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Date : 20210608


Dossier : T‑742‑20

Référence : 2021 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

THOMAS PELLETIER

 

demandeur

et

LA PREMIÈRE NATION DE FORT WILLIAM,

REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF ET SON CONSEIL

 

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant un règlement administratif pris par le conseil de la Première Nation de Fort William [la PNFW] en réponse à la pandémie de COVID‑19. La demande est présentée par l’un de ses membres, M. Pelletier.

[2] Le conseil de la PNFW a pris et publié trois règlements administratifs pour lutter contre la pandémie et protéger les membres de la Première Nation.

[3] Le règlement no 1 a été pris le 3 avril 2020. Il visait à restreindre l’accès à la réserve en définissant le terme [traduction] « intrus » et en imposant un couvre‑feu qui limitait l’entrée des personnes non autorisées entre 18 h et 6 h.

[4] Le règlement no 2 a été pris le 9 avril 2020. Il définissait également le terme [traduction] « intrus » et restreignait l’entrée et l’accès à la réserve par des personnes non autorisées.

[5] Le règlement no 3 a été pris le 1er mai 2020. Il définissait aussi le terme [traduction] « intrus » et prévoyait la réouverture progressive de la réserve.

[6] Les règlements no 1 et no 3 demeurent en vigueur, mais le règlement no 2 a été abrogé le 5 mai 2020 à compter de 8 h, après l’entrée en vigueur du règlement no 3.

[7] La présente demande a été déposée le 13 juillet 2020 et ne vise que le règlement no 2, bien qu’à cette date, celui‑ci était abrogé et les deux autres règlements étaient en vigueur.

[8] Dans sa demande, M. Pelletier sollicite un jugement déclarant que le règlement no 2 [traduction] « est invalide et non exécutoire ». Plus précisément, il soutient que la PNFW n’a pas compétence pour déterminer ce qui constitue une intrusion et que, par conséquent, [traduction] « le règlement no 2 outrepasse les compétences du chef et du conseil et a été pris de façon illégale et inappropriée ». De plus, il soutient que les dispositions pénales du règlement no 2 [traduction] « relatives à l’infraction d’intrusion contredisent directement la peine maximale pour un acte d’intrusion prévue à l’article 30 de la Loi sur les Indiens, et outrepassent donc les compétences ».

[9] La PNFW soutient que la présente demande est théorique, parce que le règlement contesté a été abrogé avant l’introduction de la demande, et ajoute que, quoi qu’il en soit, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire.

[10] Les parties ont reçu comme directive d’aborder en premier lieu la question du caractère théorique de la demande lors de l’audition de la présente affaire.

[11] Le droit applicable à cette question est celui de l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski]. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada énonce qu’il faut suivre un processus en deux étapes. Le tribunal doit d’abord se demander « si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique ». Si tel est le cas, le tribunal doit décider, malgré le caractère théorique de l’affaire, s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire.

[12] Pour déterminer s’il y a lieu ou non d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire à caractère théorique, la Cour suprême suggère de tenir compte de trois facteurs : l’économie des ressources judiciaires, le rôle que doit jouer le tribunal et l’existence d’un contexte contradictoire.

[13] M. Pelletier soutient que, malgré l’abrogation du règlement no 2, il existe un litige actuel entre lui et la PNFW. Il s’appuie sur l’observation faite au paragraphe 31 de l’arrêt Borowski, qui mentionne que, « même si la partie qui a engagé des procédures en justice n’a plus d’intérêt direct dans l’issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire ». Selon lui, si la présente demande est tranchée sur le fond, la Cour se prononcera sur la question de savoir si la PNFW peut définir le terme [traduction] « intrus » comme elle l’a fait et si elle peut imposer des peines supérieures à celles prévues par la Loi sur les Indiens. Puisque les règlements no 1 et no 3 existent toujours et que, tout comme le règlement no 2, ils comportent ces problèmes, M. Pelletier affirme que la question n’est pas encore tranchée. Je ne suis pas d’accord.

[14] Le passage cité dans l’arrêt Borowski indique clairement qu’une conséquence accessoire découle directement de la disposition abrogée. En citant l’arrêt Vic Restaurant Inc v City of Montreal, [1959] SCR 58, l’arrêt Borowski donne un exemple de conséquence accessoire pertinente :

Après la vente du restaurant pour lequel on demandait le renouvellement du permis d’exploitation et de vente de boissons alcooliques, il n’était plus possible de délivrer le mandamus relatif au permis. Néanmoins, subsistaient des poursuites contre l’appelante pour infraction au règlement municipal que visait l’action en justice. La détermination de la validité du règlement avait des conséquences accessoires pour l’appelante et lui donnait l’intérêt requis pour agir qu’autrement elle n’aurait pas eu.

[15] La preuve dont je dispose dans le cadre de la présente demande indique que personne, y compris M. Pelletier, n’est visé par une accusation ou une peine en suspens de quelque nature que ce soit résultant de l’application du règlement no 2. Il n’y en avait pas non plus au moment où la présente demande a été déposée.

[16] Je n’accepte pas l’argument selon lequel le fait de rendre une décision sur les contestations soulevées à l’égard du règlement no 2 aura une incidence sur le litige entre ces parties concernant les deux autres règlements. Il n’est pas évident qu’il y ait un tel litige. Il convient de souligner que M. Pelletier aurait pu contester les trois règlements lorsque la présente demande a été déposée, mais qu’il a choisi de ne pas le faire. Je suis d’accord avec la description donnée par les avocats de la PNFW, à savoir que M. Pelletier tente maintenant de contester indirectement ces règlements, alors qu’une contestation directe est la voie de recours appropriée. Il n’y a aucune question à trancher entre ces parties en ce qui concerne les autres règlements, puisqu’ils ne sont pas contestés dans le cadre de la présente instance ou de toute autre instance.

[17] L’économie des ressources judiciaires est un facteur très pertinent en l’espèce. L’audition d’affaires à caractère théorique signifie nécessairement que d’autres seront retardées. Il s’agit d’une question d’accès à la justice. La présente demande devait faire l’objet d’une audience de deux jours. M. Pelletier laisse entendre que l’utilisation du temps de la Cour pour la présente demande est justifiée, parce que les questions soulevées [traduction] « sont de la plus haute importance pour les bandes autochtones du Canada ainsi que pour les membres de ces bandes ». Aucune preuve n’est fournie à l’appui de cette simple affirmation. De toute façon, les questions qu’il soulève et les décisions qu’il demande de rendre dépendront en grande partie du libellé même du règlement pris. Par conséquent, la question qu’il soulève ne présente qu’un intérêt théorique.

[18] Enfin, je suis d’accord avec la PNFW pour dire que, étant donné le caractère théorique de l’affaire, le fait d’aborder les questions soulevées dans la présente demande dénaturerait le rôle que doit jouer le tribunal. Je souscris à l’observation de la juge McVeigh dans la décision Cheecham c Fort McMurray #468 Première Nation, 2020 CF 471, au paragraphe 41, selon laquelle la Cour rendrait un jugement qui empiéterait sur la compétence législative d’un conseil de bande si elle accédait à la demande de M. Pelletier, alors que le « rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire n’est pas de créer des précédents de nature générale pour régir les interactions futures, mais plutôt d’examiner les décisions faisant l’objet du contrôle ».

[19] Pour ces motifs, la présente demande devra être rejetée, car elle est théorique, et la Cour n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire.

[20] La PNFW a droit aux dépens. Les parties ont convenu que des dépens fixés à 4 000 $ seraient raisonnables. Je suis d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑742‑20

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et que la défenderesse a droit aux dépens, lesquels sont fixés à 4 000 $.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑742‑20

 

INTITULÉ :

THOMAS PELLETIER c LA PREMIÈRE NATION DE FORT WILLIAM, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF ET SON CONSEIL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge Zinn

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 8 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Brian R. Maclvor

Eric P. Zablotny

 

Pour le demandeur

Jessica Duarte Alves

Robert Miault

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacIvor Scrimshaw Nelson LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

Pour le demandeur

Buset LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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