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Date : 20060706

Dossier : T-1365-05

Référence : 2006 CF 854

 

MONTRÉAL (QUÉBEC), le 6 juillet 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

ENTRE :

 

PATRICIA CASSIDY, CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE QUALICUM, et

DARLENE WELLS, CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE QUALICUM,

en leur nom personnel et au nom du CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE SONGHEES

ainsi qu’au nom de la BANDE INDIENNE SONGHEES ET DE SES MEMBRES

et la PREMIÈRE NATION DE QUALICUM

demanderesses

et

 

KIM RECALMA-CLUTESI et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

défendeurs

 

 

Dossier : T-1454-05

 

ENTRE :

 

PATRICIA CASSIDY, CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE QUALICUM, et

DARLENE WELLS, CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE QUALICUM,

en leur nom personnel et au nom du CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION

DE QUALICUM ainsi qu’au nom de la PREMIÈRE NATION DE QUALICUM

ET DE SES MEMBRES et la PREMIÈRE NATION DE QUALICUM

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

défendeur

 


MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les deux présentes instances portent sur la validité de certaines résolutions d’un conseil de bande adoptées par deux membres seulement d’un conseil de bande composé de trois personnes. Elles découlent du même contexte factuel et elles ont été entendues l’une à la suite de l’autre. Un seul exposé des motifs, qui s’applique aux deux instances, est rendu et des jugements distincts sont prononcés dans chaque cas.

 

[2]               Un conseil de bande, composé de deux conseillers et du chef, régit la Première nation de Qualicum, une petite bande indienne établie sur la côte de l’île de Vancouver. La bande est composée d’environ 110 membres, dont environ 58 ont le droit de voter pour élire le chef et les membres du conseil. Cela signifie que deux membres du conseil seulement, ainsi que le chef, forment le conseil élu, composé de trois personnes. Des divisions profondes entre les membres de la bande se sont manifestées dans le choix du chef et des conseillers élus. Les événements les plus pertinents se sont produits aux mois de juillet et d’août 2005, lorsque les deux conseillères élues ont voulu adopter certaines résolutions du conseil de la bande concernant la procédure suivie par le conseil. Le chef a refusé de reconnaître ces résolutions lorsqu’elles ont été censément adoptées le 8 juillet 2005, et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) a également refusé de les reconnaître. Les deux conseillères ont demandé à la Cour de rendre des jugements déclaratoires au sujet de la validité de ces résolutions. Ces demandes seront examinées plus en détail ci‑dessous étant donné que des modifications et des précisions ont été apportées à la réparation demandée dans chaque instance.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je déclare que toutes les résolutions sont invalides et je n’adjuge de dépens à aucune des parties.

 

[4]               Les demanderesses sont les mêmes dans chaque instance : il s’agit de deux conseillères élues, Mmes Cassidy et Wells. Dans le dossier T‑1365‑05, les défendeurs sont le chef élu de la bande et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Dans le dossier T‑1454‑05, seul le ministre agit comme défendeur.

 

[5]               Dans le dossier T‑1365‑05, la question qui a finalement été formulée à l’intention de la Cour est une demande :

[Traduction] en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que les résolutions adoptées par le conseil de la bande indienne de Qualicum entre le 7 juillet et le 1er août 2005 étaient et sont des résolutions valides et légitimes du conseil de bande de la Première nation de Qualicum.

 

 

[6]               À l’audience, on a restreint le nombre de résolutions à six, sur lesquelles seules les deux conseillères avaient censément voté et qu’elles avaient censément adoptées lors d’une assemblée qui aurait eu lieu le 8 juillet 2005. Pour plus de clarté, ces résolutions, qui se trouvent aux pages 127 à 132 inclusivement du dossier des demandes, sont reproduites ci‑dessous :

[Traduction

1.                    Les seuls signataires autorisés de la Première nation de Qualicum sont Kim Recalma‑Clutesi, Darlene Wells, Patricia Cassidy et Barb Burns. Il faut toujours deux signatures pour les autorisations; cette mesure prend effet immédiatement.

 

2.                    Il est confirmé, conformément à l’article 31 du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, que le président peut voter sur toute question visée par le Règlement :

 

                                                               i.      si le chef ou un conseiller n’est pas présent à l’assemblée du conseil de la bande;

                                                              ii.      s’il y a quorum;

                                                            iii.      si un conseiller de la bande agit comme président de l’assemblée;

                                                            iv.      si deux membres seulement sont présents à l’assemblée.

 

3.                    Toutes les assemblées futures du chef et du conseil de la Première nation de Qualicum auront lieu dans la salle de la bande de la Première nation de Qualicum, à 10 h, aux dates suivantes : les 13, 20 et 27 juillet 2005 – les 3, 10, 17 et 31 août 2005 – les 7, 14, 21 et 28 septembre 2005 – les 12 et 26 octobre 2005 – à 19 h, les 9 et 23 novembre 2005 et à 10 h le 4 janvier 2006.

 

4.                    L’offre relative au poste permanent d’« administrateur de la bande » de la Première nation de Qualicum sera affichée et un concours sera tenu, les candidatures devant être évaluées par un comité établi par Barbara Burns. Une copie de la description de travail pour le poste d’« administrateur de la bande » est jointe à la présente résolution du conseil de la bande.

 

5.                    Tous les comités existants de la Première nation de Qualicum, de la bande indienne de Qualicum et de la bande d’Indiens de Qualicum seront dissolus sur‑le‑champ.

 

6.                    Jusqu’à nouvel ordre, le chef et le conseil ne toucheront pas d’honoraires ni de rémunération, quelle qu’elle soit. Les dépenses seront remboursées, à condition d’avoir été approuvées au préalable lors d’une assemblée du conseil dûment convoquée.

 

[7]               Jusqu’au moment de l’audience, les demanderesses avaient sollicité une réparation additionnelle dans le dossier T‑1365‑05, notamment deux injonctions différentes contre le chef, agissant en son nom personnel ou au nom de la bande. Dans leur exposé des arguments, au paragraphe 152, les demanderesses sollicitaient également une ordonnance déclarant illicite la décision du chef de ne pas convoquer une assemblée du conseil de la bande avant le 2 août 2005. À l’audience, les demanderesses ont abandonné toute demande se rapportant à cette réparation additionnelle, ce qui a amené le chef à demander des dépens majorés.

 

[8]               Dans l’instance T‑1454‑05, où le ministre est le seul défendeur, les demanderesses se sont contentées de demander la réparation suivante :

[Traduction] Un jugement déclaratoire portant que la résolution ci‑après énoncée du conseil de la bande indienne de Qualicum, adoptée lors d’une assemblée régulière du conseil de la bande, le 2 août 2005, est valide :

 

Il est confirmé, conformément à l’article 31 du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, que le président peut voter sur toute question visée par le Règlement :

 

                                                               i.      si le chef ou un conseiller n’est pas présent à l’assemblée du conseil de la bande;

                                                              ii.      s’il y a quorum;

                                                            iii.      si un conseiller de la bande agit comme président de l’assemblée;

                                                            iv.      si deux membres seulement sont présents à l’assemblée.

 

 

[9]               Cette résolution est identique quant à son libellé à la deuxième résolution en cause dans le dossier T‑1365‑05, sauf qu’elle a été adoptée à deux voix contre une lors de ce qui était, comme en ont convenu les parties, une assemblée dûment convoquée du conseil de la bande, le 2 août 2005. Dans ce dernier cas, l’objection à la résolution concerne uniquement la validité de la résolution elle‑même et non la question de savoir si l’assemblée au cours de laquelle la résolution a été adoptée était régulièrement tenue.

 

[10]           L’avocat du chef défendeur a soulevé une objection initiale en affirmant que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, permettait uniquement à la Cour de rendre un jugement déclaratoire au sujet de l’invalidité, plutôt que de la validité, des résolutions. Je ne suis pas d’accord; le paragraphe 18.1(3) est une disposition facultative, du fait que le mot « peut » y est employé; il ne s’agit pas d’une disposition limitative. La compétence de la Cour provient du paragraphe 18(1) de la Loi, lequel confère la compétence voulue pour rendre, notamment, un jugement déclaratoire. Cette compétence s’applique aux jugements déclaratoires positifs et aux jugements déclaratoires négatifs ainsi qu’à tout autre jugement déclaratoire indiqué.

 

[11]           Les faits pertinents commencent avec l’élection de Mme Recalma‑Clutesi à titre de chef de la bande, le 7 août 2002. La demanderesse Cassidy ainsi qu’une autre personne ont en même temps été élues conseillers. Le soir de l’élection, le nouveau chef élu a convoqué une assemblée du conseil de la bande en vue d’examiner certaines questions transitoires étant donné que toutes les personnes élues étaient de nouveaux membres. Deux ans plus tard, le 10 août 2004, les mêmes personnes ont encore une fois été élues chef et conseiller respectivement. Une assemblée du conseil de la bande a eu lieu une semaine plus tard. À compter de cette période, il y a eu de plus en plus de disputes et d’incidents entre le chef et les conseillers élus.

 

[12]           Un représentant du MAINC, appelé un « surintendant » dans le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens pris en vertu de la Loi sur les Indiens, était présent à une assemblée régulière du conseil de la bande tenue le 25 janvier 2005. Le rôle du surintendant est décrit dans le Règlement; le surintendant est notamment chargé de convoquer des assemblées extraordinaires et d’agir comme président dans certains cas. Une question s’est posée lors de cette assemblée, savoir si une assemblée antérieure avait été dûment convoquée étant donné que, même s’il y avait eu quorum, une personne qui n’était pas membre du conseil avait présidé l’assemblée. Le surintendant a donné l’avis suivant :

[Traduction] ... même si l’assemblée avait été dûment convoquée, les motions qui ont été adoptées ne peuvent pas être acceptées. S’il y a uniquement le chef et un conseiller, le chef, en sa qualité de président, peut présenter une motion, mais il ne peut pas voter. Par conséquent, un vote du conseiller est suffisant pour que la motion soit adoptée.

 

[13]           Cette déclaration est peut-être à l’origine de la résolution la plus importante faisant maintenant l’objet des présentes instances. L’avocat du ministre affirme maintenant que la déclaration était inexacte en droit, mais aucune correction n’y a été apportée tant que, par inférence, une déclaration contraire n’a pas été faite dans une lettre que le conseiller juridique du ministre a envoyée à l’avocat des demanderesses à la fin du mois de juillet 2005.

 

[14]           Le 8 février 2005, les deux conseillers élus, la demanderesse Cassidy et une autre personne, ont démissionné. Le 31 mars 2005, une élection partielle a été tenue et la demanderesse Wells et une autre personne ont été élues pour combler les postes vacants. Une assemblée du conseil de la bande a immédiatement été convoquée par le chef afin d’examiner une entente de financement. Par la suite, des dissensions sont survenues entre le chef et les deux conseillers qui venaient d’être élus. Les nouveaux conseillers ont remis leur démission le 10 mai 2005.

 

[15]           Pendant un certain temps, avant et pendant les périodes cruciales en 2005, le chef a occupé deux postes, celui de chef et celui d’administrateur de la bande. Il exerçait par conséquent un contrôle énorme sur presque toutes les affaires financières de la bande. Les conseillers cumulaient également deux fonctions : ainsi, Mme  Cassidy a été, pendant un certain temps, travailleuse en développement social, mais le chef l’a suspendue en janvier 2005.

 

[16]           Le chef a reconnu que son double rôle, notamment celui d’administrateur de la bande, suscitait des questions relativement à l’existence d’un conflit d’intérêts. Au mois de février 2005, le chef a obtenu un avis juridique indiquant notamment ce qui suit : [Traduction] « L’administrateur de la bande a un rôle distinct de celui d’un représentant élu de la bande [...] Le cumul des fonctions de chef et d’administrateur de la bande crée un véritable conflit d’intérêts ». Le chef a communiqué cet avis à la bande, mais n’a rien fait pour cesser d’exercer les fonctions d’administrateur de la bande. Le chef a continué de cumuler les deux fonctions pendant toute la période en question.

 

[17]           Le 21 mai 2005, trente et un membres de la bande ont signé une pétition demandant la démission du chef. À ce moment‑là, les demanderesses Cassidy et Wells, ainsi que d’autres personnes, ont organisé un piquetage devant un emplacement commercial de la bande. Le 25 mai 2005, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accordé une injonction provisoire interdisant à ces personnes de continuer le piquetage. Dans une autre ordonnance qu’elle a rendue le 3 juin 2005, la Cour a prolongé l’injonction provisoire jusqu’au 15 juillet 2005. Ce faisant, elle a tenu compte du fait que le ministre avait organisé une élection partielle qui devait avoir lieu le 7 juillet 2005 en vue de combler les deux postes vacants de conseiller de la bande.

 

[18]           Le 7 juillet 2005, l’élection partielle a eu lieu et les demanderesses Cassidy et Wells ont été élues à titre de conseillères de la bande. Lorsque les résultats ont été annoncés au bureau du conseil de la bande vers 21 h 30 ce soir‑là, les deux nouvelles conseillères ont immédiatement demandé au chef de convoquer une assemblée extraordinaire pour le lendemain matin, à 10 h. Le chef a refusé et a quitté les lieux. Les deux conseillères et d’autres personnes ont passé la nuit au bureau du conseil de la bande, affirmant que si elles ne l’avaient pas fait, elles n’auraient pas pu avoir accès au bureau le lendemain étant donné qu’elles n’avaient pas de clé.

 

[19]           Pendant ces événements du 7 juillet 2005, il semble que des propos acerbes aient été échangés et que le chaos ait été général. Cette nuit‑là, les deux conseillères ont envoyé par télécopie un avis au chef et au surintendant du MAINC pour leur demander de convoquer une assemblée extraordinaire, à midi, le 8 juillet 2005. Le chef a également envoyé au surintendant, par télécopie, une lettre l’informant qu’une assemblée régulière, qui devait avoir lieu le 2 août 2005, suffisait.

 

[20]           Les deux conseillères se sont présentées au bureau du conseil de la bande à 10 h et à midi, le 8 juillet 2005. Ni le chef ni le surintendant ne se sont présentés.

 

[21]           Le même jour, soit le 8 juillet, une demande a été présentée devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour faire lever l’injonction provisoire contre Mmes Cassidy et Wells étant donné qu’elles avaient été élues conseillères de la bande et qu’elles ne devaient pas être empêchées d’exercer leurs fonctions à cet égard. L’affaire a été entendue au cours de l’après‑midi. Les deux conseillères et le chef étaient présents dans la salle d’audience pendant l’audition de l’affaire. Le juge a entendu la demande et s’est retiré pendant quelque temps pour examiner l’affaire. Pendant cette suspension, les deux conseillères ont abordé le chef et ont exigé la tenue d’une assemblée extraordinaire sur‑le‑champ. Elles ont présenté au chef un certain nombre de projets de résolutions, dont les six résolutions en cause en l’espèce. Le chef, qui avait de la difficulté à marcher sans l’aide d’une canne, est resté assis; il n’a rien dit et il n’a rien fait. Le juge est revenu dans la salle d’audience et a levé l’injonction provisoire à l’encontre de Mmes Cassidy et Wells. Tout le monde a quitté la salle. C’est sur cette « assemblée » que les demanderesses se fondent maintenant pour faire valider les six résolutions en cause.

 

[22]           À compter du 8 juillet 2005, plusieurs lettres ont été échangées entre l’avocat des deux conseillères nouvellement élues, le surintendant et le conseiller juridique du ministre. Le 8 juillet, l’avocat des conseillères a écrit au surintendant pour lui demander de tenir une assemblée extraordinaire à midi ce jour‑là. Le même jour, le chef a envoyé une télécopie au surintendant et a écrit aux deux nouvelles conseillères pour leur faire savoir qu’une assemblée aurait lieu le 2 août 2005 seulement. Le 14 juillet, l’avocat des conseillères a de nouveau écrit au surintendant pour demander la convocation d’une assemblée extraordinaire. Le 18 juillet, le conseiller juridique du MAINC a répondu  aux deux lettres de l’avocat des conseillères; il a pris note que les conseillères demandaient la tenue d’une assemblée extraordinaire avant le 2 août et il a demandé l’ordre du jour; il a également demandé que [Traduction] « des raisons claires et succinctes soient données afin d’expliquer pourquoi une assemblée extraordinaire devait être tenue avant la réunion régulière fixée au 2 août 2005 ». L’avocat des conseillères a répondu le lendemain, soit le 19 juillet, au moyen d’une longue lettre dans laquelle il a exposé en détail les raisons pour lesquelles, de l’avis de ses clientes, une assemblée extraordinaire était nécessaire. Le 20 juillet, le conseiller juridique du MAINC a répondu que le ministre ne reconnaissait pas la validité des résolutions qui auraient été adoptées, le 7 juillet ou par la suite, par les deux conseillères. Le conseiller juridique du MAINC a dit ce qui suit : [Traduction] « Après mûre réflexion, le Conseil des Affaires indiennes et du Nord est d’avis que la date et l’heure fixées pour la tenue d’une assemblée du conseil de la bande, le 2 août 2005, sont acceptables. »

 

[23]           Dans cette lettre du 20 juillet 2005, le conseiller juridique du MAINC a proposé qu’un médiateur soit nommé, aux frais du MAINC, en vue de tenter de régler les conflits relatifs aux griefs exprimés par la bande. La médiation a eu lieu quelques jours plus tard, mais n’a rien donné.

 

[24]           Une assemblée régulière a eu lieu le 2 août 2005, en présence des deux conseillères, du chef et du surintendant. Toutes les parties s’entendent pour dire que l’assemblée a été « dûment convoquée » au sens des définitions figurant dans la Loi et le Règlement. À ce moment‑là, des résolutions du conseil de la bande ont été adoptées, notamment les six résolutions en cause dans le dossier T‑1365‑05. Sur ces six résolutions, seule la validité de la résolution no 2 est encore en cause dans le dossier T‑1454‑05. Par conséquent, en ce qui concerne les cinq autres résolutions, la question litigieuse dans le dossier T‑1365‑05 vise uniquement le statut des résolutions au cours de la période allant du 8 juillet au 2 août 2005.

 

[25]           Compte tenu de ce contexte factuel, j’examinerai maintenant les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens et du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens. Les demanderesses ont tout d’abord soutenu que la Loi ne prévoyait pas la prise de règlements concernant la procédure suivie par le conseil de la bande, mais elles reconnaissent maintenant que l’article 80 de la Loi prévoit de tels règlements.

 

[26]           Le paragraphe 2(3) de la Loi prévoit que la règle de la majorité s’applique à une assemblée « dûment convoquée » :

(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

 

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

 

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

 

(3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

 

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

 

(b) a power conferred on the Council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

 

[27]           Le Règlement traite de la procédure suivie aux assemblées des conseils de bande. Le paragraphe 3(1) exige qu’une première assemblée soit tenue dans le mois qui suit la date de l’élection :

3. (1) La première assemblée du conseil se tiendra dans un délai d'un mois au plus tard après l'élection, au jour, à l'heure et à l'endroit qui seront indiqués à l'avis communiqué à chacun des membres du conseil, et les assemblées subséquentes se tiendront au jour et à l'heure déterminés, selon ce que requièrent les affaires du conseil ou les intérêts de la bande.

3. (1) The first meeting of the council shall be held not later than one month after its election, on a day, hour and place to be stated in a notice given to each member of the council, and meetings shall thereafter be held on such days and at such times as may be necessary for the business of the council or the affairs of the band.

 

[28]           L’article 4 du Règlement prévoit que le chef ou le surintendant peut convoquer une assemblée extraordinaire en tout temps, mais qu’il doit le faire à la demande de la majorité des conseillers. Il s’agit de l’« assemblée extraordinaire » demandée par les deux conseillères les 7 et 8 juillet, et plus tard. L’article 4 est rédigé comme suit :

4. Le chef de la bande ou le surintendant peut en tout temps convoquer une assemblée extraordinaire du conseil et doit convoquer une telle assemblée s'il en est requis par la majorité des membres du conseil.

4. The chief of the band or superintendent may, at any time, summon a special meeting of the council, and shall summon a special meeting when requested to do so by a majority of the members of the council.

 

[29]           Les articles 8, 9 et 10 du Règlement prévoient que le chef remplit la fonction de « président » aux assemblées; avec le consentement de la majorité, le surintendant, s’il est présent, peut remplir la fonction de « président ». Lorsque ni le chef ni le surintendant ne sont présents, un conseiller peut agir comme « président » jusqu’à l’arrivée de l’un d’eux. Le président doit faire régner l’ordre et décider de toute question de procédure. Le Règlement prévoit ce qui suit :

8.  Le chef de la bande ou, avec le consentement de la majorité des conseillers présents à l'assemblée, le surintendant doit remplir la fonction de président.

8.  The chief of the band or, with the consent of the majority of the councillors present at the meeting, the superintendent shall be the presiding officer.

 

 

9. (1) Une fois le quorum constaté, le président doit assumer ses fonctions et déclarer la séance ouverte.

 

(2) Un président sera choisi

 

a) en l'absence du chef, ou

 

 

b) lorsque le Surintendant n'a pas été désigné pour présider ainsi qu'il est prévu à l'article 8,

 

parmi les membres présents qui dirigera les délibérations soit jusqu'à l'arrivée du chef, soit jusqu'à ce que le surintendant ait été choisi pour présider.

 

9. (1) Upon a quorum being present, the presiding officer shall take the chair and call the meeting to order.

 

(2) A chairman shall be chosen

 

(a) in the absence of the chief, or

 

(b) where the superintendent is not chosen the presiding officer pursuant to section 8,

 

 

from among the members present who shall preside during the meeting or until the arrival of the chief or until the superintendent is chosen as the presiding officer.

 

 

10. Le président doit faire régner l'ordre et décider de toute question de procédure.

10. The presiding officer shall maintain order and decide all questions of procedure.

 

[30]           L’article 18 du Règlement prévoit que la majorité l’emporte et que le président ne peut pas voter sauf en cas d’égalité des voix, et ce, uniquement si le chef remplit la fonction de président :

18. (1) Toute question soumise au conseil se décidera à la majorité des voix des conseillers présents.

 

 

(2) Le président n'aura pas droit de vote; néanmoins, lorsque le vote est également partagé, le président, sauf si c'est le surintendant, doit donner un vote prépondérant.

 

18. (1) All questions before the council shall be decided by a majority vote of the councillors present.

 

(2) The presiding officer shall not be entitled to vote but whenever the votes are equal the presiding officer, other than the superintendent, shall cast the deciding vote.

 

 

[31]           L’article 20 du Règlement prévoit que lorsqu’un membre s’abstient de voter, il est réputé donner un vote affirmatif :

20. Lorsqu'un membre s'abstient de voter, il est réputé donner un vote affirmatif.

 

20. A member who refuses to vote shall be deemed to vote in the affirmative.

 

[32]           Le concept général est clair : la majorité des voix l’emporte; le chef ou le surintendant agit comme président, mais ne vote pas, mais si le chef agit comme président, il peut voter en cas d’égalité des voix.

 

[33]           La question, qui est particulière à une petite bande telle que la bande de Qualicum, où le conseil n’est composé que du chef et de deux conseillers, se pose lorsque ni le chef ni le surintendant ne sont présents à l’assemblée. Est‑il possible de dire que l’assemblée est « dûment convoquée » au sens du paragraphe 2(3) de la Loi ? Qui préside l’assemblée? Qui a le droit de voter? Qu’arrive‑t‑il lorsque la majorité des conseillers (deux) demandent la tenue d’une assemblée extraordinaire, mais que le chef et le surintendant refusent ou négligent d’en convoquer une ou tardent à le faire ? Une résolution du conseil de la bande, comme celles qui sont ici en cause, peut‑elle être adoptée pour remédier à la situation de façon que seuls les deux conseillers doivent être présents et qu’ils puissent voter?

 

[34]           Dans mon examen de la Loi et du Règlement, je me fonde sur l’analyse que le juge Blais de la Cour fédérale a récemment effectuée dans la décision Balfour c. Nation crie de Norway House, 16 février 2006, [2006] A.C.F. no 269, 2006 CF 213, aux paragraphes 11 à 14 :

 

[11]         Dans l’arrêt Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a formulé les remarques suivantes au sujet de la démocratie :

 

                Cependant, la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit. C'est la loi qui crée le cadre dans lequel la «volonté souveraine» doit être déterminée et mise en oeuvre. Pour être légitimes, les institutions démocratiques doivent reposer en définitive sur des fondations juridiques. Cela signifie qu'elles doivent permettre la participation du peuple et la responsabilité devant le peuple par l'intermédiaire d'institutions publiques créées en vertu de la Constitution.

 

[12]         Dans Nation crie de Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) [1995] A.C.F. n° 1020, le juge Rothstein a souligné, au paragraphe 31, que les conseils de bande doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit :

 

                À l’occasion, ces conflits peuvent devenir des conflits personnels entre des individus ou des groupes d’individus appartenant à des conseils. Toutefois, les conseils doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit, peu importe que ce soit une loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent. Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de Bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

 

[13]         Dans Assu c. Chickite, [1999] 1 C.N.L.R. 14, le juge Romilly, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a commenté l’origine et l’étendue des pouvoirs d’un conseil de bande qui sont définis dans la loi. Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 30 :

                [traduction] La Loi confère expressément un certain nombre de pouvoirs aux conseils de bande. Les tribunaux ont reconnu en toutes lettres qu’à titre d’organisme élu autonome, le conseil a le droit de prendre les décisions qu’il juge à propos sur les questions qui relèvent de sa compétence, pourvu que les décisions soient éclairées et prises à l’issue d’un vote majoritaire à une réunion dûment convoquée. [...] Il est désormais généralement reconnu que le conseil de bande possède non seulement l’ensemble de ces pouvoirs explicites, mais également tous les pouvoirs supplémentaires nécessaires à l’exécution de ses responsabilités qui découlent de la Loi, notamment celui d’exercer ou de contester des recours au nom de la bande. [...] Il semblerait donc que la bande soit liée par les décisions de son conseil élu, à moins que celui-ci n’agisse de mauvaise foi.

 

[14]         Le juge Romilly a reconnu que les décisions du conseil de bande étaient exécutoires lorsqu’elles découlaient des pouvoirs conférés par la Loi et qu’elles étaient prises de bonne foi à l’issue d’un vote majoritaire à une réunion dûment convoquée. La conformité avec la primauté du droit sous‑entend le respect des concepts de la démocratie et de l’équité procédurale en ce qui a trait aux décisions que les conseils de bande prennent dans l’intérêt de ceux qui les ont élus pour les protéger.

 

 

 

[35]           En résumé, un conseil de bande est chargé de prendre les décisions qu’il estime indiquées, à condition que ces décisions soient prises en conformité avec la primauté du droit. Un conseil de bande ne peut pas créer ses propres règles de droit.

 

[36]           Je me fonde également sur ce que le juge Rae a dit dans la décision Leonard c. Gottfriedson, (1980) 21 B.C.L.R. 326 (Cour suprême de la Colombie‑Britannique) lorsqu’il a traité de l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens, à la page 337 :

[traduction] La Loi vise manifestement à protéger et à avantager les bandes indiennes et les membres de celles‑ci auxquels elle s'applique. C'est en fonction de cet objet qu'elle doit être lue, interprétée et appliquée. Tout comme la municipalité doit exercer ses pouvoirs conformément à sa loi habilitante afin de protéger les intérêts de ses résidents, le conseil de bande doit, selon le même principe, exercer les pouvoirs dont il est investi en vertu de la Loi sur les Indiens en se conformant strictement à cette Loi, au profit des Indiens et par souci de protection pour eux.

 

[37]           C’est la protection de la bande qui doit être le principe directeur, et non la protection du chef ou des conseillers, ou ce qui protège la bande, selon l’un de ceux‑ci. 

 

[38]           Je vais maintenant examiner la question de savoir ce qui constitue l’« assemblée extraordinaire » dont il est fait mention à l’article 4 du Règlement. La Loi et le Règlement ne renferment aucune définition utile. Le paragraphe 2(3) de la Loi exige qu’une assemblée soit « dûment convoquée ». Dans la décision Assu c. Chickite, 26 novembre 1998, [1998] B.C.J. no 2775, paragraphes 37 à 40, le juge Romilly de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a souscrit à l’argument suivant au sujet de ce qui constitue une « assemblée extraordinaire » « dûment convoquée » :

[Traduction] [U]ne assemblée est dûment convoquée si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) l’assemblée est convoquée à la demande de la majorité des conseillers;

 

                b) un préavis de l’assemblée est donné;

 

                c) un quorum du conseil assiste à l’assemblée.

 

[39]           Je suis d’accord. Toutefois, cette définition ne traite pas du cas où un chef ou le surintendant ne convoque pas une telle assemblée, et où ils ne sont pas présents, du moins pas volontairement.

 

[40]           Je me fonde sur deux décisions rendues dans le domaine du droit municipal, lesquelles, même si une distinction peut de certaines façons être faite à leur égard, fournissent néanmoins des instructions utiles au sujet de la différence existant entre une assemblée extraordinaire et une assemblée régulière et ce qui fait qu’une assemblée est « extraordinaire ». La première a été rendue par la Cour d’appel du Manitoba dans l’affaire Rural Municipality of Macdonald (1995), 10 Man. Rep. 382. Aux pages 388 et 389, le juge Kellam a dit ce qui suit :

[Traduction] La common law reconnaît deux types d’assemblées des membres, de corps administratifs ou de corporations, les assemblées ordinaires, imposées ou régulières et les assemblées spéciales ou extraordinaires. La distinction caractéristique entre ces deux types d’assemblées semble reposer sur le fait que les unes sont tenues à des intervalles fixes et définis, alors que les autres sont convoquées pour répondre aux urgences qui peuvent survenir de temps en temps. Le moment où une assemblée régulière est tenue étant fixe, tous les membres de la corporation sont réputés savoir que les assemblées seront tenues aux moments fixés; par conséquent, à pareilles assemblées, toutes les questions concernant la corporation peuvent en règle générale être discutées. Cependant, même s’il est nécessaire de confier à quelqu’un le pouvoir de convoquer des assemblées extraordinaires, il est également clairement nécessaire, pour empêcher un abus de pouvoir, que toute personne ayant le droit de prendre part à l’assemblée reçoive un avis raisonnable de sa tenue, et des questions qui y seront abordées.

 

[41]           À la page 390, le juge Bain a dit ce qui suit :

[Traduction]  Il existe une différence intrinsèque entre les assemblées régulières et les assemblées extraordinaires; le législateur voulait que cette différence soit observée aux assemblées de conseils tenues sous le régime de la Municipal Act. La Loi prévoit que des assemblées régulières seront tenues, et que des assemblées extraordinaires peuvent être tenues; cependant, si ces deux types d’assemblées doivent être considérées comme des assemblées régulières, les conseils peuvent omettre de tenir compte de la distinction existant entre les deux types d’assemblées que le législateur a établies, et ils peuvent se soustraire à la loi en convoquant des assemblées extraordinaires sans observer les dispositions de la Loi y afférentes.

 

[42]           La seconde décision a été rendue par la Cour suprême de l’Ontario dans l’affaire Cooper c. Croll, [1940] 1 DLR 610, où le juge Gillanders a dit ce qui suit à la page 615 :

[Traduction] Lorsqu’on a demandé au défendeur de convoquer une assemblée spéciale, il lui incombait en vertu de la loi de le faire dans un délai raisonnable et de ne pas refuser, mais son refus ne permet pas pour autant aux demandeurs de convoquer eux‑mêmes une assemblée en vertu du paragraphe 213(2).

 

[43]           Les éléments suivants ressortent clairement de toutes les décisions susmentionnées ainsi que de la Loi et du Règlement :

1.                  Une assemblée extraordinaire est différente d’une assemblée régulière. La tenue d’une assemblée extraordinaire doit avoir un objet clairement énoncé.

 

2.                  Sur demande de la majorité du conseil de la bande, le chef ou le surintendant doit convoquer une assemblée extraordinaire. Il n’a aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard.

 

3.                  La demande doit être faite sur préavis raisonnable au chef ou au surintendant; elle ne peut pas être faite à l’improviste. L’avis devrait indiquer d’une façon raisonnable le but de l’assemblée.

 

4.                  Une fois qu’un préavis raisonnable a été donné, le chef ou le surintendant ne peut pas refuser de convoquer une assemblée extraordinaire et ne doit pas tarder sans motif raisonnable à la convoquer.

 

5.                  Si le chef ou le surintendant refuse de convoquer une assemblée extraordinaire ou tarde sans motif raisonnable à le faire, les conseillers ne peuvent pas prendre l’affaire en mains. Pour remédier à la situation, ils doivent présenter une demande de mandamus devant un tribunal judiciaire compétent.

 

[44]           Si j’applique ces principes aux faits de la présente espèce, et en particulier au dossier T‑1365‑05, je tire les conclusions suivantes :

1.                  Les conseillères n’ont donné au chef aucun préavis raisonnable le 7 ou le 8 juillet en vue de la tenue d’une assemblée extraordinaire. Les conseillères ne pouvaient pas tenter d’obtenir la convocation d’une « assemblée extraordinaire » simplement en s’adressant à l’improviste au chef au cours d’une suspension de l’audience tenue par la Cour le 8 juillet. C’est pourquoi les six présumées résolutions en cause ne sont pas des résolutions valides du conseil de la bande puisqu’elles n’ont pas été adoptées à une assemblée « dûment convoquée » du conseil de la bande.

 

2.                  Le chef a eu tort de ne pas convoquer d’assemblée extraordinaire dans un délai raisonnable avant le 2 août 2005. Le chef était tenu de le faire mais ne s’est pas acquitté de cette obligation. Je ne suis pas obligé de rendre une ordonnance sur ce point, mais cette conclusion aura une incidence sur les dépens.

 

3.                  Le surintendant ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de convoquer une assemblée spéciale avant le 2 août 2005. Le surintendant avait l’obligation de le faire mais a tardé à agir, en se cachant derrière un conseiller juridique et en faisant des demandes inutiles pour obtenir des précisions des conseillères. Son obligation était claire, mais le surintendant ne s’en est pas acquitté ou l’a esquivée. Encore une fois, il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance sur ce point, mais cet élément aura une incidence sur les dépens.

 

[45]           Par conséquent, en ce qui concerne l’instance T-1365-05, je déclare que les résolutions que le conseil de la bande auraient censément adoptées le 8 juillet 2005 ne sont pas valides. Toutefois, les demanderesses n’auront pas à payer les dépens et ni l’un ni l’autre des défendeurs n’aura droit aux dépens compte tenu des conclusions qui ont été tirées ci-dessus.

 

[46]           Quant au dossier T-1454-05, il ne s’agit pas dans cette instance de savoir si une assemblée a été « dûment convoquée ». La résolution en question a été adoptée lors de l’assemblée du 2 août 2005, laquelle comme toutes les parties en ont convenu a été dûment convoquée. La question qui se pose est de savoir si la résolution elle‑même est valide.

 

[47]           L’avocat des demanderesses, les conseillères Cassidy et Wells qui ont voté en faveur de la résolution alors que le chef a voté contre celle‑ci, affirme que la résolution est valide pour l’une ou l’autre de deux raisons :

[Traduction

1.                    Elle n’est pas en contradiction avec la Loi ou avec le Règlement;

 

2.                    Si elle est en contradiction avec le Règlement, en particulier avec le paragraphe 18(2), cette disposition est ultra vires compte tenu des dispositions du paragraphe 2(3) de la Loi.

 

[48]           Quant à la première de ces raisons, les demanderesses affirment que l’article 31 du Règlement permet l’adoption d’un règlement interne « qui ne soit pas en contradiction au présent règlement ». Cet article prévoit ce qui suit :

31. Le conseil peut, s'il l'estime nécessaire, établir tout règlement interne, qui ne soit pas en contradiction au présent règlement, en ce qui concerne des points qui n'y sont pas spécifiquement prévus.

 

31. The council may make such rules of procedure as are not inconsistent with these Regulations in respect of matters not specifically provided for thereby, as it may deem necessary.

 

 

[49]           Les demanderesses font valoir que le Règlement ne dit rien au sujet des cas où le conseil de la bande est composé de trois membres seulement, à savoir le chef et deux conseillers. Elles affirment que le Règlement ne prévoit pas le cas où il peut y avoir quorum à une assemblée, soit deux personnes, et où il n’est pas pratique que l’une d’elle agisse comme président alors que l’autre est le seul membre qui vote. La résolution, selon elles, comble cette lacune en permettant au président de voter.

 

[50]           L’argument des demanderesses n’est tout simplement pas valable. Le paragraphe 18(2) du Règlement interdit expressément au président de voter, sauf en cas d’égalité des voix. Il ne peut pas y avoir égalité des voix lorsqu’il n’y a qu’une seule personne qui vote, et il n’y a pas quorum lorsqu’un seul membre ayant le droit de vote est présent. Le chef ou le surintendant doit être présent.

 

[51]           La seconde raison avancée par les demanderesses est que le paragraphe 18(2) du Règlement est invalide compte tenu du paragraphe 2(3) de la Loi, qui prévoit que les pouvoirs sont conférés par « une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion ». Par conséquent, selon elles, lorsque le conseil est composé de trois personnes seulement, deux d’entre elles constituent un quorum et chacune devrait pouvoir voter de façon à obtenir une « majorité ». Les demanderesses affirment qu’une disposition réglementaire tel que le paragraphe 18(2) qui prive l’une de ces deux personnes du droit de vote ne peut pas être valide.

 

[52]           Il convient d’aborder la question en tenant compte des principes énoncés par le juge Anglin de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Toronto Railway Company c. Paget (1909), 42 S.C.R. 488, à la page 499 :

[Traduction] Il ne suffit pas d’exclure l’application de la Loi générale qui traite d’une façon plutôt différente du même objet. Cela n’est pas « incompatible » à moins que les deux dispositions ne puissent pas s’appliquer ensemble.

 

[53]           Dans des arrêts tels que Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, paragraphe 21, la Cour suprême du Canada a adapté le principe exprimé dans Drieger on the Construction of Statutes, 2e éd., Butterworths Canada, page 87, à savoir qu’il faut lire les termes d’une loi (et d’un règlement) en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[54]           La Loi sur les Indiens ainsi que le Règlement en cause prévoient une procédure par laquelle les assemblées du conseil d’une bande peuvent être convoquées et tenues. Cette procédure est généralement conforme à ce qui est reconnu dans notre société : il doit y avoir un quorum, la majorité l’emporte, le président ne peut pas voter sauf en cas d’égalité des voix. Le Règlement prévoit qu’un tiers, le surintendant, peut agir comme président, mais n’a pas le droit de voter en cas d’égalité des voix. De cette façon, un quorum de deux personnes seulement peut fonctionner lorsque le conseil de la bande est composé de trois personnes seulement et que l’une d’entre elles est absente. Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec le paragraphe 2(3) de la Loi, qui est exprimé sous une forme négative : « Sauf indication contraire ». Le pouvoir du conseil de la bande n’est pas exercé à moins que la majorité n’y consente à une assemblée dûment convoquée. Le Règlement prévoit un vote à la majorité des voix à une assemblée dûment convoquée. Lorsque le chef ou un surintendant n’est pas présent à l’assemblée afin d’agir comme président, l’assemblée n’est plus « dûment convoquée » lorsque deux conseillers seulement sont présents. La Loi et le Règlement ne sont pas incompatibles.

 

[55]           Je conclus donc que la résolution en cause dans le dossier T‑1454‑05 n’est pas valide et je rends un jugement déclaratoire en ce sens. Pour les motifs susmentionnés, je refuse d’adjuger les dépens au ministre. Si le surintendant avait agi sans délai et avait convoqué une assemblée extraordinaire, une telle résolution n’aurait peut‑être pas été présentée. Le manque de diligence de la part du surintendant était clairement un facteur qui a amené les intéressées à chercher à faire adopter une résolution de ce genre.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T-1365-05 et T-1454-05

 

INTITULÉ :                                                   PATRICIA CASSIDY et al.

                                                                        c.

                                                                        KIM RECALMA-CLUTESI et al.

 

                                                                        PATRICIA CASSIDY et al.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LES 27 ET 28 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 JUILLET 2006

 

COMPARUTIONS :

 

B. Rory B. Morahan

POUR LES DEMANDERESSES

 

Catherine Boies Parker

 

 

Laryssa Borowyk

Brett Marleau

 

POUR LA DÉFENDERESSE (KIM RECALMA‑CLUTESI et al.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (LA REINE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morahan & Company

Victoria (C.-B.)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Underhill Faulkner Boies Parker

Victoria (C.-B.)

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE (KIM RECALMA‑CLUTESI et al.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (LA REINE)

 

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