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Date : 20210629


Dossier : T‑288‑15

Référence : 2021 CF 681

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MASTER TECH INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’un appel relatif à l’ordonnance du 21 avril 2021 par laquelle la protonotaire Tabib a rejeté, pour cause de retard, la requête de la demanderesse en réexamen ou en annulation de l’ordonnance rendue le 8 septembre 2020.

[2] La demanderesse a intenté en 2015 une action en dommages‑intérêts contre le défendeur pour la saisie d’équipement qu’elle souhaitait exporter en Iran.

[3] Le 9 avril 2015, le président et seul actionnaire de la demanderesse, M. Fariborz Mirzaee Tavana, a introduit, au titre de l’article 120 des Règles des Cours fédérales, une requête par laquelle il sollicitait une ordonnance l’autorisant à représenter la société demanderesse. La requête a été accueillie le 11 mai 2015 par la protonotaire Tabib, juge chargée de la gestion de l’instance, mais a par la suite été révoquée dans une ordonnance datée du 25 juillet 2016 :

[traduction]
La Cour craint que M. Tavana, qui a obtenu l’autorisation de représenter la demanderesse dans une ordonnance datée du 11 mai 2015, ait pu cesser de solliciter ou de suivre les conseils juridiques de l’avocat qui l’assistait au départ. L’ordonnance du 11 mai 2015 reposait sur l’engagement pris par M. Tavana de continuer à solliciter et à obtenir une aide juridique si nécessaire, et prévoyait que la Cour pouvait de son propre chef réexaminer ou retirer l’autorisation accordée. Compte tenu du comportement récent de la demanderesse, la Cour aimerait réexaminer l’autorisation accordée à M. Tavana de la représenter. Ce réexamen consistera à exiger de M. Tavana qu’il sollicite à nouveau l’autorisation de représenter la société, en signifiant et en déposant, au plus tard le 29 août 2016, un dossier de requête en ce sens.

[4] Le 7 octobre 2016, la demanderesse a nommé son premier avocat inscrit au dossier, qui a fini par obtenir une ordonnance de cessation d’occuper au titre de l’article 125 des Règles. Cinq autres avocats inscrits au dossier ont été nommés pour ensuite cesser d’occuper ou pour être remplacés à titre d’avocats de la demanderesse inscrits au dossier.

[5] Le 12 décembre 2019, la protonotaire Tabib a délivré un avis provisoire d’examen de l’état de l’instance qui a ensuite été suspendu pendant 45 jours pour donner à la demanderesse le temps de signifier et de déposer une proposition de calendrier des étapes à suivre pour faire avancer l’action, à condition toutefois que ce calendrier soit déposé par son avocat inscrit au dossier. Or, la demanderesse n’en a nommé aucun.

[6] Le 8 septembre 2020, la protonotaire Tabib a délivré une ordonnance rejetant l’action pour cause de retard.

[7] Le 18 septembre 2020, le défendeur s’est vu signifier un avis de requête fondé sur l’article 397 des Règles des Cours fédérales dans lequel M. Tavana sollicitait le réexamen de la décision rejetant l’action. Le dépôt n’a pas été accepté par la Cour, car M. Tavana n’avait pas l’autorité d’agir pour le compte de la demanderesse.

[8] Le 29 mars 2021, M. Tavana a introduit une requête semblable en réexamen de l’ordonnance du 8 septembre 2020. Il demandait également une prorogation du délai de dépôt de cette requête ainsi que l’autorisation de représenter la demanderesse, faisant valoir qu’il avait l’autorité de la représenter, étant donné que la société demanderesse avait été dissoute et que l’ensemble de ses intérêts lui avaient été transmis.

[9] La protonotaire Tabib a rejeté sa requête, déclarant que [traduction] « sa tentative de raviver une action ayant été rejetée et de remettre en litige une requête ayant été tranchée constituait un abus de procédure ». Elle a également estimé que rien ne justifiait le retard mis à introduire l’action :

[traduction]
Pour justifier son retard, M. Tavana semble invoquer son incapacité à engager personnellement les actions de la demanderesse jusqu’à la dissolution de la société. Cependant, il n’explique pas pourquoi il a tardé à dissoudre la société demanderesse, surtout que, comme il l’affirme, les conditions propices à cette dissolution existaient depuis 2016.

[10] La protonotaire a estimé en outre que l’invocation par M. Tavana des alinéas 397(1)b) et 399(2)a) était infondée pour les raisons suivantes : 1) l’alinéa 397(1)b) ne s’applique pas au défaut d’une partie de porter à l’attention de la Cour les faits dont elle avait ou dont elle aurait dû avoir connaissance avec la diligence voulue et 2) les faits concernant la dissolution de la société demanderesse ne sont pas survenus ni n’ont été découverts après la décision, comme l’exige l’alinéa 399(2)a).

[11] Les décisions discrétionnaires rendues par un protonotaire sont soumises à la norme énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen]. Suivant cet arrêt, les conclusions et inférences factuelles sont soumises à la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit ou de fait et de droit qui font intervenir un principe juridique isolable sont soumises à celle de la décision correcte.

[12] Les documents déposés par M. Tavana ainsi que ses observations présentent de graves lacunes et soulèvent de sérieuses préoccupations.

[13] Premièrement, comme le note le défendeur, M. Tavana [traduction] « avance diverses allégations contre des personnes qui ne sont pas parties à l’action » dans le mémoire déposé en l’espèce. La majorité de ses observations sont axées sur l’assertion portant qu’un certain nombre d’agences gouvernementales, y compris le Service canadien du renseignement de sécurité, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, et Affaires mondiales Canada ont porté atteinte aux droits protégés par les articles 8 et 24 de la Charte des droits et libertés. Cet argument n’a pas été soumis à la protonotaire et quoi qu’il en soit, il n’était pas pertinent au regard de la question dont elle était saisie ou que notre Cour est appelée à trancher en appel.

[14] Deuxièmement, en plus de ces nouvelles questions, l’affidavit que M. Tavana a soumis dans le cadre de la présente requête comprend près de 19 pièces dont ne disposait pas la protonotaire. Le présent appel doit être tranché en se basant sur ce qui avait été présenté à la protonotaire ayant rendu l’ordonnance visée. Ce point de vue, adopté de longue date par la Cour, est bien expliqué par la juge Kane dans la décision Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379, aux para 36 et 37 :

Il n’en demeure pas moins, de façon générale, qu’un appel relatif à une ordonnance d’un protonotaire doit être tranché sur le fondement des éléments qui lui ont été soumis (James River, au par. 32). Ce n’est que dans des circonstances « exceptionnelles » que l’on peut admettre de nouveaux éléments de preuve (Carten, au par. 23).

La démarche décrite dans les décisions Carten et Graham, qui avaient toutes deux trait à la question de savoir s’il y avait lieu d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel relatif à la décision d’un protonotaire au sujet d’une requête en radiation d’une déclaration, s’applique tout particulièrement dans les circonstances. De nouveaux éléments de preuve peuvent être admissibles à titre « exceptionnel » dans les cas suivants : ils n’auraient pas pu être disponibles auparavant, ils serviront les intérêts de la justice, ils aideront la Cour, et ils ne porteront pas sérieusement préjudice à la partie adverse (Graham, au par. 10; Carten, au par. 23; Shaw c Canada, 2010 CF 577, au par. 9, [2010] ACF no 684 (QL)).

[15] M. Tavana n’explique nullement pourquoi cette affaire présente des circonstances exceptionnelles qui justifieraient l’admission de ces questions ou faits nouveaux. De plus, les quatre conditions favorables à l’admission d’une nouvelle preuve, mentionnées par la juge Kane, sont conjonctives et rien ne laisse penser que cette nouvelle preuve n’aurait pas pu être obtenue plus tôt.

[16] M. Tavana ne s’attaque pas au fond de l’appel dont la Cour est saisie. Il n’explique pas de manière valable pourquoi les articles 397 et 51, et le paragraphe 399(2) des Règles sont applicables et établis. Au lieu de cela, il note que les personnes ayant été mêlées à la procédure de saisie ont induit la Cour en erreur, fabriqué des documents, illégalement saisi des produits, et que cette preuve a amené les avocats de la demanderesse à [traduction] « prendre la fuite ». Ce sont là des conjectures infondées qui ne sont appuyées par aucune preuve.

[17] Je souscris à la description que fait le défendeur au paragraphe 35 de son mémoire de l’essence des observations de M. Tavana :

[traduction]
Dans le présent appel, M. Tavana tente de remettre l’affaire en litige et de contourner l’ordonnance rejetant l’action de la demanderesse pour cause de retard. Les nouveaux arguments et documents de M. Tavana, de même que ses allégations de fraude, infondées et dépourvues de pertinence, sont une autre manifestation de l’abus de procédure qui a débuté avec la requête visée par l’appel. Les allégations et la preuve de M. Tavana ne témoignent pas simplement d’une tentative de remettre en litige la question de savoir si l’action de la société demanderesse devrait être rejetée pour cause de retard. Dans la présente requête, M. Tavana invite la Cour à examiner ce qu’il considère comme les questions de fond soulevées par une action ayant été rejetée. À ce titre, il accumule les abus de procédure auxquels il doit être mis un terme.

[18] Le présent appel est infondé et doit être rejeté; les dépens fixés à 2 500 $ devront être payés personnellement par M. Tavana.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑288‑15

LA COUR STATUE que le présent appel est rejeté, et M. Fariborz Mirzaee Tavana qui a introduit le présent appel devra personnellement payer au défendeur les dépens fixés à 2 500 $.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑288‑15

 

INTITULÉ :

MASTER TECH INC c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE zinn

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Fariborz Tavana

POUR LA DEMANDERESSE

Shain Widdifield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

pour son propre compte

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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