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Date : 20210528


Dossier : T‑1304‑18

Référence : 2021 CF 504

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

DIANE BIGEAGLE

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction 2

II. Les questions préliminaires 5

A. Les parties appropriées 5

B. Les affidavits produits par la GRC 8

III. Les faits 9

IV. La question en litige 11

V. La preuve 11

A. La preuve produite au dossier 11

B. Les préoccupations concernant la preuve 14

(1) Les rapports 15

(2) La preuve d’expert 20

VI. Le droit applicable aux recours collectifs 22

VII. Analyse des causes d’action 27

A. La négligence systémique 27

(1) L’obligation de diligence 30

(2) Le droit 31

(3) Analyse de l’obligation de diligence 35

a) La relation fiduciaire 35

b) Le droit régissant les rapports fiduciaires 38

c) L’application des principes à l’espèce 41

(i) Le premier volet : l’engagement 41

(ii) Le deuxième volet : le groupe défini (les personnes vulnérables) 42

(iii) Le troisième volet : l’intérêt juridique ou l’intérêt pratique important du bénéficiaire sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire pourrait avoir une incidence défavorable 44

d) L’obligation de diligence établie ou reconnue (autre que fiduciaire) 45

(i) Analyse de l’obligation de diligence établie 48

(ii) La nouvelle obligation de diligence 54

(iii) La prévisibilité et le lien de proximité : analyse 56

B. L’obligation fiduciaire : la cause d’action 63

C. L’enquête policière négligente : la cause d’action 66

(1) Analyse 68

D. La faute dans l’exercice d’une charge publique 69

E. Les atteintes à la Charte 73

F. Le non‑respect des lois québécoises 81

(1) Existe‑t‑il une cause d’action valable fondée sur le Code civil du Québec? 81

(2) Existe‑t‑il une cause d’action valable fondée sur la Charte québécoise? 83

G. Le non‑respect de la Loi sur les crimes contre l’humanité 85

(1) Le génocide 86

(2) Les crimes contre l’humanité 89

VIII. Conclusion 91

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une requête en vue de faire autoriser la présente action comme recours collectif en vertu de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Dans le cadre du présent recours collectif envisagé, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire ainsi que des dommages‑intérêts à verser aux familles des Autochtones canadiennes disparues et assassinées en raison du préjudice découlant de l’inconduite reprochée à la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] et de ses politiques, appliquées sur une période de 50 ans dans l’ensemble du Canada.

[2] Plus précisément, selon la deuxième déclaration modifiée [la déclaration], la GRC a manqué à ses devoirs [traduction] « [d’]enquête et [de] poursuite » et ne s’est pas réellement intéressée aux enquêtes sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuées et asexuelles [les personnes 2ELGBTQQIA] autochtones.

[3] La demanderesse, Diane BigEagle [la demanderesse], est la représentante demanderesse proposée. Sa fille, Danita, a disparu en février 2007 et demeure disparue à la date de la présente décision.

[4] Je tiens à signaler d’entrée de jeu la position que la GRC expose dans ses observations (les numéros des paragraphes et les abréviations sont omis) :

[traduction]
Les expériences sombres et pénibles de violence exercées à l’endroit des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones ont été révélées lors des audiences de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

De concert avec les Premières Nations, les Inuits, les Métis, les organisations autochtones et les partenaires provinciaux, territoriaux et municipaux, le gouvernement du Canada continue d’être engagé dans la voie de la réconciliation, et d’être à l’écoute des familles et des survivantes, et aussi des organisations communautaires et des dirigeants autochtones, afin de mettre un terme, ensemble, à cette tragédie nationale. L’Enquête nationale et la mobilisation qui se poursuit depuis son rapport intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées constituent des moyens de mettre fin à cette tragédie de grande ampleur et à variables multiples révélée au grand public.

Le Canada reconnaît que ces expériences ont éprouvé les familles des victimes autochtones dont les homicides ou les disparitions ne sont toujours pas résolus, leurs familles élargies, leurs successeurs et les membres de leur collectivité. Cependant, le présent recours collectif envisagé n’est pas le moyen approprié d’obtenir réparation relativement à cette tragédie.

[5] La défenderesse – la GRC – est désignée sous le nom de Sa Majesté la Reine.

[6] La présente requête représente la première étape d’une action complexe. Elle est, partant, une requête complexe.

[7] Voici comment le groupe est défini dans la déclaration :

[traduction]
a) Toute personne au Canada dont au moins un membre de sa famille autochtone immédiate est une victime (la famille immédiate);

b) Toute personne au Canada dont au moins un membre de sa famille autochtone élargie est une victime (la famille élargie);

c) Toute personne au Canada qui, en raison de sa relation avec un membre du groupe ou une victime, a le droit de présenter des réclamations sur le fondement de l’une ou l’autre des lois en vertu de laquelle elle est une personne à charge reconnue au motif que le membre du groupe ou la victime a subi un préjudice (les personnes à charge reconnues par la loi);

d) les héritiers, les ayants droit et les successeurs d’une victime (les successeurs);

e) toute personne au Canada qui a un lien avec une victime;

(collectivement, le groupe, les membres du groupe ou les demandeurs).

(Déclaration, au para 6.)

[8] La demanderesse affirme que la présente espèce n’est pas une affaire sans précédent étant donné que les causes d’action qu’elle invoque ont été retenues dans des recours collectifs déjà autorisés. Elle soutient que la présente affaire [traduction] « répond parfaitement aux conditions d’autorisation ». À son avis, la présente affaire est analogue à celles qui ont été autorisées comme recours collectifs relativement à des cas d’abus institutionnel et de discrimination systémique étant donné que [traduction] « les torts commis contre un groupe déterminé composé de femmes autochtones vulnérables et de leurs familles sont attribuables à la mise en œuvre et à l’opérationnalisation de politiques discriminatoires ainsi qu’à la tolérance institutionnelle face au racisme systémique » (mémoire des faits et du droit de la demanderesse [le MFDD], au para 5).

[9] La GRC a produit une vigoureuse défense relativement à chacune des conditions requises pour l’autorisation, et n’a fait aucune admission. Je tiens à le faire remarquer étant donné que, dans certaines décisions sur lesquelles s’appuie la demanderesse concernant le caractère valable des causes d’action, soit les causes d’action ont été approuvées par consentement, soit seules certaines causes d’action ont été contestées.

[10] Bien que je ne souscrive pas à tous les motifs de contestation invoqués par le Canada dans le cadre de la présente requête, pour les motifs qui suivent, je rejetterai la requête en autorisation.

II. Les questions préliminaires

A. Les parties appropriées

[11] Pendant les plaidoiries, la demanderesse a semblé donner à l’action une portée élargie qui inclut tous les ministères du gouvernement fédéral à titre de défendeurs parce que l’action est intentée contre « Sa Majesté la Reine ». Même si ce point a été soulevé en réponse par la demanderesse, je dois l’examiner à titre préliminaire.

[12] L’action est dûment intentée contre Sa Majesté la Reine conformément à l’article 48 et à l’annexe de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Au paragraphe 3 de la déclaration, la demanderesse désigne Sa Majesté la Reine à titre de défenderesse représentant le gouvernement fédéral du Canada et la GRC. Elle s’appuie sur les articles 3 et 36 et sur le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50.

[13] À partir du paragraphe 7, la demanderesse énonce dans la déclaration des allégations et des faits substantiels qui visent la GRC en sa qualité de défenderesse. À partir du paragraphe 73, l’obligation de diligence qu’elle mentionne ne vise que la GRC, et les manquements allégués, aussi, ne visent que la GRC. Dans les observations écrites que la demanderesse a présentées dans le cadre de la présente requête, seule la GRC est visée par les causes d’action. Dans ses observations, la demanderesse indique que la demande [traduction] « [...] vise la responsabilité du fait d’autrui du Canada découlant de l’inconduite des agents et des administrateurs de la GRC dont les actes constituent le fondement des allégations de négligence » (MFDD, au para 67).

[14] Il n’est pas approprié d’affirmer pour la première fois, à l’étape de la réponse, que la GRC n’est pas la seule partie défenderesse. Les autres ministères n’ont pas eu l’occasion de répondre à l’action. Plus important encore, aucune allégation ne vise une partie autre la GRC et seule la GRC est visée par la réclamation en dommage‑intérêts.

[15] Comme dans l’affaire Canada (Procureur général) c Jodhan, 2012 CAF 161, où la Cour d’appel a examiné aux paragraphes 85à 89 des actes de procédure visant les mesures du Conseil du Trésor puis des nouveaux moyens soulevés visant aussi 106 autres ministères – lesquels n’avaient pas été mentionnés dans les actes de procédures –, les parties en l’espèce doivent se limiter aux politiques en cause et aux actes du ministère concerné. En l’espèce, il s’agit de la GRC.

[16] La responsabilité directe de l’État ne peut être engagée; seuls les actes ou omissions des préposés (ou mandataires) de l’État doivent être évalués (Hinse c Canada (Procureur général), 2015 CSC 35 au para 58). Le mandataire de l’État dont les actes ou omissions sont en cause dans les actes de procédures de la demanderesse est la GRC.

[17] De plus, il n’est pas toujours facile de définir ce qu’est un fonctionnaire ou de déterminer qui il est. Peter Hogg donne les explications qui suivent au sujet des organismes d’État :

[traduction]
L’État comprend les ministères du gouvernement dirigés par un ministre. C’est le contrôle du ministre qui assure le lien avec l’État. Les organismes municipaux, les conseils scolaires, les universités, les hôpitaux, les organismes de réglementation, les tribunaux administratifs et les sociétés publiques, même s’ils exercent des fonctions « gouvernementales », ne sont pas des mandataires de l’État, à moins qu’ils ne soient contrôlés par un ministre ou déclarés expressément mandataires de l’État par une loi. Il y a généralement lieu de se demander si un organisme public est un mandataire de l’État.

(Peter Hogg, Patrick J Monahan et Wade K Wright, Liability of the Crown, 4e éd, Toronto, Carswell, 2011, à la p 173.)

[18] Compte tenu des critères stricts que commande la définition de mandataire de l’État, il est nécessaire d’alléguer exactement dans l’acte de procédure qui est ce mandataire. La GRC a été mentionnée dans la déclaration, et aucun autre ministère du gouvernement n’y est mentionné expressément. C’est donc à dire que le seul mandataire de l’État à qui une inconduite est reprochée dans le cadre de la présente action est la GRC. Par conséquent, vu que la défenderesse désignée dans les actes de procédures, au paragraphe 3, est [traduction] « Sa Majesté la Reine, représentant le gouvernement fédéral du Canada », on ne saurait dire à présent qu’elle vise dans la présente action un organe autre que la GRC.

B. Les affidavits produits par la GRC

[19] La demanderesse a fait allusion au fait que la GRC a volontairement fourni des affidavits souscrits par des témoins qui n’affirment pas avoir qualité de représentants du Canada ou de la GRC, et qu’ainsi elle se soustrait à l’obligation d’inclure les faits substantiels prévue au paragraphe 334.15(5) des Règles.

[20] Je souhaite me prononcer sur ce point au début des motifs, car j’estime que cette allégation est dénuée de fondement. Les déposants sont des témoins qui ont directement une connaissance des faits précis allégués dans la déclaration. Les témoins de la GRC ont été contre‑interrogés et ont pris des engagements, et une requête a été présentée concernant leur refus de répondre à certaines questions. Il n’était pas nécessaire que le Canada fasse témoigner un fonctionnaire compétent à cette étape, et j’estime que les témoins en question étaient convenables pour une requête en autorisation (Fischer v IG Investment Management Ltd, 2016 ONSC 4405).

III. Les faits

[21] La représentante demanderesse proposée est Diane BigEagle, la mère de Danita BigEagle. Danita est née le 6 mars 1984. Diane et Danita habitaient à Regina au moment où Danita est disparue. Danita était membre de la Première Nation Ocean Man, et elle et sa famille avaient [traduction] « voyagé de temps à autre entre Regina et Ocean Man » au moment où sa famille a signalé sa disparition.

[22] Danita est portée disparue depuis le dimanche 11 février 2007 et est présumée morte. Elle est également présumée être une victime. Danita laisse dans le deuil ses deux enfants, sa mère et les membres de sa famille.

[23] Six autres membres du groupe envisagé ont souscrit des affidavits. Il s’agit de Crystal Sylvestre, de Loreen Jack, de Lorna Thomas‑Twin, de Linda MacNeil, de Lorraine Blyan et de Jan Turner. Elles reprochent toutes à la GRC ses politiques et son inaction dans les affaires d’êtres chers disparus ou décédés. Trente‑six autres femmes autochtones sont désignées comme victimes dans le dossier de requête.

[24] Il est important de souligner que les incidents rapportés par les membres des familles et des collectivités des victimes se seraient produits entre 1968 et 2016, dans de nombreuses provinces, municipalités et villes différentes qui ont leurs propres services de police et dont certaines font appel à la GRC comme service de police, et que nulle part dans la déclaration une période donnée n’est‑elle précisée quant aux éventuels victimes ou membres du groupe.

[25] La demanderesse affirme que les politiques, les actes et l’inaction de la GRC ont causé un préjudice à des membres de collectivités autochtones partout au pays. La demanderesse donne la définition suivante d’une « victime » de l’inaction de la GRC :

[traduction]
[...] une femme ou une personne bispirituelle autochtone qui (1) a été assassinée (et dont l’homicide a été signalé à la GRC, mais n’a pas encore été résolu), ou qui (2) a disparu depuis plus de 30 jours et dont la disparition a été signalée à la GRC.

(Déclaration, au para 5.)

[26] Selon la deuxième déclaration modifiée (produite le 4 octobre 2019), la demanderesse intentait l’action au nom du groupe, lequel visait [traduction] la « famille immédiate »; la « famille élargie »; les « personnes à charge reconnues par la loi »; les « successeurs »; et les « membres de collectivités qui ont un lien avec une victime ».

[27] À l’audience, la demanderesse a demandé qu’un changement soit apporté comme suit à la deuxième déclaration modifiée : remplacer [traduction] les « membres de collectivités qui ont un lien avec une victime » par « toute personne au Canada qui réside sur le territoire d’une Première Nation où résidait une victime au moment où celle‑ci a été assassinée ou portée disparue ». La modification proposée par la demanderesse a été acceptée au moyen d’une directive donnée à l’audience.

[28] La demanderesse sollicite dans sa requête une ordonnance autorisant un recours collectif, lequel comporte quelques groupes et dont la représentante demanderesse est Diane BigEagle. La négligence systémique ainsi que le non‑respect des obligations reconnues par la common law, de la Charte canadienne des droits et libertés, du Code civil du Québec, RLRQ, c CCQ‑1991 [le CcQ], la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C‑12 [la Charte québécoise], de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 [la Loi sur les crimes contre l’humanité] sont allégués, et une réparation est demandée sous forme de dommages‑intérêts généraux, spéciaux, majorés, punitifs ou exemplaires, ainsi que d’autres ordonnances de nature procédurale.

[29] Les questions communes dont l’autorisation est sollicitée sont jointes à l’annexe B.

IV. La question en litige

[30] La question à trancher est celle de savoir si l’action devrait être autorisée comme recours collectif.

V. La preuve

A. La preuve produite au dossier

[31] La demanderesse a étayé sa requête en autorisation au moyen des éléments de preuve suivants :

  • Affidavit de Diane BigEagle, souscrit le 7 mai 2019

    1. Survol de la dotation en personnel au sein des organisations policières canadiennes, 2007

    2. Liste des parties ayant qualité pour agir dans le cadre de l’Enquête nationale, 5 février 2019

    3. « Agency Response Guide to Missing Persons Situations in Saskatchewan », 3 mars 2014

    4. « Enquête sur la Commission des services policiers de Thunder Bay : Rapport final », 1er novembre 2014

    5. « Missing and Murdered Indigenous Women’s Inquiry Wages Court Fight for RCMP Files », CBC, 15 avril 2019

    6. Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada (2014), Code de déontologie, 30 avril 2019

    7. « L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées – Rapport provisoire », 2017

  • Deuxième affidavit de Diane BigEagle, souscrit le 5 juin 2019

    1. « L’Enquête nationale appelle à des changements en profondeur pour éradiquer la violence envers les femmes », les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones , 3 juin 2019

    2. « Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », volume 1a, 2019

    3. « Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », volume 1b, 2019

    4. « L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Rapport supplémentaire », volume 2, 2019

    5. « Rapport supplémentaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées – Une analyse juridique du génocide », 2019

    6. « Le sommaire du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », 2019

    7. « Trudeau Says Deaths and Disappearances of Indigenous Women and Girls Amount to Genocide », CBC News, 4 juin 2019

    8. Transcription du contre‑interrogatoire de Diane BigEagle, 12 février 2020

    9. Lettre de Tim Schwartz à Diane BigEagle, le 21 janvier 2011

    10. Andrew Matte Sage, « Search Called in Regina for Missing Woman », Saskatchewan Sage, 2010

    11. « Raconter l’histoire de Danita », L’Association des femmes autochtones du Canada

    12. Réponse aux engagements de Diane BigEagle

      1. Déclaration d’un témoin faite au Service de police de Regina, 22 février 2007

      2. Déclaration d’un témoin faite au Service de police de Regina, 4 mars 2007

      3. Déclaration d’un témoin faite au Service de police de Regina, 9 août 2007

  • Affidavit de Lorraine Blyan, souscrit le 23 août 2018

    1. « Coroner doubts evidence at inquest », Edmonton Journal, 3 août 1968

    2. Certificat du coroner avant la convocation des jurés, juillet 1968

  • Affidavit de Loreen Jack, souscrit le 3 mai 2019

    1. Dépliant d’Échec au crime au sujet d’une famille disparue

  • Affidavit de Linda MacNeil, souscrit le 1er mai 2019

    1. Réponse à l’interrogatoire écrit de Linda MacNeil, 28 février 2020

  • Affidavit de Crystal Sylvestre, souscrit le 24 janvier 2019

    1. « Janet Sylvestre », CBC News, 7 juillet 2019

    2. « Opinion : Looking Back at Just Another Indian », Eagle Feather News, 17 août 2016

  • Affidavit de Lorna Thomas‑Twin, souscrit le 23 août 2018

  • Affidavit de Jan Turner, souscrit le 29 avril 2019

    1. Déclaration de Jan Turner, 2015

    2. Résultats de trois tests polygraphiques

    3. Entrevue vidéo de Jan Turner par le caporal Fitzpatrick, 25 février 2020

    4. Courriel de Brian Merriman à Jan Turner, 15 octobre 2019

    5. Transcription du contre‑interrogatoire de Jan Turner, 21 février 2020

    6. Réponse aux engagements de Jan Turner

  • Affidavit de Thomas Gabor, souscrit le 15 avril 2019

    1. Rapport d’expert de Thomas Gabor, 5 avril 2019

[32] La défenderesse a produit les éléments de preuve suivants :

  • Affidavit de la gendarme Cathleen Falebrinza, souscrit le 23 novembre 2019

    1. Transcription du contre‑interrogatoire de Cathleen Falebrinza, 25 février 2020

    2. Extrait du Manuel des opérations de la Division E de la GRC concernant le chapitre 37‑3, « Personnes disparues »

    3. Politique nationale sur les personnes disparues de la GRC

    4. Notes de l’agente Cathleen Falebrinza

    5. Réponse aux engagements de la gendarme Cathleen Falebrinza

    6. Réponse aux refus de répondre de la gendarme Cathleen Falebrinza

  • Affidavit de Cheryl Mancell, souscrit le 21 novembre 2019

    1. Les peuples autochtones au Canada

    2. Peuples autochtones – Faits saillants en tableaux

    3. Membre d’une Première Nation ou bande indienne de la personne

    4. Enquête nationale auprès des ménages : Peuples autochtones

    5. Transcription du contre‑interrogatoire de Cheryl Mancell, 21 février 2020

  • Affidavit de Ronald‑Frans Melchers, souscrit le 28 novembre 2019

    1. Rapport d’expert de Ronald‑Frans Melchers

    2. Transcription du contre‑interrogatoire de Ronald‑Frans Melchers, 6 février 2020

    3. Liste des documents de référence

    4. Enquête sur la Commission des services policiers de Thunder Bay

    5. « La victimisation criminelle au Canada, 2014 », Statistique Canada, 23 novembre 2015

    6. Rapport de P. Feinstein et M. Pearce, 26 février 2015

    7. Les femmes autochtones disparues et assassinées : Un aperçu opérationnel national, GRC, 2014

    8. Impact Evaluations and Development Report, Network of Networks for Impact Evaluation (NONIE)

    9. « La collecte de données sur les Autochtones dans le système de justice pénale : méthodes et défis », Statistique Canada, mai 2005

    10. « Mesure de la violence faite aux femmes », Statistique Canada, octobre 2006

    11. « La victimisation criminelle au Canada, 2014 », Statistique Canada, 23 novembre 2015

    12. « La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014 », Statistique Canada, 28 juin 2016

    13. Le Cadre canadien de mesures du rendement des services de police : des indicateurs normalisés du rendement des services de police au Canada, Statistique Canada, 11 septembre 2019

    14. Le Cadre canadien de mesures du rendement des services de police : des indicateurs normalisés du rendement des services de police au Canada, Statistique Canada, 11 septembre 2019

  • Affidavit du gendarme Tim Schwartz

    1. Transcription du contre‑interrogatoire du gendarme Tim Schwartz, 11 février 2020

    2. Notes de la GRC

    3. Sources de renseignements de la GRC

    4. Réponse aux engagements du gendarme Tim Schwartz

  • Affidavit de la surintendante Jeanette Theisen, souscrit le 28 novembre 2019

    1. Transcription du contre‑interrogatoire de Jeanette Theisen, 26 février 2020

    2. Politique sur les personnes disparues, 24 janvier 2019

    3. Extrait du Manuel des opérations (partie 37, chapitre 3), 21 novembre 2016

    4. Réponse aux engagements de la surintendante Jeanette Theisen

    5. 62 réponses aux refus de répondre de la surintendante Jeanette Theisen

B. Les préoccupations concernant la preuve

[33] Je n’ai pas à décider de la valeur et de la crédibilité de la preuve, mais il est nécessaire que je me prononce sur son admissibilité afin de conclure si les rapports produits peuvent constituer des faits substantiels, étant donné que le fardeau de preuve n’est pas le même lors de l’examen au fond. Je dois également examiner la façon de traiter les rapports d’experts et la méthode proposée dans ces rapports.

(1) Les rapports

[34] De nombreux rapports d’enquêtes et de commissions ont été produits, et la demanderesse semble croire qu’il s’agit de faits substantiels qui étayent les causes d’action. Le principal rapport sur lequel elle s’appuie est le « Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées » [le rapport final].

[35] Des articles de journaux ont également été produits à l’appui de la requête. Parmi ceux‑ci, mentionnons des articles sur la réaction du premier ministre au rapport final, ainsi que les commentaires du commissaire de la GRC.

[36] Il faut dire que les rapports et les enquêtes sont tous très importants et répondent à une préoccupation réelle et tragique d’intérêt public. Or, la préoccupation à l’examen en l’espèce est différente.

[37] La GRC a fait part de ses préoccupations concernant l’admission en preuve de ces rapports et le fait qu’en conséquence, ils étayent les faits substantiels devant servir de fondement à la présente requête. Si la GRC a convenu que l’admission en preuve des rapports et des rapports d’enquêtes était acceptable, elle a fait une mise en garde précisant qu’aucun poids ne pouvait leur être accordé et qu’ils présentaient toutes sortes de défauts, comme le ouï‑dire et l’inadmissibilité, attribuables à la façon dont les renseignements ont été recueillis lors des enquêtes. En général, l’utilité des rapports a été mise en doute pour cause de ouï‑dire (lequel était parfois du ouï‑dire au troisième degré), vu la manière dont les faits ont été recueillis lors des audiences.

[38] Il est entendu que le rapport final est le fruit d’une enquête, et que les critères en matière de preuve applicables à une enquête ne sont pas les mêmes qu’applique un tribunal civil. L’enquête se voulait un espace où les femmes et les membres de collectivités autochtones pouvaient témoigner de leur vécu sans restriction ou sans assujettissement aux règles de preuve.

[39] Il ne fait aucun doute que les renseignements contenus dans les rapports n’ont pas été obtenus en conformité avec les règles de preuve applicables devant un tribunal. Les renseignements contenus dans les rapports n’ont pas été recueillis sous serment, ils peuvent constituer du ouï‑dire, les personnes qui ont témoigné ne peuvent faire l’objet d’un contre‑interrogatoire, et le respect des principes de l’application régulière de la loi et d’équité procédurale n’est pas impératif. Le rapport renferme des anecdotes et des opinions exprimées par des non‑experts. Les conclusions sont fondées sur des renseignements qui ne constitueraient pas des éléments admissibles en preuve dans un procès et qui ont été recueillis sans faire l’objet d’un examen judiciaire visant à établir s’il s’agit d’exceptions aux règles de preuve. Il n’y a pas lieu de s’en étonner parce que ces rapports n’étaient pas conçus pour les tribunaux, leur but étant plutôt axé, entre autres choses, sur la guérison et la réconciliation, et sur d’éventuelles mesures gouvernementales.

[40] Les rapports d’enquête n’ont parfois pas été admis dans le cadre de recours collectifs en raison des normes de preuve différentes applicables à ces audiences (Ernewein v General Motors of Canada Ltd, 2005 BCCA 540 (le rapport du secrétaire des Transports des États‑Unis); Robb v St Joseph’s Health Care Centre, [1998] OJ no 5394 (Div gén Ont) (la Commission royale d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang – les rapports Grace et Krever); LR v British Columbia, 2003 BCSC 234 (le rapport de l’ombudsman et le rapport Berger)).

[41] L’utilisation de ce type de preuve dans le cadre de requêtes en autorisation a été examinée par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire intéressant le Laboratoire de dépistage des drogues Motherisk. La décision du juge Perell dans l’affaire RG v The Hospital for Sick Children, 2017 ONSC 6545 [Motherisk (C.S.J. Ont.)], a fait l’objet d’un appel devant la Cour divisionnaire de l’Ontario, qui a confirmé sa décision (RG v The Hospital for Sick Children, 2018 ONSC 7058 [Motherisk (C. div.)]). Dans cette affaire, des échantillons de cheveux étaient prélevés sur des mères pour le dépistage de drogues et d’alcool; les résultats positifs étaient ensuite utilisés pour renvoyer les personnes testées à des organismes de protection de l’enfance.

[42] La décision Motherisk (C.S.J. Ont.) est utile pour démontrer le dilemme devant lequel se trouve le juge chargé de se prononcer sur une requête en autorisation. Dans cette affaire, l’admissibilité d’un rapport d’examen indépendant était en cause. Selon les défendeurs, le rapport était inadmissible dans le cadre de l’examen requis aux fins de l’autorisation pour diverses raisons – principalement parce qu’il était issu d’un processus non décisionnel, qu’il comportait du ouï‑dire et qu’aucune garantie d’application régulière de la loi n’avait été prévue (Motherisk (C.S.J. Ont.), aux para 16‑18). La demanderesse dans cette requête en autorisation affirmait que le rapport était admissible étant donné qu’il s’agissait d’une requête de nature procédurale et non d’une décision au fond (Motherisk (C.S.J. Ont.), au para 20). De plus, la demanderesse avait fait valoir que la défenderesse ne subirait aucun préjudice [traduction] « [...] si le rapport d’examen indépendant était admis uniquement pour établir certains faits relativement à quatre des cinq facteurs nécessaires à l’autorisation [...] » (Motherisk (C.S.J. Ont.), au para 22). Je tiens à faire remarquer que le rapport n’a apparemment pas servi à établir si les causes d’action telles qu’invoquées permettaient d’éviter la radiation.

[43] Le juge Perell a admis le rapport aux seules fins de la requête en autorisation. Il l’a fait avec beaucoup de scepticisme et il a reproché aux deux parties de l’avoir utilisé. Le rapport a été admis, non pas pour établir le bien‑fondé de la demande ou pour servir de fondement à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, mais pour établir les faits non contestés, les faits qui relativement aux questions en litige ne constituaient pas du ouï‑dire, les éléments qui constituaient des exceptions reconnues à la règle du ouï‑dire, comme les documents commerciaux. Le juge a conclu que [traduction] « l’établissement du rapport d’examen indépendant fait partie du contexte historique dans lequel s’inscrivent les recours intentés par Mme Green et les membres du groupe proposé, et une partie de ce rapport est admissible du simple fait de son existence et non en raison de l’exactitude de son contenu » (Motherisk (C.S.J. Ont.), au para 26). Le juge Perell a ajouté : [traduction] « Le rapport d’examen indépendant est admissible et son utilisation dépendra d’une analyse contextuelle des questions en litige qui devront être tranchées. » (Motherisk (C.S.J. Ont.), au para 27.)

[44] En appel, le juge FL Myers a confirmé la décision du juge Perell de rejeter la requête en autorisation et fait les remarques suivantes :

[traduction]
L
a demanderesse s’est manifestement appuyée sur le rapport d’examen indépendant pour alléguer la négligence systémique. Ne tenant pas compte, dans le cadre de la présente requête ou du présent appel, des questions d’admissibilité que l’utilisation du rapport pouvait soulever au moment du procès, la demanderesse a choisi de fonder sa thèse sur les conclusions d’un rapport qui n’étaient pas censées constituer une déclaration de responsabilité civile. Ces conclusions n’étaient pas non plus censées servir de cause d’action (un droit d’intenter une poursuite) pour une personne ou un groupe.

(Motherisk (C. div.), au para 22, non souligné dans l’original.)

[45] De plus, et c’est important en l’espèce, dans l’arrêt Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 [M. Untel], le juge de Montigny a mis en garde contre l’admission de rapports et d’éléments de preuve à l’étape de l’autorisation pour établir s’il y a suffisamment d’éléments pour d’étayer une cause d’action. Il a dit : « [...] [S]’il a examiné l’obligation d’alléguer des faits substantiels au soutien de chaque cause d’action avancée, le juge des requêtes semble croire que le rapport du Commissaire à la protection de la vie privée et les autres éléments de preuve produits sont suffisants. Or, il a manifestement commis là une erreur, ayant omis de distinguer les éléments présentés dans les actes de procédure et les éléments produits en preuve au soutien de la requête. » (M. Untel, au para 37, non souligné dans l’original.) Le juge de Montigny a ajouté :

À mon sens, le juge des requêtes a commis une erreur en admettant, sans guère d’analyse, que cette prétention suffisait pour fonder une cause d’action. Premièrement, cette prétention ne s’appuie sur aucun fait substantiel, ce qui suffit en soi pour que soit écartée la cause d’action.

(M. Untel, au para 45, non souligné dans l’original. Voir également les para 53, 56 et 57 concernant les éléments de la cause d’action exposés, puis l’absence de faits substantiels à l’appui des éléments.)

[46] L’approche adoptée dans les décisions Motherisk (C.S.J. Ont. et C. div.) et dans l’arrêt M. Untel est équitable quant à l’admission du rapport, mais non quant à la véracité des faits ou à leur caractère substantiel. Les rapports et les rapports d’enquête sont admis, mais uniquement pour aider à mettre les faits en contexte (Johnson v Ontario, 2016 ONSC 5314 au para 67; Ewert v Canada (Attorney General), 2016 BCSC 962 aux para 39‑40).

[47] Les articles de journaux qui concernent les déclarations du premier ministre ou du commissaire de la GRC seront également admis, non pas pour en établir la véracité, mais pour fournir un contexte. L’existence de ces articles donne à penser que des éléments de preuve pourraient être produits à l’instruction au fond, et je suis disposée à les admettre à cette fin, laquelle est pertinente pour les questions communes et le plan du déroulement de l’instance.

(2) La preuve d’expert

[48] La demanderesse a présenté le rapport d’expert de Thomas Gabor afin de proposer une méthode pour déterminer si [traduction] « sur la base d’une documentation suffisante, il serait possible d’établir si la GRC s’est acquittée de ses obligations envers le groupe ou les victimes de manière “nettement différente” par rapport aux autres citoyens ».

[49] La GRC a déposé le rapport d’expert de Ronald‑Frans Melchers. Il dit essentiellement que la méthode proposée par l’expert de la demanderesse ferait en sorte qu’il soit impossible de répondre à la question, et explique ensuite quelle est, à son avis, la méthode valable.

[50] Les deux rapports d’experts ne s’intéressent pas au caractère valable des causes d’action, mais plutôt aux conditions d’autorisation.

[51] Les parties conviennent que, dans le cadre d’une requête en autorisation, je n’ai pas à examiner les rapports d’experts ni à choisir lequel je retiendrai (Irving Paper Ltd v Atofina Chemicals Inc, 2010 ONSC 2705 aux para 55 et 64). Elles ne s’entendent pas sur la question savoir si l’expert de la demanderesse a satisfait au critère juridique qui permet de savoir si la méthode est valable pour l’ensemble du groupe.

[52] Selon la GRC, les rapports proposés par l’expert de la demanderesse ne sont pas admissibles à l’audition des questions communes. Elle dit que la méthode n’est pas manifestement meilleure que d’autres méthodes déjà utilisées pour trouver des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Elle ajoute enfin que la méthode utilisée pour déterminer les différences dans les tactiques adoptées par la GRC dans ses interactions avec les Autochtones par rapport à celles adoptées dans ses interactions avec les non‑Autochtones n’est pas fondée sur des faits. En revanche, la demanderesse soutient que, si j’examine quelle méthode est la meilleure, cela revient à apprécier la preuve.

[53] Dans l’arrêt Pro‑Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro‑Sys], la Cour suprême du Canada [la CSC] s’est prononcée sur la façon dont un juge devrait examiner les éléments de preuve dans le cadre d’une requête en autorisation, et elle a décidé que ces éléments de preuve ne devraient pas être soumis à un examen rigoureux (Pro‑Sys, au para 103).

[54] Le critère applicable à la présente étape consiste uniquement à déterminer si la méthode énoncée par l’expert de la demanderesse est une [traduction] « méthode valable ou acceptable » (Pro‑Sys Consultants Ltd v Infineon Technologies AG, 2009 BCCA 503 au para 68, autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2010 CanLII 32435 (le 3 juin 2010)).

[55] Pour résumer, je ne décide pas quel l’expert doit être retenu – le tribunal chargé de se prononcer sur une requête en autorisation n’étant pas en mesure d’évaluer le poids devant être accordé aux éléments de preuve. De plus, je n’ai pas à me prononcer sur la solidité du témoignage de l’expert de la demanderesse; je dois simplement être convaincue de l’existence d’un certain fondement factuel dans la méthode qui permet de respecter l’exigence applicable aux questions communes. « Or, il ne peut s’agir d’une méthode purement théorique ou hypothétique; elle doit reposer sur les faits de l’affaire. L’existence des données auxquelles la méthode est censée s’appliquer doit être étayée par quelque preuve. » (Pro‑Sys, au para 118.) Je ne soupèse pas non plus les rapports d’experts contradictoires à la présente étape, car un tel exercice ne mènerait qu’à une évaluation au fond (Tluchak Estate v Bayer Inc, 2018 SKQB 311 au para 60, autorisation d’appel à Cour d’appel de la Saskatchewan rejetée, 2019 SKCA 64 (le 25 juillet 2019), et autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2020 CanLII 13139 (le 20 février 2020)).

[56] Selon mon examen modeste du rapport présenté par la demanderesse, j’estime que la méthode n’est ni théorique ni hypothétique et qu’il existe un certain fondement factuel qui permet de respecter l’exigence applicable aux questions communes.

VI. Le droit applicable aux recours collectifs

[57] Les conditions à respecter pour qu’une action soit autorisée comme recours collectif sont énoncées aux alinéas 334.16(1)a) à e) des Règles (reproduits à l’annexe A).

[58] Le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale [la CAF] dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au paragraphe 17 [Wenham], et faisant écho aux Règles, indique que pour autoriser une action comme recours collectif, la Cour s’assurer du respect des conditions suivantes :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur adéquat.

[59] Ces conditions constituent le fondement des sous‑questions en litige dans la présente requête :

1. Existe‑t‑il manifestement une cause d’action :

i. pour négligence systémique;

ii. en raison d’une enquête policière négligente;

iii. pour faute dans l’exercice d’une charge publique;

iv. pour violation de la Charte :

s) soit pour violation de l’article 7,

b) soit pour violation de l’article 15;

v. pour violation, pour les résidents du Québec :

a) du CcQ,

b) de la Charte québécoise;

vi. pour violation de la Loi sur les crimes contre l’humanité?

2. Existe‑t‑il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes?

3. Y a‑t‑il des points de droit ou de fait communs à trancher?

4. Le recours collectif est‑il le meilleur moyen de régler les points soulevés?

5. La représentante demanderesse est‑elle une représentante qui convient au groupe?

[60] Le texte des dispositions Règles est péremptoire, de sorte que, si le critère est respecté, la Cour ne dispose d’aucune marge discrétionnaire et doit autoriser l’action (Murphy c Compagnie Amway Canada, 2015 CF 958 au para 30; et Nation crie de Samson c Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308 aux para 34‑35, conf par Buffalo c Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165).

[61] Dans l’ordonnance qu’elle sollicite, la demanderesse rappelle à la Cour qu’elle dispose d’options de réparation [traduction] « libérales et souples » s’il n’est pas satisfait au critère; la Cour peut notamment autoriser l’action sans condition, ajourner l’instance pour permettre le dépôt d’autres éléments de preuve ou la possibilité d’apporter des modifications, ou autoriser l’action à la condition que des modifications particulières soient apportées à la description du groupe, aux questions communes ou au plan du déroulement de l’instance.

[62] Dans l’arrêt Pro‑Sys, la CSC a énoncé les critères et les normes applicables à l’autorisation d’une action comme recours collectif (Pro‑Sys, aux para 63 et 99‑104). Les cinq facteurs à respecter appellent deux normes différentes : une première pour la cause d’action, et une seconde pour les quatre autres facteurs.

[63] Pour conclure à l’existence d’une cause d’action, je dois examiner chaque cause d’action invoquée et décider s’il est évident et manifeste qu’elle est vouée à l’échec (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 à la p 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 aux para 23 et 25 [Imperial Tobacco]). Le critère est le même que celui qui s’applique à la radiation d’un acte de procédure.

[64] Dans mon évaluation de la question de savoir s’il est évident et manifeste que la cause d’action est vouée à l’échec, je dois tenir les faits substantiels pour avérés et ne pas apprécier la preuve (M. Untel, au para 23; Wenham, aux para 24‑25). Il ne faut cependant pas oublier que les faits allégués sont présumés vrais, sauf s’ils « ne peuvent manifestement pas être prouvés » (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 au para 87 [Société des loteries de l’Atlantique], citant Imperial Tobacco, au para 22).

[65] La juge en chef McLachlin a fait les remarques suivantes : « La présente décision ne tranche pas le bien‑fondé de l’action mais examine le caractère justifiable en droit des causes d’action invoquées. La question est celle de savoir si les actes de procédure, à supposer que les faits invoqués soient vrais, révèlent une cause d’action défendable. S’il est évident et manifeste que la demande ne peut être accueillie, elle devrait être radiée. » (Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 au para 4 [Alberta Elders].)

[66] La requête en vue de faire autoriser une action comme recours collectif a été décrite comme étant une requête qui revêt un caractère procédural sur laquelle statue le juge exerçant sa fonction de gardien. S’il s’agit essentiellement d’un exercice de filtrage de nature procédurale, l’examen de la preuve doit néanmoins être efficace et ne pas être strictement symbolique, sinon il perdrait tout son sens et les requêtes visant à faire autoriser une action comme recours collectifs seraient toutes accueillies.

[67] Le juge Rothstein a souligné ce point comme suit :

De toute manière, plus d’une décennie s’est écoulée depuis Hollick et il convient de confirmer l’importance que revêt la procédure de certification comme mécanisme de filtrage efficace. La norme de preuve appliquée au stade de la certification n’emporte pas de [traduction] « conclusion sur le bien‑fondé de l’instance » (CPA, par. 5(7)); elle ne donne pas lieu non plus à un examen du caractère suffisant de la preuve qui soit superficiel au point d’être strictement symbolique.

(Pro‑Sys, au para 103, non souligné dans l’original.)

[68] De plus, les allégations ne peuvent être sans fondement : « Les simples affirmations ne constituent pas des allégations de faits substantiels et ne peuvent fonder une cause d’action [...] » (M. Untel, au para 23.) Selon la CAF, « [s]i l’on tient pour avérés les faits allégués, il n’en reste pas moins qu’ils doivent être invoqués au soutien de chaque cause d’action » (M. Untel, au para 23, non souligné dans l’original). « Comme on l’a vu plus haut, des faits substantiels doivent être invoqués à l’appui de chaque cause d’action avancée. » (M. Untel, au para 33; voir aussi Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184 au para 34 [Merchant Law].)

[69] Il ne m’appartient pas d’évaluer les éléments qui pourraient être présentés lors de l’instruction au fond en opposition à la demande intentée par la demanderesse, ou, comme l’a dit le juge Stratas, « [l]a tâche du tribunal ne consiste pas à miser sur le sort de la cause d’action » (Wenham, au para 29).

[70] S’agissant des quatre autres facteurs, le critère applicable consiste à se demander s’il existe un « certain fondement factuel » pour appuyer l’ordonnance d’autorisation (Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 au para 25).

[71] Vu ces mises en garde de ne pas évaluer la preuve, je commence mon examen en me demandant si la demanderesse a invoqué des faits substantiels – qui ne peuvent manifestement pas être prouvés ou de simples affirmations sans fondement qui ne peuvent pas être prouvées – pour appuyer chaque élément de chaque cause d’action, ou s’il est évident et manifeste que la cause d’action est vouée à l’échec et devrait être radiée.

VII. Analyse des causes d’action

A. La négligence systémique

[72] La première cause d’action mentionnée dans la déclaration est la négligence systémique. Les éléments qui permettent d’établir la négligence sont les suivants : a) l’existence d’une obligation de diligence; b) un manquement à cette obligation; et c) des dommages causés en raison de ce manquement.

[73] Pour être systémique, un préjudice général doit avoir été causé à plusieurs personnes : « [L]a négligence ne se rapport[e] pas à une victime en particulier, mais aux victimes en tant que groupe. » (Rumley c Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69 au para 34 [Rumley].) Selon la demanderesse, on ne devrait s’en tenir à la nature individuelle des torts commis étant donné que la Cour peut se prononcer sur d’importants éléments de ces torts à l’égard du groupe dans son ensemble et que l’individualisation n’a pas à être si largement exigée qu’elle l’emporte sur la nature systémique du tort invoqué.

[74] La question primordiale est celle de savoir si les faits substantiels, à supposer qu’ils soient vrais tels qu’allégués, comportent les éléments nécessaires pour établir la négligence systémique, et de savoir si la GRC a une obligation de diligence envers les membres du groupe.

[75] Les allégations visées par la présente section se trouvent aux paragraphes 73b à 78 de la déclaration, et le paragraphe 73 figure sous la rubrique intitulée [traduction] « Les obligations de diligence de la GRC » (ces paragraphes sont reproduits à l’annexe C).

[76] La demanderesse sollicite des dommages‑intérêts pour [traduction] « négligence systémique de la part de la GRC, qui engage la responsabilité du fait d’autrui de la défenderesse », et elle réclame également des dommages‑intérêts pour la violation de la Charte ainsi que des dommages‑intérêts majorés, punitifs et exemplaires.

[77] En outre, la demanderesse affirme qu’en raison du préjudice subi, la demanderesse et les membres du groupe ont subi des dommages spéciaux et des pertes, et ont engagé des dépenses attribuables à des traitements médicaux, des services de réadaptation et de consultation psychologique ainsi qu’à d’autres soins.

[78] À son avis, la négligence est systémique à cause du mode de pensée colonial. Elle fait les observations suivantes dans son mémoire :

[traduction]
L
es manquements à l’obligation pour lesquels une indemnisation est demandée ne sont pas des manquements d’une nature individuelle précise (bien qu’ils constituent la toile de fond nécessaire à l’évaluation du caractère systémique de la conduite), mais le défaut du Canada de mettre en œuvre des politiques, des pratiques, des procédures et des protocoles afin de veiller à la protection des victimes et, par extension, des membres du groupe. Ces défauts étaient de nature systémique, ils se sont produits sur une longue période, et ils résultaient du défaut général de concevoir, d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques appropriées qui auraient protégé les victimes et les membres du groupe (tel que décrit ci‑dessus) contre les préjudices qui se sont finalement produits.

(MFDD, au para 68, renvoyant à la déclaration, aux para 72j, 74b et 75c.)

[79] Selon la demanderesse, étant donné que les tribunaux ont autorisé de nombreux autres recours collectifs intentés contre le gouvernement et des institutions pour cause de négligence systémique découlant de la conception et de la mise en œuvre de politiques, et que [traduction] « [...] de nombreux exemples confirment que cette cause d’action est valablement invoquée dans un contexte de recours collectif », la Cour devrait également autoriser la présente demande comme recours collectif.

[80] La demanderesse a fourni une liste de recours collectifs fondés sur la négligence systémique, qui ont tous été autorisés, et elle affirme que cette liste devrait suffire dans les présentes circonstances. Elle a inclus des exemples comme l’affaire Tippett c Canada, 2019 CF 869, qui concerne un programme qui se voulait une solution de rechange à l’incarcération administré par les Forces armées canadiennes [les FAC], où des membres du groupe ont été victimes de violence physique et sexuelle de la part de membres des FAC. Elle cite également l’affaire Pederson v Saskatchewan (Minister of Social Services), 2016 SKCA 142, où les services sociaux n’ont pas intenté de poursuites relativement aux blessures subies par des mineurs dans des familles d’accueil.

(1) L’obligation de diligence

[81] Les causes d’action sont énoncées au paragraphe 59 ci‑dessus. Les causes d’action de négligence systémique et d’enquête policière négligente renvoient toutes deux à l’existence d’une obligation de diligence.

[82] La demanderesse affirme que la GRC a une obligation de diligence envers les membres du groupe. À son avis, comme l’obligation de diligence est déjà établie, cet élément est établi.

[83] Subsidiairement, elle fait valoir que le seul fait pour cette obligation de ne pas avoir été reconnue jusqu’à présent ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Cela signifie simplement que la demanderesse a la tâche difficile de tenter de prouver qu’elle existe.

[84] La demanderesse fait valoir à titre de sous‑argument dans ses observations que l’obligation de diligence s’inscrit déjà dans une catégorie établie vu que la GRC a une obligation fiduciaire envers les femmes autochtones. À titre subsidiaire, elle soutient que, si je conclus qu’il ne s’agit pas d’une catégorie établie, il pourrait s’agir d’une nouvelle obligation de diligence.

[85] La demanderesse affirme que la GRC a l’obligation – non pas envers les personnes décédées, mais envers les familles, la collectivité rapprochée – de permettre aux proches des victimes de faire leur deuil. La demanderesse dit que les allégations dérivées ne sont pas inutiles étant donné que des lois provinciales autorisent une indemnisation et que, même en l’absence de telles dispositions, ce domaine du droit est en évolution –, mais cet aspect concerne davantage la qualité pour agir. Son argument sur ce point concerne le fait que les membres du groupe qui sont membres de la famille ou de la collectivité de la victime, et non la victime elle‑même, sont visés par l’obligation de diligence qui incombe à la GRC.

(2) Le droit

[86] Dans l’arrêt Paradis Honey Ltd c Canada (Procureur général), 2015 CAF 89 [Paradis Honey], la CAF a dit que, dans le contexte de cette affaire, les deux questions suivantes se posaient à la première étape de l’analyse de l’obligation de diligence :

1. Ressort‑il des faits allégués un lien de proximité dans le cadre duquel l’omission du Canada de faire preuve de diligence raisonnable pourrait, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice aux apiculteurs?

2. Existe‑t‑il des considérations de politique générale qui appelleraient la non‑reconnaissance d’une obligation de diligence?

(Paradis Honey, au para 88.)

[87] Voici comment la CAF a résumé le critère :

47 Tel qu’il a été signalé précédemment, le droit relatif à responsabilité des autorités publiques en matière de négligence est fondé sur le critère consacré par la jurisprudence Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (Anns), retenu par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Kamloops c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, et expliqué dans Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537. Ce droit a été analysé récemment dans l’arrêt Imperial Tobacco, précité.

48 Le critère de la jurisprudence Anns comporte deux volets : (1) ressort‑il des faits une obligation de diligence à première vue, c’est‑à‑dire un lien de proximité qui impose de façon juste et raisonnable une obligation de prendre raisonnablement des mesures en vue d’empêcher un préjudice prévisible? (2) existe‑t‑il des raisons de politique générale pour lesquelles cette obligation de diligence à première vue ne devrait pas être reconnue?

(Paradis Honey, aux para 47‑48. Voir aussi Anns c Merton London Borough Council (1977), [1978] AC 728 (Ch. des lords) [Anns]; Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 [Cooper].)

[88] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que ce n’est pas parce qu’une cause d’action n’a jamais été reconnue que cela l’empêchera d’être retenue à cette étape préliminaire. En revanche, cela ne veut pas dire que, simplement parce qu’elle est nouvelle, les tribunaux la retiendront uniquement pour contribuer à la réforme ou élargir la doctrine. Le juge Stratas l’a dit avec éloquence :

Quand les juges examinent une nouvelle réclamation, ils doivent avoir à l’esprit une gamme. D’un côté, se trouvent les demandes fondées sur l’élargissement réfléchi responsable et progressif d’une doctrine juridique au moyen d’un raisonnement juridique classique. De l’autre, se trouvent les demandes qui s’écartent de la doctrine, qui découlent d’idées préconçues, de visions idéologiques ou d’avis isolés sur ce qui est juste, approprié et correct. Dans le premier cas, il y a matière à controverse juridique et à l’intervention du juge, alors que dans le deuxième, il s’agit de questions qui relèvent du débat public et des politiciens que nous élisons.

(Paradis Honey, au para 117, non souligné dans l’original.)

[89] Dans l’arrêt Alberta Elders, la juge en chef McLachlin a expliqué l’approche qui doit être adoptée pour conclure à l’existence d’une obligation de diligence à l’étape de l’examen de la cause d’action visé par la requête en autorisation.

[90] Je dois effectuer la même analyse qu’elle, et appliquer strictement son approche et sa méthode.

[91] Elle a d’abord souligné que « [l]a présente décision ne tranche pas le bien‑fondé de l’action mais examine le caractère justifiable en droit des causes d’action invoquées » (Alberta Elders, au para 4). Dans le cadre de son analyse, elle a ensuite examiné les actes de procédure des demandeurs et les a analysés en fonction du contexte exhaustif qu’elle avait fourni quant aux éléments que doit comporter une allégation d’obligation fiduciaire. Elle a fait les remarques suivantes :

Il appert donc qu’une application rigoureuse des conditions générales pour imposer une obligation fiduciaire limitera forcément les cas où l’on peut conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire de l’État. [...] Dans les poursuites pour manquement à une obligation fiduciaire, les demandeurs doivent être prêts à accepter que leur réclamation soit examinée au stade du dépôt des actes de procédure, comme pour toute cause d’action.

(Alberta Elders, au para 54.)

[92] Dans le cadre de son analyse de l’allégation de négligence, la juge en chef a fait les remarques suivantes :

La question initiale et primordiale est celle de savoir si les allégations, à supposer que les faits invoqués soient vrais, emportent une obligation de diligence de la part de l’Alberta envers les membres du groupe de demandeurs. Il faut d’abord se demander si l’Alberta et les membres du groupe entretenaient une relation ayant donné lieu à une obligation de diligence prima facie, fondée sur la prévisibilité et la proximité. Si une obligation de diligence prima facie est établie, la deuxième étape consiste à se demander si elle est écartée par des considérations de politique générale : voir Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Ville de Kamloops c. Nielsen, 1984 CanLII 21 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 2; Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537, par. 30; et Renvoi relatif à Broome c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2010 CSC 11, [2010] 1 R.C.S. 360, par. 14.

(Alberta Elders, au para 66, non souligné dans l’original.)

[93] La juge en chef a ensuite examiné la loi, analysé les actes de procédure et conclu comme suit : « [À] supposer que les faits invoqués soient vrais, [...] l’allégation de négligence est vouée à l’échec à la première étape du critère retenu dans les arrêts Anns et Cooper. En l’absence d’une obligation d’origine législative de prendre les mesures qui, selon les demandeurs, ont été prises négligemment, la relation de proximité nécessaire entre l’Alberta et les demandeurs ne peut être établie. » (Alberta Elders, au para 73.) En fin de compte, elle a tiré la conclusion suivante : « Autrement dit, les allégations contre l’État sont trop vagues pour permettre d’inférer qu’il a une obligation fiduciaire envers les demandeurs. » (Alberta Elders, au para 60.) Elle a décidé que les « allégations relatives à l’obligation fiduciaire, à la négligence et à la mauvaise foi dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne révèlent aucune cause d’action et devraient être radiées en entier, mais que l’allégation d’enrichissement injustifié devrait subsister » (Alberta Elders, au para 5).

(3) Analyse de l’obligation de diligence

[94] L’analyse qui suit démontre clairement que la présente requête en autorisation est unique et ne correspond pas à la description qu’en a fait la demanderesse. Les membres du groupe ne sont pas les victimes elles‑mêmes : les incidents reprochés s’étalent sur une période de 50 ans et auraient eu lieu partout au Canada, notamment dans des régions qui disposent de leurs propres services de police – et qui excluent l’intervention ou la compétence de la GRC –, et d’autres incidents relèvent de la compétence de la GRC. Même si l’Enquête nationale avait un très vaste mandat – à raison, vu son objet et ses procédures –, les faits qui en découlent sont moins susceptibles de permettre à la Cour de conclure à l’existence d’une obligation de diligence justifiable en droit (voir aussi l’utilisation des rapports, ci‑dessus). Comme le juge Stratas l’a affirmé dans Paradis Honey, il vaut mieux laisser aux politiciens le soin de trancher certaines questions (Paradis Honey, au para 117).

a) La relation fiduciaire

[95] L’obligation fiduciaire invoquée comme cause d’action est examinée dans la prochaine section des présents motifs. Or, je dois également l’examiner sous la présente rubrique afin de répondre aux arguments de la demanderesse selon lesquels les rapports propres à l’obligation de diligence sont établis par la relation fiduciaire, laquelle permet de satisfaire à la première étape de l’examen qui s’applique à une allégation de négligence systémique. Selon la demanderesse, l’obligation de diligence en droit privé est établie par la relation fiduciaire entre la GRC et les membres du groupe. Elle soutient que l’existence de l’obligation fiduciaire se manifeste d’au moins deux façons en l’espèce.

[96] Selon la demanderesse, les tribunaux ont reconnu qu’une obligation fiduciaire prend naissance lorsque la Couronne reconnaît qu’elle a un [traduction] « pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un intérêt autochtone particulier (lequel est souvent, mais non exclusivement, un intérêt territorial) [...] » (MFDD, au para 73). Elle renvoie, à l’appui de cette affirmation, au paragraphe 37 de la décision Brown v Canada (Attorney General), 2013 ONSC 5637 [Brown].

[97] La demanderesse fait valoir que l’obligation naît du fait que [traduction] « la GRC est chargée de maintenir la paix et de faire respecter en général les lois du Canada et celles des provinces où ses membres travaillent ». À son avis, la GRC a un rôle spécial à jouer pour protéger les peuples autochtones en sa qualité d’[traduction] « organe du gouvernement fédéral [et elle] est assujettie à une surveillance découlant de l’application de la Charte (les articles 7 et 15 étant particulièrement pertinents en l’espèce) ». La demanderesse affirme que, en ce qui concerne les enquêtes menées dans les dossiers des victimes et les suites qui y sont données, [traduction] « [...] l’exercice d’un “pouvoir discrétionnaire” a entraîné les préjudices allégués en l’espèce », et que la « GRC n’a pas pris des mesures suffisantes pour protéger cette population particulièrement vulnérable » avec qui elle est liée par une relation fiduciaire (MFDD, au para 74).

[98] La demanderesse soutient en outre que la GRC a déjà une obligation envers les Autochtones vu que la CSC a conclu qu’il existe des rapports de « nature fiduciaire plutôt que contradictoire » entre le Canada et les Autochtones (R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 à la p 1108 [Sparrow]). Pour cette raison, elle affirme que les membres du groupe appartiennent à une catégorie reconnue vu qu’il existe une obligation fiduciaire entre les membres du groupe et la GRC.

[99] Selon la demanderesse, la deuxième façon qui permet de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire tient au fait que les femmes autochtones (lesquelles seraient des pupilles de l’État dont le soin et le bien‑être constituent une fiducie politique comportant les plus hautes obligations) sont vulnérables et exposées à un risque disproportionné de préjudice. Cette caractéristique, dit‑elle, impose une obligation plus lourde.

[100] Elle affirme que trois éléments sont nécessaires pour conclure à l’existence d’une relation fiduciaire : un engagement, une personne définie vulnérable et un intérêt juridique ou pratique. La demanderesse fait valoir que les trois éléments sont présents et permettent de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc.

[101] S’agissant de l’élément qui concerne l’engagement, la demanderesse soutient que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 [la Loi sur la GRC], constitue un engagement de la Couronne fédérale à [traduction] « [...] offrir des services de police à tous les Canadiens et Canadiennes, et garantir que ces services sont fournis de manière impartiale et que tous peuvent jouir du même accès et de la même protection, y compris les peuples autochtones ». De plus, chaque membre est assujetti à un code de déontologie.

[102] S’agissant du deuxième élément, la demanderesse affirme qu’il existe un groupe défini de victimes, lesquelles sont [traduction] « particulièrement vulnérables, et dont le cercle social et les membres de la famille sont en conséquence tout aussi vulnérables ». En fait, elle estime que la vulnérabilité des membres de ce groupe est accrue parce qu’ils dépendent davantage de la GRC.

[103] Le dernier élément, l’intérêt juridique ou pratique, est également présent dans la présente action, selon la demanderesse. Elle fait valoir que cette condition est remplie, car [traduction] « il y a par conséquent une “mince possibilité de droit d’action” dans l’allégation selon laquelle le Canada aurait dû faire plus pour veiller à offrir des services de police adéquats aux victimes, et son défaut fait en sorte qu’il manque à son obligation fiduciaire envers les Autochtones et qu’en conséquence, il agit de manière déloyale ». Elle soutient que le paragraphe 51 de la décision Brown est analogue.

[104] Enfin, la demanderesse fait valoir que, si l’obligation de diligence doit être réputée nouvelle, il revient au juge de première instance – et non au juge des requêtes – de trancher ce point.

b) Le droit régissant les rapports fiduciaires

[105] Dans l’arrêt Alberta Elders, la juge en chef McLachlin énonce les conditions auxquelles les rapports fiduciaires doivent satisfaire pour permettre à la Cour de reconnaître à la présente étape préliminaire l’existence d’une obligation de diligence. L’affaire Alberta Elders concernait un recours collectif dans lequel les demandeurs alléguaient que le gouvernement avait, du fait qu’il avait augmenté artificiellement les contributions imposées aux personnes âgées pour résider dans des foyers de soins en Alberta, manqué à ses obligations fiduciaires, fait preuve de négligence et de mauvaise foi, et contrevenu au principe d’enrichissement injustifié. En principe, les frais médicaux des pensionnaires sont à la charge du gouvernement, mais les pensionnaires peuvent payer des frais d’hébergement pour défrayer le coût de leur logement et de leurs repas. Les membres du groupe ont fait valoir que le gouvernement avait augmenté artificiellement les frais d’hébergement afin de pouvoir financer les frais médicaux du gouvernement de l’Alberta. La juge en chef a radié les allégations relatives à l’obligation fiduciaire, à la négligence et à la mauvaise foi parce qu’elles ne révélaient pas des causes d’action valables, mais non celles relatives à l’enrichissement injustifié.

[106] Le paragraphe 36 de l’arrêt Alberta Elders comporte un résumé des trois conditions qui permettent à la Cour de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc. Comme l’a indiqué la demanderesse, ces conditions sont les suivantes :

[...] (1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

(Alberta Elders, au para 36.)

[107] Selon la demanderesse, « les relations fiduciaires ad hoc doivent être établies selon les circonstances de chaque cas » (Alberta Elders, au para 33). Elle ajoute que les principes généraux s’appliquent aux particuliers, mais qu’ils peuvent aussi s’appliquer au gouvernement. Elle rappelle toutefois que « [...] les caractéristiques précises des responsabilités et des fonctions du gouvernement signifient que le gouvernement aura des obligations fiduciaires seulement dans des circonstances restreintes et particulières » (Alberta Elders, au para 37). Elle s’appuie sur les arrêts Guerin c Canada, [1984] 2 RCS 335 [Guerin], et Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 [Wewaykum], pour affirmer que « [l]es obligations de droit public dont l’acquittement nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire » (Guerin, à la p 385 (le juge Dickson)), et, s’agissant de la relation avec les Autochtones, que, « [e]n conséquence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire » (Wewaykum, au para 76). Elle est d’avis que l’arrêt Sparrow, à la page 1108, permet d’affirmer que le rapport sui generis crée une obligation fiduciaire envers les « [...] peuples autochtones à l’égard de leurs terres [...] » (Alberta Elders, au para 39, non souligné dans l’original).

[108] D’après la juge en chef, « [i]l est désormais clair que la vulnérabilité, à elle seule, ne suffit pas à justifier l’existence d’une obligation fiduciaire » (Alberta Elders, au para 28, non souligné dans l’original). Les « caractéristiques » requises pour l’établissement d’une obligation fiduciaire ne s’attachent pas seulement à la vulnérabilité découlant de la relation; le fiduciaire doit s’être engagé délibérément à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire (Alberta Elders, aux para 30 à 32 et 36). Pour établir l’existence de l’engagement, « [l]a partie invoquant l’obligation doit pouvoir démontrer que, relativement à l’intérêt juridique particulier en jeu, le fiduciaire a renoncé aux intérêts de toutes les autres parties en faveur de ceux du bénéficiaire » (Alberta Elders, au para 31). Cet engagement peut découler d’une responsabilité imposée par une loi ou d’« [...] une entente expresse que le fiduciaire agira en tant que fiduciaire des intérêts du bénéficiaire » (Alberta Elders, au para 32).

[109] En ce qui concerne la deuxième condition qui doit être remplie, la juge en chef a fait les remarques suivantes : « [L]’obligation doit exister envers une personne ou un groupe de personnes définies, qui doivent être vulnérables par rapport au fiduciaire en ce sens que ce dernier exerce un pouvoir discrétionnaire sur eux. Les obligations fiduciaires n’existent pas en général; elles sont limitées à des relations précises entre des parties précises. » (Alberta Elders, au para 33.)

[110] Selon la dernière condition, « [...] le demandeur doit démontrer que le pouvoir du fiduciaire peut avoir un effet sur les intérêts juridiques du bénéficiaire ou sur ses intérêts pratiques essentiels [...] » (Alberta Elders, au para 34). Cet intérêt juridique ou pratique des bénéficiaires est un intérêt « [...] sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable » (Alberta Elders, au para 36).

c) L’application des principes à l’espèce

[111] Conformément aux directives de la CSC dans l’arrêt Alberta Elders, je dois examiner si les trois volets du critère visant à établir l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc sont remplis en l’espèce, et si la vulnérabilité découlant de la relation est établie (Alberta Elders, au para 36, renvoyant à Frame c Smith, [1987] 2 RCS 99, la juge Wilson; voir aussi Lac Minerals Ltd c International Corona Resources Ltd, [1989] 2 RCS 574).

(i) Le premier volet : l’engagement

[112] Au point (l) du paragraphe 73 de la déclaration, la Loi sur la GRC est mentionnée et on y fait renvoi au code de déontologie; et au paragraphe 73a), on fait renvoi au Code criminel, LRC 1985, c C‑46, afin d’expliquer l’argument selon lequel la GRC avait une obligation envers les membres du groupe. Cependant, rien dans ces dispositions législatives n’appuie une loyauté sans faille envers le groupe de demandeurs, puisque ces lois ne font qu’appuyer les intérêts de tous les Canadiens en général. Il n’existe dans ces lois aucune obligation ni aucun engagement qui créerait une relation fiduciaire entre les membres du groupe et la GRC, sauf l’obligation générale de nature publique qui vise aussi les membres du groupe. Aucun fait invoqué ne permet d’établir une obligation de nature privée envers les membres du groupe. Même en interprétant largement les allégations et en m’abstenant d’apprécier la preuve, j’estime qu’il est évident et manifeste que les allégations n’appuient pas l’existence d’une obligation fiduciaire.

(ii) Le deuxième volet : le groupe défini (les personnes vulnérables)

[113] Tout comme le mentionnait la CSC au paragraphe 56 de l’arrêt Alberta Elders, la demanderesse met l’accent, dans ses allégations, sur la vulnérabilité des membres du groupe. De plus, comme l’a fait la CSC dans cet arrêt, j’estime que la vulnérabilité ne suffit pas pour établir une relation fiduciaire parce que je suis d’avis que la vulnérabilité des membres du groupe ne résulte pas de leur relation avec la GRC (Alberta Elders, au para 57).

[114] L’existence d’une relation spéciale entre les Autochtones et le Canada est incontestable. Cependant, l’obligation de loyauté énoncée dans l’arrêt Alberta Elders ne visait pas tous les Autochtones dans toutes les situations. Dans cet arrêt, le contexte de l’obligation se rapporte à des droits territoriaux et, possiblement, aux cas où le gouvernement doit s’acquitter d’une obligation de droit privé. Il est certain à la lumière de ces faits que la GRC ne fait qu’exercer une obligation de droit public. De plus, la demanderesse ne reproduit pas la citation en la situant dans son contexte et elle supprime la fin du paragraphe, ce qui en modifie complètement le sens :

Pour les mêmes raisons, lorsque le prétendu fiduciaire est l’État, il pourrait être difficile d’établir la deuxième condition, celle relative à la personne ou au groupe de personne définies qui sont vulnérables par rapport à l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire. En règle générale, le gouvernement doit agir dans l’intérêt de tous les citoyens [...]. Dans le contexte autochtone, une obligation exclusive relativement aux terres indiennes est établie par les responsabilités particulières de Sa Majesté envers cette partie de la population et aucune autre. De même, lorsque l’obligation de l’État est effectivement une obligation privée dont il s’acquitte, cette condition peut être établie. Sauf dans ces cas, il est difficile de démontrer l’existence d’un groupe de personnes précis envers qui le gouvernement a une obligation de loyauté exclusive.

(Alberta Elders, au para 49, non souligné dans l’original.)

[115] L’obligation fiduciaire n’est pas un prétexte dont l’ensemble des peuples autochtones peuvent se couvrir dans toutes les situations. J’estime qu’il est inéquitable de projeter l’image archaïque des Autochtones qui sont des [traduction] « pupilles de l’État » (St Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd v The King, [1950] SCR 211). Voici les remarques que la juge en chef McLachlin a faites dans l’arrêt Alberta Elders après avoir examiné plusieurs arrêts cités par les demandeurs à l’appui de leur argument :

La nature unique et historique des relations entre Sa Majesté et les peuples autochtones décrites dans ces arrêts annule la prétention du groupe de demandeurs selon laquelle elles servent de modèle quant à l’obligation du gouvernement envers ses citoyens dans d’autres contextes. Il en est de même à l’égard de la seule autre situation où une obligation fiduciaire de l’État a été reconnue – soit lorsque celui‑ci agit en qualité de tuteur et de curateur public.

(Alberta Elders, au para 40.)

[116] J’estime qu’il n’y a pas en l’espèce une obligation fiduciaire qui s’applique simplement du fait que des Autochtones, qui sont les membres du groupe, et la GRC, qui a joué un rôle dans l’enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues, y sont visés. Aucun tribunal n’a reconnu qu’il s’agissait d’une catégorie et, par conséquent, conformément aux motifs énoncés dans l’arrêt Alberta Elders, je dois examiner s’il y a en l’espèce une nouvelle obligation fiduciaire.

[117] S’agissant des membres du groupe, aussi vulnérables ceux‑ci soient‑ils, les allégations n’étayent pas le deuxième volet du critère. La GRC dispose d’un pouvoir discrétionnaire qui s’applique à quiconque se trouve au Canada. Ce pouvoir lui est conféré par le Code criminel du Canada, la Loi sur la GRC, et d’autres lois et ententes fédérales conclues avec certaines provinces et certains territoires. La GRC ne possède aucun pouvoir discrétionnaire envers les membres du groupe, ni envers le grand public. Il n’existe aucune relation particulière entre la GRC et les membres de ce groupe, même si les victimes ou les membres du groupe sont des membres vulnérables de la société canadienne.

(iii) Le troisième volet : l’intérêt juridique ou l’intérêt pratique important du bénéficiaire sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire pourrait avoir une incidence défavorable

[118] Comme la demanderesse ne satisfait pas aux deux autres volets, il n’est pas nécessaire que j’examine le troisième.

[119] Je conclus que, compte tenu des faits substantiels invoqués, il n’existe aucune obligation fiduciaire ad hoc envers les membres du groupe.

d) L’obligation de diligence établie ou reconnue (autre que fiduciaire)

[120] Selon la demanderesse, [traduction] « l’existence d’une obligation de diligence entre la GRC (en tant que mandataire de l’État fédéral à qui il incombe de protéger les intérêts des peuples autochtones) et les victimes est indéniable » (MFDD, au para 80). La demanderesse soutient que les membres du groupe dépendent de la GRC pour les raisons suivantes : 1) la Loi sur la GRC garantit que les services de la GRC sont fournis de manière impartiale et que tous peuvent jouir du même accès et de la même protection, y compris aux peuples autochtones; et 2) le groupe défini est constitué de personnes particulièrement vulnérables (membres du groupe et victimes). Selon la demanderesse, cela signifie que la GRC a agi de façon déloyale. Elle s’appuie sur le paragraphe 56 de la décision Brown pour affirmer que l’existence d’une obligation fiduciaire permet d’établir l’existence d’une obligation de diligence prima facie.

[121] Selon la demanderesse, le juge de première instance doit se demander si les rapports entre les membres du groupe et la GRC sont suffisants pour établir la prévisibilité, c.‑à‑d. si la GRC aurait dû raisonnablement prévoir le risque de préjudice. À son avis, la réponse est affirmative parce que la GRC a spécifiquement pris la décision de ne pas communiquer avec les membres du groupe. La demanderesse fait également remarquer que l’existence d’un lien direct avec un représentant de l’État n’est pas nécessaire pour conclure à l’existence d’une obligation de diligence.

[122] La demanderesse fait valoir que l’application du critère établi dans les arrêts Anns et Cooper permet de démontrer l’existence d’un lien de proximité suffisant entre les membres du groupe et la GRC, et la prévisibilité raisonnable des préjudices. Elle affirme que le lien de proximité est établi du fait que les entités gouvernementales n’ont pas [traduction] « pris des décisions rationnelles fondées sur des données probantes (en l’espèce : le traitement réservé aux victimes et aux familles des victimes ainsi que les enquêtes sur les crimes visant les victimes), et que les tribunaux ont déjà jugé qu’il était justifié de conclure à l’existence d’un lien de proximité » (MFDD, au para 78). La demanderesse reconnaît ce qui suit :

[TRADUCTION]
Les tribunaux ont fait preuve d’une grande prudence avant de refuser de reconnaître l’existence d’une obligation de diligence sur le fondement d’affirmations hypothétiques, étant donné que s’ils le faisaient, ils nuiraient aux enquêtes policières ou à la capacité des policiers à effectuer leur travail en général. En l’espèce, il n’est pas justifié d’affirmer que la décision de traiter les victimes et leur famille de la même manière que sont traités les Canadiens non autochtones nuirait d’une façon ou d’une autre aux obligations de droit public de la GRC, particulièrement en l’absence d’éléments de preuve pertinents.

(MFDD, au para 79.)

[123] La demanderesse a par ailleurs fait l’observation suivante : [traduction] « Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des rapports directs entre un représentant de l’État et la personne lésée pour conclure à l’existence d’une obligation de diligence. » (MFDD, au para 80.) Elle a ensuite donné les explications suivantes : [traduction] « [...] [L]a GRC a spécifiquement décidé de ne pas communiquer avec les membres du groupe ou de les tenir au courant, ce qui indique qu’elle a envisagé d’exercer un rôle, mais a choisi de ne pas le faire. » (MFDD, au para 80.) Selon la demanderesse, il y avait dans certains cas un contact direct entre les membres du groupe et la GRC, et, dans d’autres, il n’y en avait aucun, mais cette situation [traduction] « n’empêche pas d’établir l’existence d’un lien de proximité parce que le préjudice causé à ces personnes demeure prévisible dans tous les cas » (MFDD, au para 83).

[124] Selon la demanderesse, l’examen de la deuxième étape du critère – lequel consiste à déterminer s’il y a des considérations de politique qui rendent l’obligation de diligence irréalisable ou déconseillée – a traditionnellement été confié au juge de première instance plutôt qu’au juge appelé à statuer à l’étape de la requête visant la suffisance des allégations, et elle s’appuie sur l’arrêt Walsh Estate v Coady Estate, 2016 NSCA 60 aux para 56, 65, 68‑73 et 88‑96. Elle dit qu’une preuve d’expert sera nécessaire et que ces décisions ne portent pas simplement sur des questions de droit.

[125] Selon la demanderesse, il s’ensuit que je ne devrais pas adopter une approche trop stricte dans mon examen des allégations et que, s’il « [...] existe dans un acte de procédure la moindre cause d’action, même si celle‑ci est libellée en des termes vagues et d’une façon imparfaite, on devrait [...] laisser l’affaire se poursuivre » (Bande indienne de Shubenacadie c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 181 au para 6).

[126] La demanderesse fait observer qu’il est facile de satisfaire au critère établi dans les arrêts Anns et Cooper en l’espèce vu qu’il appartient au juge de première instance de tirer les conclusions sur toute incidence possible des politiques après avoir apprécié la preuve. Par conséquent, elle fait valoir qu’[traduction] « [i]l n’est pas évident et manifeste ou [qu’il est] à peine possible d’affirmer que l’obligation de la GRC envers les victimes ne s’applique pas aux membres du groupe » (MFDD, au para 83).

(i) Analyse de l’obligation de diligence établie

[127] Les faits dans les affaires invoquées par la demanderesse se distinguent de ceux de l’espèce. Dans l’affaire Rumley, le groupe autorisé était constitué d’élèves victimes d’agressions physiques, sexuelles et émotionnelles dans un pensionnat provincial pour enfants sourds. Dans cette affaire, la négligence systémique qui renvoie à l’obligation de diligence a été admise en ce qui a trait aux agressions sexuelles commises contre les élèves, mais pas la responsabilité. Le lien de proximité et la prévisibilité ont été établis, puisqu’il s’agissait d’élèves d’un pensionnat et que les agressions ont été commises par le personnel et leurs pairs. La cause d’action fondée sur l’obligation fiduciaire et sur la négligence systémique envers les membres des familles n’a pas été jugée justifiable en droit (Rumley, aux para 21 et 41).

[128] L’affaire Cloud v Canada (Attorney General), 247 DLR (4th) 667, [2004] OJ no 4924 (CA Ont), portait sur des faits allégués par d’anciens élèves de l’Institut mohawk, Pensionnat indien, à Brantford, en Ontario. Devant la Cour d’appel de l’Ontario, les parties avaient convenu qu’il y avait des causes d’action et une obligation de diligence à l’appui de ces causes. Elles se sont concentrées sur d’autres questions relatives à l’autorisation. Cependant, la conclusion quant à l’existence d’une obligation de diligence se rattachant aux actes commis dans les pensionnats indiens ne peut pas être appliquée aux faits de l’espèce, étant donné que les personnes qui dirigeaient l’école avaient clairement une obligation envers les élèves, ce qui n’est pas le cas entre la GRC et les femmes et les filles autochtones – et ne l’est particulièrement pas envers leurs familles.

[129] Dans l’affaire Tippett, le juge Southcott a autorisé l’action comme recours collectif. Cette action visait un programme pour les cadets de la Marine, administré par les FAC en partenariat avec le ministère de la Jeunesse et du Développement de l’enfant de la Colombie‑Britannique, qui se voulait une solution de rechange à l’incarcération des jeunes contrevenants. Les jeunes contrevenants n’étaient pas eux‑mêmes des cadets, mais certains d’entre eux, dont le demandeur, vivaient sur la base avec des membres des FAC, tandis que d’autres étaient des participants de jour. Le demandeur alléguait qu’un superviseur des FAC qui vivait dans le même dortoir l’avait agressé. Dans cette affaire, la défenderesse a reconnu l’existence d’une obligation de diligence envers les jeunes participants au programme et a convenu que la requête révélait une cause d’action fondée sur la négligence, mais elle n’a pas reconnu qu’il y avait eu manquement à cette obligation (Tippett, au para 35). Cependant, les faits dans cette affaire sont fort différents de ceux de l’espèce étant donné le lien de proximité entre les jeunes du programme en résidence et leurs superviseurs. En comparaison, la GRC n’exploite aucune école et n’administre aucun programme en résidence auquel les membres du groupe ont participé.

[130] J’estime que la présente action n’est pas analogue à l’une ou l’autre des actions autorisées comme recours collectif sur lesquelles s’appuie la demanderesse, et qu’en conséquence elle commande une analyse plus approfondie.

[131] Je suis d’avis que la GRC n’a aucune obligation en droit privé envers les membres de cette catégorie. Certes, des exceptions à cette déclaration fondamentale existent, mais selon les faits de l’espèce, il est évident et manifeste qu’on ne peut dire que la GRC a une obligation de diligence en droit privé envers les familles et les membres des collectivités des victimes.

[132] La jurisprudence appuie cette conclusion. Les tribunaux ont conclu à plusieurs occasions que l’obligation de droit public qu’ont les policiers ne pouvait pas être considérée comme une obligation de droit privé, comme on le fait valoir en l’espèce. Toute exception à cette « règle » a un caractère tout particulier et, comme je l’explique plus loin, les faits substantiels invoqués au soutien de cet argument très général, vague et qui couvre une aussi vaste période ne relèvent pas de telles exceptions.

[133] L’affaire Good v Toronto (City) Police Services Board, 2013 ONSC 3026 [Good], visait un recours collectif intenté contre les services de police de Toronto (et d’autres défendeurs) pour des actes commis pendant le sommet du G20 tenu à Toronto, en juin 2010. La motion en certification visait le groupe proposé de défendeurs – le procureur général du Canada, Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario et la Commission de services policiers de la municipalité régionale de Peel – et comportait de multiples causes d’action, dont certaines sont reprises en l’espèce, soit : les abus dans l’exercice d’une charge publique, la négligence systémique et les atteintes aux droits garantis par la Charte (Good v Toronto Police Services Board, 2016 ONCA 250 au para 9; Sherry Good v Toronto Police Services Board, 2014 ONSC 4583 [Good 2014], conf par 2016 ONCA 250, autorisation d’appel à la CSC rejetée, [2016] CSCR no 255 (le 10 novembre 2016)).

[134] La GRC a une obligation générale envers l’ensemble du public canadien (Good, aux para 59, 72 et 73). Les conclusions quant aux causes d’action non retenues lors de l’instruction de la motion n’ont pas été infirmées, étant donné que les instances d’appel ont jugé qu’elles n’étaient plus en litige (Good 2014, au para 17). La juge des motions a conclu qu’aucune des allégations visant certains défendeurs (le Canada, l’Ontario et la police de Peel) ne révélait des causes d’action qui répondaient au critère. Elle a jugé valables celles qui visaient les services de police de Toronto pour les délits d’emprisonnement illégal et de voies de fait [battery] (sauf en ce qui concerne certaines personnes détenues); de voies de fait [assault]; de détournement d’un bien et d’atteinte à la possession; et pour les atteintes aux droits garantis par la Charte et aux droits de la personne. Les allégations de négligence systémique et d’abus dans l’exercice d’une charge publique ont été radiées. En appel, la Cour divisionnaire a confirmé que la demanderesse avait abandonné les causes d’action que la juge des motions n’avait pas retenues.

[135] La conclusion selon laquelle les policiers ont envers tous les membres du public une obligation de droit public n’est pas nouvelle, et les tribunaux l’ont tirée dans plusieurs affaires où les victimes et leurs familles avaient présenté des demandes fondées sur la négligence des policiers ou sur la négligence dont ils avaient fait preuve dans le cadre de leurs enquêtes (Wellington v Ontario, 2011 ONCA 274 au para 20, autorisation d’appel à la CSC rejetée, [2011] CSCR no 258; Goldman v Weinberg, 2019 ONCA 224 au para 6; Connelly v Toronto (City) Police Services Board, 2018 ONCA 368 au para 3, autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2019 CanLII 16463 (CSC); RVB v Levin, 2018 ABQB 887 au para 36; Jones c Canada (Procureure générale), 2018 NBCA 86 au para 30; Spencer v Canada (Attorney General), 2010 NSSC 446 au para 58; Deloitte Restructuring Inc c Canada (Procureur général), 2019 NBBR 201 aux para 233 et 235‑236; McLean v McLean, 2017 SKQB 127 au para 29; et Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69 au para 40 (dans des remarques incidentes) [Odhavji]).

[136] Dans certaines décisions, les tribunaux ont jugé qu’un policier avait une obligation de diligence de droit privé. Les tribunaux ont reconnu que le lien de proximité nécessaire pour conclure à cette exception existait entre les policiers et une personne détenue ou un suspect particulier visé par une enquête, ou un groupe très particulier de personnes qui courent un risque particulier connu. Dans chacune de ces situations, les tribunaux ont reconnu l’existence d’un lien de proximité entre les policiers et les intérêts particuliers de la personne après un examen minutieux leur permettant de conclure que, dans cette situation, il y avait une obligation de diligence.

[137] En l’espèce, il n’est pas allégué que la demanderesse ou un membre du groupe était un suspect faisant l’objet d’une enquête – comme c’était le cas dans l’affaire Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41 [Hill] –, qu’ils ont été détenus, ou qu’il existe un lien de proximité semblable à celui qui a été constaté dans la décision Jane Doe v Toronto (Metropolitan) Commissioners of Police (1998), 160 DLR (4th) 697, 39 OR (3d) 487 [Jane Doe].

[138] Dans l’affaire Jane Doe, les policiers n’ont pas alerté la demanderesse qu’un homme agressait sexuellement et prenait pour cible des femmes célibataires qui vivaient dans des appartements aux deuxième et troisième étages d’immeubles dans un certain secteur géographique. Les victimes étaient toutes des femmes blanches et célibataires. Le violeur est toujours entré par la porte de leur balcon. Les policiers le savaient et n’ont pas alerté les victimes potentielles parce qu’ils craignaient que leurs alertes poussent le violeur à s’exécuter dans un autre secteur avant qu’ils aient pu l’attraper (Jane Doe, au para 129). La juge a conclu à l’existence des éléments de prévisibilité et de proximité, et, dans ces circonstances factuelles très limitées, en est venue à la conclusion que les policiers avaient une obligation de droit privé envers la demanderesse. La demanderesse appartenait à un groupe distinct formé de victimes potentielles visées par une menace particulière dans un secteur limité d’une ville qui relevait de leur compétence, et il était prévisible que le violeur la ciblerait.

[139] Une distinction doit être établie entre l’affaire Jane Doe et la présente espèce, parce `que le groupe désigné en l’espèce n’est pas un groupe distinct et particulier de victimes potentielles touchées par les éléments de proximité et de prévisibilité. Les faits substantiels, tels qu’allégués, renvoient à des filles et des femmes autochtones du Canada et ils sont survenus sur l’ensemble du territoire canadien sur une très longue période sans que la menace particulière relève de la compétence de nombreux services de police. L’affaire Jane Doe constitue une exception très précise au principe généralement accepté selon lequel les policiers n’ont pas une obligation de diligence de droit privé, et elle n’aide pas la demanderesse à faire en sorte que son action relève d’une catégorie établie.

[140] Dans l’affaire Good, la demanderesse a allégué que la négligence systémique qui renvoie à cette obligation découlait de la planification du sommet du G20 et de la supervision des opérations policières. Dans la présente affaire aussi, il est allégué que l’obligation découle de certaines ententes de services de police à l’échelle du pays, ainsi que de politiques de la GRC. Aucune obligation reconnue n’est utile à la demanderesse dans la présente requête et rien ne permet à la Cour de conclure à l’existence d’une obligation de diligence de droit privé. La demanderesse ou les membres potentiels du groupe n’ont aucun intérêt juridique dans l’enquête ou dans la poursuite, lesquelles relèvent directement de l’intérêt du public et du droit public.

[141] Je ne retiens pas non plus l’argument de la demanderesse selon lequel cette décision appartient au juge de première instance, vu que je me suis livrée à la même analyse que celle menée par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Alberta Elders pour évaluer s’il était évident et manifeste que la cause d’action, telle que formulée, est vouée à l’échec.

[142] Les actes de procédure sont évidents et manifestes, et aucune obligation de diligence n’est établie.

(ii) La nouvelle obligation de diligence

[143] Étant donné que l’existence d’une obligation de diligence reconnue n’a pas été établie, la Cour doit appliquer rigoureusement le critère établi dans les arrêts Anns et Cooper aux faits substantiels invoqués. D’après l’arrêt Alberta Elders, cet examen est effectué à la présente étape en fonction des allégations plutôt que d’en laisser le soin au juge de première instance (Alberta Elders, aux para 66‑75).

[144] S’exprimant au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Rankin (Rankin’s Garage & Sales) c JJ, 2018 CSC 19 [Rankin], la juge Karakatsanis a fait les remarques suivantes lorsqu’elle a décrit la méthode à utiliser :

[18] [...] Lorsqu’il est nécessaire de déterminer s’il existe une nouvelle obligation, la première étape du test Anns/Cooper consiste à se demander s’il y a un lien de proximité dans le cadre duquel l’omission de faire preuve de diligence raisonnable peut, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice au demandeur : R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée., 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 39; voir également Childs c. Desormeaux, 2006 CSC 18, [2006] 1 R.C.S. 643, par. 12; Cooper, par. 30. Dès lors que la prévisibilité et le lien de proximité ont été établis, il y a obligation de diligence prima facie.

[19] La question de savoir s’il existe ou non une obligation de diligence est une question de droit, et je me fonderai sur cette prémisse : Galaske c. O’Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670, p. 690. Le demandeur doit s’acquitter du fardeau de démontrer qu’il existe une cause d’action et, partant, une obligation de diligence prima facie : Childs, par. 13. Pour se décharger de ce fardeau, le demandeur doit présenter un fondement factuel suffisant pour établir que le préjudice était une conséquence raisonnablement prévisible de la conduite du défendeur dans le contexte d’un rapport de proximité. À défaut de cette preuve, la demande peut être rejetée : voir, p. ex., Childs, par. 30.

[20] Une fois que le demandeur a établi l’existence d’une obligation de diligence prima facie, le fardeau de prouver qu’il existe des considérations de principe résiduelles justifiant de ne pas reconnaître cette obligation incombe au défendeur : Childs, par. 13; Imperial Tobacco, par. 39.

(Rankin, aux para 18‑20.)

[145] Dans l’arrêt Cooper que la CSC avait rendu antérieurement, la question était celle de savoir à quelle étape les considérations de politique devraient être prises en compte dans l’examen d’une nouvelle obligation. La Cour a indiqué que « [l]’importance de l’arrêt Anns réside dans la constatation que les considérations de politique jouent un rôle important pour la détermination de la proximité dans les cas nouveaux » (Cooper, au para 25). La Cour a conclu comme suit :

En résumé, nous sommes d’avis que dans l’état actuel du droit, tant au Canada qu’à l’étranger, il convient d’interpréter l’analyse établie dans l’arrêt Anns comme suit. À la première étape du critère de l’arrêt Anns, deux questions se posent : (1) le préjudice subi était‑il la conséquence prévisible de l’acte du défendeur; (2) malgré la proximité des parties qui a été établie dans la première partie de ce critère, existe‑t‑il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne devrait pas être engagée en l’espèce? L’analyse relative à la proximité que comporte la première étape du critère de l’arrêt Anns met l’accent sur les facteurs découlant du lien existant entre la demanderesse et le défendeur. Ces facteurs comprennent des questions de politique, ce terme étant pris dans son sens large. Si l’on fait la preuve de la prévisibilité et de la proximité à la première étape, il y a une obligation de diligence prima facie. À la deuxième étape du critère de l’arrêt Anns il reste toujours à trancher la question de savoir s’il existe des considérations de politique étrangères au lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter l’obligation de diligence. Il se peut, comme le Conseil privé le laisse entendre dans Yuen Kun Yeu, que de telles considérations ne l’emportent pas souvent. Nous estimons cependant qu’avant d’imposer une nouvelle obligation de diligence, il est utile de se demander si, malgré la prévisibilité et la proximité des parties, il existe des raisons de politique générale pour lesquelles l’obligation ne devrait pas être imposée.

(Cooper, au para 30, souligné dans l’original.)

(iii) La prévisibilité et le lien de proximité : analyse

[146] La première étape du critère consiste à se demander si l’auteur du délit pouvait prévoir qu’un préjudice serait causé (Cooper, au para 21), mais la prévisibilité « [...] doit se doubler de la proximité » (Cooper, au para 31). La prévisibilité raisonnable et le lien de proximité entre les parties sont des principes restrictifs nécessaires appliqués au droit en matière de négligence.

[147] La CSC a indiqué dans l’arrêt Rankin que « [...] [l]’analyse du lien de proximité entre les parties prend en compte des “[l]es attentes [l]es déclarations, [...] la confiance, [l]es biens en cause et [l]es autres intérêts en jeu” [...] » (Rankin, au para 23). Selon l’arrêt Rankin, il est important de formuler « [...] la question de la prévisibilité avec suffisamment de rigueur sur le plan analytique pour être en mesure d’établir un lien entre, d’une part, le manque de diligence et, d’autre part, le type de préjudice causé aux personnes se trouvant dans une situation analogue à celle du demandeur » (Rankin, au para 25). La CSC devait décider s’il incombait « [...] une obligation diligence à une entreprise envers une personne qui subit des lésions corporelles à la suite du vol d’un véhicule qui se trouvait sur les lieux où cette entreprise exerce ses activités » (Rankin, au para 27). Dans cette affaire, il a été conclu que les lésions corporelles résultant du vol de la voiture n’étaient pas raisonnablement prévisibles (Rankin, au para 56).

[148] La violence sous‑tendant la présente affaire est horrible, et j’estime que les remarques de la CSC dans l’affaire Rankin, où un accident a aussi eu des conséquences horribles, sont particulièrement adaptées à la présente situation : « Les tribunaux devraient veiller à ce que l’analyse ne soit pas faussée par le fait que l’événement s’est effectivement produit. La question posée correctement porte sur la prévisibilité ou non avant que l’incident ne survienne, sans pouvoir compter sur l’avantage du recul [...] » (Rankin, au para 53.)

[149] En l’espèce, il est important de tenir compte du fait que la défenderesse est la GRC, et pourtant, bon nombre des actes de négligence ou des violations allégués relèvent uniquement de la compétence d’autres services de police. Ces actes étaient donc imprévisibles et aucun lien de proximité ne peut être établi.

[150] Les membres du groupe sont les membres des familles et des collectivités des victimes. Même si les cas des victimes avaient relevé de la GRC, il n’y aurait aucune prévisibilité. On ne saurait dire qu’il était prévisible que les politiques et les actes de la GRC porteraient préjudice à la famille d’une victime, ou à un membre de la collectivité à titre privé, et que, dans le cadre d’une enquête sur une personne disparue, les membres de la GRC auraient une obligation envers des membres particuliers du groupe, autre que l’obligation de droit public prévue par la loi qu’ils ont envers toutes les personnes se trouvant au Canada. La GRC n’aurait pu raisonnablement, de façon objective, envisager ou prévoir le type de préjudice que la demanderesse allègue.

[151] Même s’il pouvait y avoir une certaine prévisibilité, il n’y a aucun lien de proximité, comme je l’explique plus loin.

[152] La demanderesse fait valoir qu’il existe un lien de proximité compte tenu de la relation unique (sui generis) entre la GRC et les Autochtones et, surtout, du fait que la GRC sait que les filles et les femmes autochtones sont vulnérables.

[153] Voici comment la CSC a analysé le lien de proximité, au paragraphe 35 de l’arrêt Cooper :

Les facteurs susceptibles de satisfaire à l’exigence de proximité sont variés et dépendent des circonstances de l’affaire. On chercherait en vain une caractéristique unique unificatrice. Comme l’a affirmé le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021, p. 1151 : « Le lien étroit peut être utilement considéré non pas tellement comme un critère en soi, mais comme une notion large qui peut inclure différentes catégories d’affaires comportant différents facteurs » (cité avec approbation dans l’arrêt Hercules Managements, précité, par. 23). Lord Goff a affirmé la même chose dans Davis c. Radcliffe, [1990] 2 All E.R. 536 (C.P.), p. 540 :

[traduction]... il n’est pas souhaitable, du moins, compte tenu de l’évolution actuelle du droit, de tenter de formuler en termes larges et généraux les cas dans lesquels il peut être conclu ou non à la proximité. Au contraire, suivant l’opinion exprimée par le juge Brennan dans Sutherland Shire Council c Heyman (1985) 1988 ABCA 234, 60 ALR 1, p. 43‑44, il est préférable que « le droit élabore graduellement de nouvelles catégories de négligence par analogie aux catégories existantes ».

[154] La demanderesse tente, dans ses allégations, de dire que toutes les victimes sont des personnes vulnérables et elle fait valoir que cette vulnérabilité crée un lien de proximité. Les faits invoqués démontrent toutefois que les disparitions ou les homicides des victimes se sont produits sur une longue période de plusieurs années, et, bien que la GRC soit l’unique défenderesse, les enquêtes ont été menées par de nombreux services de police, parfois sans l’intervention de la GRC. Il n’y a, dans la déclaration, aucune limite de temps pour situer la responsabilité : on peut donc supposer qu’elle vise toute personne qui a disparu depuis la création de la GRC. Les membres du groupe sont dans ce cas toute personne dont un membre de sa famille ou de sa collectivité est une femme autochtone au Canada qui a disparu ou a été assassinée dans une période comportant de nombreuses années, sur l’ensemble du territoire canadien. Cela ne répond tout simplement pas au critère de la proximité.

[155] L’affaire Jane Doe n’est pas utile non plus à la demanderesse en l’espèce parce qu’elle visait une personne qui ciblait un type particulier de victime dans un secteur géographique très précis. L’arrêt Cooper permet certes d’affirmer que les catégories de proximité ne sont pas en nombre limité, mais il est nécessaire d’établir que la catégorie est analogue à une catégorie reconnue. Je ne vois pas d’analogie avec la proximité très restreinte que le juge a reconnue dans l’arrêt Jane Doe qui permettrait d’établir des points de comparaison avec la présente affaire.

[156] La prestation, par la GRC, d’un service – en l’espèce, des services policiers – sur certains territoires ne permet pas non plus d’établir un lien de proximité. La CSC a fait les remarques suivantes au paragraphe 72 de l’arrêt Alberta Elders : « [...] Comme dans l’arrêt Broome, la simple prestation d’un service ne suffit pas, à elle seule, pour établir une relation de proximité entre le gouvernement et les demandeurs. »

[157] Le lien de proximité ne peut être fondé uniquement sur des déclarations publiques générales du commissaire de la GRC ou de la GRC annonçant qu’ils [traduction] « peuvent faire mieux ». L’existence au sein de la GRC de programmes comme les projets Devote, KARE et E‑PANA n’établit pas en soi un lien de proximité et une prévisibilité. Une situation factuelle particulière concernant une femme autochtone identifiée dans le cadre du projet comme étant vulnérable et ciblée, comme c’était le cas dans l’affaire Jane Doe, peut établir un lien, mais des projets à grande échelle qui s’étendent sur plusieurs années et dans plusieurs secteurs géographiques différents ne permettent pas à cet argument de satisfaire au critère juridique du lien de proximité (Imperial Tobacco, aux para 49‑50).

[158] De plus, la demanderesse n’est pas elle‑même une victime, comme c’était le cas dans l’affaire Jane Doe, mais une personne qui a un lien avec une victime. Le lien de proximité est donc encore plus distant. Gardant cette distance à l’esprit, j’estime que la description du groupe empêche la GRC d’avoir un quelconque rapport de proximité dans les cas où elle n’était pas le service de police qui a mené l’enquête ou qui avait compétence.

[159] De plus, comme l’a enseigné la CSC, l’examen des politiques se fait à l’étape qui porte sur la proximité (Cooper, au para 31). Les politiques actuelles de la GRC – ou l’absence de politiques, comme la demanderesse l’a allégué – ne confèrent pas à cette mesure la prévisibilité nécessaire pour faire de l’obligation de diligence de la GRC une obligation qui n’est pas de droit public, et ce, particulièrement parce que les faits substantiels invoqués ne rattachent pas l’obligation aux activités, mais plutôt aux politiques (Francis v Ontario, 2021 ONCA 197 au para 98; Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184 au para 120).

[160] Comme j’ai conclu qu’il n’a pas été satisfait au critère établi dans les arrêts Anns et Cooper à la première étape l’analyse, il n’est pas nécessaire que je me livre à un examen détaillé à la deuxième étape. Cependant, compte tenu des conclusions tirées dans la jurisprudence, il semble que la présente affaire ne répondrait pas aux exigences de la deuxième étape.

[161] Dans l’arrêt Alberta Elders, la juge en chef a conclu ce qui suit :

Si les allégations franchissaient avec succès la première étape du critère Anns/Cooper, elles devraient être rejetées à la deuxième étape, où il faut se demander si l’obligation de diligence prima facie est écartée par des considérations de politique générale. Si le défendeur est une entité publique, il peut être difficile d’inférer une obligation de diligence de droit privé en se fondant sur des obligations d’origine législative. Cette inférence doit respecter le rôle constitutionnel particulier de ces institutions : Welbridge Holdings Ltd. c. Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957, le juge Laskin (plus tard Juge en chef), s’exprimant au nom de la Cour. Se rattache à cette préoccupation la crainte que le gouvernement soit constamment exposé à des recours privés, ce qui peut grever les ressources publiques et freiner l’intervention du gouvernement. Il est possible de soutenir que l’imposition d’une obligation de diligence envers le groupe de demandeurs, au vu des faits allégués, autorisait à invoquer la négligence tout patient du système de santé ayant droit au financement des services de santé, qu’ils soient primaires ou complémentaires. Cela évoque le risque d’une responsabilité illimitée envers un groupe indéterminé, ce que déplorait le juge en chef Cardozo dans Ultramares Corp. c. Touche, 174 N.E. 441 (N.Y. 1931), p. 444 : voir Design Services Ltd. c. Canada, 2008 CSC 22, [2008] 1 R.C.S. 737, par. 59‑66.

Pour ces motifs, je suis d’avis que les allégations ne révèlent pas une obligation de diligence et que la cause d’action telle qu’elle a été plaidée est vouée à l’échec. Par conséquent, je suis d’avis de radier en totalité l’allégation de négligence.

(Alberta Elders, aux para 74‑75, non souligné dans l’original.)

[162] Les dispositions législatives qui régissent la GRC (notamment l’art. 18 de la Loi sur la GRC et les règlements) confirment la nature de droit public de l’obligation de diligence. Le principe général selon lequel la GRC a des obligations envers le grand public n’a pas été écarté et, par conséquent, il n’est pas nécessaire qu’une action en négligence soit intentée sur le fondement d’une obligation de droit privé. Le régime législatif à l’examen ne fait pas naître une obligation de droit privé : l’obligation existait donc envers le public en général, et non envers des personnes particulières ou envers le groupe particulier, comme il est allégué.

[163] L’obligation de diligence constitue le premier élément d’une cause d’action fondée sur la négligence systémique et, pour les motifs mentionnés ci‑dessus, je conclus que les allégations ne révèlent pas l’existence d’une obligation de diligence et que la cause d’action telle qu’elle a été invoquée est vouée à l’échec. Il n’est pas nécessaire d’analyser les autres éléments de la négligence systémique.

[164] En résumé, il est évident et manifeste que la cause d’action fondée sur la négligence systémique est vouée à l’échec vu l’absence d’une obligation de diligence de droit privé, et qu’aucun lien de proximité ou prévisibilité n’est possible entre la GRC et les membres du groupe (voir aussi la section intitulée « L’enquête policière négligente » plus loin).

B. L’obligation fiduciaire : la cause d’action

[165] Bien que la demanderesse n’allègue pas expressément un manquement à l’obligation fiduciaire, elle fait valoir que l’argument exposé au paragraphe 52b) du MFDD – selon lequel une cause d’action n’est pas [traduction] « définie uniquement par les mots précis de son libellé » comme la négligence ou un manquement à l’obligation – et le paragraphe 9 de la déclaration– selon lequel la GRC a une [traduction] « responsabilité spéciale de veiller à la protection des peuples autochtones » – permettent d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire que cette cause d’action soit expressément alléguée pour que la Cour autorise l’action comme recours collectif sur ce fondement.

[166] L’élément requis, dit‑elle, est simplement la [traduction] « situation factuelle dont la simple existence permet à une personne d’obtenir, de la part du tribunal, réparation à l’égard d’une autre personne » (MFDD, au para 52). Elle invoque, à l’appui de son affirmation, la décision Shubaly v Coachman Insurance, 2012 ONSC 5455 au para 15. Pour ces motifs, la demanderesse dit que les actes de procédure révèlent, conformément à l’alinéa 334.16(1)a) des Règles, une cause d’action fondée sur le manquement à une obligation fiduciaire.

[167] La demanderesse soutient qu’[traduction] « [e]n l’espèce, il existe une obligation de diligence découlant de l’obligation fiduciaire qu’a le Canada envers l’ensemble de la population autochtone » (MFDD, au para 71). Elle affirme que [traduction] « [s]i la Cour conclut à l’existence d’une obligation fiduciaire, l’existence d’une obligation de diligence serait établie prima facie » (MFDD, au para 76). La demanderesse dit qu’il existe en l’espèce une obligation fiduciaire et que cette obligation emporte, par conséquent, une obligation de diligence. La demanderesse soutient que la GRC avait déjà une obligation envers les membres du groupe, et que, par conséquent, aucune considération de politique prioritaire ne peut écarter cette obligation.

[168] Il est difficile de savoir quel argument concerne la relation fiduciaire, qui est la cause d’action indépendante, et quel argument concerne l’obligation fiduciaire sur laquelle serait fondée l’obligation de diligence de droit privé qu’a la GRC envers le groupe.

[169] Dans l’affaire Andriuk v Merrill Lynch Canada Inc, 2013 ABQB 422 [Andriuk], conf par 2014 ABCA 177, madame la juge S L Martin, maintenant juge à la CSC, a été appelée à résoudre cette difficulté dans une situation quelque peu similaire. Dans cette affaire, les actes de procédure des demandeurs ne comportaient aucune allégation de déclarations inexactes faites par négligence (Andriuk, au para 89), et leur allégation d’enrichissement injustifié n’était pas suffisamment détaillée parce qu’elle ne faisait pas état du troisième élément nécessaire à l’établissement de l’enrichissement injustifié (Andriuk, au para 91). De plus, comme en l’espèce, l’allégation de manquement à l’obligation fiduciaire n’était mentionnée que dans un paragraphe concernant les délais de prescription (Andriuk, au para 92).

[170] La juge Martin a conclu que [traduction] « [...] [l]a défenderesse a le droit de connaître les faits substantiels sur lesquels les demandeurs se fondent pour appuyer chaque catégorie de négligence : des allégations générales de négligence ne sont pas suffisantes » (Andriuk, au para 89). Elle a renvoyé à la décision Martin v Astrazeneca Pharmaceuticals Plc, 2012 ONSC 2744, où la juge Horkins a conclu au paragraphe 132 que les demandeurs n’avaient pas tenu compte dans leurs actes de procédure des différences entre les divers types d’activités négligentes et qu’au lieu d’être précis et clairs, les actes de procédure étaient confus et vagues (Andriuk, au para 73).

[171] Au final, la juge Martin a conclu comme suit :

[traduction]
[...] Est plus problématique l’absence dans les actes de procédures de certains éléments essentiels qui ne peuvent être comblés même si la Cour se sert de la preuve et des autres éléments à l’appui de la demande.

Les avis sont partagés dans la jurisprudence au sujet du rôle du juge chargé de trancher une demande d’autorisation et quant à la mesure dans laquelle il peut intervenir et combler les lacunes de la définition du groupe ou d’autres aspects de la demande. Le juge Winkler dans la décision Caputo v Imperial Tobacco Ltd (2004), 236 D.L.R. (4th) 348 (ONSC), au para 41, a rejeté la demande par laquelle les demandeurs cherchaient par tous moyens à redéfinir le groupe afin de faire en sorte que l’action soit autorisée comme recours collectif [...]

(Andriuk, aux para 106‑107, non souligné dans l’original.)

[172] Je conclus que les faits de l’espèce évoquent la même situation. Les faits substantiels qui font état de chacun des éléments essentiels se rapportant à chacune des causes d’action soulevées n’établissent pas clairement les éléments essentiels de l’obligation fiduciaire ou de plusieurs autres causes d’action. Je suppose qu’ils n’y parviennent pas parce que la présente action – qui est vague et large, qui couvre une très longue période et qui comporte des facteurs et des acteurs fort différents – rend leur inclusion impossible : les variables sont trop nombreuses pour que l’action puisse se prêter à un recours collectif, malgré tous les efforts louables déployés pour le compte de la demanderesse.

[173] La déclaration ne comporte aucune mention d’une obligation fiduciaire et rien ne permet de conclure qu’elle comporte une cause d’action de cette nature (Andriuk, aux para 92‑93).

[174] En l’absence des faits substantiels ou même des éléments nécessaires pour étayer une cause d’action fondée sur un manquement à une obligation fiduciaire, je ne puis autoriser une cause d’action fondée sur un manquement à une obligation fiduciaire.

C. L’enquête policière négligente : la cause d’action

[175] Selon la demanderesse, le délit [traduction] « [d’]enquête policière négligente », qui se rapporte à l’obligation de diligence que les policiers ont envers les suspects sur lesquels ils enquêtent, pourrait être examiné soit de l’autre bout de la lorgnette soit d’un tout autre point de vue, de manière à ce qu’il puisse aussi viser les victimes et, par extension, les membres du groupe. Elle fait valoir qu’il n’est pas évident et manifeste qu’il ne sera pas conclu à l’existence d’une obligation de diligence interprétée très différemment lors l’audition des questions communes et que cette cause d’action est raisonnablement justifiée.

[176] La demanderesse a allégué ce qui suit :

[traduction]
78f. La Cour suprême du Canada a déjà reconnu l’existence du délit d’enquête policière négligente dans le cas où un suspect subit, dans le cadre d’une enquête policière, un préjudice indemnisable et qu’il a ensuite été acquitté ou exonéré de tout blâme : Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41. Il est entendu que les allégations contenues aux para 78d à 78i ne sont pas fondées sur la cause d’action exposée dans l’arrêt Hill, mais sur une approche complètement différente de la question.

78g. Les allégations énoncées aux para 74 à 78 sont incorporées par renvoi à l’allégation d’enquête policière négligente.

78h. La GRC doit satisfaire à une norme de diligence applicable à l’égard de la demanderesse et de chaque membre du groupe en ce qui concerne les enquêtes qu’elle a menées, conformément aux obligations qui lui incombent, sur l’homicide ou la disparition des victimes concernées.

78i. En raison des circonstances et de l’obligation de la GRC de s’acquitter des obligations de l’État à l’égard des personnes autochtones, la norme de diligence que la GRC doit appliquer à l’égard de la demanderesse et de chaque membre du groupe est plus élevée que celle qui est appliquée à l’égard des membres du public en général.

78j. La GRC savait ou aurait dû raisonnablement savoir qu’un manquement aux obligations de la GRC et à la norme de diligence applicable causerait vraisemblablement un préjudice aux membres du groupe.

78k. La GRC, par ses pratiques d’enquête policière négligentes, n’a pas respecté la norme de diligence applicable, causant des dommages prévisibles et indemnisables à la demanderesse et à chaque membre du groupe, comme il est allégué dans la présente déclaration.

(Déclaration, aux para 78f‑78k.)

[177] La demanderesse s’attend à ce que la GRC allègue que la déclaration ne révèle aucune cause d’action vu qu’elle n’aurait pas qualité pour agir afin d’intenter un recours contre la GRC, compte tenu de l’arrêt Hill et la décision Jane Doe. En réponse, la demanderesse dit que ces tribunaux n’ont pas exclu la possibilité qu’un groupe bénéficie de l’obligation de diligence.

[178] Elle affirme ensuite que le groupe appartient à un cercle de personnes que la GRC qualifierait raisonnablement de personnes à risque de subir un préjudice si elles faisaient l’objet d’une enquête négligente. Pour étayer son affirmation, la demanderesse renvoie aux lois sur les personnes à charge, c.‑à‑d. des lois provinciales qui confèrent aux personnes exclues par la common law le droit à l’exercice d’un recours. Elle dit également que les allégations dérivées reconnues par la common law ne sont pas inutiles et elle cite plusieurs affaires à l’appui.

(1) Analyse

[179] Le critère qui permet de savoir s’il y a eu inobservation de la norme applicable pour les besoins de ce délit est le même qui sert à toute analyse en matière de négligence. Dans l’arrêt Hill, la CSC a utilisé le critère établi dans les arrêts Anns et Cooper pour conclure à l’existence d’une nouvelle obligation de diligence, puis a examiné les considérations de politique. Le « nouveau » délit est décrit avec justesse comme étant une nouvelle obligation de diligence applicable en matière de négligence (Hill, aux para 19 à 50).

[180] Jusqu’à présent, les tribunaux ont reconnu clairement et de façon non équivoque l’existence d’une obligation de diligence applicable à une enquête négligente envers une personne faisant l’objet d’une enquête. Élargir cette obligation de manière à y inclure les victimes, leurs familles ou des membres du groupe serait exagéré. Aucun lien de proximité ne permet d’établir une obligation de diligence au vu des faits substantiels invoqués en l’espèce (voir les paragraphes ci‑dessus sur l’analyse de l’obligation de diligence en matière de négligence systémique, laquelle vise également à l’obligation de diligence applicable en matière d’enquêtes négligentes).

[181] Aucune affaire ne porte directement sur les mêmes faits que ceux de l’espèce, mais il ne faut pas s’en étonner car la prévisibilité et le lien de proximité sont très difficiles à établir en l’espèce.

[182] Même les hypothèses ou le deuxième volet du critère établi dans les arrêts Anns et Cooper ne sont d’aucune utilité pour examiner si des considérations de politique rendraient l’obligation de diligence impraticable ou inopportune, vu qu’aucune n’a été invoquée. Il pourrait y avoir un fond de vérité à l’argument de la demanderesse selon lequel il appartient normalement au juge de première instance de tirer les conclusions quant aux considérations de politique après avoir apprécié la preuve. Cependant, comme je ne retiens pas l’argument selon lequel les policiers ont une obligation de droit privé envers la demanderesse (et envers les membres potentiels du groupe) en raison du caractère impérieux de l’obligation de diligence de droit privé que les policiers ont envers un suspect faisant l’objet d’une enquête, je n’ai pas besoin d’approfondir mon analyse.

[183] De plus, je renvoie à la décision Andriuk, où la juge Martin a dit que, même avec une approche libérale, la cause d’action présentait tellement de difficultés qu’en l’absence de faits substantiels suffisants, il était impossible de combler les lacunes (Andriuk, au para 108).

[184] Pour ces motifs, il est évident et manifeste que la cause d’action fondée sur l’enquête négligente est vouée à l’échec.

D. La faute dans l’exercice d’une charge publique

[185] La demanderesse reconnaît que ce délit ne sera pas établi sur le seul fondement de la négligence, mais elle affirme que des éléments de preuve se rapportant à une faute dans l’exercice d’une charge publique sont présents. Elle fait valoir que la prise de décision gouvernementale, normalement insuffisante pour établir ce délit intentionnel, est démontrée par la publication du rapport final (MFDD, aux para 90‑92).

[186] La demanderesse soutient que les éléments du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique sont les suivants :

[traduction]
Les éléments constitutifs du délit de « faute dans l’exercice d’une charge publique » sont les suivants (et sont allégués dans la demande) : a) le défendeur doit être un fonctionnaire ou une autorité publique; b) le défendeur doit avoir eu une conduite illégitime et délibérée en sa qualité de fonctionnaire ou d’autorité publique; c) le défendeur doit avoir un état d’esprit coupable, c.‑à‑d. que le fonctionnaire doit avoir été au courant : (i) du caractère illégitime de sa conduite et (ii) de la probabilité qu’elle cause un préjudice au demandeur; d) la conduite doit avoir causé un préjudice au demandeur; e) le préjudice doit être indemnisable suivant les règles de droit en matière délictuelle.

(MFDD, au para 90.)

[187] Dans l’arrêt Odhavji, la CSC énonce les éléments suivants :

Il existe à mon avis deux éléments communs. Premièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée. Deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. C’est la manière dont le demandeur prouve les éléments propres au délit qui permet de distinguer les formes que prend la faute dans l’exercice d’une charge publique. Dans la catégorie B, le demandeur doit établir l’existence indépendante des deux éléments constituant le délit. Dans la catégorie A, le fait que le fonctionnaire public ait agi expressément dans l’intention de léser le demandeur suffit pour établir l’existence de chaque élément du délit, étant donné qu’un fonctionnaire public n’est pas habilité à exercer ses pouvoirs à une fin irrégulière, comme le fait de causer délibérément préjudice à un membre du public. Dans les deux cas, le délit se caractérise par une insouciance délibérée à l’égard d’une fonction officielle conjuguée au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au demandeur.

(Odhavji, au para 23, non souligné dans l’original.)

[188] Il y a désaccord quant à la question de savoir si la demanderesse doit nommer une personne ou un groupe de personnes en particulier pour que ce délit soit établi. La demanderesse soutient qu’il n’est pas nécessaire de nommer une personne en particulier. C’est aussi l’avis du juge Stratas dans l’arrêt Merchant Law, selon qui « [d]ans un grand nombre de cas, il peut être impossible pour le demandeur d’identifier un responsable en particulier » (Merchant Law, au para 38). Il ajoute toutefois ce qui suit :

[...] [D]ans les affaires de ce genre, un demandeur devrait être en mesure d’identifier un groupe de personnes en particulier chargés de l’affaire, l’un ou plusieurs d’entre eux étant présumément responsables. Cela peut nécessiter d’avoir à identifier les postes, un secteur organisationnel, un bureau ou un édifice où travaillaient les personnes ayant traité l’affaire. Souvent, ces informations peuvent être tirées directement des communications écrites ou orales et des échanges entre les parties qui ont donné lieu à la réclamation. Dans ce genre d’affaires, on peut généralement se contenter de fournir ce degré de précision pour l’identification.

(Merchant Law, au para 38.)

[189] La demanderesse a fait les observations suivantes :

[TRADUCTION]
La faute dans l’exercice d’une charge publique est un délit intentionnel et ne sera pas établie sur le seul fondement de la négligence. Cependant, l’élément autochtone entre en jeu dans l’analyse. La question de savoir si dans sa prise de décision le gouvernement peut ignorer, ou délibérément ne pas faire respecter, les droits spéciaux garantis aux peuples autochtones. Il est vrai que la prise de décision gouvernementale ne justifie pas normalement une allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique, mais la question prend une autre ampleur dans le contexte autochtone. En l’espèce, le rapport d’enquête, les interrogatoires des déposants de la défenderesse et le rapport Gabor sont pertinents.

(MFDD, au para 92.)

[190] La demanderesse s’appuie sur l’affaire Goyal v Niagara College of Applied Arts and Technology, 2018 ONSC 2768 [Goyal], où la faute n’était reprochée qu’à un bureau d’immigration particulier, pour affirmer qu’aucun détail n’est requis. Elle soutient que la CAF a dit que l’identité d’une personne va au‑delà de ce qui est requis et qu’il suffit d’identifier un groupe de personnes comme la GRC, particulièrement au stade de la présente requête. Or, ce n’est pas ainsi que j’interprète l’arrêt Merchant Law et la décision Goyal. Dans l’arrêt Merchant Law, la CAF dit clairement qu’un certain degré de précision est nécessaire. Dans l’affaire Goyal, une direction particulière d’un bureau d’immigration était visée, et non Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada dans son ensemble. En l’espèce, la GRC est visée dans son ensemble, et le degré de précision auquel la défenderesse a droit n’y est pas.

[191] Il y a une allégation générale selon laquelle la GRC n’a pas mis en œuvre une politique ou des procédures appropriées, mais aucune précision n’y est fournie et elle ne remplit aucun des volets du critère, étant donné que la demanderesse n’est d’aucune façon raisonnablement susceptible d’être lésée par une inconduite délibérée. Aucun endroit (autre que le Canada en général) ou période n’est rattaché à un préjudice précis causé à une personne.

[192] Cette allégation n’est pas suffisante, et elle ne semble guère plus qu’un simple ultime effort infructueux. Les faits substantiels visent un organisme, et non une division ou un détachement de la GRC en particulier : ce n’est pas une cause de rejet dans tous les cas, mais c’en est une au vu des faits de l’espèce. Hormis le fait qu’ils sont formulés en termes généraux, les faits substantiels ne renvoient à aucune conduite illégitime et délibérée qui devait être alléguée.

[193] En conclusion, aucun des faits substantiels invoqués me permet de ne pas conclure que cette cause d’action n’est pas vouée à l’échec.

E. Les atteintes à la Charte

[194] La demanderesse soutient qu’en raison de la violation continue des articles 7 et 15 de la Charte, découlant des lacunes dans les enquêtes de la GRC, elle a droit à des dommages‑intérêts en vertu de l’article 24.

[195] Dans ses observations, la demanderesse affirme qu’une négligence systémique est constatée dans les activités de la GRC, et que le racisme systémique ainsi que les attitudes et approches racistes à l’égard des Autochtones règnent au sein de la GRC. Elle allègue en outre que les enquêtes, la formation et les activités inadéquates de la GRC ont causé des préjudices aux victimes et aux membres du groupe, et que la GRC avait l’obligation de mener des enquêtes et des activités en tenant compte des besoins uniques et bien connus des membres du groupe et des victimes :

[traduction]
98. La demanderesse réclame des dommages‑intérêts en son nom et au nom des membres du groupe en vertu de l’article 24 de la Charte, en raison du non‑respect continu de la Charte (et en particulier ses art. 7 et 15) de la part de la défenderesse, lequel est attribuable aux lacunes dans les enquêtes de la GRC.

99. En vertu de la Loi sur la GRC, la GRC est chargée de faire respecter le droit canadien, y compris la Charte, et elle doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour veiller à ce que tous aient le droit à la protection que leur confère l’article 7 de la Charte. Le défaut d’enquêter adéquatement les disparitions de femmes autochtones qui leur sont signalées (et qui conduisent souvent au décès de ces femmes) constitue une atteinte aux droits que ces victimes tirent de l’article 7 de la Charte.

100. D’une part, les échecs de la GRC peuvent être attribués à la négligence systémique constatée dans ses activités. D’autre part, les échecs de la GRC sont aussi attribuables au racisme systémique ainsi qu’aux attitudes et approches racistes à l’égard des Autochtones : des pratiques courantes qui se sont propagées à l’ensemble de l’organisation. Le dossier contient une foule d’exemples démontrant le mode de pensée et les approches discriminatoires adoptés par les agents dans le cadre des enquêtes, de sorte que l’Enquête nationale conclut au final que les services policiers canadiens, y compris la GRC, incarnaient une tendance génocidaire.

101. La discrimination fondée sur l’identité autochtone est contraire à l’article 15 de la Charte, et nous soutenons que le fondement factuel qui permet d’affirmer que cette discrimination était systématique au sein de la GRC est plus que minimal.

102. Dans son article intitulé Using Section 24(1) Charter Damages to Remedy Racial Discrimination in the Criminal Justice System, Mme Jamieson dit que la Charte s’est de tout temps révélée un moyen inefficace à l’obtention de dommages‑intérêts dans le cas d’atteintes – en partie en raison de la portée limitée des révisions judiciaires et de la nature évidente de nombreux arguments fondés sur la Charte –, mais que dans les cas de discrimination raciale plus particulièrement, la Cour est investie de l’important pouvoir, si elle décide de l’exercer, de veiller à indemniser les victimes d’atteintes.

103. En l’espèce, il est bien établi que le défaut de la défenderesse de mettre en œuvre des politiques, des procédures, des mécanismes, la surveillance et des outils d’application de la loi, et d’y recourir, a causé un préjudice aux victimes et aux membres du groupe de deux façons diamétralement opposées. Premièrement, les victimes (et, partant, les membres du groupe) ont été lésées par les enquêtes, la formation et les opérations inadéquates de la défenderesse. Deuxièmement, la GRC avait l’obligation – dont elle ne s’est pas acquittée – de mener ses enquêtes et ses activités en tenant compte des uniques – quoique bien connus et documentés – besoins sociaux, économiques, politiques et familiaux des membres du groupe et des victimes.

104. Il n’est pas évident et manifeste que ces allégations sont vouées à l’échec, et la Cour devrait les retenir pour qu’elles puissent être, en conséquence, examinées à l’audition des questions communes.

(MFDD, aux para 98‑104.)

[196] Les allégations concernant les violations de la Charte se trouvent aux paragraphes 81 à 84 de la déclaration. Le texte du paragraphe 79 est le suivant :

[traduction]
La défenderesse a contrevenu aux droits à la sécurité de la personne des victimes parce qu’elle n’a pas tenu une enquête appropriée relativement aux signalements faisant état de leur disparition ou de leur homicide et n’a intenté ensuite aucune poursuite, et parce qu’elle a commis (individuellement et collectivement) les violations reprochées à la GRC, définies ci‑dessus.

[197] La demanderesse énonce dans la déclaration des principes de justice fondamentale, dont les suivants : [traduction] « [L]es fonctionnaires administratifs ont l’obligation d’agir de manière équitable »; « toute personne a une dignité et une valeur inhérentes »; « on répugne généralement à punir celui qui est moralement innocent ». Elle y allègue aussi que la GRC [traduction] « n’a pas respecté [les principes de justice fondamentale] à l’égard des membres du groupe et des victimes du fait des violations qui lui sont reprochées, de la décision opérationnelle qu’elle a prise et des autres manquements qui lui sont reprochés dans la présente déclaration » (déclaration, au para 79i). Elle allègue en outre ce qui suit :

[traduction]
La défenderesse a porté atteinte au droit des membres du groupe de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur l’ethnicité, notamment en raison des violations ci‑dessus mentionnées reprochées à la GRC et de la décision opérationnelle prise par la GRC à l’égard des victimes, alors qu’elle appliquait des normes et politiques distinctes aux victimes non autochtones ou, subsidiairement, parce qu’elle n’a pas fait en sorte que [la GRC] adapte ses normes et politiques de manière à tenir compte des circonstances particulières des victimes.

La discrimination fondée sur l’ethnicité, reprochée à la défenderesse dans la présente déclaration, fait partie du compendium des motifs de stigmatisation des victimes historiquement et généralement perpétués et institutionnalisés par la défenderesse au moyen des violations reprochées à la GRC et de la décision opérationnelle.

(Déclaration, aux para 80‑80a.)

[198] J’estime qu’il s’agit d’énoncés et de conclusions, et non de faits substantiels. La CAF a enseigné que « [...] les simples affirmations sont insuffisantes et ne peuvent fonder une cause d’action » (M. Untel, au para 33). Cela suffit en soi à rejeter cette cause d’action. Cependant, si j’ai tort, d’autres raisons font en sorte que cette cause d’action est vouée à l’échec. Je les énonce ci‑dessous.

[199] L’une des affirmations – soit, la dignité humaine, qui est un principe de justice fondamentale – a été examinée par la CSC dans l’arrêt Rodriguez c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519 [Rodriguez]. Le juge Sopinka, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires, a reconnu l’importance du « respect de la dignité humaine est l’un des principes fondamentaux de notre société », mais il a ajouté qu’il a « toutefois de la difficulté à le qualifier en soi de principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 » (Rodriguez, à la p 592).

[200] La GRC fait valoir que ces affirmations sont en réalité [traduction] « des allégations d’enquête négligente dissimulées dans le libellé de la Charte [...] » et qu’elles ne sauraient être retenues.

[201] Je conviens avec la défenderesse que les allégations, bien qu’elles apparaissent sous une rubrique relative à la Charte, sont en fait des allégations de négligence au sujet desquelles j’ai déjà conclu qu’elles ne révèlent pas l’existence d’une obligation de diligence.

[202] La cause d’action fondée sur l’article 15 est tirée de l’atteinte alléguée aux droits des membres des familles et des collectivités des victimes causée par la discrimination. La demanderesse affirme qu’une négligence systémique est constatée dans les activités de la GRC et que le racisme systémique ainsi que les attitudes et approches racistes à l’égard des Autochtones règnent au sein de la GRC. Elle allègue que les enquêtes, la formation et les activités inadéquates de la GRC ont causé des préjudices aux victimes et aux membres du groupe, et que la GRC avait l’obligation de mener des enquêtes et ses activités en tenant compte des besoins uniques et bien connus des membres du groupe et des victimes, et que ses actes ont porté atteinte aux droits qu’ils tirent de l’article 15 de la Charte.

[203] La GRC affirme qu’aucune des atteintes alléguées aux droits garantis par l’article 15 de la Charte ne révèle une cause d’action à l’égard des membres d’une famille ou d’une collectivité.

[204] Dans l’arrêt Thibaudeau c Canada, [1995] 2 RCS 627, les juges McLachlin et L’Heureux‑Dubé de la CSC (dans des motifs dissidents distincts) ont conclu que la situation de famille constitue un motif de discrimination dans les cas où l’atteinte fondée sur l’article 15 de la Charte alléguée par des parents ne les vise pas eux‑mêmes, mais visent plutôt leur enfant. Cela pourrait être formulé comme une allégation de nature dérivée.

[205] De même, les atteintes fondées sur l’article 15 de la Charte alléguées par les membres du groupe ne peuvent en l’espèce se rapporter à la discrimination subie par une victime ou un membre du groupe. Dans l’arrêt Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271 [Deol], la CAF a clairement dit que les droits à l’égalité qui auraient été violés dans cette affaire ne pouvaient pas être les droits que l’article 15 confère au père de la demanderesse. Le juge Evans a ensuite ajouté : « Une personne ne peut pas non plus se contenter d’invoquer qu’un tiers a été victime de discrimination pour démontrer que ses propres droits, garantis par l’article 15, ont été violés (R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, à la page 145). » (Deol, au para 54.) L’argument de la demanderesse selon lequel il s’agit d’une nouvelle approche ou d’une nouvelle exception encore inexplorée ne saurait être justifié, vu l’absence de faits substantiels et de la vacuité des allégations.

[206] Les allégations d’atteinte à la Charte doivent se rattacher à la personne dont les droits ont été violés (Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27 au para 22). Les membres du groupe ne sont pas les victimes elles‑mêmes et ne peuvent soulever aucune allégation fondée sur les articles 7 ou 15.

[207] L’absence de politiques visant à protéger les droits garantis aux membres du groupe par l’article 7 de la Charte ne constitue pas un manquement à une obligation constitutionnelle qui incombe au gouvernement du Canada. Le caractère inadéquat des programmes du gouvernement ne peut constituer le fondement de cette cause d’action (Scott v Canada (Attorney General), 2017 BCCA 422 au para 89).

[208] De plus, la CSC nous dit que pour l’heure, l’article 7 de la Charte n’impose à l’État aucune obligation positive (Gosselin c Québec (Procureur général) 2002 CSC 84, aux para 81‑82); Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 au para 136).

[209] Il est possible qu’à l’avenir une demande visant à faire reconnaître une obligation positive soit accueillie, mais pour le moment rien dans la jurisprudence ne permet de conclure à l’existence d’une telle obligation en l’espèce. Rien dans la présente affaire ne permet d’établir que l’article 7 impose des obligations positives, et aucun fait substantiel n’a été allégué pour démontrer l’existence d’une telle obligation. Les allégations d’atteinte à la Charte doivent se rattacher à la personne dont les droits ont été violés; en l’espèce, l’atteinte est alléguée par les membres des familles et des collectivités, et non par les victimes elles‑mêmes. Par conséquent, et il ne peut y avoir envers eux une obligation positive pour atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’autres personnes.

[210] Ainsi que l’a écrit le juge Linden au paragraphe 36 de l’arrêt Covarrubias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365 [Covarrubias] :

Les appelants cherchent essentiellement à élargir la portée de l’article 97 de manière à créer un nouveau droit de la personne qui permettrait d’exiger des soins de santé minimum. Bien que leurs intentions soient nobles, la loi ne va pas aussi loin au Canada. Dans l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791, au paragraphe 104, la juge en chef McLachlin et le juge Major expliquent, dans les motifs qu’ils ont rédigés à l’appui de la décision de la Cour, que la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé. Si tel est le cas, la Cour suprême du Canada n’envisagerait probablement pas l’existence d’un droit distinct à des soins de santé pour tout ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi au Canada.

[211] En l’espèce, la demanderesse tente d’élargir la portée des droits garantis par la Charte bien au‑delà de celle qui existe actuellement et, comme dans l’arrêt Covarrubias, ses arguments n’ont pas la moindre chance d’être retenus.

[212] Même si j’ai tort et que, relativement à cette cause d’action, il n’est pas évident et manifeste qu’aucune allégation n’est justifiée pour les motifs mentionnés ci‑dessus, il y a atteinte à l’article 7 uniquement lorsque la privation du droit n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale (R c Malmo‑Levine, 2003 CSC 74 au para 83). La demanderesse allègue que la GRC a une obligation générale d’agir de manière équitable, mais elle ne fournit aucune précision pour démontrer comment les policiers qui enquêtent sur des crimes sont des « fonctionnaires administratifs », et elle ne précise pas non plus quel principe de justice fondamentale n’aurait pas été respecté en l’espèce. Alléguer que [traduction] « toute personne a une dignité et une valeur inhérentes » ne prouve pas que l’atteinte n’est pas conforme à un principe de justice fondamentale. Rien dans ses observations ne permet d’établir un lien entre les actes ou les omissions de la GRC et une atteinte qui n’était pas conforme à un tel principe.

[213] En conclusion, il est évident et manifeste que cette cause d’action est vouée à l’échec.

F. Le non‑respect des lois québécoises

(1) Existe‑t‑il une cause d’action valable fondée sur le Code civil du Québec?

[214] La demanderesse allègue que les articles 1457 et 1621 du CcQ font naître une responsabilité et donnent lieu à des dommages‑intérêts punitifs, respectivement. Les éléments requis sont les suivants : a) le défendeur a commis une faute; b) le demandeur a subi un préjudice; et c) il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

[215] Les allégations de la demanderesse sont les suivantes :

[traduction]
84a. Les faits allégués ci‑dessus sont incorporés par renvoi à la présente allégation.

85. S’agissant des actes que la GRC a commis au Québec, ils constituent :

a) une faute génératrice de responsabilité civile extracontractuelle envers la demanderesse et les membres du groupe, conformément à l’article 1457 du Code civil du Québec, LQ 1991, c 64 (le Code civil), à l’article premier ainsi qu’aux articles 4, 10, 10.1 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C‑12 (la Charte québécoise), et au sous‑alinéa 3a)(i) de la [Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif]; et

b) une atteinte illégitime et délibérée aux droits de la demanderesse et des membres du groupe, qui engage la responsabilité de l’État de verser des dommages‑intérêts punitifs à la demanderesse et aux membres du groupe, conformément à l’article 49 de la Charte québécoise et à l’article 1621 du Code civil.

86. S’agissant des actes que la GRC et ses membres ont commis au Québec, les membres du groupe ont été dans l’impossibilité d’agir, au sens de l’article 2904 du Code civil.

(Déclaration, aux para 84a‑86.)

[216] Dans sa plaidoirie, la demanderesse a dit que les actes commis par la GRC au Québec engagent sa responsabilité civile extracontractuelle envers la demanderesse et les membres du groupe.

[217] La GRC fait valoir que, comme le Québec dispose d’un service de police provincial (et de services de police des Premières Nations), les membres du groupe et les questions n’ont aucun lien avec les violations alléguées aux lois québécoises.

[218] Aucun fait substantiel n’a été invoqué à l’appui d’une quelconque cause d’action qui aurait pris naissance au Québec. Aucun fait substantiel n’a été invoqué afin de fournir à la défenderesse des précisions lui permettraient de présenter une défense. Seules des généralités ont été invoquées, ce qui n’est pas suffisant pour étayer une cause d’action.

[219] Même si la demanderesse n’a invoqué aucun fait substantiel, elle a dit en contre‑interrogatoire sur son affidavit que certaines femmes au Québec qui sont ses amies l’avaient informée qu’il y avait eu des enquêtes de la GRC au Québec visant des membres potentiels du groupe. Toutefois, il n’était pas clair s’il s’agissait de la GRC, et aucun fait substantiel invoqué ne tend à indiquer que la GRC a enquêté sur les homicides ou les disparitions de membres potentiels du groupe au Québec. Il est évident et manifeste que cette cause d’action est vouée à l’échec.

[220] Même si j’ai tort et que suffisamment de faits substantiels sont invoqués à l’appui de cette cause d’action, elle serait certainement vouée à l’échec à l’étape relative au meilleur moyen, car il s’agit d’une tâche très individualisée liée à la compétence. De même, comme je l’ai dit ci‑dessus, la juge Martin a conclu que, lorsque les faits ne sont pas invoqués, il convient d’intervenir pour assumer le rôle d’avocat du groupe.

(2) Existe‑t‑il une cause d’action valable fondée sur la Charte québécoise?

[221] Comme c’était le cas pour la cause d’action fondée sur le CcQ, peu de faits substantiels – voire aucun – sont invoqués concernant cette cause d’action (voir les allégations tirées de la déclaration mentionnées ci‑dessus, au para 215).

[222] Selon la demanderesse, des dommages‑intérêts punitifs pourraient être accordés en vertu de la Charte québécoise. Pour étayer cet argument, elle cite la décision Ludmer v Attorney General of Canada, 2018 QCCS 3381. La demanderesse fait valoir ce qui suit :

[traduction]
108. En ce qui concerne la
Charte québécoise, la demanderesse allègue qu’il y a eu atteinte aux droits suivants que la Charte garantit aux résidents du Québec, ce qui leur donne droit à des dommages‑intérêts : a) le droit à la « sûreté [...] de sa personne » (art premier); b) le droit d’une personne à la sauvegarde de sa « dignité » (art 4); et c) le droit à « la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne », sans discrimination, lequel est analogue à l’article 15 de la Charte (art 10 et 10.1). Les tribunaux québécois autorisent régulièrement des recours collectifs qui comportent des allégations fondées sur la Charte (dont l’atteinte justifierait l’octroi de dommages‑intérêts punitifs, entre autres choses).

109. Les tribunaux québécois ont parfois dit que la Charte des droits et libertés de la personne ne s’applique pas aux actes de l’État. Toutefois, dans la décision Ludmer v Attorney General of Canada, 2018 QCCS 3381, la Cour a examiné si la Charte s’appliquait relativement aux dommages‑intérêts punitifs sollicités dans le cadre d’une demande visant l’Agence du revenu du Canada, un organisme gouvernemental. La cour a refusé d’accorder des dommages‑intérêts punitifs sur le fond, mais non parce que la Charte n’était pas applicable. La demanderesse affirme que, compte tenu de cette absence d’unanimité dans la jurisprudence, l’allégation fondée sur la Charte ne saurait être considérée comme « vouée à l’échec ».

(MFDD, aux para 108‑109.)

[223] Toutefois, dans ma fonction de gardien, je dois m’en tenir aux actes de procédure, et la présente déclaration ne contient pas de faits substantiels qui appuient une telle cause d’action.

[224] Les services de police au Québec sont assurés par la Sûreté du Québec, les services de police municipaux ou les services de police des Premières Nations. Le droit québécois ne devrait pas s’appliquer aux délits qui auraient été commis par la GRC à l’encontre de membres du groupe à l’extérieur du Québec (Tolofson c Jensen, [1994] 3 RCS 1022 au para 43). Aucune allégation n’indique que le non‑respect d’une loi québécoise peut être imputé à la GRC.

[225] Il semblerait que cette cause d’action soit vouée à l’échec et, qu’en conséquence, elle ne peut être retenue. Même si j’ai tort, il s’agit d’une cause d’action très individualisée et la meilleure approche serait d’instruire les demandes séparément étant donné qu’il est peu probable que la GRC soit la partie défenderesse.

[226] Dans les deux allégations concernant le Québec, aucun fait substantiel n’est invoqué, ce qui rend même difficile d’expliquer pourquoi la cause d’action est vouée à l’échec. C’est toutefois pour la raison pour laquelle cette cause d’action est vouée à l’échec.

G. Le non‑respect de la Loi sur les crimes contre l’humanité

[227] Les allégations concernant le non‑respect de la Loi sur les crimes contre l’humanité figurent aux paragraphes 86a à 86h de la déclaration, et reprennent les conclusions du rapport de l’Enquête nationale, daté du 3 juin 2019. D’ailleurs, la demanderesse ajoute au paragraphe 86f : [traduction] « La demanderesse soutient que les actes et les omissions de la défenderesse visant les victimes et les membres du groupe comprennent ceux énoncés par l’Enquête nationale et le rapport final. » Selon ces allégations, des infractions de génocide et de crimes contre l’humanité ont été commises contre les victimes et les membres du groupe, comme suit : a) au moyen des violations reprochées à la GRC; b) par la prise de la décision opérationnelle; c) car [la défenderesse] a délibérément fait abstraction des circonstances [telles que définies dans la déclaration] et s’est livrée à d’autres actes ou omissions de la manière énoncée [dans la déclaration], en contravention de lois canadiennes et du droit international. La demanderesse sollicite le versement de sommes tirées du Fonds pour les crimes contre l’humanité aux familles des victimes et aux membres du groupe en raison des actes génocidaires allégués.

[228] Citant l’arrêt récent Nevsun Resources Ltd c Araya, 2020 CSC 5 [Nevsun], la demanderesse allègue une responsabilité potentielle étant donné que le droit interne intègre le droit international.

[229] Ces allégations seraient étayées par les conclusions de l’Enquête nationale, les violations du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998), Doc. N.U. A/CONF 183/9 [le Statut de Rome] – le traité qui confère compétence à la Cour pénale internationale –, et les manquements aux obligations internationales du Canada. Bien que la Loi sur les crimes contre l’humanité comporte ses propres définitions, elle renvoie aux principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. J’ai, par conséquent, utilisé les définitions contenues dans le Statut de Rome.

[230] Dans ses observations, la demanderesse cite l’arrêt Nevsun, où la Cour affirme que l’évaluation de l’approche incombe au juge de première instance. Selon la demanderesse, il n’est pas évident et manifeste que cette nouvelle cause d’action, dérivée du droit international, est vouée à l’échec, et il est inapproprié pour moi de ne pas laisser au juge de première instance le soin de décider.

(1) Le génocide

[231] Les éléments du crime de génocide sont énoncés dans le Statut de Rome, la Loi sur les crimes contre l’humanité et d’autres instruments juridiques internationaux. Pour qu’un crime soit considéré comme un génocide, les actes génocidaires doivent être commis dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux (Code criminel, art 318(2)). L’insouciance ou la négligence n’est pas visée par cette intention. Les actes en question sont les suivants :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

(Statut de Rome, art 6.)

[232] Le génocide est une infraction criminelle : il n’est pas une cause d’action dans une instance civile. Aucune cause d’action de cette nature n’est encore reconnue en matière civile (Brown v Canada, 2013 ONCA 18 au para 10; Thompson v Manitoba (Minister of Justice), 2016 MBQB 169 au para 30). En revanche, la CSC a dit que l’état du droit quant aux violations du droit international coutumier demeure incertain et que ces violations pourraient donner lieu à des recours civils (Nevsun, au para 69). Or, ces considérations sont sans importance étant donné que la demanderesse n’a pas invoqué les éléments requis du génocide.

[233] Le rapport sur lequel se fonde la demanderesse est un élément de preuve, et non des faits substantiels. Ce rapport couvrait une période de 200 ans au Canada, et on ne saurait dire qu’il permet de satisfaire aux éléments du génocide ou des crimes contre l’humanité qu’aurait commis la GRC. Dans le cadre d’une analyse des causes d’action, je dois examiner les actes de procédure ainsi que les violations reprochées à la GRC, telles qu’elles sont décrites dans la déclaration, et j’estime qu’ils ne permettent pas de satisfaire aux éléments de la définition juridique du génocide.

[234] Par exemple, au paragraphe 75j, la demanderesse allègue que la GRC a délibérément fait abstraction des circonstances. Ces « circonstances » sont définies au paragraphe 75d) de la déclaration. Voici comment la demanderesse définit ces circonstances :

[traduction]
La GRC savait ou aurait dû savoir, à toutes les dates pertinentes, que les victimes (comparativement aux femmes non autochtones ou aux personnes bispirituelles), la demanderesse et les membres du groupe ont été et continuent d’être éprouvés par d’uniques circonstances sociétales, culturelles, criminologiques et d’autres natures qui pourraient avoir une incidence sur la nature et la portée des enquêtes policières concernant des victimes disparues ou assassinées, sur les méthodes et l’approche ainsi que sur les besoins en matière d’affectation des ressources s’y rapportant (les circonstances).

[235] Cette définition ne donne aucun détail sur la perpétration d’un génocide qu’aurait commis la GRC ou sur un élément d’un génocide. Elle explique simplement l’état des choses, et la négligence ne peut être le fondement du génocide. La négligence ne peut être retenue pour étayer un génocide parce que l’intention requise n’est pas présente (Munyaneza c R, 2014 QCCA 906 au para 178, autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2014 CanLII 76857 (le 18 décembre 2014)).

[236] Dans sa plaidoirie, la demanderesse a indiqué que, dans le rapport final sur le génocide, il a été déterminé que le génocide pouvait être compris comme un fait composite. Selon la demanderesse, vu que le premier ministre a accepté le rapport (article de journal déposé en preuve), je dois retenir l’allégation de génocide.

[237] Toutefois, les remarques d’un premier ministre ne sont pas une source de droit. Ces remarques ne constituent pas un fait substantiel, mais elles m’ont été présentées comme éléments de preuve. J’ai fait observer plus haut que les articles de journaux sont des renseignements utiles qui permettent de situer le contexte, malgré toutes les faiblesses liées à une telle preuve que j’ai soulignées. Je fonde ma décision sur la définition juridique du génocide et sur l’absence de faits substantiels à l’appui des éléments de cette cause d’action.

[238] En outre, la demanderesse a invoqué l’affaire Nevsun pour étayer cette cause d’action. Cette affaire concernait une mine en Érythrée détenue par une société minière canadienne et les demandeurs alléguaient des violations d’interdictions de droit international en ce qui concerne l’affectation des travailleurs de la mine. Aucune allégation de génocide n’y était visée. Le lien avec la présente espèce est d’autant plus ténu, car rien dans les allégations n’indique que la GRC remplit les éléments du critère qui permet d’établir le génocide. Même si, dans l’arrêt Nevsun, la CSC a permis que soient instruites les réclamations fondées sur des violations du droit international commises par une société canadienne, elle n’a pas eu à se prononcer sur le contenu d’allégations de génocide. En l’espèce, les actes de procédure ne satisfont pas au critère, et il est évident et manifeste que cette cause d’action est vouée à l’échec.

(2) Les crimes contre l’humanité

[239] La GRC soutient que la demanderesse n’a invoqué aucun fait ni aucun point de droit concernant cette cause d’action.

[240] Dans sa déclaration, la demanderesse allègue ce qui suit :

[traduction]
La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 (la
Loi sur les crimes contre l’humanité) s’accorde avec une interprétation progressiste des infractions qui y sont énoncées, conformément à l’évolution du droit international coutumier.

(Déclaration, au para 86b.)

[241] La demanderesse s’appuie sur des parties du rapport de l’Enquête nationale, qui définit le génocide par rapport au droit international et aux crimes contre l’humanité. Les faits substantiels invoqués pour étayer les causes d’action fondées sur le génocide et les crimes contre l’humanité, figurent au paragraphe 86g et sont les suivants :

[traduction]
a) au moyen des violations reprochées à la GRC;

b) par la prise de la décision opérationnelle;

c) car [la défenderesse] a délibérément fait abstraction des circonstances [telles que définies dans la déclaration];

d) car [la défenderesse] s’est livrée à d’autres actes ou omissions de la manière énoncée [dans la déclaration], en contravention de lois canadiennes et du droit international.

[242] Les crimes contre l’humanité sont définis comme suit dans le Statut de Rome :

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci‑après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque :

a) Meurtre;

b) Extermination;

c) Réduction en esclavage;

d) Déportation ou transfert forcé de population;

e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international;

f) Torture;

g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour;

i) Disparitions forcées de personnes;

j) Crime d’apartheid;

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

(Statut de Rome, art 7.)

[243] Pour les mêmes motifs que j’ai exposés ci‑dessus, je conclus que cette cause d’action est vouée à l’échec parce que les faits substantiels sont insuffisants pour étayer les éléments de la cause d’action. Rien dans les éléments invoqués n’indique que la GRC a agi de manière à favoriser la commission des actes définis ci‑dessus dans le cadre « d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile », lesquels constituent des crimes contre l’humanité.

VIII. Conclusion

[244] La présente requête est rejetée étant donné qu’il est évident et manifeste que la présente déclaration ne saurait aboutir. Cela ne veut pas dire que des actions individuelles ne peuvent pas être instruites.

[245] Je tiens à souligner qu’une réponse au rapport final est attendue et que les membres du groupe sont en mesure d’intenter des actions individuelles.

[246] Les lacunes dans la déclaration ne constituent pas des « carence[s] rédactionnelle[s] », compte tenu de la portée et de l’ampleur du recours collectif envisagé (Alves v First Choice Canada Inc, 2011 SKCA 118 au para 45; Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 à la p 451). Comme l’a dit la CAF :

Lorsqu’un demandeur veut être autorisé à modifier un acte de procédure défectueux, il est approprié que le juge examine toutes les circonstances pertinentes, lesquelles peuvent inclure (a) la genèse de l’acte de procédure en cause, en particulier pour ce qui est de modifications antérieures (ou de tentatives antérieures de modification), (b) toute précision formelle apportée par la partie dont l’acte de procédure est contesté et (c) tout autre élément de preuve fourni par cette partie pour établir que l’acte de procédure peut être modifié de façon à corriger les lacunes.

(Heli Tech Services (Canada) Ltd c Weyerhaeuser Co, 2011 CAF 193 au para 25.)

[247] En l’espèce, la demanderesse a modifié à plusieurs reprises les actes de procédure, mais n’a pas corrigé les lacunes, et aucun élément de preuve n’indique qu’elle sera en mesure de modifier les actes de procédure de manière à permettre aux causes d’action d’être acceptables. D’autres modifications ne permettront pas de régler ce problème.

[248] Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin afin d’examiner si le présent recours collectif satisfait aux exigences du paragraphe 334.16(1) des Règles.

[249] Toutefois, après avoir entendu les arguments sur les autres exigences nécessaires à l’autorisation, j’estime qu’il est clair que la demande, dans sa version actuelle, ne satisferait pas à l’étape relative au meilleur moyen ou que les points communs prédominent sur ceux qui ne concernent qu’un membre, compte tenu du fait que tous ces points que ne partagent pas l’ensemble du groupe sont beaucoup plus nombreux que les points qui sont communs (art 334.16(1)c)‑d) des Règles). La portée des actes de procédure est excessive, car l’examen des allégations démontre qu’aucun fait substantiel n’étaye l’existence d’un lien rationnel avec les arguments présentés.

[250] La présente requête en autorisation est rejetée et la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1304‑18

LA COUR ORDONNE que :

1. La requête est rejetée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


ANNEXE A – Dispositions pertinentes

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRC 1985, c C‑50)

Responsabilité et sauvetages civils

Responsabilité

3 En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec :

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

(ii) le dommage causé par le fait des biens qu’il a sous sa garde ou dont il est propriétaire ou par sa faute à l’un ou l’autre de ces titres;

b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens.

Liability and Civil Salvage

Liability

3 The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(a) in the Province of Quebec, in respect of

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, or

(ii) the damage resulting from the act of a thing in the custody of or owned by the Crown or by the fault of the Crown as custodian or owner; and

(b) in any other province, in respect of

(i) a tort committed by a servant of the Crown, or

(ii) a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.

Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106)

Requête en autorisation

[...]

Contenu de l’affidavit

[334.15] (5) La personne qui dépose un affidavit aux termes des paragraphes (1) ou (4) inclut les éléments suivants :

a) les faits substantiels sur lesquels elle entend se fonder à l’audition de la requête;

b) une affirmation selon laquelle il n’existe pas à sa connaissance de faits substantiels autres que ceux qui sont mentionnés dans son affidavit;

c) le nombre de membres du groupe envisagé, pour autant qu’elle le connaisse.

Motion for Certification

...

Content of affidavit

[334.15] (5) A person filing an affidavit under subsection (1) or (4) shall set out in the affidavit

(a) the material facts on which the person intends to rely at the hearing of the motion;

(b) that the person knows of no fact material to the motion that has not been disclosed in the person’s affidavit; and

(c) to the best of the person’s knowledge, the number of members in the proposed class.

[...]

...

Conditions

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

Conditions

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

Facteurs pris en compte

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

Matters to be considered

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.


ANNEXE B

LES QUESTIONS DE FAIT ET DE DROIT COMMUNES PROPOSÉES

Le contexte

  • a) Les victimes sont‑elles éprouvées par d’uniques circonstances sociétales, culturelles, criminologiques ou d’autres natures – comparativement aux femmes non autochtones ou aux personnes bispirituelles – qui pourraient avoir une incidence sur la nature et la portée des enquêtes policières concernant des victimes disparues ou assassinées, sur les méthodes et l’approche ainsi que sur les besoins en matière d’affectation des ressources s’y rapportant, et, dans l’affirmative, quelles sont ces circonstances (les circonstances)?

  • b) La défenderesse est‑elle au courant des circonstances? Dans l’affirmative, depuis quand et dans quelle mesure?

La négligence et les obligations reconnues par la common law

  • c) La défenderesse a‑t‑elle envers les membres du groupe une obligation de diligence, ou toute autre obligation de diligence reconnue par la common law, en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites relatives aux cas de disparition ou d’homicide des victimes (l’obligation ou son obligation), de façon générale ou en raison des circonstances, notamment les suivantes :

    1. faire preuve de diligence raisonnable pour faire respecter les dispositions du Code criminel, enquêter sur les personnes qui commettent les infractions visées par ces dispositions à l’égard des victimes, et intenter des poursuites;

    2. enquêter sur la disparition et l’homicide des victimes d’une manière qui s’accorde avec les circonstances qui touchent ces victimes et qui y est adaptée, et intenter des poursuites;

    3. mettre en place des politiques, des pratiques et des régimes pour régler les problèmes qui surviennent dans les dossiers des victimes;

    4. affecter et maintenir les ressources nécessaires aux enquêtes sur les victimes;

    5. accroître les ressources lorsque les enquêtes sur les victimes le requièrent;

    6. élaborer, mettre en œuvre, assurer le suivi et appliquer les politiques, les pratiques, les procédures et les régimes nécessaires à la tenue d’une enquête sur les victimes;

    7. affecter et maintenir les ressources permettant d’élaborer, de mettre en œuvre, d’assurer le suivi et d’appliquer les politiques, les pratiques, les procédures et les régimes nécessaires à la tenue d’une enquête sur les victimes;

    8. donner suite aux sources et aux renseignements qui concernent les victimes;

    9. entreprendre et poursuivre les enquêtes des suspects visés dans les dossiers des victimes;

    10. confirmer ou exclure systématiquement les suspects en fonction des éléments de preuve que comportent les dossiers des victimes;

    11. régler les problèmes multi‑juridictionnels et collaborer efficacement entre les ministères et avec les services de police provinciaux et municipaux afin de contribuer à faire avancer les dossiers des victimes;

    12. superviser et gérer adéquatement les enquêtes sur les victimes;

    13. procéder à des examens internes pour surveiller, entre autres, les enquêtes qui traînent et prendre des mesures correctives, au besoin, lorsque les dossiers des victimes le requièrent;

    14. se conformer à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, notamment les articles 18, 37 et 38 (y compris le code de déontologie) (collectivement, les obligations de la GRC)?

  • d) Si la réponse à la question c) est affirmative, quelle est la norme de diligence applicable à ces obligations? Les circonstances influent‑elles sur la norme de diligence et, dans l’affirmative, de quelle façon?

  • e) La défenderesse a‑t‑elle exécuté les obligations de la GRC, ou toute autre obligation reconnue par la common law dont bénéficient le groupe, les victimes ou les deux, d’une manière nettement différente de celle dont elle exécute les obligations de la GRC, ou toute autre obligation reconnue par la common law dont bénéficie toute personne autre que les membres du groupe ou les victimes?

  • f) Quels régimes, politiques et pratiques la défenderesse a‑t‑elle mis en place depuis 1982 pour s’acquitter des obligations de la GRC, de son obligation ou de toute autre obligation connexe reconnue par la common law?

    1. La mise en œuvre opérationnelle de ces politiques, pratiques et régimes était‑elle suffisante pour s’acquitter des obligations de la GRC, de l’obligation ou de toute autre obligation connexe reconnue par la common law que la défenderesse a envers les membres du groupe ou les victimes?

    2. Si la norme de diligence applicable aux obligations de la GRC est fonction des circonstances, la mise en œuvre opérationnelle de ces politiques, pratiques et régimes était‑elle suffisante pour s’acquitter des obligations de la GRC, de l’obligation ou de toute autre obligation connexe reconnue par la common law que la défenderesse a envers les membres du groupe ou les victimes?

  • g) La défenderesse pouvait‑elle raisonnablement prévoir qu’un manquement aux obligations de diligence mentionnées ci‑dessus causerait vraisemblablement un préjudice aux membres du groupe?

  • h) La défenderesse a‑t‑elle fait preuve de négligence, ou de négligence systématique, dans l’exécution de son obligation, des obligations de la GRC ou de toute autre obligation reconnue par la common law dont bénéficient les membres du groupe :

    1. soit parce que les services qu’elle a fournis aux victimes et aux membres du groupe étaient de qualité inférieure comparativement aux services qu’elle a fournis à d’autres;

    2. soit parce qu’elle n’a pas fourni aux victimes et aux membres du groupe des services dont la qualité et la teneur étaient adaptées aux circonstances qui leur étaient propres?

La faute dans l’exercice d’une charge publique

  • i) La GRC :

    1. a‑t‑elle pris la décision de fournir aux victimes et aux membres du groupe des services de qualité inférieure comparativement à ceux qu’elle a fournis à d’autres?

    2. ou, subsidiairement, sa décision de fournir aux victimes et aux membres du groupe des services dont la qualité et la teneur n’étaient pas adaptées aux circonstances qui leur étaient propres, a‑t‑elle été prise délibérément?

  • j) Si la réponse à la question i) est affirmative, ces décisions étaient‑elles illégitimes quant à la manière dont elles ont été prises et quant aux critères appliqués pour les prendre?

  • k) Si les réponses aux questions h) et i) sont toutes deux affirmatives, la GRC savait‑elle que la prise de ces décisions serait causerait vraisemblablement un préjudice aux victimes et aux membres du groupe?

La Charte canadienne des droits et libertés

  • l) La défenderesse a‑t‑elle porté atteinte aux droits que la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux membres du groupe lorsqu’elle s’est acquittée de son obligation, des obligations de la GRC ou de toute autre obligation reconnue par la common law dont bénéficient les membres du groupe, et, dans l’affirmative, cette atteinte devrait‑elle donner lieu à des dommages‑intérêts?

La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

  • m) Les actes ou omissions de la défenderesse, y compris ceux qui sont définis dans la déclaration comme étant les violations reprochées à la GRC, la décision opérationnelle et les actes génocidaires, selon le cas :

    1. contreviennent‑ils à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24, et, dans l’affirmative, les membres du groupe ont‑ils droit à une indemnisation tirée du Fonds pour les crimes contre l’humanité?

    2. constituent‑ils une infraction de génocide commis à l’encontre des victimes et des membres du groupe, conformément à la définition issue des lois canadiennes et du droit international?

    3. constituent‑ils une infraction de crimes contre l’humanité contre les victimes et le groupe, telle qu’elle est définie dans les lois canadiennes et internationales?

Les résidents du Québec

  • n) La défenderesse a‑t‑elle porté atteinte aux droits que le Code civil du Québec, LQ 1991, c 64, confère aux membres du groupe qui résident au Québec lorsqu’elle s’est acquittée de son obligation ou des obligations de la GRC, et, dans l’affirmative, cette atteinte devrait‑elle donner lieu à des dommages‑intérêts?

  • o) La défenderesse a‑t‑elle porté atteinte aux droits que la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C‑12, garantit aux membres du groupe qui résident au Québec lorsqu’elle s’est acquittée de son obligation ou des obligations de la GRC, et, dans l’affirmative, cette atteinte devrait‑elle donner lieu à des dommages‑intérêts?

Les dommages‑intérêts

Quels dommages‑intérêts les membres du groupe ont‑ils le droit d’obtenir de la part de la défenderesse? Est‑il possible que ces dommages‑intérêts soient payés au moyen d’une somme globale?

  • p) Si les réponses aux questions g), h), i)‑k), l), m) ou n) sont affirmatives, la défenderesse est‑elle tenue de verser des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs, et, dans l’affirmative, quel en est le montant, à qui sont‑ils payables et comment doivent‑ils être distribués?


ANNEXE C

[traduction]

LES ALLÉGATIONS DE NÉGLIGENCE SYSTÉMIQUE

73b. Les faits allégués ci‑dessus sont incorporés par renvoi à la présente allégation.

74. La demanderesse et les membres du groupe ont subi une souffrance morale et un préjudice psychologique inutiles et évitables en raison du fait que la GRC ne s’est pas acquittée de ses obligations, notamment parce qu’elle n’a pas tenu une enquête appropriée sur la disparition ou l’homicide des victimes et n’a intenté aucune poursuite.

74a. Les actes ou omissions par lesquels la défenderesse n’a pas empêché la souffrance morale, le préjudice psychologique et les dommages causés aux membres du groupe, mentionnés dans la présente déclaration, peuvent être arrêtés sans tenir compte des circonstances propres à chaque membre du groupe.

74b. Le défaut de la GRC de s’acquitter de ses obligations, définies dans la présente déclaration, était de nature systémique.

75. La GRC et ses membres avaient une obligation de diligence envers la demanderesse et les membres du groupe; la GRC devait faire prévaloir le droit et utiliser toutes les stratégies et techniques d’enquêtes à sa disposition pour régler les cas signalés de femmes autochtones disparues ou assassinées.

75a. L’obligation de la GRC de respecter ses obligations était évidente et inaltérable à toutes les dates pertinentes.

75b. L’obligation de la GRC de respecter ses obligations était commune aux victimes, à la demanderesse et aux membres du groupe.

75c. Le défaut de la GRC de respecter ses obligations constituait une pratique générale qui a perduré un certain nombre d’années et une norme inférieure à toutes les normes de diligence applicables aux obligations que la GRC avait envers les victimes ou les membres du groupe.

75d. La GRC savait ou aurait dû savoir, à toutes les dates pertinentes, que les victimes (comparativement aux femmes non autochtones ou aux personnes bispirituelles), la demanderesse et les membres du groupe ont été et continuent d’être éprouvés par d’uniques circonstances sociétales, culturelles, criminologiques et d’autres natures qui pourraient avoir une incidence sur la nature et la portée des enquêtes policières concernant des victimes disparues ou assassinées, sur les méthodes et l’approche ainsi que sur les besoins en matière d’affectation des ressources s’y rapportant (les circonstances).

75e. La défenderesse était au courant des circonstances.

75f. La défenderesse savait que les circonstances auraient une incidence sur toutes les normes de diligence applicables aux obligations envers les membres du groupe et les victimes.

75g. Dans le contexte entourant les circonstances, telles que définies dans la présente déclaration, la conduite démontrée par la défenderesse envers les membres du groupe et les victimes constituait une norme inférieure par rapport à toutes les normes de diligence applicables aux obligations qu’elle avait envers les membres du groupe et les victimes.

75h. La défenderesse et la GRC ont exécuté les obligations de la GRC et d’autres obligations reconnues par la common law envers le groupe et les victimes d’une manière nettement différente par rapport à la manière dont elles ont exécuté les obligations de la GRC et d’autres obligations reconnues par la common law envers toute personne autre que le groupe ou les victimes.

75i. La défenderesse et la GRC n’avaient pas en place depuis au moins 1982 les politiques, les pratiques et les régimes requis pour s’acquitter des obligations de la GRC et de toute autre obligation connexe reconnue par la common law envers les membres du groupe.

75j. La décision de la défenderesse de ne pas avoir en place depuis au moins 1982 les politiques, les pratiques et les régimes requis pour s’acquitter des obligations de la GRC et de toute autre obligation connexe reconnue par la common law envers les membres du groupe et les victimes, qu’elle ait été au courant des circonstances ou non, constituait une décision opérationnelle (la décision opérationnelle).

75k. La décision opérationnelle de la défenderesse et de la GRC a fait en sorte que la défenderesse et la GRC :

a) ont fait preuve de négligence ou de négligence systémique dans l’exécution des obligations de la GRC et de toute autre obligation connexe reconnue par la common law envers les membres du groupe;

b) a fourni aux victimes et aux membres du groupe des services de qualité inférieure comparativement à ceux qu’elles ont fournis à d’autres;

c) n’a pas fourni aux victimes et aux membres du groupe des services dont la qualité et la teneur étaient adaptées aux circonstances qui leur étaient propres.

76. La GRC a manqué à son obligation de diligence envers la demanderesse et les membres du groupe parce qu’elle ne s’est pas acquittée de ses obligations, collectivement et individuellement, notamment :

a) elle a choisi de ne pas faire une enquête rigoureuse, approfondie ou exhaustive pour donner suite aux signalements de femmes et filles autochtones disparues ou assassinées faits par les membres du groupe, et de ne pas tenir compte de façon appropriée et raisonnable des circonstances uniques des victimes;

b) elle a choisi de ne pas superviser raisonnablement ses membres ou de ne pas prendre des mesures raisonnables pour veiller à ce que ses membres remplissent leurs fonctions de manière responsable et non discriminatoire à l’égard des victimes;

c) elle a choisi de ne pas être transparente et de ne pas rendre compte aux membres du groupe au sujet des enquêtes, des poursuites et de la surveillance menées à l’égard de la disparition ou de l’homicide des victimes;

d) elle a choisi de ne pas reconnaître des situations manifestement exposées au grand jour, de ne pas en être informée, de ne pas enquêter sur elles et de ne pas s’en enquérir;

e) elle n’a pas alerté les victimes de son incapacité à défendre ses droits à la sécurité de leur personne;

f) elle a fourni de fausses garanties de sécurité aux victimes et aux membres du groupe;

g) elle a dispensé une formation inadéquate à ses membres, car elle ne leur a pas permis de mener efficacement leurs enquêtes dans les collectivités autochtones et les concernant;

h) elle n’a pas eu recours à des stratégies d’enquête qui tiennent compte des origines autochtones des témoins et des victimes;

i) elle n’a pas donné suite aux renseignements et n’a pas bien géré les renseignements et les sources;

j) elle a fourni des programmes et des services inadéquats aux membres du groupe;

k) elle a créé ou toléré une culture qui décourageait les membres du groupe à porter plainte ou à signaler une possible inconduite;

l) elle a créé ou toléré des attitudes racistes de la part des membres de la GRC, ce qui a créé des stéréotypes donnant lieu à des enquêtes inadéquates;

m) elle a créé, par l’entremise de ses membres, une méfiance chez les peuples autochtones, ce qui a nui aux enquêtes;

n) elle a créé, au moyen d’enquêtes inadéquates et de l’absence de poursuites, un sentiment selon lequel la vie des femmes et des filles autochtones est de valeur moindre que celle d’autres femmes et filles et selon lequel il y avait peu de chance que les torts subis par les femmes et les filles autochtones fassent l’objet de poursuites; en conséquence, personne ne craignait les poursuites ou les représailles et il y a eu pour cette raison une violence accrue et des décès chez les femmes et les filles autochtones;

o) elle n’a pas tenu les membres du groupe au courant de l’état d’avancement des enquêtes relatives aux victimes. (Les violations reprochées à la GRC.)

76b. Comptent parmi les violations reprochées à la GRC, des violations au code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

76c. En particulier, les violations reprochées à la GRC comprennent notamment le défaut de la GRC et de ses membres de s’acquitter des obligations et responsabilités que leur impose l’article 37 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10. Ces défauts de la GRC sont les suivants :

a) elle n’a pas respecté les droits de toutes personnes, car elle n’a pas respecté pas les droits ci‑dessus mentionnés des victimes et des membres du groupe qui étaient tous visés par un motif commun de discrimination fondé sur leur statut d’Autochtone;

b) elle n’a pas maintenu l’intégrité du droit, de son application ainsi que de l’administration de la justice;

c) elle n’a pas rempli ses fonctions avec promptitude, impartialité et diligence, conformément au droit et sans abuser de son autorité;

d) elle n’a pas veillé à ce que l’inconduite des membres ne soit pas cachée ou ne se répète pas;

e) elle n’a pas agi d’une façon courtoise, respectueuse et honorable;

f) elle n’a pas maintenu l’honneur de la Gendarmerie, ses principes et ses objets, notamment comme suit :

(i) en contravention de l’alinéa 18a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10, elle n’a pas rempli ses fonctions en ce qui concerne la prévention du crime et des infractions commises contre les victimes, ainsi que l’arrestation des criminels et des contrevenants qui s’en sont pris aux victimes et qui peuvent être légalement mis sous garde;

(ii) en contravention de la mission confiée à la commissaire Brenda Lucki par l’honorable Ralph Goodale, c.p., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, telle qu’énoncée dans la lettre de mandat de la commissaire, elle n’a pas accru le rôle de la GRC dans la réconciliation avec les peuples autochtones, réduisant de ce fait l’efficacité, la crédibilité et la confiance dont dépend l’autorité de la GRC;

(iii) en contravention de la lettre de mandat de la commissaire, elle n’a pas dirigé la GRC pendant que se transforment sa culture et ses pratiques de gestion parce qu’elle n’a pas veillé à ce que la GRC offre de façon efficace et efficiente des services de police fondés sur les bonnes priorités, tout en assurant la sécurité des victimes et du groupe, en tant que Canadiens, et en protégeant leurs libertés civiles;

(iv) en contravention de la lettre de mandat de la commissaire, elle n’a pas été un organisme moderne qui reflète les valeurs et la culture du Canada, comme l’inclusion des droits des peuples autochtones, et n’a pas veillé à ce que la GRC compte sur la confiance et le soutien enthousiaste des peuples autochtones, y compris les victimes et les membres du groupe, qu’elle devrait également servir;

(v) contrairement aux valeurs de la GRC énoncées dans son engagement envers les collectivités, elle n’a pas traité les victimes et les membres du groupe sans faire preuve de préjugés et de manière respectueuse, ne s’est pas responsabilisée envers les victimes et les membres du groupe, n’a pas fait preuve d’ouverture à la diversité culturelle des victimes et des membres du groupe, n’a pas eu une communication franche et ouverte avec les victimes et les membres du groupe, n’a pas fait une utilisation efficace et efficiente des ressources à l’égard des victimes et des membres du groupe, n’a pas offert un service de qualité en temps opportun aux victimes et aux membres du groupe;

(vi) contrairement à l’énoncé de vision de la GRC, elle n’a pas été une organisation progressiste, proactive et innovatrice, elle n’a pas fourni un service de la plus haute qualité de concert avec les victimes et les membres du groupe qui, en tant que membres des peuples autochtones, font partie des collectivités que sert la GRC, et ne s’est pas employée à promouvoir la sécurité des collectivités auxquelles appartiennent les victimes et les membres du groupe;

(vii) contrairement à l’énoncé de mission de la GRC, elle ne s’est pas engagée à maintenir la paix dans l’intérêt des victimes et du groupe, à faire respecter la loi dans l’intérêt des victimes et du groupe, et à fournir un service de qualité de concert avec les membres du groupe, qui sont membres des collectivités autochtones;

(viii) contrairement aux valeurs fondamentales de la GRC, elle ne s’est pas conformée aux principes directeurs que sont l’intégrité, l’honnêteté, le professionnalisme, la compassion, le respect et la responsabilisation dans ses relations avec les victimes et les membres du groupe.

77. La GRC savait ou aurait dû savoir que ses actes et omissions (et les actes ou omissions de ses membres), dont les violations reprochées à la GRC, étaient tels qu’ils étaient susceptibles de causer un préjudice aux membres du groupe, lesquels subirait des dommages en conséquence.

78. Les violations reprochées à la GRC n’ont toujours pas cessé.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1304‑18

 

INTITULÉ :

DIANE BIGEAGLE c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 21 au 24 septembre 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 28 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

E. F. Anthony Merchant

Anthony Tibbs

Iqbal Brar

Nicholas Rohachuk

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bruce F. Hughson

Christine Ashcroft

Alethea LeBlanc

Courtney Davidson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group LLP

Regina (Saskatchewan)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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