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Date : 20210607


Dossier : IMM-7239-19

Référence : 2021 CF 552

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

MICHEL MOLONGA LINGEPO

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Michel Molonga Lingepo, est citoyen de la République démocratique du Congo [RDC]. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 novembre 2019, par laquelle un agent des visas [l’agent] de l’ambassade du Canada à Paris, en France, rejette sa demande de permis d’études.

[2] Dans sa lettre de refus, l’agent indique qu’il n’est pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, compte tenu de la raison de sa visite au Canada et de ses biens mobiliers et sa situation financière.

[3] Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie des motifs de la décision, mentionnent ce qui suit :

Suite à ma revue de la demande de permis d’études, le projet d’études au Canada m’apparaît questionnable en raison des études antérieures et des antécédents personnels du requérant. De plus, le coût du programme d’études m’apparaît disproportionné lorsque je considère la nature des études antérieures, la situation économique (revenus et actifs présentés) du requérant et/ou de la famille immédiate et les prospects d’emploi/salaires potentiels. Suite à ma revue du dossier, je ne suis pas convaincu que le requérant serait un étudiant de bonne foi qui quitterait le Canada, si requis, après un séjour autorisé. Demande refusée.

[4] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable au motif qu’elle n’est pas appuyée par la documentation qu’il a déposée au soutien de sa demande de permis.

[5] D’abord, il allègue que l’agent a ignoré tous les éléments de preuve relatifs à sa situation financière et ses biens mobiliers. Selon le demandeur, il a démontré qu’il était membre du Barreau de Kinshasa depuis 2003 et associé majoritaire d’un cabinet d’avocat. Il reçoit un forfait mensuel de 4 500 $ USD et possède plusieurs biens mobiliers et immobiliers, dont il perçoit des revenus additionnels. Une copie de son compte démontre un solde de plus de 67 440 $ USD en liquidités. Il soutient avoir démontré une autonomie financière largement supérieure à la norme prescrite par les Instructions et lignes directrices opérationnelles du bureau des visas qui indiquent que les étudiants doivent démontrer une autonomie financière que pour la première année, peu importe la durée de leurs études.

[6] Le demandeur reproche en plus à l’agent sa conclusion qui met en doute son projet d’études au Canada. Il allègue avoir transmis une preuve abondante tant sur son activité professionnelle que sur les démarches entreprises auprès du Barreau du Québec, lesquelles ont donné au demandeur l’accès au programme des équivalences en droit à l’Université Laval.

[7] Enfin, il soutient que l’agent n’a pas tenu compte de ses liens familiaux à Kinshasa. Il est marié et père de cinq (5) enfants. Il ajoute qu’il a séjourné à plusieurs reprises dans plusieurs pays européens et qu'il a quitté les pays à la fin des séjours règlementaires.

[8] Le défendeur soulève une objection préliminaire à l’égard de la preuve soumise par le demandeur dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. Il soutient que plusieurs documents qui ont été inclus dans le dossier du demandeur n’étaient pas devant l’agent. Il soutient de plus que le demandeur a ajouté de nouvelles allégations à son mémoire.

[9] En réponse, à l’audience, le procureur du demandeur soutient que ces documents accompagnaient la demande de permis et que le dossier certifié du tribunal [DCT] est incomplet.

[10] En l’absence d’un affidavit du demandeur à cet effet, la Cour n’est pas en mesure de conclure que c’est effectivement le cas.

[11] Cela dit, la Cour estime qu’il y a néanmoins des indices au dossier qui laissent croire que le DCT pourrait être incomplet. D’une part, les notes du SMGC contiennent une inscription datée du 1er novembre 2019 indiquant qu’il y a eu un problème technique lors d’une transmission quelconque. D’autre part, dans la lettre introductive rédigée par l’ancien procureur du demandeur, il est indiqué que le demandeur a fourni « ses titres de voyages ». Or, le DCT ne contient qu’une photo de la première page du passeport du demandeur alors que le demandeur allègue avoir également transmis une copie de ses visas de voyages antérieurs. L’utilisation du pluriel dans la lettre introductive suggère que d’autres documents pourraient avoir été transmis.

[12] Quoi qu’il en soit, la Cour ne juge pas nécessaire de trancher l’objection soulevée par le défendeur puisqu’elle est d’avis qu’il y a matière à intervention. Elle conclut ainsi sans tenir compte des nouveaux faits et documents additionnels soumis par le demandeur.

[13] La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision d’un agent des visas refusant une demande de permis d’étude est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 5 [Nimely]; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 6). Même s’il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable étant donné les pressions énormes que subissent les agents des visas pour produire un grand volume de décisions chaque jour, la décision doit tout de même être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov au para 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[14] En l’espèce, l’agent conclut qu’il n’est pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour pour deux (2) raisons : (1) la raison de la visite du demandeur; et (2) ses biens mobiliers et sa situation financière. Les notes au SMGC ne donnent que peu de détails quant aux éléments qui ont permis à l’agent de douter du retour du demandeur dans son pays d’origine sous ses deux (2) rubriques.

[15] En ce qui a trait au motif de refus concernant la raison de la visite du demandeur, l’agent indique dans ses notes que le projet d’études au Canada semble questionnable en raison des études antérieures et des antécédents personnels du requérant. Il ajoute que lorsqu’il considère la nature des études antérieures, la situation économique du demandeur et/ou de sa famille immédiate et les « prospects » d’emploi et salaires potentiels, le coût du programme d’études lui apparaît disproportionné.

[16] L’agent n’explique aucunement pourquoi il est d’avis que les études antérieures du demandeur sont incompatibles avec son projet d’études au Canada (Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764 au para 12). Le demandeur a démontré qu’il a fait des études en droit dans son pays d’origine, qu’il est membre du Barreau de Kinshasa depuis 2003 et qu’il a été accepté dans le « programme d’insertion dans les ordres professionnels » de l’Université Laval. Quoique les lettres de motivations du demandeur auraient pu être plus limpides sur ses objectifs, elles démontrent néanmoins que le demandeur cherche à obtenir des connaissances approfondies en droit bijuridique qui lui permettront de « faire face à la mondialisation qui s’opère dans tous les domaines sociaux » et qui lui seront utiles dans sa carrière en RDC. À la lumière de ces éléments, la Cour ne peut comprendre comment l’agent est arrivé à la conclusion que le projet d’étude du demandeur était questionnable. Au contraire, la Cour peut facilement comprendre qu’un avocat veuille avoir une meilleure compréhension des différents systèmes juridiques et être membre de plusieurs barreaux.

[17] Il en est de même pour la conclusion de l’agent concernant la situation financière du demandeur. Les préoccupations de l’agent concernant le coût disproportionné du programme d’étude manquent de justification.

[18] Premièrement, il est reconnu qu’il ne revient pas à l’agent de déterminer la valeur de l’apprentissage pour un demandeur (Zuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 88 au para 25, citant Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1262 au para 16).

[19] Deuxièmement, le demandeur est associé dans un cabinet d’avocat à Kinshasa dans lequel il détient 55% des parts. Ainsi, la référence de l’agent aux perspectives d’emploi et salaires potentiels du demandeur n’est pas claire.

[20] Troisièmement, le demandeur a déposé des extraits d’un compte bancaire indiquant qu’il avait un solde de plus de 67 440 $ USD en liquidités et que ses droits de scolarité s’élevaient à 21 063,18 $ par année. Même en considérant les coûts d’hébergement, de subsistance et de transport, à première vue, le demandeur semble avoir les moyens pour couvrir la première année de ses études. Le défendeur fait valoir que les entrées et sorties au compte bancaire suggèrent que le demandeur ne serait pas le seul détenteur du compte. Possiblement, mais rien au dossier ne suggère que l’agent avait des doutes à cet égard. L’agent ne pouvait pas non plus, comme le prétend le défendeur, s’appuyer sur le fait que le demandeur devait subvenir aux besoins de son épouse et de ses cinq (5) enfants. Le paragraphe 220b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, SOR/2002-227, prévoit que le demandeur qui cherche à obtenir un permis d’études doit démontrer qu’il est en mesure de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent. En l’instance, le demandeur ne sera accompagné d’aucun membre de sa famille.

[21] La Cour reconnaît qu’elle doit faire preuve de retenue considérable à l’égard d’une décision d’un agent des visas qui refuse une demande de permis d’études et que les motifs n’ont pas à être parfaits ni exhaustifs (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 18; Nimely au para 7). Le refus d’octroyer un permis d’études pourrait fort bien être raisonnable en l’espèce. Cependant, même en adoptant une approche globale et contextuelle, les motifs de l’agent ne permettent pas à la Cour de comprendre, à la lumière du DCT, le raisonnement de l’agent et le fondement de ses conclusions. La décision ne possède donc pas les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov au para 96).

[22] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-7239-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de l’agent du 20 novembre 2019 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée pour un nouvel examen par un agent différent; et

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7239-19

INTITULÉ :

MICHEL MOLONGA LINGEPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Éric Joël Kammeni Kouejou

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Thi My Dung Tran

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Éric Joël Kammeni Kouejou

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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