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Date : 20210609


Dossier : IMM-1839-20

Référence : 2021 CF 580

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

FANNY MUSENGE EFOSI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 février 2020, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a confirmé le refus de sa demande d’asile au motif qu’elle n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, ch 27 (la LIPR).

[2] Pour les motifs ci-dessous, la Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[3] La demanderesse, une citoyenne du Cameroun, demande l’asile, car elle prétend être exposée à une menace à sa vie ou à un risque de préjudice grave aux mains des autorités et de la société au Cameroun en raison de son orientation sexuelle, puisqu’elle est lesbienne.

[4] La demanderesse allègue s’être rendu compte de son homosexualité durant son adolescence, et avoir commencé sa première relation avec une femme en 2010, à l’âge de 22 ans. Cédant aux pressions exercées par sa famille en ce sens, elle a plus tard été en couple avec un homme, dont elle a eu un enfant en 2013. Pendant ce temps, la relation avec la première amie de cœur se serait poursuivie. Puis, en avril 2015, la sœur de cette amie de cœur a dévoilé le secret de sa relation avec la demanderesse. Cette dernière a été arrêtée, puis libérée six jours plus tard, sous caution et avec la condition de se présenter aux autorités. La garde de sa fille a également été confiée à la mère de la demanderesse. La demanderesse affirme avoir été torturée et violée pendant sa détention.

[5] Elle a ajouté que, par crainte d’être jetée en prison, elle n’avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté sous caution. Elle se serait cachée chez la famille de son cousin à Yaoundé, où elle affirme n’avoir eu aucun contact avec sa fille avant son départ du Cameroun. Après son départ du pays, la demanderesse a appris qu’elle était visée là-bas par un mandat d’arrestation non exécuté, dont elle a obtenu copie, et qu’elle a déposé en preuve. Grâce à des plans élaborés par sa mère et avec l’aide d’un agent, la demanderesse a quitté le pays en septembre 2015 en direction du Canada.

[6] En novembre 2015, elle a demandé l’asile au Canada. Le mois suivant, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a déposé des éléments de preuve tirés de la page Facebook de la demanderesse qui attestaient les activités qu’elle avait eues avec sa fille et sa famille ainsi que la présence d’un grand groupe de personnes venues lui souhaiter bon voyage à l’aéroport de Douala, le tout pendant la période où elle disait vivre dans la clandestinité. En septembre 2016, la demanderesse a épousé une femme au Canada. Elle a modifié sa demande d’asile le 12 avril 2018. Plus tard au cours du mois, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a tenu une audience sur la demande, audience qui a repris en août 2018.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse pour manque de crédibilité en se fondant principalement sur sa conclusion selon laquelle que la demanderesse s’était appuyée sur des documents officiels bilingues frauduleux, à savoir le mandat d’arrestation et un certificat médico‑légal. La demanderesse a témoigné que sa mère avait envoyé les documents depuis le Cameroun, et que ces documents comprenaient, en plus du mandat d’arrestation et du certificat médico-légal, trois affidavits et une lettre notariée d’un avocat du Cameroun. Par la suite, la SAR a conclu au caractère frauduleux du mandat d’arrestation, et c’est cette conclusion principale sur la crédibilité qui se trouve au cœur de la présente décision de la Cour.

[8] La seule question qui préoccupe la Cour consiste à savoir s’il était raisonnable, pour la SAR, de conclure que le mandat d’arrestation était frauduleux, et qu’il s’agissait là d’une conclusion principale sur la crédibilité. L’allégation de la demanderesse quant à son défaut de comparaître après avoir été libérée sous caution et au mandat d’arrestation émis par la suite pour violation des conditions de mise en liberté et homosexualité représente la preuve fondamentale à l’appui de sa raison de fuir, et donc de sa demande d’asile.

[9] Selon le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse servant à déterminer la norme de contrôle applicable repose sur la présomption qu’une décision contestée est raisonnable. Le rôle d’une cour consiste à réviser la décision, et non à se demander quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif; elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (ibid., au para 83). À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne doit pas intervenir sur les conclusions de fait du décideur, y compris les conclusions de fait concernant la crédibilité (ibid., aux para 125 et 126), et en l’espèce, il s’agit de la préoccupation principale.

[10] À l’audience, la SPR a signalé une erreur de traduction dans le formulaire du mandat d’arrestation : le mot « people » figurait à un endroit bien en évidence dans la version française du document. La SPR a également souligné que le logo minuscule et illisible apparaissant sur le formulaire était de piètre qualité, ce qui minait également la crédibilité du document. Le tribunal a ajouté que si les erreurs s’étaient trouvées dans la partie manuscrite, qui comprenait par ailleurs des omissions, il aurait été raisonnablement possible d’accorder le bénéfice du doute à l’auteur. Le tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que ces problèmes ne seraient pas présents dans un document authentique délivré par les autorités camerounaises.

[11] La SPR a relevé une erreur semblable avec le terme « Finance » au lieu de « Finances »apparaissant dans l’en-tête français du certificat médico-légal confirmant que la demanderesse avait été victime de viol. Encore une fois, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le titre du document ne contiendrait pas une telle erreur s’il avait été délivré par les autorités publiques. Interrogée au sujet de ces erreurs, la demanderesse a seulement pu répondre qu’au Cameroun, les problèmes de traduction dans les documents étaient fréquents.

[12] La SPR a également fait remarquer que les documents étaient de qualité semblable. Ils étaient imprimés sur du papier blanc, estampillés avec des timbres rouges, remplis à l’encre bleue, dépourvus d’éléments de sécurité et faciles à reproduire. À la lumière de la preuve documentaire selon laquelle les documents frauduleux sont répandus et la corruption sévit largement au Cameroun, le tribunal a conclu que le mandat et le certificat médico-légal étaient contrefaits. Il a également conclu que les erreurs dans les parties imprimées soulevaient des préoccupations relatives à la crédibilité qui allaient au cœur de la demande d’asile, et qui ont donc amené le tribunal à douter de la véracité de l’ensemble de la preuve de la demanderesse.

[13] Au terme de son examen de l’ensemble des éléments de preuve selon la norme de la décision correcte, la SAR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas établi son identité sexuelle.

[14] La SAR a conclu que, prises ensemble, les constatations de la SPR suffisaient pour arriver à la conclusion que les documents étaient frauduleux. Elle a également observé que les accusations écrites à la main sur le mandat n’étaient conformes ni au Code de procédure pénale ni au Code pénal du Cameroun. Qui plus est, elle a relevé une autre erreur typographique dans le paragraphe standard du certificat médico-légal, à savoir « thid » au lieu du mot anglais « this ». Les autres conclusions n’ont pas été jugées déterminantes, car la demanderesse n’a pas été confrontée à leur sujet et n’a pas eu l’occasion de les expliquer; toutefois la SAR a estimé qu’elles venaient appuyer les conclusions de la SPR selon lesquelles le mandat et le certificat médico-légal étaient des documents frauduleux. La SAR a convenu que les documents frauduleux soulevaient des préoccupations en matière de crédibilité qui allaient au cœur de la demande d’asile.

[15] La Cour convient qu’en l’espèce, pareille conclusion tirée par les deux tribunaux touche le cœur même de l’affaire. S’il est conclu qu’une partie est allée jusqu’à tenter de tromper le tribunal pour obtenir une décision favorable, cette conclusion fixera les limites du degré ou de l’étendue de la volonté de faire de fausses déclarations, ce qui contaminera tout ce que le déclarant affirmera, à moins d’importants éléments corroborants. C’est précisément pour cette raison que les cours de justice et les tribunaux administratifs devraient faire preuve de prudence et ne tirer des conclusions de fraude qu’à partir de preuves claires et convaincantes en ce sens. Autrement, il est généralement préférable de conclure que la preuve manque à ce point de fiabilité que le document n’a que peu ou pas de valeur probante. Dans cette optique, la Cour conclut que l’expression [TRADUCTION] « frauduleux » a été mal utilisée dans les motifs de décision des deux tribunaux, et particulièrement dans ceux de la SAR.

[16] De plus, il est juste de dire que des erreurs de traduction peuvent se glisser dans les documents officiels de pays en développement, et qu’il faut faire preuve d’une plus grande souplesse en ce qui les concerne qu’avec d’autres types d’erreurs présentes dans des documents officiels, surtout lorsque le sens et l’objet du texte standard d’un formulaire ne sont pas fondamentalement incorrects ou ne portent pas à confusion en raison de l’erreur de traduction. Le fait est que des erreurs de traduction, aussi bien sur le plan de la typographie que du fond, peuvent se produire. On doit s’attendre à ce qu’elles soient plus fréquentes dans les pays en développement, où il se peut aussi que de nouveaux formulaires ne soient pas émis automatiquement s’il est inutile de le faire.

[17] La demanderesse a fait valoir que, dans sa conclusion, la SPR n’avait pas tenu compte des réalités du contexte culturel lorsqu’elle avait déclaré qu’il fallait s’attendre à des documents officiels d’une meilleure qualité au Cameroun. Et, dans une certaine mesure, la Cour souscrit à l’argument de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, la SAR a refusé d’admettre en tant que nouveaux éléments de preuve des articles de presse selon lesquels il y avait souvent des erreurs de traduction dans les documents officiels du Cameroun. La Cour ne voit aucune erreur dans ce refus, étant donné les restrictions prévues par la loi pour ce qui est de l’admission de nouveaux éléments de preuve en appel.

[18] Certes, la SPR et la SAR sont considérées comme possédant une certaine expertise, car elles doivent souvent évaluer des questions linguistiques dans le cadre de leurs audiences. Toutefois, la Cour s’inquiète du fait que l’on a semblé fermer les yeux sur la situation linguistique au Cameroun, ce qu’une simple connaissance d’office permet de démontrer.

[19] Par exemple, la page Wikipédia intitulée « Languages of Cameroon » [langues du Cameroun] (4 juin 2021), en ligne : www.wikizero.com/en/Languages_of_Cameroon, où l’on cite des sources fiables, décrit ainsi la situation linguistique très complexe au Cameroun :

[traduction]

Le Cameroun compte au moins 250 langues. Cependant, certaines sources font état d’environ 600 langues. Elles comprennent 55 langues afro-asiatiques, deux langues nilo-sahariennes, quatre langues oubanguiennes et 169 langues nigérianes et congolaises. Ce dernier groupe linguistique comprend une langue de Sénégambie (fulfulde), 28 langues adamaoua et 142 langues bénoué-congolaises (dont 130 langues bantoues). Le français et l’anglais sont les langues officielles, un héritage du passé colonial du Cameroun en tant que colonie de la France et du Royaume-Uni de 1916 à 1960. Huit des dix régions du Cameroun sont majoritairement francophones, et comptent pour 83 p. 100 de la population du pays, alors que deux sont anglophones et représentent 17 p. 100 de la population. [...] La nation s’efforce d’atteindre le bilinguisme, mais en réalité, très peu de Camerounais (11,6 p. 100) savent lire et écrire à la fois en français et en anglais, et 28,8 p. 100 d’entre eux ne savent lire ni écrire dans aucune de ces deux langues. [Renvois omis.]

[20] Cette situation linguistique généralement complexe va dans le sens de la conclusion selon laquelle les normes en matière de bilinguisme et de documentation sont susceptibles d’être considérablement inférieures à ce à quoi les Canadiens pourraient s’attendre, y compris pour ce qui est de l’impression de nouveaux formulaires, pourvu que les erreurs soient minimes et ne changent rien à l’objet du document.

[21] Le mandat d’arrestation déposé en preuve est un document qui comporte très peu d’espace vide entre des blocs de texte bilingues, truffés de renseignements standard et dont la police est réduite, tout cela pour laisser de la place pour l’écriture à la main de nombreux renseignements particuliers, lesquels sont les renseignements les plus importants du formulaire. La lisibilité du document est rendue difficile par l’utilisation de caractères tantôt standard, tantôt italiques pour distinguer les langues, sans qu’il y ait d’interligne où que ce soit dans le document. Il est peu probable qu’un document bilingue officiel semblable existe au Canada dans le but de transmettre autant d’information sur une seule page.

[22] La SPR a repéré une coquille dans le mandat d’arrestation. En effet, en français, on pouvait voir le mot « people » au lieu du mot correct, « peuple », car le « u » était remplacé par un « o ». Même s’il l’on a affirmé que cette coquille, la lettre « o » dans « people » au lieu de « peuple », apparaissait de manière évidente dans un titre, le mot est enfoui dans le reste du document qui, à toutes fins, est quelque peu difficile à lire.

[23] De même, bien que l’erreur soit moins pertinente, le certificat médico-légal contenait deux erreurs typographiques : un « s » manquant dans l’expression « des Finance » et, comme l’a relevé la SAR, un « d » qui aurait dû être un « s » dans le mot anglais « thid ». La conclusion selon laquelle [traduction] « le logo minuscule et illisible apparaissant dans le haut formulaire [était] de piètre qualité » peut s’expliquer par le fait que cet élément se trouve coincé entre deux listes bilingues en gros caractères décrivant le pays et indiquant sa devise, le tribunal d’instruction et le numéro de dossier.

[24] La SPR a ajouté que les documents ne comportaient pas d’éléments de sécurité et qu’ils seraient facilement reproduisibles. Il est difficile de savoir quels éléments de sécurité au juste seraient absents; le tribunal n’en mentionne aucun. Les renseignements importants ont été inscrits sur le document, qui porte la signature du procureur, et le timbre non signé du juge la chevauche.

[25] Dans le cartable national de documentation, il était question de documents frauduleux répandus et de corruption sévissant largement au Cameroun. Cependant, la documentation citée en référence n’indiquait pas que les documents officiels puissent être problématiques ou frauduleux, et on ne mentionnait nulle part le caractère bilingue des documents officiels en rapport avec un certain degré de fraude. La fraude dénote une intention. Les erreurs de traduction et les normes appliquées aux formulaires évoquent une certaine incompétence dénuée d’intention, et ces lacunes ne sont peut-être pas toujours corrigées si le document remplit quand même sa fonction dans le système judiciaire d’un pays en développement.

[26] Malgré ce qui précède, la principale difficulté que la Cour relève en l’espèce a trait à la décision de la SAR. Cette dernière a fait siennes les conclusions de la SPR, y compris celle selon laquelle le caractère frauduleux des documents allait au cœur de la décision. La SAR n’était pas d’accord avec la SPR pour dire que les erreurs, si elles apparaissaient dans les parties manuscrites, [traduction] « pourraient être raisonnables ». Étant du même avis, la Cour reprend à son compte l’analyse faite par la SAR du texte manuscrit figurant dans le mandat, mais avec un effet contraire.

[27] Les autres commentaires de la SAR portent sur l’acronyme « CPC », dont elle a jugé l’utilisation inappropriée dans les références aux dispositions du Code pénal relatives aux chefs d’accusation. La Cour convient que l’acronyme dactylographié « CPC » a clairement été utilisé pour renvoyer aux dispositions du Code de procédure pénale dans d’autres parties du mandat. Toutefois, la SAR a conclu que la numérotation des infractions (« 193 et 347 ») ne correspondait pas au libellé utilisé pour décrire les accusations (« manquement aux conditions de libération sous caution, [...] évasion et [...] [i]nfractions d’homosexualité »). Voici les conclusions de la SAR :

[22] Il est mentionné dans le mandat des mandats que l’appelante est [traduction] « [a]ccusée de manquement aux conditions de libération sous caution, d’évasion et d’[i]nfractions d’homosexualité, en violation des articles 193 et 347 du code pénal du Cameroun » et punissables au titre de ces articles » [le tout écrit à la main]. Les accusations énumérées dans le mandat ne correspondent ni au code de procédure pénale ni au code pénal. Les articles 193 et 347 du code de procédure pénale portent sur les commissions rogatoires et la comparution de la personne prévenue.

[...]

[26] Même en supposant que la référence renvoyait au code pénal, je note que la référence à l’article 193 n’est pas correcte, puisque l’article 193 du code pénal porte sur « l’évasion d’un individu légalement privé de sa liberté ». Les éléments de preuve de l’appelante montrent clairement qu’elle n’était pas en détention. [Traduction] « J’ai été détenue par la police pendant six (6) jours avant que ma mère ne retienne les services d’un avocat pour assurer ma mise en liberté sous caution. Comme condition de ma mise en liberté sous caution, il m’a été demandé de me présenter au poste de police toutes les deux semaines [...]. » Même si le code pénal ne parle pas du manquement aux conditions de mise en liberté sous caution, les articles 224 à 235 de la section II du code de procédure pénale traitent de la mise en liberté sous caution y compris les conséquences de la non‑comparution de la personne libérée sous caution. Je n’ai pas trouvé de référence à une accusation d’« évasion » dans le code pénal ou dans le code de procédure pénale.

[Notes de bas de page omises; non souligné dans l’original.]

[28] Il s’avère que les accusations et les numéros d’infraction, y compris la référence à l’acronyme « CPC », semblent non seulement être suffisamment exacts, mais en fait, ils tendent à corroborer l’authenticité du formulaire. L’acronyme semble avoir pour but, à cause du manque d’espace, de renvoyer dans le formulaire aux dispositions du Code de procédure pénale, en servant de référence implicite à ces dispositions pour compléter les accusations.

[29] Voici les dispositions des deux codes, tirées des documents du dossier certifié du tribunal concernant le mandat d’arrestation, avec le soulignement de la Cour :

Code de Procédure Pénale

Article 230 : Lorsque l’autorité ayant accordé la liberté sous caution est informée par un garant que le mis en cause cherche à se soustraire à l’obligation de représentation, elle ordonne son arrestation et son maintien en détention à moins qu’il ne fournisse une autre garantie.

Article 231 : Toute personne mise en liberté sous caution est considérée comme légalement privée de sa liberté au sens des dispositions de l’article 193 du Code pénal.

Code pénal

ARTICLE 193 : Évasion

(1) Est puni d’un emprisonnement d’un (01) an à trois (03) ans, celui qui, étant légalement privé de sa liberté, s’évade ou qui, étant admis ou à travailler hors de la prison, s’éloigne sans autorisation du lieu où il est employé.

[...]

ARTICLE 347-1 : Homosexualité

Est punie d’un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) a deux cent mille (200 000) francs, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe.

[30] Les accusations manuscrites de « violation des conditions de mise en liberté sous caution » et d’« évasion » sont conformes aux dispositions d’infraction et renvoient à l’acronyme « CCP », article « 193 ». Le sens du mot évasion est semblable à celui de l’article 230 du Code de Procédure pénale, c.‑à‑d. : « le mis en cause cherche à se soustraire à l’obligation de représentation » [non souligné dans l’original].

[31] De plus, l’article 231 du Code de procédure pénale dispose expressément qu’une personne en liberté sous caution est réputée privée de sa liberté pour l’application de l’article 193 du Code pénal, lequel prévoit qu’une personne qui « s’évade » en « étant légalement privé[e] de sa liberté » viole ainsi les conditions de sa mise en liberté sous caution. Enfin, l’accusation d’homosexualité est bien définie à l’article 347, par la référence à une « personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ».

[32] Ce qui est peut-être plus important encore, c’est que la Cour conclut que l’acronyme « CPC » inscrit à la main à la ligne des infractions renvoie effectivement au Code de procédure pénale, mais pas par erreur, comme l’a conclu la SAR. Il semblerait s’agir d’une abréviation renvoyant aux articles 230 et 231 du Code de procédure pénale, selon lesquels la personne qui contrevient aux conditions de sa mise en liberté sous caution est considérée comme « se [soustrayant] à l’obligation de représentation » et est réputée en fuite pour l’application de l’expression « étant légalement privé[e] de sa liberté, s’évade », à l’article 193 du Code pénal.

[33] Le recours à cet acronyme donne à penser qu’un procureur expérimenté a sans doute rempli l’espace limité du formulaire d’une manière abrégée qui serait généralement comprise des magistrats, des avocats et des forces policières tenues d’exécuter le mandat comme englobant implicitement les articles 230 et 231 du Code de procédure pénale de manière à donner effet à l’article 193 du Code pénal. Pour quelqu’un qui n’a pas les connaissances administratives que possèdent les « initiés », l’acronyme « CPC » utilisé en lien avec les infractions criminelles sera naturellement interprété, ainsi que la SAR l’a fait en l’espèce, comme une erreur importante qu’aucun procureur ou magistrat ne commettrait.

[34] Si le mandat d’arrestation est reconnu comme un document valide, il sera également reconnu comme un élément de preuve favorable appuyant la crédibilité de la demanderesse à titre de personne exposée à des risques en raison de son homosexualité, plutôt que comme le contraire, à savoir une preuve de fraude représentant un facteur déterminant dans la décision.

[35] Dans ces circonstances, la Cour conclut que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle. En effet, elle a apparemment mal interprété le mandat d’arrestation comme étant un document frauduleux, pour le motif que l’acronyme « CPC » faisait référence à des accusations en vertu du Code pénal, et cette mauvaise interprétation était au cœur de la conclusion selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité.

III. Conclusion

[36] Pour les motifs ci-dessus, la Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire, annule la décision et renvoie l’affaire à un autre commissaire de la SAR. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-1839-20

LA COUR statue que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision de la SAR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juillet 2021.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1839-20

INTITULÉ :

FANNY MUSENGE EFOSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

11 mars 2021

motifs du JUGEMENT et jugement :

LE JUGE ANNIS

DATE :

LE 9 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

Pour la demanderesse

 

Nadine Silverman

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Nadine Silverman

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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