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Date : 20060426

Dossier : IMM-3310-05

Référence : 2006 CF 512

ENTRE :

VICTOR HUGO ARREOLA DE LA CRUZ

ROSA HILDA PEREZ PADILLA

JESSICA VIRIDIANA PEREZ PADILLA

(aussi appelée JESSICA VIRIDIA ARREOLA PEREZ)

 VICTOR HUGO ARREOLA PEREZ

NATALIA GUADALUPE ARREOLA PEREZ

 (aussi appelée NATALIA GUADALU ARREOLA PEREZ)

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs constituent une famille et sont citoyens du Mexique. Victor Hugo Arreola de la Cruz est le demandeur principal. Les demandeurs ont fui le Mexique le 27 mai 2004 et sont entrés au Canada le même jour. À leur arrivée, ou peu après, les demandeurs ont demandé l’asile à titre de réfugiés au sens de la Convention ou une protection similaire. Ils ont fondé leur demande d’asile sur leur crainte d’un représentant haut placé du gouvernement et de policiers qui l’appuyaient. Selon leurs allégations, en raison du pouvoir et de l’influence que possédait ce représentant haut placé du gouvernement, ils ne pouvaient se prévaloir de la protection de l’État mexicain.   

 

[2]               Dans une décision datée du 10 mai 2005, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Les présents motifs font suite à l’audition de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs. 

 

CONTEXTE

[3]               En janvier 2000, le demandeur principal a commencé à conduire un taxi dont la licence avait été obtenue par l’intermédiaire du Galaxy Group. Lui et d’autres chauffeurs de taxi appartenant au même groupe se sont vu offrir l’occasion d’acheter leurs propres permis et plaques. Le demandeur principal et plusieurs de ses collègues se sont prévalus de cette offre et ont fait un dépôt en vue du paiement du coût total du permis et des plaques. Le permis et les plaques, qui auraient dû être délivrés sous l’autorité du représentant haut placé du gouvernement que craindraient aujourd’hui les demandeurs, n’ont jamais été remis.  

 

[4]               Le 8 janvier 2003, les demandeurs ont participé avec d’autres à une manifestation par laquelle ils exigeaient que les permis et les plaques pour les taxis qui leur avaient été offerts, et pour lesquels ils avaient fait un dépôt, leur soient remis. La police s’est opposée aux protestataires. La violence a éclaté et des coups de feu ont été tirés. La demanderesse adulte ainsi que le plus jeune des demandeurs mineurs ont été blessés. Tous deux ont été hospitalisés.  

 

[5]               En août 2003, le demandeur principal a quitté le Galaxy Group et s’est joint à une autre organisation semblable. Il a découvert que l’offre qui avait été faite aux chauffeurs du Galaxy Group avait également été faite aux chauffeurs du groupe auquel il se joignait. Le demandeur principal aurait averti ses nouveaux collègues qu’il s’agissait d’une fraude. 

 

[6]               À la mi‑février 2004, le demandeur principal aurait fait face à des hommes qu’il croyait policiers et aurait été menacé. Il prétend que, en mai 2004, alors qu’il se rendait au poste de police pour signaler ses problèmes et ses craintes, il a été agressé et menacé de nouveau, encore une fois par des hommes qu’il croyait policiers. Par suite de l’agression, il a été hospitalisé pendant environ quatre (4) jours.

 

[7]               À la mi‑mai 2004, des coups de feu ont été tirés dans la maison des demandeurs quand tous les membres de la famille, sauf le demandeur principal lui-même, s’y trouvaient. Les demandeurs ont déménagé dans une autre municipalité.

 

[8]               Finalement, le 20 mai 2004, les demandeurs ont été informés que la police les recherchait et qu’elle détenait un [traduction] « mandat d’arrêt » visant le demandeur principal. Les demandeurs ont encore une fois changé de lieu de résidence. Peu après, ils se sont enfuis au Canada.  

 

[9]               Aucun des incidents ayant conduit à la fuite des demandeurs n’a jamais été signalé à la police ni à toute autre agence qui aurait pu aider les demandeurs à obtenir la protection de l’État.

 

DÉCISION À L’ÉTUDE

[10]           Au début de ses motifs, la SPR a écrit :

Les demandeurs d’asile [les demandeurs en l’espèce] craignent Francisco Garduno […], secrétaire des transports et des routes, la police qui appuie M. Garduno au Mexique et l’absence d’une protection de l’État adéquate pour eux au Mexique.

 

Il est important de noter que la SPR n’a pas dit que les demandeurs craignaient tous les policiers, mais uniquement ceux qui « appuie[nt] M. Garduno ». De plus, des éléments de preuve soumis au tribunal démontraient que M. Garduno lui‑même faisait l’objet d’une enquête ayant commencé au plus tard peu après le départ des demandeurs du Mexique. M. Garduno est le « représentant haut placé du gouvernement » mentionné précédemment dans les présents motifs. 

 

[11]           La SPR a en outre précisé :

La question déterminante en l’espèce est de savoir si une protection de l’État adéquate est actuellement offerte aux demandeurs d’asile dans la République fédérale du Mexique.

 

[12]           Dans ses motifs, la SPR a fait savoir qu’elle doutait que les activités du demandeur principal dans l’opposition à la « fraude » des permis et des plaques pour les taxis soient suffisamment importantes pour attirer l’attention particulière de M. Garduno et générer les actes violents des policiers qui l’appuyaient. En fait, la preuve sur laquelle le demandeur s’appuyait pour conclure que ceux qui l’avaient menacé et agressé étaient policiers ne semble pas constituer plus que des conjectures. La SPR a écrit :   

En dépit de toutes ces réserves liées à la crédibilité de l’affirmation selon laquelle le secrétaire des transports et des routes le [le demandeur principal] considérait comme un agitateur politique parce qu’il avait manifesté contre la fraude qui consistait en la collecte d’argent sous de fausses représentations, la question déterminante porte sur le défaut du demandeur d’asile de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption selon laquelle la République fédérale du Mexique peut actuellement protéger ses citoyens. Les demandeurs d’asile [les demandeurs] n’ont pas signalé leurs problèmes à un poste de police ou à un agent. Ils n’ont même pas consulté d’avocat ni intenté de recours en justice pour récupérer les [dépôts faits], pas plus qu’ils n’ont signalé leurs problèmes à [l’un des groupes ou agences de taxis avec lesquels le demandeur principal s’était associé].

 

[13]           La SPR a ensuite passé brièvement en revue la preuve documentaire devant elle portant sur la capacité du Mexique à protéger ses citoyens. Après avoir finalement souligné que le demandeur principal « n’a[vait] même pas fait d’effort pour connaître les noms ou l’identité de ses agents de persécution », la SPR a conclu : 

Le fardeau de la preuve pour établir l'absence de la protection de l'État est directement proportionnel au degré de démocratie, et il incombe au demandeur d’asile de réfuter, au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, la présomption selon laquelle le gouvernement démocratique du Mexique peut protéger ses citoyens.

 

La SPR a jugé que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait.

 

QUESTIONS

[14]           Dans le mémoire des faits et du droit déposé au nom des demandeurs, l’avocate a formulé ainsi les questions à examiner dans la présente demande de contrôle judiciaire : d’abord, la SPR a‑t‑elle commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si faire appel à la police aurait exposé les demandeurs à d’autres risques; et ensuite la SPR a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère dans son analyse de la protection de l’État? Devant la Cour, ces deux questions ont été essentiellement plaidées en une seule, celle de savoir si, en appliquant la norme de contrôle appropriée, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle l’État, le Mexique en ce qui les concerne, pouvait assurer leur protection.  

 

[15]           Dans un autre mémoire des arguments déposé après que l’autorisation pour la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été accordée, l’avocate a soulevé au nom des demandeurs la question de savoir si la SPR avait ou non manqué à l’égard des demandeurs à son obligation d’équité et de justice naturelle en procédant à l’audience selon le principe de l’ordre inversé des interrogatoires, où la SPR elle‑même commence l’interrogatoire et où le conseil des demandeurs ne peut interroger ses clients qu’après la fin de l’interrogatoire par la SPR.

 

ANALYSE

[16]           Je vais d’abord traiter brièvement de la question de l’ordre inversé des interrogatoires.

 

[17]           Personne n’a contesté qu’aucune objection n’avait été soulevée avant l’audience devant la SPR, ni au début ni au cours de cette audience, au sujet de l’ordre inversé des interrogatoires. En fait, comme je l’ai noté plus tôt, la question n’a même pas été soulevée devant la Cour dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ni dans le mémoire des arguments soumis à mon collègue ayant accordé l’autorisation en l’espèce. 

 

[18]           Dans Benitez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[1], mon collègue le juge Mosley a statué sur la question de l’ordre inversé des interrogatoires ou des Directives no 7 du président, au paragraphe 235 de ses motifs :

Si la question des Directives no 7 n’est soulevée que dans un mémoire des faits et du droit complémentaire déposé après l’octroi de l’autorisation, il y a renonciation implicite, et les demandeurs doivent s’en tenir aux questions cernées dans la première demande et le premier mémoire.

 

 

 

Bien que la Cour ait rendu des décisions contradictoires sur cette question, je fais mienne la conclusion qui précède.

 

[19]           Le juge Mosley a certifié la question suivante touchant la conclusion citée ci‑dessus :

Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l'application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

[20]           À la lumière des décisions contradictoires rendues par la Cour, je vais certifier la même question dans le cadre de la présente affaire.

 

[21]           Maintenant en ce qui concerne la question de la protection de l’État, et il n’est pas contesté devant la Cour que, en l’espèce, les demandeurs n’ont fourni aucun effort pour obtenir cette protection de l’État, ma collègue la juge Tremblay‑Lamer, dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2], a conclu que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la protection de l’État constituant une question mixte de fait et de droit. J’adopte cette norme en l’espèce. 

 

[22]           La juge Tremblay‑Lamer a ensuite écrit aux paragraphes 15 à 18 de ses motifs :

Cependant, à mon avis, les arrêts Ward et Kadenko ne sauraient signifier qu'une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l'État […] La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve. Comme je l'ai expliqué dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) […], le jugement Kadenko n'est guère pertinent lorsque « [...] les policiers n'ont pas seulement refusé de protéger les demandeurs, ce sont eux qui se sont livrés aux actes de violence » […]

 

Il serait illogique qu'il en soit autrement, comme le juge La Forest, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême du Canada, l'a déclaré dans l'arrêt Ward […] :

[…] le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

Dans la présente affaire, la SPR a conclu que le demandeur n'a pas fait suffisamment d'efforts pour obtenir la protection de l'État en s'adressant à la police pour obtenir de l'aide, en retenant plus rapidement les services d'un avocat pour l'aider à régler ses problèmes et en se tournant du côté du bureau de l'ombudsman.

 

Le problème est précisément celui qui a été envisagé dans la décision Molnar et qui sous‑tend les commentaires que le juge La Forest a formulés dans l'arrêt Ward : les policiers […] étaient les auteurs de la persécution dont le demandeur a été victime. Ainsi, malgré le fait que ce ne sont pas tous les membres de [la police] qui ont persécuté le demandeur, celui‑ci aurait sans doute été exposé à de plus grands risques s'il s'était tourné du côté de [la police] et lui avait demandé, en réalité, de le protéger d'elle-même.

 

 [Références omises.]

 

 

[23]           En l’espèce, le demandeur principal a prétendu que des policiers appuyant le représentant haut placé du gouvernement qui avait, il s’agit toujours d’allégations, escroqué le demandeur principal et ses confrères chauffeurs de taxi étaient eux‑même la source directe de la persécution. Ces policiers, s’il s’agissait bien de policiers, et la preuve à l’appui de cette conclusion est en fait très conjecturale, étaient en toute probabilité fort peu nombreux. Du moins, le nombre de policiers ayant menacé, blessé et agressé le demandeur et les membres de sa famille semblerait peu élevé. Quant aux faits en l’espèce, la crédibilité du demandeur principal n’a pas été directement mise en doute et, chose certaine, elle n’a pas été mise en doute en termes clairs et sans équivoque. Tel que je l’ai souligné plus tôt, non seulement les demandeurs n’ont pas tenté d’obtenir la protection de l’État en s’adressant à la police, mais ils n’ont demandé d’aide de même nature à aucune institution ni à personne.   

 

[24]           Compte tenu des faits en l’espèce, tels que la SPR les a établis, et en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à la conclusion sur la protection de l’État, je ne peux que conclure que la SPR a rendu une décision qu’elle pouvait rendre. En l’espèce, la SPR n’a pas exigé des demandeurs qu’ils épuisent tous les recours concevables à leur disposition pour qu’ils puissent réfuter la présomption de protection de l’État; ils étaient plutôt tenus de fournir certains efforts pour obtenir la protection de l’État au Mexique. Ils n’ont tout simplement pas satisfait à cette exigence. 

 

CONCLUSION

[25]           Pour les brefs motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Comme je l’ai souligné précédemment, une question sera certifiée relativement à la question de l’ordre inversé des interrogatoires ou des Directives no 7.

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 avril 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3310-05

 

INTITULÉ :                                                   VICTOR HUGO ARREOLA DE LA CRUZ, ROSA HILDA PEREZ PADILLA, JESSICA VIRIDIANA PEREZ PADILLA (aussi appelée JESSICA VIRIDIA ARREOLA PEREZ), VICTOR HUGO ARREOLA PEREZ, NATALIA GUADALUPE ARREOLA PEREZ (aussi appelée NATALIA GUADALU ARREOLA PEREZ)

                                                                        c.        

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron

 

POUR LES DEMANDEURS

Rhonda Marquis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] 2006 CF 461, 10 avril 2006.

[2] [2005] A.C.F. n232, 2005 CF 193, 8 février 2005.

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