Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210630


Dossier : T‐1367‐19

T‐1368‐19

Référence : 2021 CF 693

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2021

En présence de madame la juge Elliott

Dossier : T‐1367‐19

ENTRE :

NICK LIBICZ

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‐1368‐19

ET ENTRE :

AARON VAAGE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision rendue le 29 janvier 2019 par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de retirer temporairement, plutôt que d’y renoncer de façon permanente, deux certificats qu’elle a déposés devant la Cour afin de prendre des mesures de recouvrement contre M. Nick Libicz et M. Aaron Vaage (les demandeurs) en leur qualité d’administrateurs d’Artisan Homes Inc. (Artisan) pour des arriérés de taxe sur les produits et services (TPS) dus par Artisan.

[2] Le principal argument des demandeurs est que la mesure prise par l’ARC était déraisonnable en ce qu’elle contrevenait au Manuel du recouvrement national (2015‐01) (le manuel de 2015) qui était en vigueur au moment où ils ont présenté leurs avis d’opposition à l’avis de cotisation de l’ARC, le 20 avril 2016, en vertu du paragraphe 301(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‐15 (la LTA).

[3] L’ARC, représentée par le procureur général du Canada, affirme que le manuel de 2015 a été remplacé en novembre 2016 par une communication, dans Infozone, du directeur de la Division des recouvrements et de l’exécution de l’ARC (la directive de 2016) et que les demandeurs s’appuient sur des renseignements périmés.

[4] Ces arguments et d’autres présentés par les parties sont examinés davantage plus loin. Les dispositions législatives applicables dont il est fait mention se trouvent à l’annexe ci‐jointe.

[5] Selon l’ordonnance de la protonotaire Ring datée du 2 octobre 2020, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, ces demandes ont été instruites ensemble. Comme chaque demande contient essentiellement le même dossier certifié du tribunal et des mémoires presque identiques, j’ai choisi de les instruire toutes les deux en même temps.

[6] Pour les motifs qui suivent, les demandes seront rejetées.

II. La compétence

[7] Au moment d’examiner des affaires découlant de la LTA, il est important de confirmer la compétence de la Cour, puisque la CCI a généralement compétence en matière fiscale.

[8] Je conclus que la Cour a compétence en l’espèce, car la décision contestée concerne la validité des mesures prises par le ministre en vue de recouvrer des sommes exigibles au titre de l’impôt : Walker c Canada, 2005 CAF 393 au para 15.

III. Les faits pertinents

[9] Les faits ne sont pas contestés. La chronologie de plusieurs faits clés est un élément important.

[10] Le 17 février 2016, au titre du paragraphe 323(l) de la LTA, l’ARC a émis des avis de cotisation (notes de cotisation) contre les demandeurs pour les arriérés de taxe sur les produits et services, dus par Artisan, de 550 000 $.

A. Les oppositions

[11] Le 20 avril 2016, les demandeurs, qui se représentaient eux‐mêmes à l’époque, ont envoyé à l’ARC par télécopieur deux avis d’opposition (les oppositions) contestant les cotisations.

[12] Les demandeurs ont également déposé des oppositions sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) [la LIR] à l’égard de ces cotisations, et ont interjeté appel de ces cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt.

[13] Au moment de l’audition de la présente affaire, les appels n’avaient pas été instruits.

[14] Le 31 janvier 2018, un agent de recouvrement de l’ARC a envoyé un courriel à un agent des appels au sujet du statut d’appel des comptes des demandeurs. L’objectif de l’agent de recouvrement était de [traduction] « confirmer que l’opposition pour le compte RT connexe a[vait] également été confirmée sans entente afin [qu’il] puisse poursuivre les mesures judiciaires à l’égard de ce compte ».

[15] L’agent des appels a répondu peu de temps après qu’il n’y avait pas de note de cotisation associée au compte RT lors d’une recherche des noms des contribuables dans le système; [traduction] « les seules oppositions qui ont été déposées et réglées concernaient les notes de cotisations des comptes RP » (non souligné dans l’original).

[16] Un compte RP se rapporte aux retenues sur la paie au titre de la LIR. Un compte RT se rapporte aux paiements de TPS/TVH sous le régime de la LTA. Les seules oppositions au dossier concernaient les cotisations au titre de la LIR.

[17] À un moment donné en mars 2018, les demandeurs ont retenu les services d’un avocat (l’avocat) pour s’occuper des oppositions.

[18] Le 12 mars 2018, le ministre a déclaré par certificat, en vertu du paragraphe 316(1) de la LTA, que chacun des demandeurs, et Artisan, était redevable d’impôts aux termes des notes de cotisation. À l’époque, la dette s’élevait à 616 502,43 $, incluant les intérêts.

[19] Le 21 mars 2018, l’avocat a téléphoné à l’agent de recouvrement pour l’informer que les demandeurs avaient déposé des oppositions auprès de l’ARC en avril 2016.

[20] Le 28 mars 2018, l’avocat a envoyé une lettre de suivi, adressée à l’attention du chef des appels concerné, pour l’informer que les demandeurs avaient déposé des oppositions le 20 avril 2016. L’avocat a demandé la confirmation de ces oppositions et a joint des copies des oppositions originales. L’avocat a également demandé que les oppositions soient [traduction] « rouvertes rétroactivement ».

[21] Les copies des oppositions pour les comptes RP et RT ne figurent pas dans le dossier sous‐jacent.

B. Les certificats sont enregistrés, le retrait est demandé

[22] Les entrées enregistrées pour la Cour montrent que, le 6 avril 2018, les certificats ont été enregistrés comme étant déposés et qu’un bref de perquisition et de saisie a été délivré électroniquement à un shérif.

[23] Aux termes du paragraphe 316(2) de la LTA, les certificats, une fois enregistrés, ont le même effet qu’un jugement rendu par la Cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat. Les certificats peuvent ensuite être exécutés sous le régime des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106.

[24] Le 24 avril 2018, le chef des appels de l’ARC, dans une lettre type envoyée à chaque demandeur, a confirmé avoir reçu les oppositions et a fourni des renseignements génériques sur les prochaines étapes. L’avocat a reçu une copie des lettres.

[25] Le 12 septembre 2018, l’avocat a écrit au chef d’équipe, Division du recouvrement, après que l’agent de recouvrement l’eut informé, plus tôt ce jour‐là, que les certificats allaient être retirés. Citant directement le manuel de 2015, l’avocat a souligné que, comme la dette avait été erronément attestée par certificat, l’ARC [traduction] « [devait] procéder à la mainlevée du certificat ». L’avocat a exigé [traduction] « l’annulation et le retrait immédiats » des certificats enregistrés contre les demandeurs et que des copies des certificats de renonciation soient fournies.

C. Les certificats sont retirés, la renonciation est refusée

[26] Le 13 septembre 2018, un agent des appels a répondu à un courriel de l’agent de recouvrement, daté du 12 septembre 2018, qui s’interrogeait sur la date de prise d’effet des appels des demandeurs. L’agent des appels a mentionné que les oppositions initiales se trouvaient sur le formulaire de retenues sur la paie au titre de la LIR et ne faisaient pas référence à la TPS/TVH. L’un des formulaires portait également le mauvais numéro de cotisation. L’agent a souligné que, le 28 mars 2018, l’avocat avait envoyé des copies des oppositions originales et avait remarqué que les oppositions n’avaient pas été traitées. La conclusion de l’agent était que [traduction] « [p]uisque l’ARC a[vait] reçu les oppositions le 20 avril 2016 et que la date de classement [était] le 20 avril 2016, [ils devaient] utiliser cette date pour les restrictions en matière de recouvrement ».

[27] Les notes informatiques du Système automatisé pour les recouvrements et les retenues à la source (SARRS) datées du même jour montrent également qu’un agent de recouvrement a avisé verbalement l’avocat que les oppositions avaient été antidatées et qu’elles avaient pris effet le 20 avril 2016. L’ARC a dit à l’avocat qu’elle retirerait le certificat et le bref pour les deux demandeurs [traduction] « étant donné que la dette [était] maintenant considérée comme ayant été erronément attestée par certificat ».

[28] Le 29 janvier 2019, les retraits des certificats contre les demandeurs ont été déposés à la Cour. Selon les notes du SARRS, les certificats ont été retirés le 6 février 2019. Aucun document ne fait état du fait que l’ARC ait communiqué ce fait à l’avocat à l’époque.

[29] Le 12 février 2019, l’avocat a communiqué avec l’ARC pour dire que les brefs n’avaient pas été supprimés, comme il en avait été discuté et comme le prévoyaient les actes de procédure. L’ARC les a retirés, mais n’y a pas renoncé, et ils n’ont pas été exécutés. L’ARC a informé l’avocat que ces actes de procédure étaient périmés et que le retrait était la bonne façon de procéder. Les notes du SARRS pour cette conversation montrent que l’agent a informé l’avocat que [traduction] « ces actes de procédure [étaient] périmés et que, selon le document DGRV‐2016‐103, le retrait était la bonne façon de procéder ». (Nota : DGRV‐2016‐103 est le document de l’ARC intitulé « Retour et libération de documents de la Cour fédérale ».)

[30] Le 4 juillet 2019, n’ayant reçu aucune réponse écrite à la lettre du 12 septembre 2018 demandant l’annulation et la mainlevée des certificats, l’avocat a écrit au chef d’équipe, Division des recouvrements, pour demander une réponse. La lettre signalait que, si l’avocat n’avait reçu aucune réponse d’ici le 31 juillet 2019, cela serait interprété comme un refus de la demande de mainlevée des certificats, et une demande serait présentée à la Cour pour régler l’affaire. Selon le SARRS, la lettre a été examinée, et une réponse verbale a été donnée en octobre 2018. (Nota : une note du SARRS datée du 4 octobre 2018 confirme que cette conversation a eu lieu entre l’avocat et un agent.)

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[31] La décision faisant l’objet du contrôle est une lettre datée du 25 juillet 2019 qui mentionnait que la position des demandeurs selon laquelle [traduction] « l’ARC [devait] “procéder à la mainlevée” des certificats [était] incorrecte et repos[ait] sur une mauvaise interprétation du droit applicable et sur une politique de l’ARC qui n’était en vigueur à aucun moment pertinent à la présente affaire » (la décision). Il était affirmé dans la lettre que l’ARC avait retiré les deux certificats, mais qu’elle n’y renoncerait pas.

[32] La décision mentionnait qu’il n’y avait pas d’opposition ni d’appel lorsque les brefs ont été déposés le 6 avril 2018. Toutefois, ils ont été retirés lorsque les oppositions acceptées par la suite ont été antidatées à un moment précédant le dépôt des brefs.

[33] La décision indiquait que, aux termes de la politique qui a remplacé le manuel de 2015, la renonciation à des certificats n’était prévue que dans certaines situations, dont aucune ne correspondait à la situation des demandeurs. La décision soulignait également que le manuel de 2015 n’était plus en vigueur lorsque l’ARC avait accepté les oppositions des demandeurs le 17 avril 2018. Par conséquent, la décision a conclu que l’ARC avait correctement suivi sa politique en retirant les certificats plutôt qu’en y renonçant.

[34] La décision a fait observer que le manuel de 2015 était une politique interne et ne constituait pas une règle de droit.

[35] La décision expliquait ensuite que le ministre n’avait aucune obligation légale de surseoir au recouvrement d’une dette pour les cotisations au titre de la responsabilité des administrateurs, aux termes du paragraphe 323(1) de la LTA. Bien que l’article 225.1 de la LIR empêche le ministre de recouvrer des montants de cotisations établies sous le régime de la LIR pendant 90 jours suivant la délivrance d’un avis de cotisation ou pendant qu’une opposition ou un appel est en instance, il n’y a pas de disposition équivalente dans la LTA. Il n’était pas interdit à l’ARC d’attester par certificat les dettes fiscales établies par cotisation des administrateurs au titre de l’article 323 de la LTA ou de demander des brefs de saisie et de vente aux termes des certificats déposés.

[36] En se fondant sur Alessandro c Canada, 2006 CF 895 [Alessandro], la décision mentionnait que l’ARC n’avait pas à renoncer à des certificats qui avaient été par ailleurs déposés légalement.

[37] La décision réitérait que la partie IX de la LTA ne contenait aucune disposition équivalente à l’article 225.1 de la LIR. La décision mentionne que l’ARC n’était pas tenue de retirer les certificats et que rien ne l’oblige à y renoncer.

[38] Dans la conclusion de la décision, il est souligné que l’ARC avait retiré les certificats contre les demandeurs le 29 janvier 2019 et que [traduction] « [l]’ARC ne procédera[it] donc pas à la “mainlevée” des certificats et n’y renoncera[it] pas ».

V. Les questions en litige

[39] Les demandeurs soulèvent deux questions : (1) la décision était‐elle raisonnable? (2) la décision était‐elle inéquitable sur le plan de la procédure en ce sens qu’elle ne répondait pas aux attentes légitimes des demandeurs?

[40] Le litige entre les parties porte essentiellement sur la question de savoir si la mainlevée des certificats devrait être régie par le manuel de 2015 (renonciation) ou la directive de 2016 (retrait) qui l’a mis à jour.

VI. La norme de contrôle judiciaire

A. La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable

[41] Le contrôle judiciaire d’une décision administrative commence par la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable à tous les aspects de cette décision est la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [Vavilov] au para 25. Il y a peu d’exceptions à cette présomption, et aucune d’entre elles ne s’applique en l’espèce.

[42] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect du rôle distinct des décideurs administratifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple formalité ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux : Vavilov, au para 13.

[43] Une décision est jugée raisonnable lorsqu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti et qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Dans ce cas, « [l]a norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision » : Vavilov, au para 85 (non souligné dans l’original).

[44] L’arrêt Vavilov a également confirmé, en citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, qu’une décision raisonnable est une décision justifiée, transparente et intelligible qui est axée sur la décision même qui a été rendue, notamment sur sa justification. Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100.

[45] Une décision sera jugée déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle. La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » : Vavilov, aux para 103 et 104.

[46] Les cours de révision doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, et elles ne doivent pas modifier les conclusions de fait, sauf dans des circonstances exceptionnelles : Vavilov, au para 125.

B. L’examen de la question de l’équité procédurale

[47] La question de savoir si la décision était inéquitable du fait que le demandeur avait une attente légitime à laquelle il n’a pas été satisfait soulève une question d’équité procédurale.

[48] La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas à une question liée à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale : Vavilov, au para 23.

[49] D’autre part, la norme qui régit le contrôle d’une décision discrétionnaire prise par le ministre et de l’interprétation de sa loi constitutive est la norme de la décision raisonnable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (Agraira) au para 50.

[50] En fait, pour établir si l’obligation d’équité procédurale a été respectée, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle, bien que le processus soit souvent décrit comme un contrôle selon la norme de la décision correcte. La question fondamentale à laquelle doit répondre une cour de révision est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 56.

[51] Compte tenu des principes qui précèdent et de la jurisprudence connexe, voici mon analyse des questions en litige.

VII. La décision était‐elle raisonnable?

A. La décision est‐elle intrinsèquement incohérente?

[52] Le principal motif avancé par les demandeurs pour appuyer la proposition selon laquelle la décision est déraisonnable est que, comme il est énoncé dans Vavilov, la décision est fondée sur une analyse intrinsèquement incohérente qui ne peut être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables.

[53] À l’appui de cette observation, les demandeurs déclarent dans leurs mémoires respectifs que l’ARC était fautive pour ne pas avoir correctement enregistré les oppositions :

[traduction]
La présente demande n’aurait pas été nécessaire si l’ARC avait traité avec diligence l’avis d’opposition du demandeur lorsqu’il l’a déposé le 20 avril 2016. Le ministre reconnaît son omission et a confirmé que l’avis d’opposition du demandeur avait en fait été déposé le 20 avril 2016 et que c’est cette date que l’ARC devrait utiliser pour les restrictions en matière de recouvrement.

Si la Division des appels avait correctement enregistré l’avis d’opposition du demandeur, un gel des recouvrements aurait été noté au dossier, et le certificat n’aurait jamais été délivré.

[54] Les demandeurs ont fait valoir un certain nombre d’autres facteurs, examinés ci‐après, qui les amènent chacun à conclure que la décision est injustifiée et irrationnelle.

[55] Dans l’ensemble, les demandeurs reprochent à l’ARC d’avoir mal géré les oppositions à plusieurs étapes du processus.

B. Le pouvoir du ministre de prendre des mesures de recouvrement et de reporter ces mesures

[56] Les demandeurs affirment que, en vertu du paragraphe 315(3) de la LTA, le ministre peut reporter les mesures de recouvrement concernant tout ou partie du montant d’une cotisation qui fait l’objet d’un litige entre le ministre et la personne en cause.

[57] Le paragraphe 315(3) dispose que tout report accordé par le ministre se fait « [s]ous réserve des modalités qu’il fixe ». Bien que le ministre ait le pouvoir de reporter les mesures de recouvrement, rien dans le dossier ne démontre que les demandeurs aient sollicité un tel report. Même si un report avait été demandé, il n’y a aucune garantie que le ministre aurait accordé un tel report ou que les modalités imposées auraient été acceptables pour les demandeurs.

[58] Le paragraphe 315(2) de la LTA stipule que, si un avis de cotisation est envoyé à une personne, tout montant qui demeure impayé est « payable immédiatement ». Il a été décidé que cette disposition s’appliquait même en attendant l’issue d’un appel.

[59] Dans Mason c Canada (Procureur général), 2015 CF 926 [Mason], la juge Strickland a conclu ce qui suit :

[traduction]

[...] il est clair que le ministre du Revenu national est fondé, en vertu du paragraphe 315(2) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC, 1985, ch E‐15, à faire exécuter une cotisation de TPS en attendant l’issue de l’appel, comme cela fut confirmé dans la décision Hoffman c Procureur général du Canada, 2009 CF 832, 180 ACWS (3d) 176, au paragraphe 28, et dans la décision Leroux v Canada Revenue Agency, 2014 BCSC 720, 242 ACWS (3d) 987, au paragraphe 376. [...]

[60] La décision Mason n’a pas fait l’objet d’un appel. La décision Leroux n’a fait l’objet d’un appel que sur la question de savoir s’il fallait obtenir une autorisation pour présenter un appel incident au sujet des dépens. Dans les deux cas, il s’agissait de procédures de recouvrement au titre de la LTA.

[61] Je suis convaincue, compte tenu des dispositions du paragraphe 315(2) de la LTA et de la jurisprudence mentionnée ci‐dessus, qu’il n’y a pas de suspension requise par la loi, quant aux procédures de recouvrement, après l’établissement d’une cotisation pour la TPS impayée. Le ministre n’était pas légalement contraint, il avait légalement le droit de faire exécuter les cotisations au moment du dépôt des certificats et de l’enregistrement des brefs par la suite.

[62] Tout en gardant également à l’esprit que les demandeurs n’ont pas demandé un sursis ministériel à l’exécution des mesures de recouvrement au titre du paragraphe 315(3), je juge que, dans la décision, il a été raisonnablement conclu que, bien qu’une opposition ou un appel soit en instance sous le régime de la LTA, il n’était pas interdit à l’ARC d’attester par certificat les dettes fiscales établies par cotisation contre les administrateurs au titre de l’article 323 de la LTA ou de demander des brefs de saisie et de vente, conformément aux certificats déposés.

[63] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il n’y avait pas d’obstacle juridique aux actions de l’agent de recouvrement pour procéder au recouvrement en déposant des certificats et en enregistrant des brefs. Ces mesures étaient appuyées par la loi et prévues dans la LTA. Contrairement aux allégations des demandeurs, une fois que les certificats ont été légalement enregistrés et tant qu’ils le demeuraient, il n’était pas déraisonnable pour l’ARC de solliciter des brefs pour recouvrer la dette.

C. L’imposition de restrictions en matière de recouvrement et le retrait des certificats

[64] L’ARC a conclu seulement le 13 septembre 2018 que le 20 avril 2016 était la date à utiliser pour les [traduction] « restrictions en matière de recouvrement ».

[65] L’ARC n’était pas légalement tenue, sous le régime de la LTA, de retirer les certificats le 29 janvier 2019. Cette mesure administrative volontaire de l’ARC visant à imposer des restrictions en matière de recouvrement alors qu’aucune n’était légalement requise est un fait qui s’est produit environ six mois après le début des activités de recouvrement. Elle n’appuie pas une conclusion selon laquelle la décision est incohérente ou est par ailleurs déraisonnable en ce qui concerne le dépôt des certificats ou le retrait subséquent des certificats, plutôt que la renonciation à ceux‐ci.

[66] Les dispositions législatives applicables de la LTA sont habilitantes, et non contraignantes. Elles se trouvent aux articles 315 et 316. La première prévoit qu’à la suite de l’établissement d’une cotisation, tous les montants impayés sont payables immédiatement, et la seconde prévoit que les taxes impayées peuvent être attestées par certificat comme un montant payable et, une fois l’enregistrement fait auprès de la Cour, le certificat peut être exécuté de la même façon qu’un jugement de la Cour. Ensemble, ces dispositions de la LTA justifient et appuient légalement les activités de recouvrement qui ont été entreprises et le retrait des certificats.

[67] Les demandeurs font valoir que, le 6 avril 2018, lorsque les certificats ont été enregistrés, aucune mesure de recouvrement ne pouvait être prise, puisqu’ils ont été déposés après le 20 avril 2016, date que l’ARC a identifiée comme étant la date de prise d’effet des oppositions.

[68] Les demandeurs affirment que, dans le contexte d’un gel des recouvrements, il est difficile de suivre le raisonnement de la décision. En guise d’explication, les demandeurs contestent vigoureusement la déclaration dans la décision selon laquelle [traduction] « les brefs ont été déposés le 6 avril 2018, alors qu’il n’y avait ni opposition ni appel ». Ils disent qu’il est [traduction] « illogique, irrationnel et injustifié de penser que le ministre peut, d’une manière ou d’une autre, profiter de ses propres erreurs et omissions négligentes pour justifier et défendre la décision de cette façon ».

[69] En fait, les certificats ont été présentés le 12 mars 2018 et déposés par la Cour le 6 avril 2018. Les brefs ont immédiatement été délivrés et envoyés à un shérif. À ce moment‐là, il n’y avait pas de gel des recouvrements au titre des dispositions de la LTA ou d’une politique de l’ARC.

[70] Les demandeurs utilisent la date de dépôt rétroactive du 20 avril 2016 comme lentille à travers laquelle ils considèrent les actions des agents et les trouvent irrationnelles, illogiques et injustifiées.

[71] Au moment où les activités de recouvrement ont commencé le 12 mars 2018, les agents ne pouvaient pas prévoir que, le 13 septembre 2018, les oppositions seraient antidatées au 20 avril 2016 et que le ministre prendrait la décision administrative d’imposer un gel des recouvrements au titre de la LTA à partir de cette date.

[72] Compte tenu de ces faits, il n’était pas illogique, irrationnel ou injustifié de dire dans la décision qu’en date du 6 avril 2018, il n’y avait pas d’opposition en place. Jusqu’au 13 septembre 2018, cette affirmation était véridique. Il était tout à fait raisonnable, en date du 12 mars 2018 et du 6 avril 2018, que les agents se fient aux renseignements connus lorsqu’ils ont entrepris leurs activités de recouvrement.

[73] Je n’accepte pas la proposition selon laquelle les agents de l’ARC ont fait preuve de négligence, ou que des erreurs et des omissions apparaissent à la lecture du dossier.

[74] Avant de certifier les dettes, les agents ont revérifié dans le système informatique de l’ARC pour voir s’il y avait des objections au titre de la LTA. Comme il a été mentionné précédemment, le résultat communiqué était que les oppositions n’étaient consignées que dans les dossiers liés à la LIR, et non dans ceux liés à la LTA.

[75] Les notes et les courriels du SARRS au dossier montrent que les agents ont revérifié les faits, reçu et noté l’information dans le système de dossiers et y ont agi en conséquence. Il ne s’agit pas d’une preuve d’erreur, de négligence ou d’omission. Au contraire, il s’agit d’une preuve de vérification des renseignements dans le système avant d’agir sur la foi de ceux‐ci.

[76] Lorsque les oppositions ont été antidatées et que le contexte a changé, l’ARC, sans obligation légale, a retiré les certificats de son propre chef.

[77] Je conclus que les deux agents se sont raisonnablement appuyés sur les renseignements contenus dans le système des dossiers lorsqu’ils ont traité les activités de recouvrement; ils ont agi avec diligence et n’ont pas fait preuve de négligence à cet égard.

[78] Les demandeurs déclarent également dans leurs mémoires que [TRADUCTION] « [p]our des motifs inconnus du demandeur, la Division des appels de l’Agence du revenu n’a pas ouvert de dossier pour l’avis d’opposition [...] et n’a pas “codé” l’avis d’opposition dans la base de données informatique de l’Agence du revenu du Canada ».

[79] Les motifs n’étaient pas inconnus.

[80] L’avocat des demandeurs a présenté des copies des oppositions à l’ARC le 28 mars 2018. À ce moment‐là, l’avocat a signalé les erreurs que sont l’utilisation du mauvais formulaire et le fait que le même numéro de cotisation figurait sur les deux formulaires.

[81] Au départ, les oppositions étaient inscrites seulement dans le compte RP. Cela est conforme au fait que les oppositions présentées utilisaient le formulaire pour les oppositions relatives à la LIR.

[82] Dans ces circonstances, compte tenu de la trame factuelle du dossier, je n’accepte pas que les demandeurs puissent blâmer l’ARC de ne pas avoir ouvert un dossier lié à la LTA pour les oppositions. L’ARC a codé les oppositions dans les dossiers liés à la LIR, soit la bonne base de données pour les formulaires présentés par les demandeurs.

[83] Ensuite, les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable que l’agent de recouvrement de l’ARC ait obtenu les certificats après avoir été informé verbalement par l’avocat que les demandeurs avaient en fait déposé une opposition et qu’ils étaient en train de faire confirmer cela par la Division des appels de l’ARC. Ils disent que, si les certificats et les brefs ont été [traduction] « poursuivis » le 12 mars 2018 et n’ont pas été délivrés avant le 6 avril 2018, l’agent avait l’occasion (après avoir été informé de l’existence d’une opposition le 21 mars 2018) de retirer les certificats de la file d’attente. Ils affirment que l’omission de l’agent à cet égard était déraisonnable.

[84] Je ne suis pas de cet avis.

[85] Les certificats avaient déjà été déposés depuis neuf jours lorsque l’avocat a avisé verbalement l’agent qu’il avait envoyé les oppositions à la Division des appels de l’ARC. La décision sur les oppositions a été rendue par la Division des appels près de six mois plus tard.

[86] Le fait que l’avocat a informé l’agent que des oppositions existaient, mais que la Division des appels n’avait pas encore rendu de décision à leur sujet, ne fournit pas une base suffisante pour que l’agent puisse retirer les certificats du processus judiciaire.

[87] Il incombe aux demandeurs de prouver leurs arguments selon la prépondérance des probabilités. Pour tous les motifs mentionnés précédemment, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que le raisonnement de la décision était intrinsèquement incohérent et qu’il ne peut être justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Au contraire, les dispositions de la LTA et la jurisprudence connexe appuient pleinement la décision.

VIII. Le manuel de 2015 ou la directive de 2016 s’appliquent‐ils à ces faits?

[88] Les demandeurs conviennent qu’il n’y a pas de restriction législative quant au recouvrement de la dette fiscale relativement aux montants de TPS/TVH pour lesquels une cotisation a été établie au titre de la partie IX de la LTA.

[89] Ils affirment toutefois que, comme les administrateurs individuels ne sont pas directement responsables du paiement de la dette d’une société au titre de la TPS, le ministre a élaboré des politiques et des lignes directrices administratives qui établissent les facteurs limitant le recouvrement de ces montants. Les demandeurs prétendent que ces limites empêchent effectivement le ministre de prendre des mesures de recouvrement lorsqu’un administrateur dépose une opposition.

[90] Les demandeurs soutiennent que, sur le plan administratif, le ministre est tenu de suivre la politique de recouvrement du manuel de 2015 et de renoncer aux certificats déjà déposés, parce que, lorsque l’ARC a accepté les oppositions, leur date de prise d’effet, soit le 20 avril 2016, se situait dans la période de 90 jours pour la présentation des oppositions.

[91] Comme je l’aborderai sous peu, la directive de 2016 a été émise pour clarifier le manuel de 2015.

[92] La partie pertinente du manuel de 2015 stipule que [traduction] « une renonciation à un certificat est émise lorsque la dette : est attestée par certificat pendant qu’elle fait l’objet de restrictions de recouvrement; a été erronément attestée deux fois; [...] ».

[93] La directive de 2016 mentionne qu’elle a été émise le 7 novembre 2016. Elle se trouve dans la communication DGRV‐2016‐206, dans Infozone, qui est intitulée [traduction] « Retrait des certificats et recertification des dettes par rapport à la renonciation aux certificats ‐ Cour fédérale ».

[94] La directive de 2016 indique, sous la rubrique [traduction] « Type », sa nature : [traduction] « Politique et procédure », tandis que le [traduction] « Sujet » est [traduction] « Certificats ».

[95] La directive de 2016 décrit un objet restreint : [traduction] « L’objet de la présente communication est de préciser dans quels cas un certificat, obtenu de la Cour fédérale du Canada, peut être retiré et recertifié, et dans quels cas il est possible d’y renoncer. » [Non souligné dans l’original.]

[96] Plus loin, elle mentionne : [traduction] « Le retrait d’un certificat est demandé lorsqu’un certificat est retourné à l’Unité du traitement des documents juridiques (UTDJ) en tant que “créance erronément attestée par certificat” pour les raisons suivantes [...] »

[97] La communication énonce ensuite quatre raisons différentes. La première est celle qui se présente en l’espèce :

[traduction]
Un montant établi par cotisation a été attesté par certificat à une époque où les montants faisaient l’objet de restrictions en matière de recouvrement. Étant donné que l’attestation par certificat de la dette était contraire à la loi, le certificat est nul et a [...]

[98] La directive de 2016 indique que la renonciation à un certificat est en fait une renonciation au droit du ministre aux montants certifiés. Elle ne s’applique que dans deux circonstances : (1) dette erronément attestée par certificat ‐ même dette attestée deux fois; (2) dette réévaluée à zéro.

[99] Ni l’une ni l’autre de ces circonstances ne s’applique aux faits en l’espèce.

[100] Les demandeurs affirment que le manuel de 2015 devrait s’appliquer, parce qu’ils ont déposé les oppositions le 20 avril 2016, soit avant la publication de la directive de 2016.

[101] L’ARC affirme que la partie du manuel de 2015 sur laquelle les demandeurs se sont appuyés a été remplacée par la directive de 2016 et qu’un manuel n’a pas force obligatoire.

[102] Les demandeurs ont raison de dire que la directive de 2016 n’était pas en vigueur le 20 avril 2016, au moment où ils ont initialement déposé les oppositions. Elle était toutefois en vigueur le 24 avril 2018, lorsque la Division des appels de l’ARC a accepté et antidaté les oppositions.

[103] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que l’ARC était tenue de suivre le manuel de 2015 et de renoncer aux certificats.

[104] Le manuel de 2015 est une politique administrative. Il reflète la politique de l’ARC à un moment précis. Dix‐huit mois après la publication de la directive de 2016, l’ARC a pris la décision d’antidater les oppositions. Les demandeurs n’ont pas présenté de jurisprudence ou de doctrine pour étayer leur affirmation selon laquelle le manuel de 2015 original devrait régir le processus utilisé pour procéder à la mainlevée des certificats plutôt que le processus en place au moment où l’ARC a pris la décision d’antidater les oppositions.

[105] Je conclus que l’ARC n’était pas tenue de suivre la procédure du manuel de 2015 ou de la directive de 2016, compte tenu des dispositions de la LTA et de la jurisprudence suivante qui régit l’utilisation des manuels et des directives.

[106] Les directives et les manuels de politiques font partie de la « réglementation non impérative ». Par conséquent, une politique sur laquelle s’appuient les décideurs dans l’administration quotidienne de leur loi habilitante ne peut remplacer les pouvoirs conférés par la loi : Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 aux para 45, 53.

[107] En droit fiscal, plus précisément en ce qui concerne les recouvrements au titre de la LTA, l’argument des demandeurs selon lequel l’ARC était tenue de suivre le manuel de 2015 original a été jugé insuffisant :

[108] Les demandeurs font valoir que les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas suivi chacune des étapes énoncées dans le manuel destiné aux agents de recouvrement. Il est bien établi en droit que les manuels de ce type ne sont pas contraignants en droit ni à l’égard de tiers, ni pour les employés eux‐mêmes. Les demandeurs sont malavisés de vouloir faire de ce document une législation subordonnée.

Humby c Canada, 2013 CF 1136, conf par 2015 CAF 266, autorisation de pourvoi refusée, dossier de la CSC no 232015, 20 avril 2017 (Humby).

[108] Nonobstant ce qui précède et les dispositions du paragraphe 315(2) de la LTA, après avoir accepté les oppositions, l’ARC a volontairement appliqué des restrictions en matière de recouvrement. Elle a ensuite retiré les certificats.

[109] Le dossier ne mentionne pas si la décision de retrait était fondée sur la directive de 2016. La décision de retrait est certainement conforme à cette directive.

[110] Ce que le dossier montre, c’est qu’une fois prise la décision d’antidater les oppositions et d’appliquer les restrictions en matière de recouvrement, une décision collective a été prise de retirer les certificats et les brefs. La note du SARRS du 19 septembre 2018 en témoigne :

[traduction]
J’ai examiné et je souscris à T312 pour l’inscription au bureau des titres de bien‐fonds et au registre des biens personnels (icV120)

Examiné et approuvé. KXT158/TL

Je souscris au retrait du certificat. La Division des appels a antidaté l’appel; le certificat n’est donc plus valide.

LE CERTIFICAT NE DOIT PAS ÊTRE EXÉCUTÉ, car la dette sous‐jacente est toujours valide, mais elle fait l’objet de restrictions en matière de recouvrement en raison d’un appel.

[Majuscules dans l’original.]

[111] Selon les faits de la présente affaire, je ne vois rien d’erroné dans cette décision de l’ARC.

[112] Le manuel de 2015 n’a pas force obligatoire et, tel qu’il a été rédigé à l’origine, la partie sur laquelle les demandeurs souhaitent se fonder a été remplacée; elle est périmée. Je conclus que l’ARC a raisonnablement décidé de retirer les certificats, car la dette sous‐jacente n’était pas acquittée.

[113] En fin de compte, la question de savoir si le retrait des documents était fondé ou non sur la directive de 2016 est sans importance, puisque ni le manuel de 2015 ni la directive de 2016 n’étaient contraignants.

[114] Les demandeurs ont fait également valoir qu’il y avait une ambiguïté entre le manuel de 2015 et la directive de 2016. Selon eux, dans une telle affaire, la décision du juge Brown dans Haymour c Canada (Revenu national), 2014 CF 1045, devrait être suivie et l’ambiguïté réglée en faveur des demandeurs, car, pour citer Haymour, leurs droits sont bafoués.

[115] Outre la nature non contraignante du manuel, le problème avec cet argument est qu’il n’y a pas d’ambiguïté entre le manuel de 2015 et la directive de 2016. La directive de 2016 visait à clarifier le processus à suivre. Ce faisant, s’il y avait une ambiguïté dans le manuel de 2015, elle a été résolue.

IX. L’attente selon laquelle il y aurait mainlevée du certificat était‐elle légitime?

[116] Une attente légitime survient dans des circonstances particulières.

[117] Les demandeurs affirment que l’ARC applique et maintient de façon uniforme a) la politique de restriction des mesures de recouvrement contre les administrateurs tiers qui déposent en temps opportun des avis d’opposition aux cotisations au titre de la responsabilité des administrateurs relativement à une dette d’une société liée à la TPS; b) les politiques et la procédure énoncées dans le manuel de 2015.

[118] Étant donné que l’ARC a volontairement restreint les mesures de recouvrement, je ne traiterai que de l’affirmation des demandeurs selon laquelle il était légitime de s’attendre à ce que l’ARC suive ses politiques et sa procédure énoncées dans le manuel de 2015.

[119] Aucun élément de preuve ne démontre que les politiques sont appliquées de façon si uniforme par l’ARC qu’il y aurait une attente légitime.

[120] Il y a attente légitime lorsqu’un représentant de l’État, dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, fait des affirmations « claires, nettes et explicites » à un administré concernant la tenue d’un processus administratif : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 [Mavi] au para 68.

[121] On juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime une telle affirmation qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution : Mavi, précité, au para 69.

[122] Je conviens avec l’ARC qu’une politique interne qui avait été annulée au moment où les certificats ont été déposés n’est pas une indication suffisamment précise pour constituer une obligation contractuelle exécutoire. Ainsi, il n’y a pas eu d’attente légitime.

[123] Même s’il y avait effectivement eu une attente légitime, l’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante. « [L]a Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » : Agraira, au para 97 (souligné dans l’original).

X. Le mandamus

[124] Les demandeurs ont sollicité une ordonnance de mandamus exigeant que le ministre dépose une renonciation à un certificat. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées, une telle ordonnance n’est pas nécessaire.

[125] Même si j’avais conclu le contraire, le mandamus ne pourrait pas être délivré, puisque l’ARC n’a aucune obligation envers un contribuable, si ce n’est d’agir conformément à la loi et aux fins qu’elle prévoit : Humby, au para 122, suivie dans la décision Sailsman c Canada (Revenu national), 2014 CF 1033 au para 41.

XI. Conclusion

[126] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est raisonnable et qu’elle n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure.

[127] Les demandes seront rejetées.

[128] Les deux parties ont demandé les dépens. Le défendeur a eu gain de cause et a droit aux dépens taxables plus les débours aux termes de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales (les Règles).

 


JUGEMENT dans les dossiers T‐1368‐19 et T‐1367‐19

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes sont rejetées.

  2. Les dépens sont adjugés au défendeur aux termes de la colonne III du tarif B des Règles.

« E. Susan Elliott »

Juge


ANNEXE

Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‐15

Excise Tax Act, RSC 1985, c E‐15

Opposition à la cotisation

Objection to assessment

301 (1.1) La personne qui fait opposition à la cotisation établie à son égard peut, dans les 90 jours suivant le jour où l’avis de cotisation lui est envoyé, présenter au ministre un avis d’opposition, en la forme et selon les modalités déterminées par celui‐ci, exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents.

301 (1.1) Any person who has been assessed and who objects to the assessment may, within ninety days after the day notice of the assessment is sent to the person, file with the Minister a notice of objection in the prescribed form and manner setting out the reasons for the objection and all relevant facts.

Cotisation avant recouvrement

Assessment before collection

315 (1) Le ministre ne peut, outre exiger des intérêts, prendre des mesures de recouvrement aux termes des articles 316 à 321 relativement à un montant susceptible de cotisation selon la présente partie que si le montant a fait l’objet d’une cotisation.

315 (1) The Minister may not take any collection action under sections 316 to 321 in respect of any amount payable or remittable by a person that may be assessed under this Part, other than interest, unless the amount has been assessed.

Paiement du solde

Payment of remainder

315 (2) La partie impayée d’une cotisation visée par un avis de cotisation est payable immédiatement au receveur général.

315 (2) If the Minister sends a notice of assessment to a person, any amount assessed then remaining unpaid is payable forthwith by the person to the Receiver General.

Report des mesures de recouvrement

Minister may postpone collection

315 (3) Sous réserve des modalités qu’il fixe, le ministre peut reporter les mesures de recouvrement concernant tout ou partie du montant d’une cotisation qui fait l’objet d’un litige.

315 (3) The Minister may, subject to such terms and conditions as the Minister may stipulate, postpone collection action against a person in respect of all or any part of any amount assessed that is the subject of a dispute between the Minister and the person.

Certificat

Certificates

316 (1) Tout ou partie des taxes, taxes nettes, pénalités, intérêts ou autres montants à payer ou à verser par une personne — appelée « débiteur » au présent article — aux termes de la présente partie qui ne l’ont pas été selon les modalités de temps ou autres prévues par cette partie peuvent, par certificat du ministre, être déclarés payables par le débiteur.

316 (1) Any tax, net tax, penalty, interest or other amount payable or remittable by a person (in this section referred to as the “debtor”) under this Part, or any part of any such amount, that has not been paid or remitted as and when required under this Part may be certified by the Minister as an amount payable by the debtor.

Enregistrement à la cour

Registration in court

316 (2) Sur production à la Cour fédérale, le certificat fait à l’égard d’un débiteur y est enregistré. Il a alors le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts et pénalités courus comme le prévoit la présente partie jusqu’au jour du paiement, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Aux fins de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire de la Cour contre le débiteur pour une créance de Sa Majesté.

316 (2) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection (1) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest and penalty thereon as provided under this Part to the day of payment and, for the purposes of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty and enforceable as such.

Responsabilité des administrateurs

Liability of directors

323 (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

323 (1) If a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3) or to pay an amount as required under section 230.1 that was paid to, or was applied to the liability of, the corporation as a net tax refund, the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit or pay, as the case may be, the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay the amount and any interest on, or penalties relating to, the amount.

Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)

Income Tax Act, RSC 1985, c 1 (5th Supp)

Restrictions au recouvrement

Collection restrictions

225.1 (1) Si un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du jour du début du recouvrement du montant, prendre les mesures suivantes :

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

[ . . . ]

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

e) [Abrogé, 2006, ch. 4, art. 166]

f) obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

225.1 (1) If a taxpayer is liable for the payment of an amount assessed under this Act, other than an amount assessed under subsection 152(4.2), 169(3) or 220(3.1), the Minister shall not, until after the collection‐commencement day in respect of the amount, do any of the following for the purpose of collecting the amount:

(a) commence legal proceedings in a court,

(b) certify the amount under section 223,

[ . . . ]

(c) require a person to make a payment under subsection 224(1),

(d) require an institution or a person to make a payment under subsection 224(1.1),

(e) [Repealed, 2006, c. 4, s. 166]

(f) require a person to turn over moneys under subsection 224.3(1), or

(g) give a notice, issue a certificate or make a direction under subsection 225(1).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1367‐19

 

INTITULÉ :

NICK LIBICZ c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‐1368‐19

INTITULÉ :

AARON VAAGE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Neil Mather

 

POUR LES DEMANDEURS

 

George Body

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neil T. Mather Professional Corporation

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.