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Date : 20040908

Dossier : IMM-6590-03

Référence : 2004 CF 1223

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

                                                                             

ENTRE :

                                                GONDAL AZHAR, LUBNA AZHAR,

ADINA AZHAR, NOOR FATIMA AZHAR

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 5 août 2003. La Commission a alors conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Vu que la demande d'asile est fondée sur le récit de l'un des demandeurs, Gondal Azhar, la mention de ce demandeur (le demandeur) renverra également à tous les autres demandeurs en l'espèce.


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La question en litige est la suivante :

1.         Les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?

[3]                Pour les motifs que j'expose ci-dessous, je réponds affirmativement à la question et j'accueillerai la demande.

LES FAITS

[4]                Le demandeur, son épouse Lubna Azhar et leurs enfants sont citoyens du Pakistan. Le demandeur allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa foi chiite.

[5]                La Commission a décrit de la façon suivante les faits allégués. Le demandeur était membre de l'exécutif de l'imambargah local. Le groupe sunnite extrémiste Sipah-e Sahaba pakistanais (le SSP) s'était installé dans la région du demandeur quelques années auparavant. En juin 1997, le demandeur était accompagné par d'autres chiites qui devaient tenir une réunion religieuse chez lui. Le demandeur et ses invités ont été verbalement et physiquement agressés par les membres du SSP. On l'a également menacé de mort. Des agents de police l'ont agressé verbalement lorsqu'il a tenté de déposer une plainte. Il a envoyé une lettre au sous-directeur de la police, mais sans résultat.


[6]                En mars 1998, le demandeur et ses travailleurs agricoles ont été agressés par les membres du SSP. Un rapport a été présenté à la police, mais sans résultat. Par la suite, les membres du SSP ont continué à harceler le demandeur et les membres de sa famille partout où ils les voyaient.

[7]                Le 25 août 2001, le vélomoteur du demandeur a été complètement détruit par le feu en face de l'imambargah. Les policiers ont refusé de prendre sa déposition et l'ont encore une fois agressé verbalement.

[8]                Le 10 décembre 2001, des membres du SSP ont tiré des coups de feu sur la maison du demandeur. La police a refusé d'intervenir. Le jour suivant, le demandeur a présenté une plainte écrite au sous-directeur après qu'on l'eut empêché de le rencontrer. Durant la soirée, alors qu'il était sorti, la police est venue pour l'arrêter au motif qu'il avait, par ses propos, dénigré la foi sunnite. Le SSP a invité ses membres a proférer des menaces de mort contre le demandeur. Le demandeur s'est caché à Lahore. Son épouse et ses enfants l'ont rejoint. Le 24 décembre 2001, ils sont arrivés au Canada. Ils ont demandé l'asile le même jour.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]                La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas fait la preuve de façon crédible qu'il courrait un risque s'il retournait au Pakistan.


ANALYSE

[10]            Le demandeur désire produire des éléments de preuve qui n'ont pas été présentés à la Commission : deux lettres d'avocats affirmant que le numéro de dossier des premiers rapports d'information (PRI) ne comprend pas toujours l'année et une série de PRI dans d'autres affaires dont le numéro de dossier ne comprend pas l'année. Étant donné que ces éléments de preuve n'ont pas été présentés à la Commission, ils ne peuvent pas être admis à l'étape du contrôle judiciaire (Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (1re inst.) (QL); Majinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 628, [2003] A.C.F. no 864 (1re inst.) (QL)).

[11]            La norme de contrôle qui s'applique aux conclusions de fait, y compris celles portant sur la crédibilité, est la décision manifestement déraisonnable. En d'autres termes, la Cour n'interviendra que si la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable.

[12]            La Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur pour diverses raisons, entre autres, la modification de données biographiques de sa carte d'identité nationale, une incohérence entre l'information donnée sur son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et celle contenue dans les notes prises au point d'entrée par l'agent d'immigration et une incohérence entre le FRP et son témoignage.

[13]            Deux jours avant la première audience, le demandeur a reçu un courriel des autorités de l'immigration confirmant que les données biographiques de sa carte d'identité nationale avaient été modifiées. Il a expliqué qu'il avait lui-même demandé la délivrance de cette carte et que l'information modifiée est corroborée par son certificat de naissance et son certificat de mariage. Il a téléphoné à son frère au Pakistan qui lui a envoyé par télécopieur une copie d'un document de la National Database Registration Authority qui confirme l'information modifiée de sa carte. Cette information a été déposée à l'audience. Je considère que la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable en ne donnant aucune valeur probante à cette carte, étant donné que les certificats de naissance et de mariage et la télécopie reçue de son frère confirment l'information de la carte.

[14]            Les notes prises au point d'entrée ne font pas mention que le demandeur a été battu ou détenu. Lors de son témoignage, le demandeur a affirmé qu'il avait été agressé physiquement par les militants du SSP en juin 1997 et en mars 1998. Il a aussi déclaré qu'il avait été victime de graves violations des droits de la personne. Le manque de détails dans les notes prises au point d'entrée n'est pas une raison pour rejeter son témoignage en entier. Ce que le juge Hugessen (alors juge à la Cour d'appel fédérale) a dit dans la décision Mensah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] F.C.J. no 1038 (C.A.) (QL), s'applique :

À première vue, cela nous semble être un cas typique d'une situation sans issue dont le requérant ne peut absolument pas se tirer; s'il donne lors de l'audience aussi peu de détails qu'à son interrogatoire sous serment, sa revendication est rejetée pour imprécision; s'il en fournit davantage, elle est rejetée parce qu'elle n'est pas crédible.

[15]            Dans son FRP, le demandeur a affirmé que les extrémistes du SSP l'avaient agressé en plein devant sa porte. Cependant, à l'audience, le demandeur a dit que l'altercation avait eu lieu à mi-chemin vers la rue suivante à droite de sa maison. Lorsqu'on lui a demandé de s'expliquer, il a de nouveau dit que l'incident s'était produit à mi-chemin vers la rue suivante. La Commission s'est aussi fondée sur cette incohérence pour conclure au manque de crédibilité. Je considère qu'il s'agit là d'une analyse pointilleuse de la preuve qui n'était pas justifiée en l'espèce.

[16]            Les erreurs manifestement déraisonnables que la Commission a commises justifient l'intervention de la Cour. Par conséquent, j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

[17]            Les parties ont décliné l'invitation qui leur était faite de présenter une question grave de portée générale. La présente affaire ne soulève pas une telle question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Un tribunal différemment constitué entendra à nouveau l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

               « Michel Beaudry »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6590-03

INTITULÉ :                                        GONDAL AZHAR, LUBNA AZHAR,

ADINA AZHAR, NOOR FATIMA

AZHAR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1er SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                    POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)                               

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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