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Date : 20040816

Dossier : IMM-7190-03

Référence : 2004 CF 1136

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 AOÛT 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

Entre :

                                                       MOUSSA MARIKO

                                                                                                                             Demandeur

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                              Défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la "Loi"), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le "Tribunal"). Dans cette décision, le Tribunal a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » , tel que défini à l'article 96 de la Loi et n'est pas une « personne à protéger » selon l'article 97 de cette même Loi.


[2]                Le Tribunal a refusé de reconnaître le demandeur comme étant un réfugié au sens de la Convention, puisqu'il n'a pas été convaincu que la crainte de persécution du demandeur aux mains de la police malienne, en raison de ses opinions politiques imputées, était objectivement bien fondée.

[3]                Le demandeur est citoyen de la République du Mali, âgé de 23 ans. Il se dit recherché par la police malienne, parce qu'il aurait distribué des pamphlets annonçant une réunion du Rassemblement des partis politiques (ou « RPP » ). Le RPP est prétendument un parti politique d'opposition au Mali.

[4]                Le demandeur n'est pas lui-même membre ou partisan du parti. Il aurait tout de même accepté de distribuer les pamphlets pour venir en aide à son oncle qui est chef du RPP.

[5]                Selon le demandeur, la police malienne aurait fait irruption durant la réunion du RPP annoncée dans les pamphlets qu'il aurait distribués. La police aurait arrêté et emprisonné son oncle.

[6]                Le demandeur a réussi à s'enfuir, mais l'épouse de son oncle l'aurait informé, par la suite, que la police le recherchait. Il craint, dorénavant, que la police veuille l'emprisonner et le maltraiter.


La décision contestée

[7]                Le Tribunal a refusé de reconnaître que le demandeur était réfugié au sens de la Convention. Il n'a pas été persuadé que la crainte du demandeur, d'être emprisonné et maltraité par la police malienne pour avoir distribué des pamphlets du RPP, était objectivement bien fondée.

[8]                Le Tribunal a notamment fondé sa conclusion sur de preuve documentaire, selon laquelle, l'État malien respecte les droits politiques de ses citoyens. Le Tribunal a noté que la Constitution malienne accorde aux citoyens le droit d'élire le gouvernement de leur choix, ce qu'ils font régulièrement par le biais d'élections qui sont, selon les rapports, justes et libres.

[9]                De plus, selon la preuve documentaire, l'État malien tolère les différences d'opinions politiques. Il y a de nombreux partis politiques au Mali (87 selon un rapport) et il n'y a aucune mention, dans la preuve documentaire, de prisonniers politiques au Mali.

[10]            Par ailleurs, le Tribunal a observé qu' il n'y a aucune preuve qui corrobore le témoignage du demandeur qu'il risque d'être emprisonné et maltraité par la police malienne pour avoir distribué des pamphlets du RPP.


[11]            Enfin, le Tribunal souligne qu'il n'y a aucune preuve qui corrobore les dires du demandeur quant à l'existence du RPP et l'identité de son leader.

QUESTIONS EN LITIGE

1.          Le Tribunal a-t-il correctement appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités pour évaluer le bien-fondé objectif de la crainte de persécution du demandeur ?

2.          Le Tribunal a-t-il omis de considérer, comme motif de persécution, l'appartenance du demandeur à un groupe social particulier ?

Les prétentions du demandeur

[12]            Le demandeur est insatisfait de la décision du Tribunal. Il est d'avis que le Tribunal a commis deux erreurs. Tout d'abord, il soumet que le Tribunal aurait incorrectement appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités, au lieu de la « possibilité sérieuse de persécution » dans son analyse du bien-fondé objectif de la crainte de persécution du demandeur. Cette question ne fut pas élaborée lors de l'argumentation orale du demandeur, mais mérite néanmoins qu'on s'y attarde.


[13]            Ensuite, le demandeur argumente que le Tribunal aurait omis de considérer l'appartenance du demandeur à un groupe social particulier (soit celui de la famille d'un prisonnier politique ou d'un chef de parti politique d'opposition) comme motif de persécution. Selon le demandeur, chacune de ces deux erreurs justifie à elle-seule l'intervention de cette Cour.

Les prétentions du défendeur

[14]            Le défendeur soutient que le Tribunal a correctement appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités pour déterminer que la crainte de persécution du demandeur au Mali n'était pas objectivement bien fondée et souligne que la « possibilité sérieuse » de persécution n'est pas une norme de preuve, comme le prétend le demandeur. Conséquemment, le défendeur soutient que la décision du Tribunal doit être confirmée sur ce point.

[15]            Le défendeur reconnaît que le Tribunal a l'obligation de considérer l'existence d'un lien entre la crainte de persécution alléguée par le demandeur et tous les motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, même si le revendicateur d'asile n'a pas explicitement invoqué l'un de ces motifs dans sa demande d'asile.

[16]            Cependant, le défendeur soutient qu'en l'espèce, le Tribunal a correctement décidé de ne pas traiter de la question, puisque qu'il ne ressortait nullement de la preuve présentée par le demandeur qu'il risquerait d'être persécuté par la police malienne en raison de son lien de parenté avec un prisonnier politique ou un chef d'un parti d'opposition et que dans de telles circonstances, le Tribunal n'avait aucune obligation de considérer ce motif.


[17]            Bref, le défendeur est d'avis que la décision ne contient aucune erreur et devrait par conséquent bénéficier d'une retenue judiciaire.

L'analyse

1.          La norme de preuve

[18]            Il est bien établi en droit qu'une crainte de persécution, pour être jugée objectivement bien fondée, impose à un revendicateur d'asile le fardeau de démontrer qu'il serait exposé à une « possibilité sérieuse » de persécution. Dans l'affaire Adjei c. Canada (Ministre de L'Emploi et de L'Immigration)[1989] 2 C.F. 680 , la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge MacGuigan énonçait:

¶ 5       Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire [...]

¶ 6       Les parties ont convenu que l'on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [TRADUCTION] "possibilité raisonnable" : existe-t-il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine?

[...]


¶ 8       Les expressions telles que "[craint] avec raison" et "possibilité raisonnable" signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité "raisonnable" ou même de "possibilité sérieuse", par opposition à une simple possibilité.

[Je souligne]

[19]            Ainsi, la norme de preuve que le revendicateur d'asile doit satisfaire pour établir sa prétention d'une « possibilité sérieuse » de persécution est celle de la prépondérance des probabilités.

[20]            En l'espèce, les motifs de décision du Tribunal démontrent que le Tribunal a employé le bon critère et la bonne norme de preuve pour déterminer si le demandeur avait une crainte de persécution au Mali, qui était objectivement bien fondée :

... the panel is not persuaded on a balance of probabilities in the circumstances of this case, that the claimant would face a serious possibility of persecution ...

... the panel is also not persuaded on a balance of probabilities that the claimant is at risk of being detained on an indeterminate basis by Malian authorities...

Ainsi, le Tribunal n'a commis aucune erreur dans l'application de la norme de preuve.

2.    Appartenance à un groupe social particulier


[21]            L'obligation de considérer l'existence d'un lien entre la crainte de persécution alléguée par le demandeur et tous les motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, même si le revendicateur d'asile n'a pas explicitement invoqué l'un de ces motifs dans sa demande d'asile, a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689, en se fondant, en partie, sur le Guide du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui stipule qu'il ne revient pas au revendicateur d'asile d'identifier les motifs de persécution dans sa demande d'asile. Il revient plutôt à la personne chargée d'examiner sa demande, dans ce cas-ci, la SPR, de déterminer si les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention sont satisfaites.

[22]            Au paragraphe 80 de cette décision, la Cour suprême énonçait:

La Cour d'appel avait « commis une erreur en considérant que la crainte du demandeur d'être persécuté était fondée sur son appartenance à une organisation » . Le motif additionnel a finalement été accepté par l'appelant pendant les plaidoiries. Je remarque le Guide du HCNUR, à la p. 17, paragraphe 66, précise qu'il n'incombe pas au demandeur d'identifier les motifs de persécution. Il incombe à l'examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies ; habituellement, il y a plus d'un motif » .

Même si le motif des opinions politiques a été invoqué vers la toute fine des procédures, la Cour a décidé de l'examiner parce que cette affaire porte sur les droits de la personne et que la question est décisive en l'espèce.

[23]            Or, en l'espèce, le demandeur n'a jamais témoigné être à risque ou être recherché par la police malienne en raison du fait qu'il est parent avec le chef du RPP ou un prisonnier politique.


[24]            En effet, selon le témoignage même du demandeur, la police malienne le recherche parce qu'elle le soupçonne d'être impliqué dans le RPP :

Aunt Assetou Traore, the wife of my uncle told me not to stay. She told me the police was looking for me since I was the one who was helping my uncle to distribute the flyer, to set up the hall where the meeting was held,

I am a victim because I helped my uncle to organize the meeting on March 4, 2001.

Formulaire de renseignements personnels du demandeur, Affidavit de Moussa Mariko du, 17 octobre 2003, pièce « A » , Dossier du demandeur, Onglet 3

Q:            Now, you said the reason for your fear returning back home is because of your political opinion?

A:            Yes.

Notes sténographiques de l'audition devant la SPR du 14 juillet 2003, Dossier certifié de la SPR, vol. 2, p. 262

Q:            Now, how did the police - do you know how the police got to know your activities

A:            They investigated my uncle's activities, all phone numbers and then they investigated me also.

Q:            Why you?

A:            Because I helped my uncle by distributing the pamphlets and also by fixing the meeting hall.

Notes sténographiques de l'audition devant la SPR du 14 juillet 2003, Dossier certifié de la SPR, vol. 2, p. 270


[25]            De plus, il n'y a aucune preuve au dossier qui démontre que le demandeur serait à risque en raison de ce lien de famille et il n'y aucune preuve documentaire qui démontre que les membres de la famille d'un opposant politique sont persécutés par la police malienne. Ainsi à mon avis, le Tribunal n'avait aucune obligation de considérer ce motif.

[26]            En l'espèce, critiquer le Tribunal pour ne pas avoir pris en considération la situation familiale du demandeur est aussi absurde que de le blâmer pour avoir omis de considérer la race, la religion et la nationalité du demandeur comme motifs de persécution, d'autres motifs pouvant servir de fondements à la revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi.

[27]            Malgré cela, à la lecture de la décision du Tribunal on remarque que celui-ci a néanmoins considéré implicitement les conséquences potentiellement dangereuses découlant de lien parenté du demandeur. En effet, à la page 5 de la décision, le Tribunal énonce :

Accordingly, even if the claimant's uncle was detained as alleged, the panel is not persuaded on a balance of probabilities in the circumstances of this case, the claimant would face a serious possibility of persecution, or be subject personally to a danger of torture, a risk to his life or a risk of cruel and unusual treatment of [sic] punishment.


[28]            De surcroît, le demandeur n'a jamais allégué que les autres membres de la famille de son oncle - soit son épouse et ses deux enfants - sont recherchés par la police malienne. Rappelons-nous par ailleurs que c'est l'épouse de l'oncle du demandeur qui l'aurait informé, à la suite de l'arrestation de l'oncle, que la police le recherchait. Ceci illustre clairement qu'il n'existait absolument aucune crainte de persécution chez elle, malgré le lien de parenté avec le détenu, et que ipso facto la crainte était uniquement liée à des activités politiques et non pas à la situation familiale.

[29]            Tout cela m'amène à conclure que le demandeur ne peut reprocher au Tribunal d'avoir omis de considérer le motif de l'appartenance à un groupe social particulier comme motif de persécution. En l'espèce, on ne peut logiquement prétendre que le Tribunal a rendu une décision déraisonnable en concluant comme il a fait. Il ne s'agit pas donc d'une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[30]            Bref, le Tribunal ayant correctement appliqué la bonne norme de preuve pour étudier le bien-fondé objectif de la crainte de persécution du demandeur, et ayant correctement décidé de ne retenir l'appartenance du demandeur à un groupe social particulier comme motif de persécution, cette Cour ne voit pas comment elle pourrait se justifier d'intervenir.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                 "Sean Harrington"              

                                                                                                    Juge                           


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                      IMM-7190-03

INTITULÉ :                                                    MOUSSA MARIKO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 12 AOÛT 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 16 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Jacques Despatis                                               POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jacques Despatis                                               POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur Général du Canada


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