les affidavits en question et ces mêmes lettres qui y sont jointes, pourrait être une atteinte aux droits que la Charte garantit au demandeur. Il n'y a pas l'ombre d'une cause d'action. En conséquence, la déclaration dans l'action no T-1469-97 est radiée sans que la modification en soit autorisée.

[8]         Pour ce qui est de la seconde déclaration, qui a été déposée dans le cadre de l'action no T-1510-97, elle est assez longue, mais tout aussi embrouillée, au point qu'il serait difficile, sinon impossible, pour la Cour d'en réguler le jugement. Voilà une raison suffisante pour la radier pour abus de procédure. Cependant, je l'ai lue de bout en bout pour voir s'il n'est pas possible d'accorder au demandeur le bénéfice du doute, parce que la radiation d'une déclaration, qui prive le justiciable de la possibilité de se faire entendre en justice, est une mesure draconienne. Cette déclaration trahit dans une large mesure une tentative de reprendre ou de rejuger la décision rendue par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique à l'issue d'un procès qui eut lieu le 8 janvier 1997. Le demandeur soutient que ce procès était entaché d'erreurs, de parjures et de faux témoignages. La déclaration se termine par un paragraphe faisant état de la falsification de pièces dans une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, visiblement sur appel contre la décision de la Cour provinciale. M. McKenzie conclut ensuite à jugement déclarant que les procédures aboutissant aux deux procès, respectivement devant la Cour provinciale puis devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, portent atteinte aux droit et libertés que lui garantit l'article 2 de la Charte, lequel article énumère les libertés fondamentales dont la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, et la liberté de réunion et d'association.

[9]         Je n'arrive pas à saisir le processus mental par lequel le demandeur a transmué ses allégations en chefs de demande. Ses conclusions écrites ne sont d'aucun secours à cet égard. À même supposer que ses allégations soient avérées, ainsi que je dois le faire dans l'instruction de cette requête, je n'arrive à trouver aucune cause raisonnable qui justifie son action.

[10]       Pour ce qui est d'une modification possible de la déclaration dans l'action no T-1510-97, je tiens à faire deux observations. En premier lieu, la Cour fédérale n'est pas la juridiction compétente pour connaître des appels contre les décisions des cours provinciales. En second lieu, comme le demandeur lui-même le dit dans ses conclusions écrites, les jugements déclaratoires qu'il demande concernent des renseignements privés rendus publics par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique (premier jugement déclaratoire), des allégations de parjure dont la poursuite appartient au procureur général de la province (deuxième au dixième jugements déclaratoires), la conduite de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique (onzième au seizième jugements déclaratoires). Il s'agit là de questions à résoudre par les juridictions de la Colombie-Britannique elles-mêmes. Il n'y a aucune possibilité de modification pour remédier à ces vices. La déclaration dans l'action no T-1510-97 est radiée sans que l'autorisation de modification en soit donnée.

Frais et dépens

[11]       La Couronne ne conclut pas aux frais et dépens dans l'action no T-1469-97. Cette position est peut-être conforme à l'idée de permettre à un justiciable non juriste, raisonnable mais inexpérimenté, d'essayer de faire valoir lui-même ses prétentions, sans crainte excessive d'être condamné aux frais et dépens, dans la mesure où la procédure n'est ni abusive ni trop complexe ni ne demande trop de temps. Cependant, la Couronne eût-elle conclu aux frais et dépens dans cette première action, j'aurais été tenu de les lui accorder, car M. McKenzie a déposé une déclaration qui constitue un emploi abusif des procédures de la Cour alors qu'il ne semble pas un plaideur tout à fait inexpérimenté.

[12]       La Couronne conclut cependant aux frais et dépens dans l'action no T-1510-97, et je ne vois aucune raison de les lui refuser. La déclaration est compliquée et aurait donné lieu à une procédure impossible à réguler. À ce titre, elle constitue un abus de procédure. Il a fallu du temps à la Couronne pour préparer son argumentation écrite. La Cour lui alloue, à titre de frais et dépens, la somme forfaitaire de 500 $, ce qui est conforme à la taxation au regard de la colonne III.

                                                                                                                      Signé : John A. Hargrave         

                                                                                            ________________________________

                                                                                                                                         Protonotaire                 

Vancouver (Colombie-Britannique,

le 29 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


                                                                             

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉROS DU GREFFE :T-1469-97 et T-1510-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Kenneth R. McKenzie,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                            c.

                                                            Sa Majesté la Reine,

                                                                                                                                        défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

LE :                                                      29 janvier 1998

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Kenneth McKenzie                                            pour le demandeur

occupant pour lui-même

George Thomson                                               pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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