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Date : 20210420

Dossier : T-980-19

Référence : 2021 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION SAGKEENG

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 17 mai 2019 par laquelle la ministre de l’Environnement et du Changement climatique [la ministre] a refusé de désigner le Projet d’extraction de sables Wanipigow en vue d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 [la LCEE (2012)].

Contexte

[2] La société Canadian Premium Sand Inc [le promoteur] a présenté une demande d’approbation réglementaire pour la construction, l’exploitation, la désaffectation et la fermeture du Projet d’extraction de sables de Wanipigow [le projet]. Le projet serait situé sur des terres domaniales provinciales, à environ 160 kilomètres au nord‑est de Winnipeg (Manitoba). Il prévoit l’excavation d’une série de fosses à ciel ouvert pour l’extraction de sable à haute teneur en silice qui sera utilisée dans le cadre d’activités pétrolières et gazières et par l’industrie de la production de verre. Le projet aurait une capacité de production maximale d’environ 1,2 million de tonnes par année de sable (prétraitement), ce qui équivaut à 1,0 million de tonnes par année de sable de silice traité.

[3] L’article 2 du Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012‑147 [le Règlement LCEE], pris en application de l’article 84 de la LCEE (2012), dispose que, pour l’application de l’alinéa 2(1)b) de la LCEE (2012), les activités concrètes prévues à l’annexe du Règlement LCEE sont des projets désignés. Conformément à l’alinéa 16g) de l’annexe, la construction, l’exploitation, la désaffectation et la fermeture d’une carrière de pierre ou de gravier d’une capacité de production de 3,5 millions de tonnes ou plus par an sont désignées activités concrètes. Puisque le projet porte sur une production de seulement 1,2 million de tonnes par an, il tombe sous le seuil des 3,5 millions de tonnes par an et n’est donc pas soumis à une évaluation environnementale.

[4] Cependant, pour une activité concrète qui n’est pas désignée par le Règlement LCEE, la ministre peut, en vertu du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012), faire de cette activité un projet désigné. En tant que projet désigné, cette activité serait soumise à une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE (2012). La ministre peut désigner un projet si, à son avis, l’exercice de cette activité concrète risque d’entraîner des effets environnementaux négatifs ou que les préoccupations du public liées à tels effets peuvent justifier sa désignation. Les effets environnementaux dont il faut tenir compte à l’égard d’une activité concrète ou d’un projet désigné sont énumérés au paragraphe 5(1) de la LCEE (2012).

[5] À la fin de 2018, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale [l’Agence] a entrepris une analyse visant à informer la ministre si le projet devrait être désigné. L’Agence a alors reconnu neuf groupes autochtones comme ayant des droits ou des usages ancestraux à l’intérieur de la zone du projet et a invité ces groupes ainsi que le public à s’exprimer sur l’opportunité de désigner le projet. En réponse, l’Agence a reçu de la part du public huit demandes de désignation, et de la part des groupes autochtones, dont l’un était la demanderesse, la Première Nation Sagkeeng [Sagkeeng, ou la Première Nation], deux demandes de désignation. Sagkeeng, une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, est signataire du Traité no 1. La réserve de Sagkeeng est située dans la province du Manitoba, à une soixantaine de kilomètres au sud de l’emplacement du projet proposé.

[6] L’Agence a rédigé un rapport intitulé Demandes de désignation du Projet d’extraction de sables de Wanipigow aux termes de la LCEE (2012) — Analyse et recommandation de l’Agence [l’analyse de l’Agence], daté d’avril 2019. L’analyse de l’Agence précisait que l’exercice de l’activité concrète envisagée par le projet pouvait entraîner des effets négatifs limités sur l’environnement relevant de la compétence fédérale et que des membres du public et certains groupes autochtones avaient exprimé des préoccupations concernant tels effets. Cependant, l’Agence concluait que les effets négatifs potentiels pouvaient être convenablement gérés, notamment grâce aux mesures d’atténuation prises par le promoteur et grâce au processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences appliqué par le Manitoba. Ni les effets environnementaux négatifs ni les préoccupations du public à propos de tels effets ne justifiaient une évaluation environnementale fédérale. Elle a donc recommandé à la ministre de ne pas exercer, aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012), son pouvoir discrétionnaire de désigner le projet en vue d’une évaluation environnementale fédérale.

[7] Le 25 avril 2019, l’Agence a rédigé à l’intention de la ministre un mémoire intitulé Projet d’extraction de sables de Wanipigow — Demande externe de désignation aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (pour décision et signature) [le Mémoire]. Essentiellement, le Mémoire résume l’analyse de l’Agence. Il recommande aussi à la ministre de ne pas exercer, aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012), son pouvoir discrétionnaire de désignation du projet, et de signer les lettres y annexées répondant aux membres du public et aux groupes autochtones qui avaient demandé la désignation, ainsi qu’au promoteur, pour notification de sa décision.

[8] Par lettre du 17 mai 2019, la ministre a notifié à Sagkeeng sa décision de ne pas désigner le projet. C’est cette décision qui est l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

La décision contestée

[9] Dans sa lettre du 17 mai 2019, la ministre prend acte des préoccupations de Sagkeeng, exposées dans sa lettre du 31 janvier 2019 adressée à l’Agence [la lettre de janvier], ainsi que de sa demande de désignation du projet pour une évaluation environnementale selon la LCEE (2012). Plus précisément, dans sa lettre de janvier, Sagkeeng faisait part de ses préoccupations à propos des effets négatifs potentiels pour les poissons et leur habitat, la faune, notamment pour les oiseaux migrateurs, la santé humaine et les droits issus de traités, à savoir la chasse, la pêche et la récolte. La ministre explique avoir examiné attentivement les observations de Sagkeeng, celles d’autres groupes autochtones, des autorités provinciales et des membres du public, ainsi que les connaissances scientifiques et les données transmises par les ministères fédéraux compétents, notamment Environnement et Changement climatique Canada, Pêches et Océans Canada, Santé Canada, Transports Canada, Parcs Canada, et Services aux Autochtones Canada.

[10] La ministre dit avoir cru comprendre que Développement durable Manitoba avait entrepris une évaluation environnementale de la loi manitobaine appelée Loi sur l’environnement, CPLM c E125 [La Loi sur l’environnement du Manitoba] et que les mécanismes réglementaires de la province s’appliqueraient au projet. Elle écrit aussi que le Comité consultatif technique de la province avait examiné la question et communiqué des observations au promoteur sur les aspects clés que Sagkeeng avait évoqués dans sa lettre de janvier, y compris sur les questions touchant la qualité de l’air et la santé.

[11] La ministre explique que, pour se prononcer sur la désignation ou non du projet, elle s’est demandé si le projet pouvait entraîner des effets environnementaux négatifs sur des domaines de compétence fédérale ou si des préoccupations concernant tels effets justifiaient une désignation. Ayant aussi tenu compte des mécanismes existants d’évaluation environnementale de la province et des mécanismes réglementaires fédéral et provincial propres à atténuer les répercussions possibles du projet, elle a décidé de ne pas désigner le projet aux termes de la LCEE (2012). Elle dit être persuadée que les effets potentiels pour les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, la santé et l’usage traditionnel des terres et des ressources seraient gérés grâce aux mesures d’atténuation prises par le promoteur, à l’évaluation provinciale faite en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba et aux dispositions réglementaires fédérales prises en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 [la Loi sur les pêches] et de la Loi de 1994 sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, LC 1994, c 22 [Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs].

[12] La ministre explique qu’elle croyait comprendre que Sagkeeng avait fait part de ses doutes à Développement durable Manitoba à l’occasion d’une période de consultation publique. La Division des ressources minières du Manitoba (Direction générale des mines) conduit les consultations de la Couronne liées au processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, et la ministre pensait que la Direction générale des mines avait invité Sagkeeng à exposer ses inquiétudes à propos du projet.

Points litigieux et norme de contrôle

[13] Les parties s’accordent pour dire que la seule question soulevée dans cette affaire est celle de savoir si la décision de la ministre de ne pas désigner le projet pour une évaluation environnementale aux termes de la LCEE (2012) était raisonnable.

[14] Cette demande de contrôle judiciaire devait au départ être instruite le 23 janvier 2020. Le 19 décembre 2019, la Cour suprême du Canada rendait son arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Sagkeeng a alors demandé que l’instruction soit différée et sollicité l’autorisation de modifier son exposé des faits et du droit pour y aborder la question de la norme de contrôle à la lumière de l’arrêt Vavilov. J’ai fait droit à cette requête par ordonnance datée du 17 janvier 2020, en reportant l’instruction de la demande au 23 juin 2020. J’ai aussi donné aux défendeurs la possibilité de modifier leurs arguments.

[15] Dans leurs exposés modifiés respectifs des faits et du droit, les deux parties continuent d’affirmer que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable.

[16] Dans ses documents modifiés, Sagkeeng ajoutait aussi des arguments portant sur la manière de déterminer si une décision est ou non raisonnable selon l’arrêt Vavilov. Sagkeeng cite aussi un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Première Nation Coldwater c Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 [Coldwater], rendu après l’arrêt Vavilov. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale s’est demandé si une obligation de consulter avait été raisonnablement accomplie. Et, comme cela sera expliqué plus loin, Sagkeeng a aussi apporté d’autres modifications à ses conclusions, ajoutant à son exposé des faits et du droit un argument entièrement nouveau se rapportant à la consultation et à la confiance.

[17] Selon les défendeurs, l’arrêt Vavilov confirme que la norme de la décision raisonnable s’applique à la présente affaire. Cependant, cet arrêt ne fait pas de la consultation une question litigieuse dans la présente demande quand elle n’a pas déjà été soulevée, et il ne valide pas non plus l’ajout d’un nouvel argument sans une autorisation de la Cour.

[18] Je partage l’avis des parties pour qui c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême expliquait ce qui est exigé d’une cour de justice quand elle effectue un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 73 à 142). En somme, la cour saisie du contrôle judiciaire doit développer une compréhension du raisonnement du décideur pour déterminer si, globalement, la décision est raisonnable. Pour ce faire, elle se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). En outre, on entend par décision raisonnable celle qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour saisie du contrôle judiciaire qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, para 85).

Question préliminaire — admissibilité du nouvel affidavit

[19] Dans ses conclusions écrites modifiées, Sagkeeng disait avoir l’intention de présenter, en application de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les RCF] une requête pour que soit prononcée une ordonnance l’autorisant à signifier et déposer un affidavit supplémentaire [traduction] « apportant la preuve que le Manitoba a toujours négligé de consulter la Première Nation Sagkeeng ». Les défendeurs y ont répondu en indiquant, dans leur exposé modifié des faits et du droit, qu’ils se réservaient le droit de contester toute requête en autorisation de produire une nouvelle preuve.

[20] Bien que Sagkeeng ait déposé son exposé modifié des faits et du droit le 10 février 2020 et que, en raison de la pandémie de Covid, la demande de contrôle judiciaire n’ait été instruite que plus d’une année plus tard, à savoir le 7 avril 2021, ce n’est que le 29 mars 2021 que Sagkeeng a présenté une requête en dépôt d’un affidavit supplémentaire.

[21] Ce jour‑là, l’avocat de Sagkeeng a envoyé au greffe, en vertu de l’article 369 des RCF, un avis de requête écrite sollicitant l’autorisation de déposer un affidavit du chef Derrick Henderson, souscrit le 17 mars 2021 [l’affidavit Henderson], conformément à l’article 312 des RCF. Subsidiairement, Sagkeeng sollicitait une ordonnance autorisant le dépôt de l’affidavit sous réserve qu’il soit jugé admissible à l’audience du 6 avril 2021. Par lettre du 1er avril 2021, l’avocate des défendeurs a fait savoir au greffe que, selon ce que croyaient les défendeurs, Sagkeeng n’entendait pas déposer un dossier de requête, comme l’exigeait l’article 364 des RCF. Les défendeurs exprimaient aussi l’avis que le critère d’admissibilité d’un nouvel affidavit, énoncé dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Assn c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 para 4 [Forest Ethics], ne semblait pas rempli. Ils disaient aussi que l’ordonnance prévue à l’article 312 des RCF est discrétionnaire et que les facteurs que la Cour devait prendre en compte pour exercer ce pouvoir ne favorisaient pas la requête de Sagkeeng.

[22] Par inadvertance, ce n’est qu’avant l’audience que le greffe m’a informée de la requête en dépôt de l’affidavit Henderson ou de la lettre des défendeurs. La requête n’avait pas été déposée par le greffe ni soumise à la Cour pour directive. Il ne semble pas non plus que Sagkeeng ait demandé confirmation du statut de sa requête avant l’audience.

[23] À l’audience tenue devant moi, Sagkeeng a confirmé ne pas avoir déposé d’observations écrites à l’appui de sa requête, comme l’exigeait le paragraphe 364(2) des RCF. Les avocats de Sagkeeng ont déclaré avoir estimé qu’il n’était pas opportun de le faire. Cependant, alors qu’ils commençaient à présenter leurs observations sur l’admissibilité de l’affidavit Henderson, il est devenu évident que des observations détaillées, auxquelles les avocats faisaient référence dans leurs observations orales, avaient été rédigées. Les avocats de Sagkeeng ont aussi remis aux défendeurs, le lundi férié précédent l’audience du mardi, un second recueil supplémentaire des sources citées à l’appui de la requête.

[24] L’article 312 des RCF autorise une partie, avec l’autorisation de la Cour, à déposer des affidavits supplémentaires. Dans l’arrêt Forest Ethics (para 4–6; voir aussi Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 au para 6), la Cour d’appel fédérale énonce les exigences qui doivent être observées pour obtenir une ordonnance fondée sur l’article 312 des RCF. D’abord, le requérant doit satisfaire à deux exigences préliminaires :

(1) la preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Comme il est bien établi en droit, le dossier dont est saisie la cour de révision est habituellement composé des documents dont était saisi le décideur. Il y a cependant des exceptions à ce principe;

(2) l’élément de preuve doit être pertinent à une question que la cour de révision est appelée à trancher.

[25] Si ces deux exigences préliminaires sont remplies, le requérant doit ensuite convaincre la Cour qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’octroi de l’ordonnance fondée sur l’article 312. Trois questions ont été formulées pour aider la Cour à déterminer si l’octroi d’une ordonnance fondée sur l’article 312 est conforme à l’intérêt de la justice :

a) La partie avait‑elle accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en vertu de l’article 306 ou 308 des RCF, selon le cas, ou aurait‑elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b) La preuve sera‑t‑elle utile à la Cour, en ce sens qu’elle intéresse une question à trancher et que sa valeur probante pourrait suffire à infléchir l’issue de l’affaire?

c) La preuve entraînera‑t‑elle un préjudice important ou sérieux pour l’autre partie?

(voir aussi l’arrêt Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 10— 16).

[26] En règle générale, la preuve soumise à la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire se limite à celle dont disposait le décideur. La preuve dont ne disposait pas le décideur et qui intéresse le fond de l’affaire n’est pas admissible, sauf quelques exceptions (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyrights Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Bernard c Agence du revenu du Canada, 2015 CAF 263 au para 35). La première exception concerne un affidavit qui contient une information générale lorsque cette information pourrait aider la Cour à comprendre les questions intéressant le contrôle judiciaire, mais il faut veiller à ce que l’affidavit n’aille pas plus loin en apportant une preuve intéressant le fond de l’affaire sur laquelle s’est prononcé le décideur administratif. La deuxième exception porte sur la preuve qui appelle l’attention de la cour saisie du contrôle judiciaire sur des vices de procédure impossibles à déceler dans le dossier soumis au décideur administratif, de sorte que la Cour puisse remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale. La troisième exception concerne la preuve qui fait ressortir que le décideur administratif ne disposait d’aucun élément de preuve quand il est arrivé à telle ou telle conclusion.

[27] En l’espèce, Sagkeeng plaide l’admissibilité de l’affidavit Henderson. L’affidavit Henderson fait état des demandes de la Première Nation adressées au Manitoba pour qu’elle soit incluse dans le processus provincial d’évaluation environnementale et que la Couronne manitobaine respecte son obligation de consulter. Sept pièces sont annexées à l’affidavit. Les trois premières sont des pièces de correspondance adressées à la Direction des approbations environnementales de Développement durable Manitoba entre le 12 février 2019 et le 13 mai 2019 en réponse à un avis de proposition en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba visant le projet; en réponse à une correspondance ultérieure de la Direction du développement durable du Manitoba (non jointe à la pièce annexée), visant à obtenir d’autres réactions à l’information complémentaire fournie par le promoteur concernant la proposition en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba et affirmant que l’obligation de consulter n’avait pas été respectée.

[28] Également annexée à l’affidavit comme pièce est une lettre du 16 mai 2019 adressée au promoteur, faisant état d’une licence no 3285 (jointe à la lettre) délivrée le 16 mai 2019 en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba [la licence] et faisant savoir que Développement durable Manitoba avait estimé que les préoccupations du public à propos du projet avaient été résolues à la faveur de l’information complémentaire et/ou de conditions de licence. Par conséquent, et conformément à l’article 27 de la Loi sur l’environnement du Manitoba, la tenue d’une audience publique portant sur le projet n’était pas recommandée à la ministre du Développement durable, et il pouvait être fait appel de cette décision de recommandation dans un délai de 30 jours [la lettre du Manitoba au promoteur].

[29] Finalement, les pièces suivantes sont annexées à l’affidavit : une lettre du 14 juin 2019 de l’avocat de Sagkeeng au ministre provincial du Développement durable, faisant appel de la décision de délivrer la licence sans la tenue d’une audience publique, la réponse du ministre du 14 février 2020 rejetant l’appel et la lettre adressée le 11 mars 2020 par l’avocat de Sagkeeng au ministre de la Conservation et du Climat du Manitoba, demandant que l’appel soit renvoyé au lieutenant‑gouverneur en conseil pour examen conformément à l’article 29 de la Loi sur l’environnement du Manitoba.

[30] À mon avis, pour une diversité de raisons, l’affidavit Henderson ne remplit pas les conditions requises pour être admissible en vertu de l’article 312 des RCF. Aucune de ces pièces annexées n’était entre les mains de la ministre quand elle a pris sa décision. Les trois premières lettres de l’avocat de Sagkeeng sont antérieures à la décision de la ministre. Cependant, la ministre n’y est pas mise en copie, elles ne figurent pas dans le DCT, et rien ne permet à Sagkeeng d’affirmer que la ministre avait une connaissance réelle ou présumée de ces lettres quand elle a pris sa décision. Il en va de même pour la lettre du Manitoba au promoteur. Par ailleurs, ces documents étaient à la disposition de Sagkeeng et auraient pu, moyennant une diligence raisonnable, être produits quand Sagkeeng a initialement déposé sa demande de contrôle judiciaire, le 14 juin 2019.

[31] Quant aux lettres adressées par l’avocat de Sagkeeng en juin 2019 et plus tard, elles sont postérieures à la décision de la ministre et contestent une décision du Manitoba de ne pas tenir une audience publique.

[32] Enfin, et point très important selon moi, les défendeurs ont subi un préjudice sérieux du fait que la requête n’a pas été déposée en temps opportun et du fait que Sagkeeng n’a pas soumis d’observations écrites comme le requiert l’article 364 des RCF, expliquant en quoi l’affidavit Henderson remplissait les conditions de l’article 312 et pourquoi Sagkeeng préconisait son admission.

[33] Sagkeeng n’a pas fait état de la licence ni de documents se rapportant au processus d’évaluation environnementale du Manitoba dans ses observations écrites initiales. Quand elle s’est vu accorder l’autorisation d’aborder la question de la norme de contrôle dans la foulée de l’arrêt Vavilov, Sagkeeng est allée plus loin, ajoutant, sans y être autorisée, un nouvel argument selon lequel la décision de la ministre était déraisonnable parce qu’elle ne s’était pas assurée de la tenue d’une consultation de la part du Manitoba — mais, même là, aucune mention n’était faite de l’existence de la licence, de la lettre du Manitoba au promoteur, ni d’autres documents. Et, alors même que Sagkeeng signalait à ce moment‑là qu’elle demanderait l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire, ce n’est que plus d’un an plus tard, le 26 mars 2021, et seulement quatre jours ouvrables avant l’audience, que Sagkeeng a prétendu déposer une requête en dépôt d’un affidavit supplémentaire. Elle l’a alors fait sans fournir d’observations écrites appuyant sa requête, et sans expliquer pourquoi la requête n’avait pas été déposée plus tôt. Les défendeurs ont donc subi un préjudice. Ils n’ont pas eu la possibilité d’évaluer les nouvelles preuves envisagées, de mener un contre‑interrogatoire sur l’affidavit ou d’obtenir l’autorisation de déposer, en réponse, leur propre affidavit supplémentaire. Je relève aussi que les défendeurs n’ont pas non plus bénéficié d’une réelle possibilité de réfléchir et de réagir aux nouveaux arguments que Sagkeeng voulait présenter à l’audience concernant la licence, ou à l’affirmation de Sagkeeng selon laquelle la ministre était tenue, de par l’honneur de la Couronne, de veiller à la tenue de consultations par le Manitoba pour l’évaluation environnementale.

[34] En fin de compte, à l’audience, l’avocat de Sagkeeng a indiqué qu’il ne souhaitait l’admission que du paragraphe 8 de l’affidavit Henderson et de la pièce D, la lettre du Manitoba au promoteur. Il a aussi noté que la lettre du Manitoba au promoteur et une copie de la licence figuraient dans le second recueil supplémentaire des sources citées de Sagkeeng. Il a indiqué que la lettre avait été incluse par erreur, mais a invité la Cour à prendre connaissance d’office de la licence.

[35] À l’audience, j’ai fait savoir que je réserverais ma décision sur l’admissibilité de l’affidavit Henderson. Vu mes motifs mentionnés ci‑dessus, je suis d’avis que l’affidavit Henderson au complet n’est pas admissible. Quant à la licence, elle aurait dû être déposée en preuve au moyen d’un affidavit et aurait dû être considérée dans les observations écrites de Sagkeeng. En tout état de cause, pour les motifs exposés dans mon analyse figurant ci‑après, l’existence et la date de la licence ne changent pas l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

Textes applicables

[36] Les dispositions pertinentes de la LCEE (2012) et du Règlement LCEE sont reproduites à l’annexe A des présents motifs.

[37] Je signale en passant qu’en août 2019, après la décision de la ministre, la LCEE (2012) a été abrogée et remplacée par la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28. Les parties s’accordent pour dire que l’article 9 de la Loi sur l’évaluation d’impact est l’équivalent du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012).

La décision de la ministre est‑elle ou non raisonnable?

La position de Sagkeeng

[38] Dans ses observations écrites, Sagkeeng reconnaît que la décision de la ministre commande la retenue judiciaire, mais qu’elle était déraisonnable au vu de toutes les circonstances.

[39] Plus précisément, la décision de la ministre serait déraisonnable parce qu’elle n’a pas suffisamment pris en compte tous les points soulevés par Sagkeeng et autres parties intéressées, notamment les effets négatifs possibles de l’épuisement des eaux souterraines qui pourrait se produire si le projet se concrétisait, et l’impact environnemental du projet, y compris ses effets cumulatifs.

[40] Par ailleurs, la ministre aurait exercé abusivement son pouvoir discrétionnaire en se fiant à des mesures d’atténuation non précisées ou hypothétiques qui n’étaient pas prévues par le promoteur. Selon Sagkeeng, la ministre a passé outre à cette lacune en la matière, notamment quant aux effets négatifs du projet sur les poissons et leur habitat, et à ses effets négatifs sur la santé des peuples autochtones. Et, s’agissant des failles avérées de la proposition du promoteur au titre la Loi sur l’environnement du Manitoba, la ministre s’en est remise, à tort, au régime réglementaire du Manitoba pour la solution de questions importantes susceptibles de préjudicier aux Premières Nations, et en particulier à Sagkeeng. Le fait que la ministre s’en est remise à ce régime est particulièrement problématique au vu des doutes exprimés par les organismes fédéraux compétents, notamment Environnement et Changement climatique Canada et Santé Canada, à propos du projet. Le régime réglementaire du Manitoba ne tient pas compte non plus des effets cumulatifs, qui seraient non réglementés en l’absence d’une étude fédérale d’impact environnemental.

[41] Comme indiqué plus haut, l’exposé modifié des faits et du droit de Sagkeeng ajoute aussi un nouvel argument, à savoir que la ministre a abdiqué sa responsabilité d’assurer une véritable consultation avec Sagkeeng. La Première Nation dit qu’une obligation de consulter a pris naissance quand la ministre a été informée par l’Agence que le projet pouvait entraîner certains effets environnementaux négatifs sur des communautés autochtones. Toutefois, la ministre s’est plutôt fondée, à tort, sur son idée que Ressources minières du Manitoba (Ministère de la Croissance, de l’Entreprise et du Commerce) était en train de mener des consultations auprès des groupes autochtones dans le cadre du processus d’évaluation environnementale et d’approbation réglementaire. Le dossier ne dit nulle part qu’une véritable consultation a eu lieu ou que Services aux Autochtones Canada s’est exprimé de quelque façon sur cette prétendue consultation du Manitoba. Sagkeeng n’a eu qu’une seule occasion de réagir à la demande de désignation du projet et il n’y a eu aucun suivi entre le Canada et Sagkeeng. Le dossier ne dit pas non plus comment la ministre a pu conclure qu’une consultation pouvait fort bien être menée par le Manitoba, autre que l’affirmation du Manitoba selon laquelle son processus de consultation porterait sur les points soulevés. Selon Sagkeeng, la ministre ne s’est pas assurée d’une réelle consultation de Sagkeeng, et cela constitue une lacune de taille dans son analyse. Elle s’est fiée au fait que le Manitoba engagerait une consultation en bonne et due forme et elle a donc fait une analyse viciée qui a rendu sa décision déraisonnable.

[42] Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de Sagkeeng a révisé, sinon affiné, cet argument. Il a indiqué qu’il ne s’agit pas d’un cas faisant intervenir une obligation de consulter. Selon lui, dans sa décision, la ministre s’est appuyée sur une présomption infondée selon laquelle le Manitoba mènerait la consultation requise. Si j’ai bien compris l’argument, puisque les droits issus de traités que possédait Sagkeeng sur son territoire traditionnel seraient menacés par le projet, quand bien même la ministre n’était pas tenue de consulter concernant sa décision de désignation aux termes du paragraphe 14(2), l’honneur de la Couronne était en jeu. Ainsi, comme la ministre a tenu pour acquis que le Manitoba procéderait à une évaluation environnementale, et puisque le Manitoba était tenu d’agir honorablement, la ministre était tenue de s’assurer que la consultation du Manitoba serait ou était adéquate. Elle a toutefois commis des erreurs factuelles fondamentales en négligeant de s’informer d’éléments pertinents et nécessaires, en particulier à propos de l’existence de la licence, ce qui a rendu sa décision déraisonnable.

La thèse des défendeurs

[43] Selon les défendeurs, la décision de la ministre était raisonnable au vu de toutes les circonstances, compte tenu du régime législatif, des considérations pertinentes et de la preuve. En outre, la décision que le ministre prend en vertu du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) est discrétionnaire. Même s’il est persuadé que l’activité concrète concernée peut entraîner des effets environnementaux négatifs, ou que les préoccupations du public à propos de tels effets peuvent justifier la désignation du projet, le ministre peut en tout état de cause décider de ne pas faire la désignation.

[44] Selon les défendeurs, la décision est également intelligible, transparente et justifiée. Elle mentionne directement le contenu du dossier soumis à la ministre, et elle s’accorde avec la preuve présentée à l’Agence, ainsi qu’avec le Mémoire. La ministre est présumée avoir examiné le dossier tout entier, et il n’est pas nécessaire que ses motifs s’attardent sur chacun des facteurs ayant conduit à sa décision. Les défendeurs disent que la ministre a suffisamment considéré tous les points pertinents soulevés par Sagkeeng, notamment l’appauvrissement des eaux souterraines et les effets environnementaux et cumulatifs du projet, et ils signalent des passages du dossier qui montrent que la ministre a répondu aux préoccupations exprimées. La ministre a suffisamment aussi pris en compte les effets environnementaux énumérés aux alinéas 5(1)a) à c) de la LCEE (2012). Les observations des défendeurs intéressent la manière dont la ministre a considéré chacun de ces effets. En conclusion, les défendeurs affirment que les motifs de la ministre montrent qu’elle ne s’est pas méprise sur les points pertinents ni n’a fait l’impasse sur aucun d’entre eux.

[45] Au reste, la ministre n’a pas dit que le projet ne causerait pas d’effets environnementaux négatifs relevant de la compétence fédérale, tels qu’ils sont définis par l’article 5 de la LCEE (2012). Elle a plutôt reconnu et conclu que le projet pouvait entraîner des effets environnementaux négatifs circonscrits, tout en étant persuadée que divers mécanismes étaient à même d’en venir à bout. Ces mécanismes sont les mesures d’atténuation proposées par le promoteur; le processus provincial d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, les mécanismes réglementaires de la province (tels que les permis provinciaux délivrés selon la Loi sur les terres domaniales ou la Loi sur la conservation de la faune, et un permis provincial de captation d’eau pour l’utilisation des eaux souterraines), et les mécanismes réglementaires fédéraux (par exemple l’interdiction du dépôt de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons aux termes de la Loi sur les pêches). Les défendeurs reconnaissent que, dans certains cas, la preuve dont disposait la ministre était lacunaire quant à certaines mesures d’atténuation. Cependant, selon eux, la ministre était persuadée que d’autres mesures d’atténuation s’attaqueraient aux effets et préoccupations possibles en matière d’environnement ou que le risque était par ailleurs acceptable eu égard au caractère restreint des effets environnementaux négatifs.

[46] La ministre ne s’en est pas non plus remis outre mesure au régime réglementaire du Manitoba. Elle a adéquatement tenu compte de ce régime en tant que facteur à considérer pour prendre sa décision, d’autant qu’aucun permis fédéral ou autorisation fédérale n’était requis pour le projet.

[47] S’agissant de la consultation, les défendeurs disent que l’ordonnance de la Cour autorisant de nouveaux arguments sur l’incidence de l’arrêt Vavilov n’ouvrait pas la porte à un examen de la pertinence de consultations, question qui n’avait pas encore été soulevée. Par ailleurs, le projet est situé sur une terre domaniale provinciale et il est soumis à une évaluation environnementale provinciale et aux permis s’y rapportant. La ministre a tenu compte des observations de l’Agence, qui englobaient celles reçues de Sagkeeng, et elle a retenu que, selon l’Agence, le processus de consultation du Manitoba donnerait aux groupes autochtones l’occasion d’exprimer leurs préoccupations et de trouver des solutions. Lorsque la ministre a pris sa décision, Ressources minières Manitoba menait le processus de consultation de la Couronne provinciale avec les groupes autochtones, dans le cadre du processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences. Ce processus en était à ses premiers stades. La question maintenant soulevée par Sagkeeng concerne la conduite des autorités manitobaines à l’égard de l’obligation du Manitoba lui‑même de consulter. Si l’approbation du projet risque de préjudicier aux droits de Sagkeeng, c’est au Manitoba qu’il appartient de remplir sa propre obligation autonome de consulter.

[48] Selon les défendeurs, la présente affaire est sans rapport avec une abdication de la responsabilité de la ministre de s’assurer que la consultation du Manitoba avec Sagkeeng était, comme l’affirme Sagkeeng, adéquate. Elle concerne plutôt une question préliminaire, celle de savoir si une évaluation fédérale devrait même être requise. Il n’était pas déraisonnable, illogique ou irrationnel pour la ministre, en refusant de désigner pour évaluation fédérale ce projet par ailleurs exclu, de laisser le processus provincial de consultation, qui en était à ses premiers stades, suivre son cours. La décision de la ministre ne doit pas être revue de manière rétrospective. Si la Première Nation estime que les processus d’évaluation du Manitoba sont inadéquats en général, ou dans le contexte précis consistant à s’assurer que la province a rempli sa propre obligation de consulter, alors le recours qui s’offre à Sagkeeng est de contester lesdits processus.

[49] Devant moi, les défendeurs ont fait observer que la licence ne figure pas dans le DCT, et qu’ils n’avaient pas eu le loisir d’examiner la question ni les arguments connexes soulevés par Sagkeeng à l’audience.

Analyse

La lettre de janvier

[50] À mon avis, le point de départ de cette analyse est la lettre de janvier adressée par Sagkeeng à l’Agence en réponse à la lettre de l’Agence du 24 décembre 2018 qui invitait Sagkeeng à s’exprimer sur la question de savoir si le projet devrait être désigné sous le régime de la LCEE (2012). Dans la lettre de janvier, Sagkeeng faisait état de ses préoccupations à propos du projet.

[51] Sagkeeng dit ne pas avoir été consultée à propos du projet, situé à l’intérieur de son territoire traditionnel où ses membres exercent leurs droits issus de traités, à savoir le droit de chasser, de pêcher et de récolter. Or, après examen de la proposition présentée par le promoteur au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba, il était apparu évident pour Sagkeeng que le projet allait entraîner des effets environnementaux négatifs. Sagkeeng a rejeté l’opinion du promoteur, qui ne prévoyait pas que les activités liées au projet perturberaient les poissons ou leur habitat. La Première Nation faisait valoir que, vu que des baux d’exploitation de carrière se trouvaient à proximité du lac Winnipeg, la réalisation d’une autre étude d’expert indépendante et d’impact environnemental était nécessaire pour déterminer la possibilité d’effets négatifs sur les poissons et leur habitat en raison du ruissellement du projet et de la contamination des eaux souterraines.

[52] Selon Sagkeeng, le projet allait avoir des effets négatifs sur la faune aquatique et terrestre et sur les oiseaux migrateurs de la région en raison des activités de défrichement, de la pollution sonore et lumineuse générée par les équipements durant la construction et l’exploitation, de la circulation des camions et de la poussière provenant des activités minières. Ces effets seraient amplifiés par une exploitation permanente du projet, 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et cela pour une période pouvant aller jusqu’à 54 ans.

[53] Sagkeeng a aussi affirmé que, même si le projet ne semblait pas atteindre le « seuil arbitraire » de 3,5 millions de tonnes par an qui en ferait un projet désigné, d’autres études et un comité de révision étaient essentiels pour un projet nouveau et inédit de cette nature. La Première Nation a relevé que des projets semblables entrepris aux États‑Unis ont été associés à des conséquences néfastes pour la santé des personnes travaillant dans la mine, transportant des charges ou vivant près de ce type de projet et de ces itinéraires de transport. Par ailleurs, les activités minières de ce genre peuvent offrir aux produits chimiques et/ou aux bactéries une voie d’accès qui leur permet d’atteindre plus facilement les eaux souterraines, et un plan de fermeture n’avait pas été mis au point ni soumis à l’époque à Développement durable Manitoba.

Le Mémoire

[54] Comme indiqué plus haut, après avoir reçu les réponses de Sagkeeng et autres personnes et entités intéressées, l’Agence a rédigé un Mémoire pour la ministre. Ce Mémoire comprenait une description du projet proposé. On y relevait que le projet serait situé à l’intérieur du territoire du Traité no 5, et à environ 225 mètres à l’ouest de la Première Nation de Hollow Water. La carrière consisterait en une série de puits à ciel ouvert, qui seraient exploités au rythme d’un puits par an, sur une période de 54 ans. Par ailleurs, le promoteur détient dans la région un bloc de 2 289 hectares de baux provinciaux d’exploitation de carrière, dont la superficie totale perturbée par le projet serait de 353 hectares. Un total de 83 hectares serait perturbé à tout moment en raison de la nature séquentielle de l’exploitation des puits à ciel ouvert. Selon l’Agence, neuf groupes autochtones, dont la Première Nation de Hollow Water et la Première Nation Sagkeeng, sont potentiellement concernés par le projet, et elle les a invités à s’exprimer. Elle a aussi demandé et reçu les observations du promoteur, de Développement durable Manitoba, des requérants individuels et des autorités fédérales (Pêches et Océans Canada, Environnement et Changement climatique Canada, Santé Canada, Parcs Canada, Ressources naturelles Canada, Transports Canada et Services aux Autochtones Canada).

[55] Trois annexes sont jointes au Mémoire. L’annexe I est une carte de localisation du projet, l’annexe II est l’analyse de l’Agence, et l’annexe III contient les demandes de désignation. Le Mémoire mentionne que l’analyse annexée de l’Agence donne un résumé des préoccupations exprimées par les requérants, ainsi que l’analyse complète de l’Agence, notamment l’examen des commentaires des groupes autochtones, du promoteur, de Développement durable Manitoba et des autorités fédérales. Voilà qui est important, car cela montre que le dossier qui était à la disposition de la ministre quand elle a pris sa décision englobait toute cette information.

[56] Le Mémoire expose le cadre décisionnel figurant au paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) et précise aussi que le projet est soumis à une évaluation environnementale provinciale en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba. Par ailleurs, le promoteur avait soumis à Développement durable Manitoba une proposition au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba, et le projet nécessiterait aussi des permis provinciaux aux termes de la Loi sur les terres domaniales, et de la Loi sur la conservation de la faune, ainsi qu’une licence provinciale de captation des eaux pour l’utilisation des eaux souterraines nécessaires pour appuyer l’installation de traitement. Si la province devait permettre au projet de se concrétiser, elle délivrerait une licence selon la Loi sur l’environnement du Manitoba, précisant les conditions auxquelles le promoteur devrait se conformer. Aucune licence ou autorisation fédérale n’était requise pour le projet.

[57] Le Mémoire expose ensuite les considérations, à savoir un sommaire des positions exprimées par toutes les parties concernées. La première de ces positions concernait les points de vue des groupes autochtones et du public. La Première Nation de Hollow Water n’avait pas répondu à l’Agence à propos de la désignation du projet, mais l’Agence avait reçu une copie de la lettre de cette Première Nation adressée à Développement durable Manitoba, dans laquelle elle se déclarait favorable au projet. Cette lettre confirmait que la Première Nation de Hollow Water était satisfaite de la manière dont le promoteur répondait aux préoccupations environnementales. Le chef de la Première Nation de Hollow Water avait aussi publiquement appuyé le projet dans les médias, en faisant état de retombées économiques et sociales pour la communauté.

[58] Le Mémoire relève que Sagkeeng et la Fédération métisse du Manitoba ont fait état de plusieurs préoccupations et demandé que le projet soit désigné. Plus précisément, elles énuméraient les effets négatifs possibles du projet pour les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, la santé, l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, les ressources patrimoniales et les droits ancestraux ou conférés par traité, sans oublier l’absence d’une consultation. Des préoccupations étaient aussi exprimées à propos d’impacts allant au‑delà des effets environnementaux définis à l’article 5 de la LCEE (2012), notamment les effets de la circulation et du transport sur les routes provinciales, les effets sur la qualité de l’air et la santé publique et les impacts sur les droits ancestraux ou conférés par traité.

[59] Après avoir défini et résumé toutes les observations, le Mémoire présentait son analyse :

[traduction]

ANALYSE

Dans le cadre de son analyse visant à déterminer si le projet peut entraîner des effets environnementaux négatifs et si des préoccupations exprimées justifient une désignation, l’Agence a examiné les questions énoncées dans son guide de référence intitulé Désigner un projet en vertu de la LCEE 2012, comme les mesures d’atténuation proposées et autres mécanismes législatifs ou réglementaires existants qui pourraient répondre aux effets environnementaux potentiels et aux préoccupations exprimées. De plus, l’Agence a pris en compte l’avis des autorités fédérales et les commentaires de groupes autochtones, du public et du promoteur.

Le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur les poissons et leur habitat en raison de l’érosion et de la sédimentation, du drainage rocheux acide et des interactions avec les eaux souterraines. L’Agence est d’avis que les effets environnementaux négatifs potentiels sur les poissons et leur habitat seraient limités, car le projet n’entraîne pas de perturbations directes de l’habitat des poissons. De plus, le promoteur a proposé des mesures d’atténuation, y compris la mise en œuvre d’un plan pour limiter l’érosion et les sédiments, la mise en place du schiste extrait dans une fosse aux parois d’argile et recouverte de calcaire pour neutraliser le drainage acide, et la réduction au minimum de l’utilisation des eaux souterraines par le recyclage de l’eau. Le processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis tiendra également compte des effets sur les espèces sauvages, y compris les poissons et leur habitat, et sera à même de corriger les effets potentiels. De plus, l’interdiction du dépôt de substances nocives dans les eaux où vivent des poissons, en vertu de la Loi sur les pêches, s’appliquerait au projet.

Le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur des oiseaux migrateurs, y compris des espèces en péril, en raison de la perturbation de la surface causée par le défrichage. L’Agence est d’avis que les effets environnementaux négatifs potentiels sur les oiseaux migrateurs seraient limités en raison de la faible ampleur des perturbations de surface, et le promoteur a proposé des mesures d’atténuation, y compris la remise en état progressive, le défrichage en dehors des saisons de reproduction des oiseaux ainsi que le contrôle du bruit et de la lumière. Le processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis tiendra également compte des effets sur les espèces sauvages, y compris les oiseaux migrateurs, et sera à même de corriger les effets potentiels. De plus, les exigences de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs s’appliqueraient au projet.

Le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur le territoire domanial, notamment la réserve de la Première Nation de Hollow Water, située à 225 mètres du projet, à cause de changements dans la qualité de l’air et à cause du bruit. L’Agence est d’avis que les effets environnementaux négatifs potentiels seraient limités, étant donné que le promoteur a proposé des mesures d’atténuation, y compris la remise en état progressive, la mise en place d’une enceinte autour de l’installation de traitement afin de réduire au minimum le bruit, ainsi que l’application de pression négative dans l’enceinte de l’installation de traitement pour limiter la dispersion de poussière dans l’environnement. Le processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis tiendra également compte des effets potentiels sur la qualité de l’air et le bruit, et sera à même de corriger les effets potentiels. L’Agence a demandé à la Première Nation de Hollow Water, mais aucun commentaire n’a été reçu dans le cadre du processus. L’Agence croit comprendre que la Première Nation de Hollow Water et le promoteur ont signé à propos du projet un accord de participation économique qui prévoit des retombées économiques et sociales, et que la Première Nation de Hollow Water est favorable au projet.

Le projet pourrait entraîner des effets environnementaux négatifs limités transfrontaliers en raison des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’équipement de construction et de l’équipement mobile. Cependant, l’Agence est d’avis que les effets seraient de portée limitée, car les émissions prévues du projet, soit 13 359 tonnes d’équivalents de dioxyde de carbone par année pendant l’exploitation, représentent 0,06 % des émissions annuelles totales du Manitoba et 0,002 % des émissions annuelles totales du Canada, respectivement. De plus, le promoteur a proposé des mesures d’atténuation, y compris l’électrification des composantes clés du projet. Le processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis tiendra également compte des effets des gaz à effet de serre et, en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba, le décideur doit tenir compte de la quantité de gaz à effet de serre qui sera générée par le projet à l’étude.

Le projet peut entraîner des effets environnementaux négatifs limités sur les peuples autochtones, comme le décrit l’alinéa 5(l)c) de la LCEE (2012), y compris des effets sur la santé des Autochtones, l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, et les ressources patrimoniales, à cause de changements dans la qualité de l’air, dans le niveau de bruit, dans la disponibilité de végétaux et d’animaux sauvages et dans l’accès aux zones d’utilisation traditionnelle. Toutefois, l’Agence est d’avis que l’ampleur des effets serait limitée puisque la superficie totale perturbée serait de 353 hectares, les travaux de défrichages se faisant par section de 83 hectares à la fois. Par ailleurs, les zones qui seraient défrichées ne contiennent pas de ressources se trouvant uniquement dans la zone du projet (p. ex. des plantes médicinales rares), et la province du Manitoba a indiqué que la région est relativement peu développée. De plus, le promoteur a proposé des mesures d’atténuation, y compris la remise en état progressive et la mise en place d’une enceinte autour de l’installation de traitement et l’application de pressions négatives à cet endroit. Ces effets seront également pris en compte dans le cadre du processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis et pourront y être corrigés.

L’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs cumulatifs et reconnaît que l’évaluation environnementale provinciale ne tient pas compte de ces effets. Toutefois, l’Agence a examiné l’évaluation des effets cumulatifs que le promoteur lui a présentée et accepte l’affirmation de la province du Manitoba et du promoteur selon laquelle les effets cumulatifs seront probablement limités.

L’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des répercussions sur les droits ancestraux ou issus de traités. L’Agence croit savoir que Ressources minières du Manitoba (ministère de la Croissance, de l’Entreprise et du Commerce) dirige des consultations auprès de groupes autochtones dans le cadre des processus d’évaluation environnementale et d’approbation réglementaire. L’Agence est d’avis que le processus de consultation de la province permettra aux groupes autochtones d’exprimer leurs préoccupations et d’obtenir des solutions.

L’Agence est d’avis que bon nombre des préoccupations exprimées par le public, y compris les effets sur la sécurité routière, la qualité de l’air et la santé publique, échappent à la portée de l’article 5 de la LCEE (2012) et relèvent de la compétence de la Province du Manitoba. Développement durable Manitoba a récemment tenu une période de consultation publique sur la proposition présentée au titre de la Loi sur l’environnement de la province. L’Agence relève que les questions de sécurité routière, de qualité de l’air et de santé publique ont été soulevées directement auprès de Développement durable Manitoba, qui les a affichées en ligne sur sa page Web du projet. Développement durable Manitoba a indiqué verbalement que la circulation sur certaines routes, la qualité de l’air et la santé publique seront prises en compte dans le processus provincial d’évaluation environnementale.

Bien que la réalisation du projet puisse entraîner des effets environnementaux négatifs limités selon ce que prévoit l’article 5 de la LCEE (2012), et que le public soit préoccupé par ces effets, l’Agence est d’avis que, compte tenu de la nature limitée des effets environnementaux potentiels, des mesures d’atténuation proposées, des avis spécialisés d’autorités fédérales et du processus provincial d’évaluation environnementale et de délivrance de permis en cours, la désignation du projet au titre du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) n’est pas justifiée.

[60] Dans ce contexte, je traiterai des préoccupations exprimées par Sagkeeng dans sa demande de contrôle judiciaire, à la fois dans ses observations écrites et lorsque la Première Nation a comparu devant moi.

i. Appauvrissement des eaux souterraines

[61] Dans sa décision, la ministre prenait acte des préoccupations exprimées par Sagkeeng dans sa lettre de janvier. Cependant, Sagkeeng dit que la ministre n’a pas suffisamment pris en compte les effets négatifs potentiels de l’appauvrissement des eaux souterraines que pourrait entraîner le projet.

[62] Je ferais d’abord observer que la lettre de janvier de Sagkeeng porte sur les eaux souterraines uniquement dans le contexte des poissons et de leur habitat. Plus précisément, comme les baux d’exploitation de carrière se trouvent à proximité du lac Winnipeg, une évaluation environnementale était nécessaire pour déterminer la possibilité d’effets négatifs pour les poissons et leur habitat à cause du ruissellement du projet et de la contamination des eaux souterraines. La lettre ne dit pas que l’appauvrissement des eaux souterraines constitue une préoccupation.

[63] Toutefois, dans le résumé des points de vue du promoteur sous la rubrique « Santé des Autochtones » de son analyse, l’Agence souligne que le promoteur a reconnu que la qualité et la quantité des eaux souterraines pourraient être touchées et a énuméré des mesures d’atténuation, soit l’exploitation minière seulement au‑dessus de la nappe phréatique et, en attendant les résultats de l’étude hydrogéologique, la possibilité d’utiliser de l’eau transportée par camion plutôt que de l’eau souterraine pour l’installation de traitement du sable. Ressources naturelles Canada était d’avis que le promoteur appliquerait des mesures d’atténuation appropriées quant à la quantité des eaux souterraines. Dans son analyse des poissons et de leur habitat, discutée ci‑après, l’Agence notait que des préoccupations avaient été exprimées au sujet de l’utilisation d’un gâteau de filtration dans la remise en état du site et au sujet de ses effets connexes sur la qualité des eaux souterraines, mais qu’elle croyait comprendre, de la bouche du promoteur, que les polymères utilisés dans l’installation d’épaississement sont typiques d’autres installations et n’ont pas d’effets environnementaux négatifs connus.

[64] La ministre explique dans ses motifs avoir pris en compte les connaissances scientifiques et l’information fournies par les ministères fédéraux compétents. Elle était persuadée que les effets négatifs potentiels pour les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, la santé et l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles seraient gérés grâce aux mesures d’atténuation prises par le promoteur, à l’évaluation provinciale faite en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba et aux dispositions réglementaires fédérales prises conformément à la Loi sur les pêches et à la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.

[65] Ainsi, même si la ministre ne parlait pas explicitement de l’appauvrissement des eaux souterraines dans sa lettre, le dossier dont elle disposait montre que cet aspect avait été pris en compte par Ressources naturelles Canada. De plus, la qualité des eaux souterraines avait été prise en compte par l’Agence, et l’Agence avait estimé que le risque pour les eaux souterraines serait suffisamment atténué. La cour saisie du contrôle judiciaire est fondée à présumer que le décideur administratif a tenu compte du dossier tout entier et il incombe à la partie contestante de réfuter cette présomption (Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490 au para 11 [Andrade]). Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chacun des éléments ayant conduit à sa décision finale. Il n’est pas nécessaire que les motifs d’une décision soient parfaits. La cour saisie du contrôle judiciaire est également fondée à s’en rapporter au dossier pour dire si la décision est raisonnable ou non (Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14‑18; Vavilov, au para 91, 128; Première Nation de Peguis c Ministre de l’Environnement et du Changement climatique et Infrastructure Manitoba, 2019 CF 1067 aux para 26‑27, 53‑55, 59 [Peguis]). La cour saisie du contrôle judiciaire devrait aussi montrer de la retenue envers les conclusions de fait du décideur, à plus forte raison si la décision attaquée entre dans le champ d’expertise du décideur (Andrade, au para 11). Le contrôle d’une décision administrative ne saurait non plus être dissocié du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue (Vavilov, au para 91).

[66] Compte tenu de ces principes, et compte tenu de l’information dont disposait la ministre quand elle a pris sa décision, je ne suis pas persuadée qu’elle a fait l’impasse sur les effets négatifs potentiels de l’appauvrissement des eaux souterraines pour le cas où le projet serait réalisé. Et, quant à savoir si sa manière de voir la question était ou non adéquate, il est utile ici de citer les propose suivants tenus par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ontario Power Generation Inc c Greenpeace Canada, 2015 CAF 186 [Ontario Power] :

[126] Nous souscrivons également à la conclusion formulée par le juge Pelletier au paragraphe 71 du jugement Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no. 682 (QL), 191 F.T.R. 20, [Inverhuron] :

71 Rappelons encore une fois que la fonction de la Cour dans le contrôle judiciaire n’est pas d’agir comme une « académie des sciences » ou comme une « Haute assemblée ». Pour chacun des éléments prévus par la loi, la gamme des possibilités de fait est pratiquement illimitée. Peu importe le nombre de scénarios envisagés, il est toujours possible d’en concevoir un autre qui ne l’a pas été. Il est de la nature de la science que des personnes raisonnables puissent être en désaccord sur la pertinence et l’importance. À propos de ces questions, la fonction de la Cour n’est pas d’assurer l’exhaustivité, mais d’évaluer, quant à la forme plutôt qu’au fond, s’il y a eu quelque examen des éléments que l’étude approfondie doit, selon la Loi, prendre en compte. S’il y a eu un certain degré d’examen, il importe peu qu’on ait pu procéder à un examen plus poussé ou de meilleure qualité.

[Non souligné dans l’original.]

[67] En matière de contrôle judiciaire, la Cour est appelée à dire si la décision est justifiable au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 84‑87), et elle doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions du décideur administratif. En l’espèce, le dossier confirme que la question de l’appauvrissement des eaux souterraines a été examinée par Ressources naturelles Canada, et que la qualité des eaux souterraines a été prise en compte par l’Agence. Se fondant sur les avis spécialisés de ces agences, la ministre était persuadée que le risque était suffisamment circonscrit. Aller au‑delà de cela, c’est demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou, en l’espèce, Sagkeeng ne s’étant pas exprimée sur l’appauvrissement des eaux souterraines, de reconsidérer l’analyse de Ressources naturelles Canada et de l’Agence. Tel n’est pas le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire.

[68] Je ne partage pas non plus l’avis de Sagkeeng pour qui, compte tenu de l’arrêt Vavilov, la décision Inverhuron ne fait plus autorité. Les deux précédents Inverhuron et Ontario Power montrent comment la cour saisie du contrôle judiciaire doit envisager le traitement réservé par le décideur administratif à des études scientifiques approfondies. La cour saisie du contrôle judiciaire doit se demander si le décideur administratif a tenu compte des facteurs que, selon le texte applicable, les études scientifiques doivent examiner. Cela rend compte des contraintes réglementaires applicables, outre le fait que des avis scientifiques peuvent raisonnablement diverger. Il revient au décideur administratif d’évaluer et apprécier la preuve scientifique dont il dispose, mais la cour saisie du contrôle judiciaire doit s’abstenir d’apprécier à nouveau cette preuve. C’est ce qui ressort également de l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême écrivait qu’« [i]l est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” » (para 125).

ii. Prise en compte de l’impact environnemental

[69] Sagkeeng affirme aussi que la ministre n’a pas suffisamment pris en compte l’impact environnemental du projet, notamment ses effets cumulatifs, lesquels, de l’avis de la Première Nation, requièrent une étude indépendante et spécifique. Cependant, la ministre a reconnu les impacts environnementaux potentiels indiqués par Sagkeeng. Ils sont tous traités plus en détail dans le Mémoire et dans l’analyse de l’Agence, dont les conclusions ne sont pas sérieusement contestées par Sagkeeng.

[70] Quant aux effets cumulatifs, comme on peut le lire dans le Mémoire, l’Agence était d’avis que le projet pouvait contribuer, cumulativement, à des effets environnementaux négatifs. Il est reconnu aussi que l’évaluation environnementale provinciale ne tient pas compte des effets cumulatifs. Cependant, l’Agence avait passé en revue l’évaluation des effets cumulatifs par le promoteur et accepté l’avis du promoteur et de la province selon lequel les effets cumulatifs seraient probablement limités. L’atténuation des effets cumulatifs est également abordée dans l’analyse de l’Agence. Ce rapport reconnaissait que des membres du public s’étaient dits inquiets des effets cumulatifs et d’une absence de prise en compte de tels effets dans l’évaluation environnementale provinciale. On pouvait y lire aussi que, selon Développement durable Manitoba, le projet ne devrait pas être désigné au titre de la LCEE (2012) et que toutes les préoccupations exprimées seraient traitées dans le cadre du processus provincial d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, à l’exception des effets cumulatifs, qui, d’après Développement durable Manitoba, allaient être négligeables. L’analyse de l’Agence contient le passage suivant :

[traduction]

5.1 Effets cumulatifs

L’Agence reconnaît qu’il n’y aurait pas d’évaluation des effets cumulatifs dans le cadre du processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba et que Développement durable Manitoba a indiqué que la densité du développement est très faible dans la région et devrait le demeurer dans un avenir prévisible. Le promoteur a effectué une évaluation des effets cumulatifs axée sur les secteurs relevant de la compétence fédérale. Après examen de ces renseignements et des commentaires de Développement durable Manitoba, du public et des Autochtones, l’Agence est d’avis que les effets cumulatifs seraient limités et que le promoteur a proposé des mesures raisonnables pour gérer les effets cumulatifs.

[71] Comme indiqué plus haut, la ministre n’était pas tenue d’évoquer explicitement les effets cumulatifs dans sa lettre de décision. La constatation de l’Agence, que la ministre a acceptée, entre dans la conclusion générale de celle‑ci selon laquelle, pour décider s’il convenait ou non de désigner le projet, elle s’est demandé si le projet pouvait entraîner des effets environnementaux négatifs sur des domaines de compétence fédérale, ou si les préoccupations relatives à tels effets justifiaient une désignation. À ce moment‑là, et après avoir tenu compte des mécanismes existants d’évaluation provinciale et des mécanismes réglementaires fédéral et provincial propres à atténuer les impacts potentiels associés au projet, elle a décidé de ne pas désigner le projet au titre de la LCEE (2012). Je ne puis donc pas conclure que la ministre a fait l’impasse sur l’impact environnemental des effets cumulatifs.

[72] Quand Sagkeeng a comparu devant moi, elle a affirmé que la manière dont la ministre avait traité les effets cumulatifs constituait une erreur fondamentale et qu’elle avait négligé de s’informer quant à des éléments nécessaires et pertinents. Selon la Première Nation, la ministre n’aurait pas dû se fonder sur l’avis de Développement durable Manitoba selon lequel la densité du développement était très faible dans la région et le demeurerait dans un avenir prévisible. La ministre n’aurait pas dû non plus se fonder sur l’évaluation des effets cumulatifs faite par le promoteur. Pour Sagkeeng, cela signifie que la ministre n’a pas vraiment pris en compte ses préoccupations. Selon moi, Sagkeeng confond le crédit accordé par la ministre à des observations faites à l’Agence par des parties intéressées, avec la prérogative qu’avait la ministre d’évaluer l’information dont elle disposait pour décider s’il convenait ou non de désigner le projet pour évaluation environnementale. Sagkeeng ne fait état, à propos des effets cumulatifs, d’aucun élément nécessaire ou pertinent dont disposait la ministre et qui n’aurait pas été pris en compte par elle. Il était loisible à la ministre d’accepter les observations du promoteur et de la province pour qui les effets cumulatifs seraient probablement limités. Cela ne signifie pas que les vues de Sagkeeng n’ont pas été prises en compte.

iii. Poids accordé à des mesures d’atténuation non précisées

[73] Selon Sagkeeng, la ministre a exercé mal à propos son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des mesures d’atténuation non précisées ou hypothétiques qui n’ont pas été prévues par le promoteur, et en faisant l’impasse, à tort, sur cette lacune du dossier concernant les mesures d’atténuation.

[74] Plus précisément, s’agissant des effets négatifs sur les poissons et leur habitat, Sagkeeng dit que la ministre n’a pas tenu compte des constatations de l’Agence : le fait qu’un plan de contrôle de l’érosion et de la sédimentation n’a pas été présenté pour examen, le fait que la proposition au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba ne disait rien du possible drainage acide associé à la construction de routes, et le fait que la proposition au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba fait état de mesures d’atténuation pour les déversements, mais non pour les effets résultant d’un déversement si un déversement devait se produire.

[75] Cependant, le dossier dont je dispose montre que l’analyse de l’Agence aborde tous ces points, et reconnaît même certaines failles dans les observations du promoteur, mais, pour les motifs qu’elle a exposés, l’Agence a conclu que les effets sur les poissons et leur habitat, ou les préoccupations du public liées à de tels effets, ne justifient pas une désignation aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) :

[traduction]

4.1 Les poissons et leur habitat

L’Agence croit comprendre que Pêches et Océans Canada a convenu avec le promoteur que le projet n’est pas susceptible d’entraîner des dommages graves pour les poissons et leur habitat et que le projet ne nécessiterait pas une autorisation aux termes de la Loi sur les pêches. Environnement et Changement climatique Canada, le public et les groupes autochtones ont indiqué que les changements dans la qualité des eaux de surface par suite de l’érosion et de la sédimentation, du drainage acide et des interactions avec les eaux souterraines contaminées pourraient avoir des effets sur les poissons et leur habitat. L’Agence note que le promoteur a établi des mesures d’atténuation type pour limiter ces effets, y compris la mise en œuvre d’un plan de contrôle de l’érosion et de la sédimentation, l’extraction et la mise en place de schistes dans une fosse à parois d’argile, et la réduction au minimum de l’utilisation des eaux souterraines par le recyclage de l’eau. Les processus d’évaluation environnementale de Développement durable du Manitoba tiennent compte des effets sur les espèces sauvages, y compris les poissons et leur habitat, et l’Agence est d’avis que l’évaluation environnementale provinciale est à même de corriger les effets sur les poissons et leur habitat.

L’Agence reconnaît qu’Environnement et Changement climatique Canada a relevé des lacunes dans l’évaluation des effets sur la qualité de l’eau présentée par le promoteur, et que le public et les groupes autochtones ont exprimé des préoccupations à propos de ces lacunes. Les commentaires d’Environnement et Changement climatique Canada sont décrits ci‑dessous, accompagnés des considérations de l’Agence à l’égard de ces questions :

Le plan de contrôle de l’érosion et de la sédimentation n’a pas été fourni pour examen, mais les effets résultant de changements potentiels dans la qualité de l’eau pourraient être atténués au moyen de mesures d’atténuation appropriées. L’Agence est d’avis que l’évaluation environnementale provinciale tient compte de ces effets potentiels et pourrait inclure des conditions connexes dans des documents réglementaires s’y rapportant, p. ex. le permis délivré en vertu de la Loi sur l’environnement.

La proposition présentée au titre de la Loi sur l’environnement ne tenait pas compte du drainage acide potentiel associé à la construction de routes. L’Agence croit comprendre que les travaux viseraient la construction d’une nouvelle route d’accès principale asphaltée d’une longueur de 6 kilomètres, ainsi que la réfection d’une route d’accès existante en gravier de 1,5 kilomètre. L’Agence considère qu’il s’agit d’une lacune mineure en raison de la faible longueur de la nouvelle route et que les normes de l’industrie applicables à la construction de routes tiennent compte du potentiel de drainage acide.

Des préoccupations à propos de l’élimination des eaux industrielles provenant de l’installation de traitement du sable ont été exprimées. L’Agence croit comprendre qu’il n’y aura pas de rejet d’eau dans l’environnement provenant de l’installation de traitement du sable, ni d’autres activités du projet, et qu’il n’y aura donc pas d’effets liés à l’élimination des eaux industrielles.

Des préoccupations concernant l’utilisation d’un gâteau de filtration dans la remise en état du site et les effets connexes sur la qualité des eaux souterraines ont été soulevées. L’Agence croit comprendre, selon les explications du promoteur, que les polymères utilisés dans l’installation d’épaississement sont typiques d’autres installations et n’ont pas d’effets environnementaux négatifs connus. Le processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba et le processus d’approbation réglementaire de la Direction des mines du Manitoba (ministère de la Croissance, de l’Entreprise et du Commerce du Manitoba) tient compte de la planification de la remise en état et de la fermeture du site. L’Agence est donc d’avis que cette question peut être réglée au moyen des processus provinciaux d’évaluation environnementale et d’approbation réglementaire.

La proposition présentée au titre de la Loi sur l’environnement décrit les mesures d’atténuation en cas de déversement, mais pas les effets qui y sont associés si un déversement devait se produire. L’Agence considère que les mesures d’atténuation du promoteur sont appropriées pour éviter et réduire au minimum les effets sur les poissons et leur habitat.

Compte tenu de l’analyse qui précède, l’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur les poissons et leur habitat. Toutefois, ces effets et les préoccupations du public concernant les poissons et leur habitat peuvent être gérés adéquatement au moyen des mesures d’atténuation proposées, des processus provinciaux d’évaluation environnementale, et de l’interdiction, en vertu de la Loi sur les pêches, du rejet de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons. Par conséquent, l’Agence est d’avis que les effets sur les poissons et leur habitat ou les préoccupations du public liées à ces effets ne justifient pas une désignation en vertu du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012).

[Non souligné dans l’original.]

[76] Sagkeeng affirme pareillement que la ministre n’aurait pas dû ajouter foi aux prévisions du promoteur à propos des effets négatifs du projet sur la santé des peuples autochtones. Cependant, selon moi, en disant cela, la Première Nation lit, de façon isolée, une phrase tirée de l’analyse de l’Agence. Cette analyse en réalité prenait divers facteurs en considération avant de conclure que les effets en question et les préoccupations liées à tels effets ne justifiaient pas une désignation aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) :

[traduction]

4.5 Effets sur les peuples autochtones

4.5.1 Santé des Autochtones

L’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur la santé humaine en raison des changements dans la qualité de l’air et en raison du bruit. Plus précisément, l’Agence reconnaît qu’il pourrait y avoir de légers dépassements des critères de qualité de l’air ambiant établis pour le Manitoba et le Canada pour une période de 24 heures, selon le scénario de « la pire éventualité raisonnable » pendant une heure au cours des activités. Dans ses prévisions, le promoteur a tenu compte de la mise en œuvre de mesures d’atténuation, y compris la mise en place d’une enceinte autour de l’installation de traitement et l’application de pressions négatives à l’installation de traitement du sable, l’utilisation de protections imperméables pour recouvrir le sable dans les camions de transport et le pavage des routes pour réduire au minimum la poussière.

L’Agence reconnaît que Santé Canada a souligné que le promoteur avait relevé des dépassements des critères de qualité de l’air ambiant établis pour le Manitoba et le Canada avant de mettre à jour le modèle de qualité de l’air afin d’en améliorer l’exactitude. Les prévisions revues indiquent qu’il n’y aurait qu’un léger dépassement des critères de qualité de l’air ambiant établis pour le Manitoba et le Canada. De plus, l’Agence note que le scénario modélisé est celui de « la pire éventualité raisonnable » pour une heure, alors que les lignes directrices portent sur une exposition de 24 heures, de sorte que les prévisions sont prudentes.

L’Agence reconnaît également que le processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba comprend une évaluation des effets sur la santé humaine et la qualité de l’air, et elle est d’avis que le processus d’évaluation environnementale de ce ministère répondrait adéquatement aux préoccupations.

Compte tenu de l’analyse qui précède, l’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des effets environnementaux négatifs limités sur le territoire domanial. Toutefois, ces effets et les préoccupations connexes peuvent être adéquatement pris en compte par les mesures d’atténuation et par l’évaluation environnementale provinciale. Par conséquent, l’Agence est d’avis que les effets et les préoccupations connexes ne justifient pas une désignation en vertu du paragraphe 14(2) de la LCEE de 2012.

[77] Compte tenu des passages précités de l’analyse de l’Agence, je ne crois pas que la ministre ait fait l’impasse sur certains aspects quand elle a pris sa décision. Le dossier montre que tous les éléments figuraient dans l’analyse de l’Agence dont elle disposait. Sans doute Sagkeeng est‑elle en désaccord avec l’analyse de l’Agence, que la ministre a fait sienne pour prendre sa décision, mais cela ne rend pas la décision déraisonnable.

iv. Poids accordé au régime réglementaire du Manitoba

[78] J’examinerai d’abord les arguments avancés par Sagkeeng dans ses observations écrites initiales. Je passerai ensuite aux nouvelles observations écrites de Sagkeeng et à celles présentées à l’audience à propos du poids accordé par la ministre au processus d’évaluation environnementale du Manitoba en vue d’une consultation. En particulier le fait que la ministre savait ou aurait dû savoir que le Manitoba ne consulterait pas véritablement Sagkeeng et, en conséquence, le fait que la ministre n’aurait pas dû s’en remettre au processus d’évaluation environnementale du Manitoba.

a) Les observations écrites initiales de Sagkeeng — lacunes

[79] Sagkeeng dit que, compte tenu de lacunes avérées de la proposition faite par le promoteur au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba, la ministre s’en rapporte exagérément et injustement au régime réglementaire provincial du Manitoba pour régler des aspects importants pouvant porter atteinte à des Premières Nations de la région, et en particulier à Sagkeeng. Le poids ainsi accordé par la ministre au régime provincial est déraisonnable, et la ministre a de fait abdiqué sa responsabilité et fermé les yeux sur des omissions flagrantes.

[80] À l’appui de sa thèse, Sagkeeng signale le résumé fait par l’Agence du Mémoire qui lui a été présenté par Environnement et Changement climatique Canada. Dans ses observations, Environnement et Changement climatique Canada avait relevé des lacunes dans l’évaluation du promoteur relative à la qualité de l’eau, ainsi que d’autres failles dans les observations du promoteur. Cependant, comme indiqué ci‑dessus, l’Agence, dans son analyse effective, expliquait pourquoi les failles décelées par Environnement et Changement climatique Canada n’amenaient pas l’Agence à conclure que les effets sur les poissons et leur habitat, ou les préoccupations du public liées à de tels effets, justifiaient une désignation du projet aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012). L’Agence reconnaissait aussi que le processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba comprend une évaluation des effets sur la santé humaine et la qualité de l’air, et elle était d’avis que ce processus serait à même de dissiper telles préoccupations.

[81] Et, s’agissant des gaz à effets de serre, l’analyse de l’Agence abordait aussi la question, reconnaissant que, selon Environnement et Changement climatique Canada, l’information sur les émissions générées par la niveleuse et par les voitures particulières allant et venant vers et depuis le site, ainsi que sur les émissions résultant de la consommation d’énergie électrique, ne figurait pas dans l’évaluation faite par le promoteur. Cependant, l’Agence a noté que, selon la Loi sur l’environnement du Manitoba, le décideur doit tenir compte de la quantité de gaz à effet de serre qui sera produite. Elle était donc d’avis que le processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba serait à même de répondre à ces préoccupations. Elle disait aussi croire que ces lacunes étaient mineures, pour les raisons qu’elle donnait, notamment le fait que la niveleuse est une pièce d’équipement mobile et qu’elle n’est que légèrement susceptible d’accroître les émissions. Compte tenu de son analyse, l’Agence concluait que le projet pouvait entraîner des effets environnementaux transfrontaliers négatifs restreints, sous la forme d’émissions de gaz à effet de serre, mais que ces effets transfrontaliers, et les doutes du public à ce sujet, pouvaient être éliminés grâce aux mesures d’atténuation proposées par le promoteur et grâce à l’évaluation environnementale provinciale.

[82] Bref, les informations manquantes mentionnées par Sagkeeng ont été reconnues, elles ont été jugées de nature mineure et il pouvait y être remédié à la fois avec les mesures proposées d’atténuation et avec l’évaluation environnementale provinciale.

[83] Sagkeeng signale aussi un extrait du résumé de l’analyse de l’Agence sur les vues présentées par Santé Canada appuyant l’argument de Sagkeeng selon lequel la ministre s’est fondée à tort sur le processus d’évaluation environnementale du Manitoba. Santé Canada indiquait que le projet risquait de nuire à la santé humaine, compte tenu de son examen des prévisions du promoteur de décembre 2018 quant à la qualité de l’air, et qu’il lui faudrait effectuer un examen technique complet pour être en mesure de faire une recommandation sur les risques qu’il comporte pour la santé humaine. Par la suite, cependant, l’Agence a reçu du promoteur des prédictions actualisées sur la qualité de l’air, qui montrent qu’il n’y aura que de légers dépassements aux endroits des récepteurs sensibles. L’analyse effective de l’Agence a aussi porté sur le point de vue de Santé Canada, comme indiqué dans la sous‑section 4.5.1 sur la Santé autochtone, reproduite plus haut. En somme, les dépassements ont été reconnus par l’Agence, qui a estimé qu’ils étaient faibles et qu’ils pouvaient être adéquatement résolus par des mesures d’atténuation et par le processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba.

[84] Sagkeeng dit aussi que, comme Développement durable Manitoba n’aborde pas la question des effets cumulatifs, la décision de la ministre de ne pas désigner le projet pour une évaluation environnementale au titre de la LCEE (2012) crée une situation où les pouvoirs publics n’exerceront aucune surveillance sur les effets cumulatifs du projet. Toutefois, comme indiqué plus haut, l’analyse de l’Agence a reconnu qu’une évaluation des effets cumulatifs ne serait pas entreprise en marge du processus d’évaluation environnementale de Développement durable Manitoba. Par ailleurs, Développement durable Manitoba indiquait que le développement était de très faible densité dans la région et qu’il le demeurerait dans un avenir prévisible. Et le promoteur avait effectué une analyse des effets cumulatifs axée sur les domaines de compétence fédérale. Sur la base de cette information, et après examen des commentaires de Développement durable Manitoba, du public et des collectivités autochtones, l’Agence était d’avis que les effets cumulatifs seraient limités et que le promoteur avait proposé des mesures raisonnables pour les gérer.

[85] Puisque les informations manquantes décelées par Sagkeeng ont toutes été reconnues et commentées par l’Agence, qu’elles ont été jugées de nature mineure et qu’elles seraient compensées par des mesures d’atténuation adéquates, voilà qui va à l’encontre de l’affirmation de Sagkeeng selon laquelle, au vu des lacunes constatées, la ministre s’est fiée de manière exagérée, injuste et déraisonnable au régime réglementaire provincial du Manitoba. Compte tenu des motifs de la ministre et de l’analyse de l’Agence, je ne suis pas persuadée qu’à cet égard, elle a eu tort de s’en remettre à l’évaluation environnementale du Manitoba.

b) Les nouvelles observations écrites de Sagkeeng et ses nouvelles observations faites à l’audience — poids accordé au processus d’évaluation environnementale du Manitoba pour consultation

[86] Comme indiqué ci‑dessus, j’ai fait droit à la requête de Sagkeeng en modification de ses observations écrites par suite de l’arrêt Vavilov de la Cour suprême. Cependant, Sagkeeng est allée plus loin, reformulant ses observations et y ajoutant un argument entièrement nouveau dans lequel elle soutient que la décision de la ministre était déraisonnable parce que la ministre ne s’est pas [traduction] « assurée de la tenue d’une réelle consultation » avec Sagkeeng.

[87] Ces observations ne disaient pas clairement si, selon Sagkeeng, le Canada a manqué à son obligation de consulter. Toutefois, lorsqu’il s’est exprimé devant moi, l’avocat de Sagkeeng a indiqué qu’il ne s’agit pas ici d’un cas portant sur l’obligation de consulter. Au contraire, puisque le projet porterait atteinte aux droits de Sagkeeng, ancestraux ou issus de traités, cela signifiait que la ministre était soumise à une obligation autre, qui découlait de l’honneur de la Couronne et compte tenu de la nécessité d’une réconciliation, cette obligation autre étant de s’assurer que le processus d’évaluation environnementale du Manitoba serait adéquat, en particulier au chapitre des consultations de la province avec Sagkeeng. Selon Sagkeeng, la ministre aurait dû se renseigner sur le processus de consultation du Manitoba, mais elle a plutôt choisi l’aveuglement volontaire devant les faiblesses de ce processus.

[88] Je relève d’emblée que, dans le contexte de la décision relevant du paragraphe 14(2), la ministre a pris en compte l’impact environnemental du projet sur les populations autochtones concernées, dont Sagkeeng.

[89] L’analyse de l’Agence reconnaît que le projet pourrait avoir un impact restreint sur des droits ancestraux ou issus de traités, et elle contient notamment la constatation suivante :

[traduction]

4.5.2 Usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles

L’Agence relève que le projet pourrait entraîner des effets environnementaux négatifs restreints sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, en conséquence de changements dans la disponibilité des ressources (faune et flore) et d’une perturbation sensorielle pour les espèces sauvages. Par exemple, les membres de la communauté pourraient avoir plus de difficultés à bien tirer parti de leurs activités de piégeage dans le circuit communautaire de piégeage de la Première Nation de Hollow Water se trouvant dans la zone d’étude locale. Le promoteur a désigné des mesures d’atténuation types pour la flore et la faune (par exemple remise en état progressive, lancement d’un projet de recherche agricole pour explorer des méthodes de transplantation d’espèces produisant des petits fruits), mais il n’a pas indiqué de mesures d’atténuation précises à utiliser.

L’Agence a pris connaissance des préoccupations de membres de la communauté locale, dont certains s’identifient comme membres de la Première Nation de Hollow Water, de la Première Nation Sagkeeng et de la Fédération métisse du Manitoba, qui se sont dits inquiets des effets sur les activités de piégeage et autres activités traditionnelles. Ainsi, la Fédération métisse du Manitoba a relevé que ni la province ni le promoteur ne se sont manifestés à elle ni n’ont répondu à ses lettres. Cependant, le processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences de Développement durable Manitoba considère les répercussions sur l’utilisation des terres et sur les droits ancestraux, y compris les droits issus de traités, et l’Agence est d’avis que ce processus peut répondre aux préoccupations liées à l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles.

Considérant l’analyse ci‑dessus, l’Agence est d’avis que le projet pourrait entraîner des effets négatifs sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles. Cependant, ces effets et les doutes du public et des groupes autochtones à propos de tels effets peuvent être résolus adéquatement grâce à des mesures d’atténuation et aux processus provinciaux d’évaluation environnementale et d’octroi de licences. Par conséquent, l’Agence est d’avis que ces effets et les doutes qui s’y rapportent ne justifient pas une désignation aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012).

5.2 Droits ancestraux ou issus de traités

L’Agence est d’avis que le projet pourrait avoir des répercussions sur des droits ancestraux ou issus de traités. Le projet se trouve à l’intérieur du territoire du Traité no 5 et l’Agence croit comprendre que, en vertu de la Convention sur le transfert des ressources naturelles (1930), toutes les Premières Nations du Manitoba signataires d’un traité disposent de droits d’accès aux terres domaniales inoccupées comprises dans le territoire du Traité no 5, ce qui englobe la zone du projet.

L’Agence accepte en particulier les commentaires des membres de la Première Nation de Hollow Water et ceux des membres du public, pour qui le projet pourrait nuire aux activités de piégeage menées sur le circuit de piégeage de la communauté. Elle admet aussi la préoccupation de la Fédération métisse du Manitoba, pour qui le projet contribuerait à la perte progressive et cumulative de terres permettant l’exercice de droits pour la Fédération métisse du Manitoba et autres groupes autochtones. L’Agence est d’avis que la zone susceptible d’être perturbée est relativement circonscrite et que les impacts peuvent être résolus par des mesures d’atténuation et par le processus provincial d’évaluation environnementale et d’octroi de licences.

[90] Le Mémoire en fait lui aussi état, comme en témoigne l’extrait suivant :

[traduction]

L’Agence est d’avis que le projet pourrait se répercuter sur les droits ancestraux ou issus de traités. Elle croit comprendre que Ressources minières Manitoba (ministère de la Croissance, de l’Entreprise et du Commerce) mène des consultations avec des groupes autochtones en marge des processus d’évaluation environnementale et d’approbation réglementaire. L’Agence est d’avis que le processus de consultation de la province donnera l’occasion aux groupes autochtones d’exprimer leurs préoccupations et de trouver des solutions.

[91] Ce que la ministre devait trancher, c’était la question préalable de savoir s’il fallait ou non désigner le projet aux termes du paragraphe 14(2). Le critère applicable en l’occurrence est énoncé dans ce paragraphe 14(2), à savoir : la ministre est‑il d’avis que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou que les préoccupations du public concernant les effets environnementaux négatifs que l’exercice de l’activité peut entraîner le justifient?

[92] Les alinéas 5(1)a), b) et c) de la LCEE (2012) énumèrent, pour l’application de cette loi, les effets environnementaux qui doivent être pris en compte à l’égard d’une activité concrète ou d’un projet désigné. L’alinéa 5(1)c) concerne, s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, en matière sanitaire et socioéconomique, sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel, sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, ou sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

[93] L’Agence a demandé l’avis de neuf groupes autochtones, dont Sagkeeng, et autres organismes, sur le projet proposé. Son analyse porte explicitement sur chacun des sujets évoqués au paragraphe 5(1) : les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, le territoire domanial, les répercussions sur les peuples autochtones (santé autochtone, usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, emplacements d’importance), autres considérations prenant la forme d’effets cumulatifs, droits ancestraux ou conférés par traité, application du Règlement LCEE et la pertinence du processus provincial d’évaluation environnementale. Se fondant sur l’analyse de l’Agence et sur le Mémoire, la ministre a décidé de ne pas désigner le projet aux termes de la LCEE (2012).

[94] L’analyse de l’Agence aborde directement aussi la pertinence du processus provincial d’évaluation environnementale :

[traduction]

5.4 Caractère adéquat du processus provincial d’évaluation environnementale

L’Agence prend acte de la préoccupation exprimée par les membres du public et par les groupes autochtones à propos de la pertinence du processus provincial d’évaluation environnementale conduit par Développement durable Manitoba. Cependant, l’Agence croit comprendre que ce processus envisage un large éventail d’effets environnementaux dans des domaines de compétence fédérale ou de compétence partagée, notamment les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, la qualité de l’air, y compris les émissions de gaz à effet de serre, l’usage de terres à des fins traditionnelles, la santé humaine, les ressources patrimoniales et les droits issus de traités. Elle note aussi que le processus provincial d’évaluation environnementale prévoyait une participation du public et la tenue de consultations avec les groupes autochtones. L’Agence est d’avis que le processus provincial est à même de corriger les effets environnementaux potentiels de ce projet dans les domaines de compétence fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[95] L’analyse de l’Agence précise aussi que le projet est soumis à une évaluation environnementale provinciale sous le régime de la Loi sur l’environnement de la province et qu’il nécessiterait aussi des permis et des autorisations aux termes de deux lois provinciales, la Loi sur les terres domaniales et la Loi sur les incendies échappés, ainsi qu’une licence de captation des eaux pour l’utilisation des eaux souterraines. En outre, dans son sommaire des vues exprimées par Développement durable Manitoba, l’analyse de l’Agence précise que Développement durable Manitoba a relevé que les préoccupations seront examinées à la faveur du processus provincial d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, à l’exception des effets cumulatifs.

[96] Dans sa lettre de décision, la ministre dit qu’elle croyait comprendre que Sagkeeng avait fait part de ses doutes à Développement durable Manitoba à l’occasion d’une période de consultation publique, que la Division des ressources minières du Manitoba (Direction des mines) conduisait les consultations de la Couronne rattachées au processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, et que la Direction des mines avait invité Sagkeeng à exprimer ses doutes concernant le projet. Je note que la ministre ne dit rien de l’état actuel des consultations du Manitoba.

[97] Sagkeeng conteste l’emploi, dans la décision de la ministre, de l’expression [traduction] « croit comprendre ». La Première Nation dit que rien n’autorise la ministre à présumer que le Manitoba conduirait des consultations. En outre, cette présomption est réfutée par le fait que la licence a été délivrée le 16 mai 2019, la veille du jour où la ministre a pris sa décision, le 17 mai 2019.

[98] Sagkeeng dit aussi que la ministre s’est totalement fourvoyée en concluant que le processus d’évaluation environnementale du Manitoba en était à ses premiers stades. La Première Nation en veut pour preuve la sous‑section 4.5.3 de l’analyse de l’Agence, « emplacements d’importance », où l’on peut lire notamment que [traduction] « [l]’Agence croit comprendre que Ressources minières Manitoba (le responsable provincial des consultations) a indiqué avoir envoyé à la Fédération métisse du Manitoba, au début de mars 2019, une invitation à participer au processus d’évaluation environnementale et d’approbation réglementaire, et que le processus de consultation du Manitoba en était à ses premiers stades ». Selon Sagkeeng, bien que le dossier précise que la ministre croyait comprendre que le processus de consultation en était à ses premiers stades, la licence révèle que le processus d’évaluation du Manitoba s’est terminé le jour précédant la décision de la ministre. La ministre savait donc, ou aurait dû savoir, que les consultations du Manitoba étaient inexistantes ou inadéquates, et elle n’aurait donc pas dû se fier au processus de consultation du Manitoba.

[99] Je n’ai toutefois pas la preuve que la ministre savait que la licence avait été délivrée quand elle a pris sa décision le 17 mai 2019. La licence ne figure pas dans le DCT, pour lequel le vice‑président des Opérations de l’Agence certifie que les documents contenus dans le DCT sont les documents en la possession de la ministre qui intéressent les points soulevés dans l’avis de demande. Sagkeeng dit que, puisque la Cour est fondée à présumer que la ministre, en tant que décideur administratif, a tenu compte de l’intégralité du dossier dont elle disposait, elle doit aussi présumer que la ministre connaissait, ou aurait dû connaître, l’information connexe, en l’occurrence la délivrance de la licence. On peut donc déduire de cette présomption que la ministre savait, au moment de prendre sa décision, qu’il n’y aurait pas de consultation de la part du Manitoba.

[100] Sagkeeng ne cite aucun précédent permettant d’affirmer que la Cour doit présumer que la ministre avait connaissance d’informations ne figurant pas dans le DCT et, selon moi, cet argument est mal fondé. Autrement, tout décideur administratif serait présumé, au moment de prendre une décision, avoir connaissance de toute information qu’un requérant jugeait nécessaire pour son dossier.

[101] Sagkeeng affirme aussi que la ministre est responsable de son personnel et qu’il incombait à l’Agence de porter à son attention la délivrance de la licence, laquelle aurait dû figurer dans le dossier quand elle a pris sa décision. Sur ce point, je relève que l’analyse de l’Agence, sur laquelle la décision est fondée, est datée d’avril 2019, et que le Mémoire est daté du 25 avril 2019. Les deux documents sont antérieurs à la licence. On ne m’a pas non plus soumis de preuve que l’Agence a appris la délivrance de la licence la veille du jour où la ministre a pris sa décision. Qui plus est, même si, avant de prendre sa décision, la ministre croyait comprendre que le processus d’évaluation environnementale du Manitoba était en cours, le fait que la licence ait été délivrée la veille de sa décision ne prouve pas qu’aucune consultation n’avait eu lieu dans processus du Manitoba. Sagkeeng dit qu’il est établi qu’aucune consultation n’était menée, mais, pour cela, elle ne s’appuie que sur sa déclaration dans la lettre de janvier répondant à l’invitation que lui avait faite l’Agence d’exprimer ses vues sur l’opportunité de désigner le projet. Dans cette lettre, Sagkeeng écrivait qu’aucune consultation n’avait été engagée avec elle, alors même que le projet était situé dans le territoire traditionnel de la Première Nation, où ses membres exercent leurs droits, ancestraux ou issus de traités, de chasser, de pêcher et de récolter. Cela ne prouve pas cependant qu’il n’y a pas eu de consultations plus tard avec le Manitoba.

[102] La décision de la ministre montre qu’elle croyait comprendre que Sagkeeng avait fait part de ses préoccupations à Développement durable Manitoba au cours d’une période de consultation publique. Cette entité conduisait les consultations de la Couronne liées au processus d’évaluation environnementale et d’octroi de licences, et elle avait invité Sagkeeng à dire ce qu’elle pensait du projet.

[103] Sagkeeng ne prétend pas que le Manitoba ne l’a pas invitée à exprimer ses préoccupations à propos du projet ni qu’elle n’a pas donné suite à l’invitation du Manitoba en ce sens. La Première Nation dit que le processus du Manitoba a été conclu rapidement et que, si les consultations s’étaient étalées sur une année, alors la ministre aurait sans doute été justifiée de s’en remettre au processus du Manitoba. Essentiellement, Sagkeeng est d’avis que ses interactions avec le Manitoba n’ont pas eu la portée que, selon la Première Nation, elles auraient dû avoir.

[104] Cependant, c’est à Sagkeeng qu’il appartient de montrer que la décision de la ministre est déraisonnable. À cet égard, il était loisible à la Première Nation de contester la solidité du contenu du DCT, de faire connaître en temps opportun les communications qu’elle avait eues avec le Manitoba, et les réponses du Manitoba, ou de prouver que le Manitoba avait refusé toute interaction avec Sagkeeng avant que la ministre prenne sa décision. Sagkeeng ne l’a pas fait et ne s’est donc pas acquittée de son obligation à ce chapitre.

[105] Selon moi, il s’agit en définitive de savoir s’il y a eu de réelles consultations de la part du Manitoba. Sagkeeng peut à cet égard exercer tout recours à sa disposition pour contester un manquement du Manitoba à son obligation de consulter. La Première Nation ne prétend pas que le Canada a manqué à son obligation de consulter. Et, bien qu’il ne fasse aucun doute que l’honneur de la Couronne entre en jeu lorsque le Canada traite avec les peuples autochtones, les arguments de la Première Nation ne m’ont pas persuadée qu’il faut en l’occurrence en conclure que la ministre avait une nouvelle obligation, fondée sur l’honneur de la Couronne, de « s’enquérir », de « faire des démarches raisonnables » ou de vérifier par ailleurs si les consultations du Manitoba étaient adéquates avant de prendre sa décision. D’ailleurs, le raisonnement de Sagkeeng signifierait que la ministre ne serait pas apte à se prononcer sur la désignation du projet aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) tant que le Manitoba n’a pas achevé son processus d’évaluation environnementale — y compris le processus de consultations et la fixation de conditions de licence aux fins d’atténuation — la ministre étant alors tenue d’évaluer ce processus pour dire si, selon elle, il est adéquat.

[106] Sagkeeng dit qu’elle ne prétend pas que la ministre devait surveiller le processus d’évaluation environnementale du Manitoba, y compris le processus de consultation, mais que, si la ministre s’en remettait à ce processus, elle était tenue de veiller à ce qu’il soit conduit de manière raisonnable. Plus exactement, puisque la ministre [traduction] « se portait garante » du processus du Manitoba, elle devait prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que le poids qu’elle accordait à ce processus était justifié. Selon moi, c’est là une distinction qui n’implique aucune différence. Par ailleurs, en l’absence de toute preuve intéressant le processus de consultation du Manitoba, on ne saurait dire que la ministre a eu tort de s’en remettre à lui.

[107] En fait, même si la ministre avait eu connaissance de la délivrance de la licence, cela n’établit pas qu’aucune consultation n’avait déjà eu lieu ou qu’elle s’accorderait avec la Première Nation pour dire que le processus de consultation du Manitoba n’était pas adéquat ou que les préoccupations de la Première Nation n’étaient pas suffisamment prises en compte par les mesures d’atténuation du promoteur, les conditions de la licence ou les dispositions réglementaires applicables.

[108] En résumé, selon Sagkeeng, la ministre a commis une erreur factuelle fondamentale en affirmant que le processus d’évaluation environnementale du Manitoba en était à ses premiers stades quand, en réalité, il était achevé lorsque la ministre a pris sa décision. Sagkeeng affirme donc que la ministre s’est à tort fondée sur le processus d’évaluation environnementale du Manitoba alors qu’elle savait ou aurait dû savoir que le Manitoba n’avait engagé, ni n’engagerait, aucune consultation. Je ne puis admettre l’argument selon lequel, si la ministre ignorait que la licence avait été délivrée, alors cela suffit à rendre sa décision déraisonnable. D’ailleurs, il n’est pas établi que la ministre savait que la licence avait été délivrée. Il n’est pas établi non plus que les préoccupations de Sagkeeng n’ont pas été étudiées de quelque manière par le Manitoba avant la délivrance de la licence. La qualité de ces consultations est une question distincte. Et, puisque Sagkeeng ne prétend pas que la ministre avait une obligation de consulter avant de décider de désigner ou non le projet, je ne suis pas persuadée non plus que, parce que l’un des facteurs dont elle a tenu compte pour prendre sa décision concernait les effets environnementaux sur les droits ancestraux ou issus de traités, cela fait intervenir l’honneur de la Couronne de sorte que la ministre était soumise à une nouvelle obligation, celle de se renseigner sur le processus de consultation du Manitoba.

[109] Avant de passer au point suivant, je relève que, dans ses arguments écrits, Sagkeeng se réfère au document de politique générale et d’orientation intitulé Désigner un projet en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale 2012, une directive que l’Agence dit, dans le Mémoire, avoir pris en compte. Ce document précise, entre autres, que, pour l’élaboration de recommandations à faire au ministre, l’Agence tiendra compte, selon le cas, de plusieurs aspects, notamment la question de savoir si les effets négatifs potentiels peuvent être gérés de manière adéquate dans le cadre d’autres processus législatifs ou réglementaires en vigueur, et la question de savoir si une évaluation des effets environnementaux pourrait être menée par une autre instance. Cela ne veut pas dire que la ministre ne pouvait pas se fonder sur le processus d’évaluation environnementale du Manitoba, en particulier dans un cas comme celui‑ci, où le projet est situé sur des terres domaniales provinciales, est soumis à une évaluation environnementale et aux licences connexes en vertu de la Loi sur l’environnement du Manitoba et autres processus provinciaux d’autorisation réglementaire, et qu’aucune licence ou autorisation fédérale n’est requise. Les défendeurs font aussi observer que l’un des objets déclarés de la LCEE (2012) est de promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux et la coordination de leurs activités en matière d’évaluation environnementale (LCEE (2012), alinéa 4(1)c)).

[110] Les parties n’ont renvoyé la Cour à aucun précédent ni avancé d’arguments expliquant l’interaction des rôles d’organismes fédéraux et provinciaux de sorte qu’il en résulterait un chevauchement d’évaluations environnementales et une situation où la Couronne fédérale autoriserait la Couronne provinciale à prendre la responsabilité d’une évaluation environnementale, comme c’était le cas en l’espèce. En outre, puisque Sagkeeng ne prétend pas que le Canada avait une obligation de consulter ou a manqué à cette obligation, il ne s’agit pas non plus ici d’un cas où se pose la question de l’interaction des obligations distinctes, fédérale et provinciale, de consulter à propos du déroulement d’évaluations environnementales.

[111] Sagkeeng affirme aussi que, lorsque la ministre a pris connaissance de la licence, elle aurait dû réexaminer sa décision. Cependant, il n’est pas établi que la Première Nation l’a priée de le faire ou, comme indiqué plus haut, que le Manitoba s’est abstenu d’entreprendre une forme ou une autre de consultation.

[112] Quand elle a comparu devant moi, Sagkeeng a affirmé aussi que la ministre a commis une erreur factuelle fondamentale en faisant sienne l’opinion erronée du promoteur selon laquelle l’emplacement du projet n’entrait pas dans le territoire traditionnel de Sagkeeng. Cependant, ce point n’est pas confirmé par le dossier dont je dispose. L’analyse de l’Agence dit que le projet se situe à l’intérieur du territoire du Traité no 5 et qu’en vertu de la Convention sur le transfert des ressources naturelles avec le Manitoba, d’autres groupes visés par un traité ont également des droits d’accès aux terres domaniales inoccupées comprises dans le Traité no 5, y compris à la zone du projet. L’Agence a indiqué qu’elle avait considéré les neuf groupes autochtones énumérés comme ayant des droits ou des usages ancestraux à l’intérieur de la zone du projet, et Sagkeeng (Traité no 1) figurait dans cette liste. L’Agence a demandé le point de vue de Sagkeeng sur la désignation du projet.

Le pouvoir discrétionnaire de la ministre

[113] S’agissant du pouvoir discrétionnaire de la ministre de décider de l’opportunité de désigner ou non un projet aux termes du paragraphe 14(2) de la LCEE (2012), Sagkeeng dit que, bien que la disposition soit formulée de manière à accorder un pouvoir discrétionnaire, l’exercice par la ministre de son pouvoir discrétionnaire doit être éclairé, et il pourrait bien être restreint par l’article 35 de la Constitution. Le pouvoir discrétionnaire de la ministre n’est pas absolu.

[114] Les facteurs que la ministre doit prendre en compte quand elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 14(2) de la LCEE (2012) sont de savoir si, à son avis, l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs, ou si les préoccupations du public concernant les effets environnementaux négatifs peuvent justifier la désignation du projet. L’alinéa 5(1)c) énumère les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une activité concrète, s’agissant des peuples autochtones. Ce sont les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas : en matière sanitaire et socio‑économique, sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel, sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, ou sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural. Comme indiqué plus haut, l’analyse de l’Agence abordait chacune de ces considérations, ainsi que les considérations énumérées aux alinéas 5(1)a) et b).

[115] Il est vrai que le pouvoir discrétionnaire de la ministre n’est pas absolu. Toutefois, la ministre a tenu compte de tous les facteurs de l’article 5, et plus généralement des répercussions sur les droits issus de traités, et elle avait effectivement le pouvoir de mesurer ces facteurs pour prendre sa décision. Le paragraphe 14(2) n’oblige pas la ministre à désigner un projet dans le cas où des effets environnementaux sont décelés. Sagkeeng n’a pas développé davantage son affirmation générale selon laquelle l’exercice par la ministre de son pouvoir discrétionnaire doit être éclairé, et pourrait même être restreint par l’article 35 de la Constitution dans le contexte de la présente affaire.

[116] En exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 14(2), la ministre était persuadée que le contexte factuel, les mesures d’atténuation proposées par le promoteur, les mécanismes réglementaires fédéral et provincial — y compris l’évaluation environnementale du Manitoba — suffisaient à atténuer les effets environnementaux négatifs sur le territoire domanial. En outre, le régime législatif oriente les approches acceptables en matière de prise de décisions, y compris dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Vavilov, au paragraphe 108). Selon moi, la ministre a raisonnablement exercé son pouvoir.

[117] Sagkeeng affirme aussi que la réconciliation avec les Premières Nations oblige la ministre à faire davantage que simplement présumer que le Manitoba se chargera du processus de consultation. Cependant, il est clair que la ministre a réfléchi à cet aspect. Elle était persuadée que le processus d’évaluation environnementale du Manitoba était assez large pour répondre à toutes les préoccupations de Sagkeeng et elle s’est dite satisfaite de la confirmation du Manitoba que la province répondrait auxdites préoccupations. Même si, de l’avis de Sagkeeng, ce processus n’était pas adéquat, c’est à la province que la Première Nation doit demander des comptes.

[118] Selon la Première Nation, la ministre ne s’est pas assurée qu’elle avait été suffisamment consultée dans le processus d’évaluation environnementale du Manitoba, ce à quoi s’ajoutent les erreurs fondamentales évoquées plus haut, et tout cela constitue, d’après elle, une [traduction] « lacune fondamentale » entachant l’analyse qu’a faite la ministre du paragraphe 14(2). Je ne partage pas cet avis. Comme indiqué plus haut, la ministre a pris en compte tous les facteurs requis par les alinéas 5(1)a), b) et c) de la LCEE (2012) quand elle a pris sa décision.

Dispositif

[119] Après examen de la décision de la ministre, et du dossier dont elle disposait quand elle a pris cette décision, je suis d’avis que sa décision était justifiée, transparente et intelligible, et par conséquent raisonnable. La décision était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie (Vavilov, aux para 85, 105). La ministre ne s’est pas fondamentalement méprise sur la preuve dont elle disposait et elle n’a pas manqué d’en rendre compte (Vavilov, au para 126).

[120] Eu égard à son expertise et aux facteurs qu’il a pris en compte pour arriver à sa décision discrétionnaire de ne pas désigner le projet pour une évaluation environnementale aux termes de la LCEE (2012), il était raisonnable pour la ministre de se fonder en partie sur le fait que le Manitoba procéderait à une évaluation environnementale du projet conformément à la Loi sur l’environnement du Manitoba, notamment à des consultations. Il n’est pas établi que la ministre savait que la licence avait été délivrée avant qu’elle prenne sa décision ou que, avant sa décision, le Manitoba n’avait pas engagé une forme ou une autre de consultation avec Sagkeeng. Dans la mesure où Sagkeeng est d’avis que le processus de consultation était inadéquat et que le Manitoba a manqué à son obligation de la consulter dans le cadre de ce processus, il appartient alors à la Première Nation de contester le processus entrepris par le Manitoba.

Dépens

[121] Les arguments écrits des défendeurs préconisent une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire, avec dépens. Les défendeurs disent que, dans un souci d’efficacité, et en reconnaissance du fait qu’aucune mesure extraordinaire n’a été prise dans cette affaire, si des dépens sont accordés, ils devraient être fixés à la somme forfaitaire de 1 800 $, y compris les débours, selon la fourchette inférieure de la colonne III du Tarif B. Sagkeeng n’a pas présenté d’argument sur le quantum des dépens. Selon moi, la proposition des défendeurs est raisonnable, et j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire selon l’article 400 des RCF, en adjugeant les dépens selon la somme demandée.


JUGEMENT dans le dossier T‑980‑19

LA COUR STATUE que :

  1. Est refusée à Sagkeeng, en application de l’article 312 des RCF, l’autorisation de signifier et déposer un affidavit supplémentaire, à savoir l’affidavit du chef Derrick Henderson, souscrit le 17 mars 2012;

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  3. Les défendeurs ont droit à la somme forfaitaire de 1 800 $, tout compris, à titre de dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


Annexe A

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« projet désigné » s’entend d’une ou de plusieurs activités concrètes :

a) exercées au Canada ou sur un territoire domanial;

b) désignées soit par le règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), soit par arrêté pris par la ministre en vertu du paragraphe 14(2);

c) liées à la même autorité fédérale selon ce qui est précisé dans ce règlement ou cet arrêté.

Sont comprises les activités concrètes qui leur sont accessoires. (designated project)

évaluation environnementale Évaluation des effets environnementaux d’un projet désigné effectuée conformément à la présente loi. (environmental assessment)

effets environnementaux Les effets environnementaux prévus à l’article 5. (environmental effects)

4 (1) La présente loi a pour objet :

a) de protéger les composantes de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement contre tous effets environnementaux négatifs importants d’un projet désigné;

b) de veiller à ce que les projets désignés dont la réalisation exige l’exercice, par une autorité fédérale, d’attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi soient étudiés avec soin et prudence afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants;

c) de promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux et la coordination de leurs activités en matière d’évaluation environnementale;

d) de promouvoir la communication et la collaboration avec les peuples autochtones en matière d’évaluation environnementale;

e) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative à l’évaluation environnementale;

f) de veiller à ce que l’évaluation environnementale soit menée à terme en temps opportun;

g) de veiller à ce que soient étudiés avec soin et prudence, afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants, les projets au sens de l’article 66 qui sont réalisés sur un territoire domanial, qu’une autorité fédérale réalise à l’étranger ou pour lesquels elle accorde une aide financière en vue de leur réalisation à l’étranger;

h) d’inciter les autorités fédérales à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

i) d’encourager l’étude des effets cumulatifs d’activités concrètes dans une région et la prise en compte des résultats de cette étude dans le cadre des évaluations environnementales.

(2) Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada, la ministre, l’Agence, les autorités fédérales et les autorités responsables doivent exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de précaution.

5 (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :

a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci‑après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,

(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,

(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,

(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;

b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(i) sur le territoire domanial,

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,

(iii) à l’étranger;

c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(i) en matière sanitaire et socio‑économique,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

14 (1) Tout projet désigné qui comprend une activité désignée en vertu du paragraphe (2) doit faire l’objet d’une évaluation environnementale.

(2) La ministre peut, par arrêté, désigner toute activité concrète qui n’est pas désignée par règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), si elle est d’avis que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou que les préoccupations du public concernant les effets environnementaux négatifs que l’exercice de l’activité peut entraîner le justifient.

(3) Il peut demander à quiconque de lui fournir des renseignements relativement à toute activité concrète qui peut être désignée en vertu du paragraphe (2).

(4)

18 L’autorité responsable à l’égard d’un projet désigné ou, s’il a renvoyé au titre de l’article 38, l’évaluation environnementale du projet désigné pour examen par une commission, la ministre est tenu d’offrir de consulter toute instance visée à l’un des alinéas c) à h) de la définition de instance au paragraphe 2(1) qui a des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux du projet et de coopérer avec elle, à l’égard de l’évaluation environnementale du projet.

84 La ministre peut, par règlement :

a) pour l’application de la définition de projet désigné au paragraphe 2(1), désigner une activité concrète ou une catégorie d’activités concrètes et préciser, pour chaque activité ou catégorie ainsi désignée, à laquelle des autorités fédérales ci‑après elle est liée :

(i) la Commission canadienne de sûreté nucléaire,

(ii) l’Office national de l’énergie,

(iii) toute autorité fédérale exerçant des fonctions de réglementation et pouvant tenir des audiences publiques prévue par règlement pris en vertu de l’alinéa 83b),

(iv) l’Agence;

Règlement désignant les activités concrètes

2 Pour l’application de l’alinéa b) de la définition de « projet désigné » au paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), les activités concrètes sont celles prévues à l’annexe.

3 Pour l’application de l’alinéa 58(1)a) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), les activités concrètes sont celles prévues à l’annexe et celles désignées par la ministre en vertu du paragraphe 14(2) de cette loi.

ANNEXE

(Articles 2 à 4)

Activités concrètes

16 La construction, l’exploitation la désaffectation et la fermeture :

g) d’une nouvelle carrière de pierre, de gravier ou de sable d’une capacité de production de 3 500 000 t/an ou plus.

17 L’agrandissement :

g) d’une carrière de pierre, de gravier ou de sable existante qui entraînerait une augmentation de l’aire d’exploitation minière de 50 % ou plus et une capacité de production totale de 3 500 000 t/an ou plus.

J’observe en passant que la LCEE (2012) a été abrogée le 28 août 2019 en même temps qu’entrait en vigueur la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑980‑19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION SAGKEENG c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR LA PLATEFORME ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Kate Kempton

Corey B. Shefman

 

POUR LA demanderesse

 

Kyla Pedersen

 

POUR LES défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olthuis Kleer Townshend s.r.l.

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES défendeurs

 

 

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