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Date : 20210623


Dossier : IMM‑2220‑20

Référence : 2021 CF 659

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AYOWUNMI ADEYIG OLUSOLA

MOLAYO DORCAS OLUSOLA‑ADEYIGA

AYOMIDE OMOTOLA OLUSOLA‑ADEYIGA

AYODEJI OMOGBOL OLUSOLA‑ADEYIGA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont un homme [le demandeur principal] et son épouse ainsi que leurs fille et fils mineurs, tous des citoyens du Nigéria, qui sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 26 février 2020 [la décision] de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a confirmé dans cette décision celle du 21 mars 2019 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR a conclu que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La question déterminante dans la décision portait sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Abuja, au Nigéria.

[2] Comme je l’explique de façon plus détaillée ci‑dessous, la présente demande est rejetée, parce que j’ai examiné les arguments des demandeurs, mais que j’estime que l’analyse de la PRI menée par la SAR est raisonnable.

II. Contexte

[3] Les demandeurs soutiennent craindre d’être persécutés par la famille élargie du demandeur principal, qui veut infliger une mutilation des organes génitaux [MOG] à la demanderesse mineure. Le demandeur principal est un prince de la famille royale Olusola du village de Pakoto, dans l’État d’Ogun, où les agents de persécution vivent toujours. Lorsque la fille du demandeur principal est née en 2012, des membres de la maison royale Olusola ont commencé à exercer des pressions sur lui pour qu’elle subisse une MOG. Le demandeur principal affirme qu’il a alors été suivi par des membres de la famille, battu et menacé à plusieurs occasions. Lorsqu’il est allé voir la police, il s’est fait dire qu’il s’agissait d’un problème familial qui n’avait rien à voir avec elle.

[4] Le 9 janvier 2013, le demandeur principal s’est enfui en Afrique du Sud. Son épouse et ses enfants se sont vu refuser deux fois des visas de l’Afrique du Sud. Le 7 juillet 2018, le demandeur principal est retourné au Nigéria et s’est caché dans la maison d’un ami. Il affirme qu’il a été découvert par trois hommes qui portaient des uniformes de l’armée du Nigéria et qui l’ont enlevé afin de le contraindre à consentir à ce que sa fille subisse une MOG. Le 12 juillet 2018, les demandeurs ont fui le Nigéria pour aller aux États‑Unis. Ils sont entrés au Canada le 13 juillet 2018 et ont déposé leurs demandes d’asile le 30 juillet 2018.

[5] La question déterminante dans la décision de la SPR portait sur l’existence d’une PRI à Abuja, Ibadan et Port Harcourt. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision. La SAR a rejeté l’appel en raison de l’existence d’une PRI à Abuja seulement. Cette décision de la SAR fait l’objet de la présente demande de contrôle.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[6] La seule question que la Cour doit trancher est de savoir si la SAR a rendu une décision déraisonnable en concluant que les demandeurs ont une PRI viable à Abuja, au Nigéria. Les parties conviennent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

IV. Analyse

A. Critère relatif à la possibilité de refuge intérieur

[7] Le critère servant à déterminer l’existence d’une PRI est un critère conjonctif à deux volets (voir, p. ex., Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706, 1991 CarswellNat 162 au para 13 (CAF)). Le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités :

  1. que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon lui, une PRI existe;

  2. que la situation dans cette partie du pays est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont particulières, de s’y réfugier.

[8] Une fois qu’une PRI est proposée, il incombe aux demandeurs d’établir qu’elle n’est pas viable, soit parce qu’ils risquent sérieusement d’y être persécutés, soit parce qu’il serait déraisonnable de leur part de chercher à s’y réfugier. Aucun de ces principes n’est contesté. Cependant, les demandeurs soulèvent des arguments contestant le caractère raisonnable de l’analyse que la SAR a menée à l’égard des deux volets du critère relatif à la PRI.

B. Premier volet du critère relatif à la PRI

[9] Les demandeurs affirment qu’ils ne seraient pas à l’abri de la persécution à Abuja, parce que les agents de persécution ont des contacts partout au Nigéria. Dans son analyse de la viabilité d’Abuja à titre de ville offrant une PRI selon le premier volet du critère, la SAR a souligné le témoignage du demandeur principal selon lequel les agents de persécution n’avaient pas cessé de le rechercher et qu’ils le pourchasseraient un peu partout au pays. Devant la SPR et la SAR, les demandeurs ont invoqué des avis apparemment publiés dans un grand journal du Nigéria, indiquant que le demandeur principal était recherché et demandant à toute personne qui le verrait de signaler sa présence au poste de police le plus rapproché.

[10] La SAR a examiné ces avis ainsi que l’analyse que la SPR a menée à leur égard et à l’issue de laquelle elle a conclu qu’ils n’étaient pas authentiques. Tout en concluant que certains des doutes de la SPR au sujet des avis ne permettaient pas à eux seuls d’en attaquer l’authenticité, la SAR a mené sa propre analyse et a conclu à son tour que les avis n’étaient pas authentiques. Les demandeurs soutiennent que cette analyse n’était pas raisonnable.

[11] Cependant, la SAR a tiré une conclusion subsidiaire selon laquelle, même si les avis étaient authentiques, ils ne permettraient pas de conclure que les agents de persécution pourraient trouver les demandeurs à Abuja. En conséquence, même si l’analyse menée par la SAR au sujet de l’authenticité des avis était erronée, elle ne serait pas déterminante quant à la présente demande de contrôle judiciaire. La question que la Cour doit trancher au sujet de cette preuve consiste donc à savoir si la SAR a commis une erreur en tirant sa conclusion subsidiaire.

[12] La SAR a souligné qu’elle n’avait été saisie d’aucun élément de preuve concernant l’étendue de la diffusion du journal nigérien dans lequel les avis ont apparemment été publiés. De plus, chaque avis semblait n’avoir été publié qu’une seule fois. En conséquence, même en supposant que le journal était largement diffusé, la SAR a conclu que la diffusion des avis eux‑mêmes aurait été limitée dans le temps à la période de publication de chaque numéro de journal dans lequel les avis ont paru. Pour cette raison, la SAR a conclu que le témoignage du demandeur principal selon lequel les avis seraient lus un peu partout au Nigéria, de sorte que ses agents de persécution pourraient le trouver lui‑même et sa famille à Abuja, était sans fondement.

[13] Les demandeurs soutiennent que cette analyse est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas compte de la valeur probante des avis, lesquels établiraient la motivation des agents de persécution et les efforts qu’ils ont déployés pour les trouver. Même si deux avis seulement ont été publiés à une occasion chacun et qu’un seul des avis peut être considéré comme une mesure prise pour trouver les demandeurs, je conviens que les efforts déployés pour publier ces avis pourraient établir jusqu’à un certain point une motivation pour les trouver. Cependant, l’analyse de la SAR a porté principalement sur la mesure dans laquelle les avis établissaient la capacité des agents de persécution de trouver les demandeurs à Abuja. Sans démontrer cette capacité, les demandeurs ne pouvaient établir qu’ils risqueraient sérieusement d’être persécutés dans la PRI proposée. Je ne vois aucun élément déraisonnable dans cette analyse.

[14] Les autres éléments de preuve que les demandeurs ont invoqués pour établir que les agents de persécution les pourchassent et sont en mesure de les trouver se composaient d’affidavits signés par deux amis d’enfance du demandeur principal au sujet d’événements survenus vers la date de la décision de la SPR. Un de ces déposants vit à Ibadan et l’autre à Port Harcourt. Chacun a affirmé dans un affidavit qu’il a été abordé à son domicile par des hommes qui étaient à la recherche du demandeur principal.

[15] La SAR a admis ces affidavits à titre de nouveaux éléments de preuve. Elle n’a tiré aucune conclusion de crédibilité défavorable au sujet des affidavits, mais ne leur a accordé aucun poids quant au fait que les demandeurs risqueraient sérieusement d’être persécutés par leurs agents de persécution s’ils se réinstallaient à Abuja.

[16] La SAR a souligné que le déposant d’Ibadan a affirmé que les assaillants étaient venus chez lui pour tenter de trouver le demandeur principal uniquement parce qu’ils « avaient entendu dire » que les demandeurs se cachaient chez lui. Soulignant qu’il était difficile de savoir si les assaillants auraient recherché les demandeurs à cet endroit autrement, la SAR a conclu que cet affidavit ne constituait pas un élément de preuve établissant de façon claire et convaincante que les agents de persécution les rechercheraient à Abuja et n’a accordé aucun poids à l’affidavit.

[17] Contestant le caractère raisonnable de cette analyse, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en n’accordant aucun poids à cet affidavit, laquelle erreur découle d’une mauvaise interprétation de la preuve selon laquelle les assaillants « ont entendu dire » que les demandeurs se cachaient à la résidence du déposant. Selon les demandeurs, cette preuve ne signifie pas nécessairement que les assaillants ont été passivement mis au courant de ce renseignement. La preuve permet tout autant de dire que les assaillants ont appris ce renseignement en pourchassant activement les demandeurs. Les demandeurs ajoutent que, bien que la SAR se soit fondée sur la population nombreuse d’Abuja pour conclure que les agents de persécution ne pourraient trouver les demandeurs là‑bas, la population d’Ibadan est plus nombreuse que celle d’Abuja.

[18] J’admets la logique des arguments des demandeurs. Cependant, à mon avis, ces arguments ne minent pas le caractère raisonnable du raisonnement de la SAR. La SAR a cru, me semble‑t‑il, que la démarche entreprise pour trouver les demandeurs à Ibadan découlait de renseignements (bien qu’erronés) selon lesquels le demandeur principal se cachait chez un ami qui habitait là‑bas. La SAR a estimé que cet événement ne permettait pas de conclure que n’importe quoi inciterait les agents de persécution à pourchasser les demandeurs à Abuja. C’est dans ce contexte que la SAR a mentionné que la population nombreuse d’Abuja diminue la possibilité que les agents de persécution trouvent les demandeurs là‑bas. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

[19] L’affidavit de l’ami qui habite à Port Harcourt concerne un événement semblable, bien que le déposant y affirme également (probablement en se fondant sur des déclarations faites par les assaillants) que les agents de persécution ont envoyé des espions ou des éclaireurs dans tous les États du Nigéria et dans le territoire de la capitale fédérale afin de trouver le demandeur principal. La SAR a conclu que cet affidavit n’établissait pas de façon claire ou convaincante que les agents de persécution trouveraient les demandeurs si ceux‑ci se réinstallaient à Abuja. Invoquant la population nombreuse d’Abuja et la distance entre cette ville et le village où habite la famille du demandeur principal dans l’État d’Ogun, la SAR a souligné qu’il était peu probable que les agents de persécution seraient en mesure d’envoyer continuellement des espions pour rechercher les demandeurs à Abuja, en l’absence d’éléments de preuve établissant de façon claire et concluante qu’ils ont les moyens de le faire. La SAR n’a donc accordé aucun poids à cet affidavit comme élément de preuve qui établirait que les agents de persécution trouveraient les demandeurs à Abuja.

[20] Les demandeurs soutiennent que cette analyse est erronée, parce que la SAR n’y a pas souligné que la distance entre le village où habite la famille du demandeur principal et Port Harcourt (où les agents de persécution ont abordé son ami) se compare à la distance entre le village et Abuja. De façon plus générale, les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir commis une erreur en n’accordant aucune importance aux efforts déployés pour trouver le demandeur principal à Ibadan et à Port Harcourt, lesquels efforts établiraient que les agents de persécution ont les moyens et la motivation de le trouver dans d’autres villes également.

[21] Pour faire valoir leur argument, les demandeurs proposent une expérience de réflexion qui part de la supposition (entièrement hypothétique) que le Nigéria compte 100 villes et que des éléments de preuve indiquent que des efforts ont été déployés pour trouver les demandeurs dans 99 d’entre elles. En se fondant sur ces faits, les demandeurs affirment qu’il serait permis de conclure aisément à une preuve de la capacité de les trouver dans l’ensemble du pays. En conséquence, même si cette preuve ne concernait que deux des 100 villes, il y aurait lieu de lui accorder du poids dans l’appréciation de la possibilité que les demandeurs soient exposés à des risques s’ils se réinstallaient à Abuja.

[22] Il est bien reconnu en droit que le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire ne va pas jusqu’à modifier le poids accordé par un décideur administratif à la preuve portée à son attention (voir, p. ex., Vavilov au para 125). De plus, la preuve sur laquelle les demandeurs se fondent concerne les efforts que les agents de persécution ont déployés pour les trouver en se rendant à la résidence de deux des amis d’enfance du demandeur principal, sur la foi, du moins en partie, de renseignements selon lesquels le demandeur principal se cachait à l’un de ces endroits. Je ne vois aucune erreur de logique dans le refus de la SAR de considérer cette preuve comme une preuve établissant la capacité des agents de persécution de trouver les demandeurs dans une ville différente (même si elle est située à une distance semblable par rapport au village du demandeur principal) en l’absence de facteurs comparables qui les auraient orientés vers cette direction.

[23] Enfin, en ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir commis une erreur en rejetant le témoignage du demandeur principal selon lequel sa famille et lui‑même devraient demeurer cachés et éviter les médias sociaux et d’autres technologies de communication afin de ne pas être repérés à Abuja. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas expliqué comment les agents de persécution pourraient utiliser les médias sociaux pour les trouver et a conclu à nouveau à l’absence d’éléments de preuve établissant ce risque de manière claire et convaincante. Selon les demandeurs, la façon d’utiliser les médias sociaux pour tenter de trouver une personne qui est présente sur ces plateformes relève de l’évidence.

[24] À cet égard, je conviens avec les défendeurs que le fait de s’attendre à ce que le demandeur d’asile utilise avec prudence les médias sociaux ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle et, en l’absence d’éléments de preuve plus précis quant à la façon dont l’utilisation prudente des médias sociaux par les demandeurs les exposerait au risque de se faire repérer par les agents de persécution, la conclusion de la SAR était raisonnable.

C. Le deuxième volet du critère relatif à la PRI

[25] Pour contester l’analyse que la SAR a menée à l’égard du deuxième volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs invoquent principalement l’utilisation par la SAR du guide jurisprudentiel sur l’existence de PRI au Nigéria. Une mise en contexte s’impose pour comprendre cet argument. Dans son mémoire supplémentaire déposé dans la présente demande, le défendeur a expliqué le contexte dans lequel cet argument est soulevé et je ne crois pas qu’il y ait contestation à cet égard entre les parties.

[26] Le 6 juillet 2018, le président de la CISR a publié la Note de politique concernant la désignation de la décision TB7‑19851 en tant que guide jurisprudentiel de la SAR [Note de politique], dans laquelle elle a désigné l’analyse exposée aux paragraphes 13 à 30 des motifs de la décision rendue le 17 mai 2018 par la SAR dans le dossier TB7‑19851 comme guide jurisprudentiel sur la question des PRI dans les grandes villes du sud et du centre du Nigéria pour les demandeurs d’asile qui fuient des acteurs non étatiques [le guide jurisprudentiel]. Dans la Note de politique, il est mentionné que certains facteurs peuvent être pris en considération lorsqu’il s’agit d’établir si les conditions dans l’endroit proposé comme PRI font en sorte qu’il serait objectivement déraisonnable pour un demandeur d’asile de chercher à s’y réfugier. Ces facteurs comprennent le transport et les déplacements, la langue, l’éducation, l’emploi, le logement, les soins de santé, la culture, l’identité autochtone et la religion. La Note de politique prévoit également que le guide jurisprudentiel n’est pas contraignant et qu’il est loisible aux commissaires de tirer leurs propres conclusions en se fondant sur les faits propres à chaque cas particulier.

[27] Dans la présente affaire, la SAR mentionne le guide jurisprudentiel et adopte des paragraphes de celui‑ci dans plusieurs parties de son analyse concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir commis une erreur en agissant de la sorte parce que le président de la CISR a révoqué le guide jurisprudentiel le 8 avril 2020, après que la SAR eut rendu sa décision. Dans l’avis de révocation, le président explique que des faits nouveaux concernant les renseignements sur le pays d’origine, y compris ceux ayant trait à la capacité des femmes célibataires de déménager dans les diverses villes proposées dans le guide jurisprudentiel sur le Nigéria en tant que PRI, ont amoindri la valeur de la décision à titre de guide jurisprudentiel. Cependant, le président explique dans ce même avis que les commissaires pourront continuer à utiliser le cadre d’analyse du guide jurisprudentiel révoqué, abstraction faite de toute conclusion de fait, y compris le critère juridique pour établir une PRI viable ainsi que les sept facteurs décrits dans ce guide, pour analyser les faits de chaque affaire ainsi que les plus récents renseignements sur le pays d’origine.

[28] Les demandeurs invoquent des décisions qui concernent des demandeurs d’asile provenant d’autres pays et dans lesquelles la Cour fédérale a statué que la révocation d’un guide jurisprudentiel affaiblira les conclusions qu’un décideur a tirées en se fondant sur le guide (voir Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 918 [Liang] au para 10; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 337 [Cao] au para 39).

[29] Cependant, le défendeur souligne que, dans la récente décision Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781 [Agbeja], qui concernait la crainte d’une MOG et l’existence d’une PRI viable au Nigéria, le juge Little a statué que le fait d’invoquer le guide jurisprudentiel révoqué ne suffisait pas en soit à invalider la décision d’un commissaire. Après avoir examiné les décisions Liang et Cao, le juge Little a conclu ce qui suit (aux para 77–78) :

77. En examinant la décision de la SAR en l’espèce, à la lumière des décisions ACAADR, Liang, Cao et Liu, je conclus que les motifs de la SAR ne contenaient aucune erreur susceptible de contrôle. Bien que la SAR ait déclaré qu’elle a « adopt[é] le raisonnement exposé dans le guide jurisprudentiel concernant l’analyse du deuxième volet du critère d’une PRI » au paragraphe 35, elle a également fait remarquer, au paragraphe 36 que, « [b]ien qu’elle ne soit pas déterminante, la prise en considération du guide jurisprudentiel soutient la conclusion selon laquelle il est raisonnable pour [la famille] de se réinstaller à Abuja ou à Lagos ». L’examen par la SAR des facteurs énoncés dans le guide jurisprudentiel n’a pas mené aux mêmes conclusions de fait ou à des conclusions essentiellement identiques. Elle a reconnu et pris en compte de façon appropriée la situation particulière des demandeurs (par exemple, l’éducation des parents, la capacité probable de trouver un emploi dans les villes et les aptitudes linguistiques), et est arrivée à sa propre conclusion sur les faits. Les motifs de la SAR n’ont pas non plus indûment utilisé le guide jurisprudentiel comme seuil ou point de repère; la SAR a reconnu que l’analyse du guide jurisprudentiel portait sur une femme célibataire plutôt qu’une famille ayant deux parents, qui sont tous les deux instruits et ont travaillé à l’extérieur de leur domicile par le passé. La SAR a également examiné les conditions générales de risques dans les deux villes proposées comme PRI.

78. Je suis d’accord avec les juges Brown et Pamel pour dire qu’en principe, l’adoption des motifs énoncés dans un guide jurisprudentiel révoqué affaiblit le raisonnement d’une décision de la SAR. En l’espèce, au deuxième volet du critère pour déterminer s’il existe une PRI, la situation personnelle des demandeurs a clairement indiqué leur capacité de se réfugier dans les PRI proposées. À mon avis, en l’espèce, la nature et le degré de la dépendance de la SAR à l’égard du guide jurisprudentiel n’affaiblissent pas ses conclusions au point de les rendre déraisonnables.

[30] Je conclus que l’utilisation que la SAR a faite du guide jurisprudentiel dans la présente affaire est semblable à celle qui a été faite dans la décision Agbeja. Reprenant le cadre analytique qui demeure en vigueur après la révocation du guide jurisprudentiel, la SAR a analysé le caractère raisonnable de la PRI à l’aide des facteurs du transport en provenance et à destination de la PRI, de la langue, de la religion, de l’identité autochtone, de l’emploi et de l’éducation, des soins de santé et du logement. Pour chacun de ces facteurs, sauf dans le cas du logement, la SAR a mentionné qu’elle adoptait le paragraphe pertinent du guide jurisprudentiel. Cependant, dans chaque section de cette analyse, avant d’adopter le paragraphe en question, la SAR a examiné la preuve sur les conditions dans le pays et la situation personnelle des demandeurs. La SAR a adopté les paragraphes pertinents du guide jurisprudentiel en se fondant sur sa conclusion selon laquelle, à la lumière de la preuve dont elle avait été saisie, ces paragraphes s’appliquaient. Je ne vois donc aucune erreur dans la façon dont la SAR a utilisé le guide jurisprudentiel dans la décision.

[31] Les demandeurs font également valoir, particulièrement en ce qui concerne l’analyse que la SAR a menée au sujet des perspectives d’emploi, que celle‑ci n’a pas tenu compte de leur situation personnelle. La SAR a souligné que le demandeur principal compte cinq années d’études universitaires et son épouse, cinq années d’études secondaires, ce qui fait d’eux des personnes plus scolarisées que la plupart des Nigérians, qui ne comptent en moyenne que neuf années d’études. La SAR a tenu compte du fait que le demandeur principal possède plusieurs années d’expérience en qualité d’entrepreneur et de gestionnaire dans une entreprise d’opérations de change à Lagos et de propriétaire d’entreprise à Pretoria, en Afrique du Sud, tandis que son épouse a travaillé comme administratrice. La SAR a conclu qu’en raison de leur niveau d’instruction élevé et de leur grande expérience de travail comparativement à d’autres Nigérians, les demandeurs seraient avantagés lorsqu’ils se chercheraient du travail à Abuja, soulignant à cet égard la possibilité qu’ils auraient de se trouver un emploi ou de créer une entreprise, ou de faire les deux.

[32] Contestant cette analyse, les demandeurs soutiennent que l’expérience qu’ils ont acquise sur le plan économique découle d’initiatives entrepreneuriales et que, pour exploiter avec succès une entreprise, il est nécessaire de s’annoncer et d’avoir une grande visibilité par ailleurs. En conséquence, soulignent‑ils, contrairement à la situation des personnes qui pourraient être en mesure de se trouver un emploi tout en demeurant inconnues du public, l’utilisation des méthodes qui leur permettraient de gagner leur vie à Abuja les exposerait nécessairement au risque de se faire repérer par les agents de persécution.

[33] Cet argument semble être le même que celui que les demandeurs ont invoqué devant la SAR, qui souligne dans sa décision l’argument de leur conseil selon lequel le demandeur principal devait faire affaire avec le public dans le cadre de l’exploitation de son entreprise d’opérations de change. La décision démontre que la SAR a examiné cet argument, mais a conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve établissant de façon claire et concluante que le demandeur principal s’exposerait lui‑même à un risque en faisant ce travail. La SAR a rejeté cet argument après l’avoir examiné et les demandeurs n’ont invoqué aucun motif permettant à la Cour de conclure que cet aspect de la décision est déraisonnable.

[34] Après avoir examiné les arguments des demandeurs, je conclus que la décision est raisonnable et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2220‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2220‑20

INTITULÉ :

AYOWUNMI ADEYIG OLUSOLA

MOLAYO DORCAS OLUSOLAADEYIGA

AYOMIDE OMOTOLA OLUSOLAADEYIGA

AYODEJI OMOGBOL OLUSOLAADEYIGA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

le 23 juin 2021

COMPARUTIONS :

Adam Wawrzkiewicz

pour les demandeurs

James Todd

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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